logo SOV

Wild Beasts

Interview publiée par Amandine le 4 mai 2011

Bookmark and Share
C'est au siège de leur label, Domino records, que nous avons rencontré les deux leaders de Wild Beasts, Hayden Thorpe, chanteur à la voix enchanteresse, et Tom Fleming, chanteur et bassiste. Fidèles à la réputation qui les précède, c'est avec beaucoup de gentillesse qu'ils se sont prêtés au jeu des questions sur leur nouvel album, Smother .

Vous avez été nominés pour le Mercury Prize en 2010, ce qui signifie que vous avez acquis une reconnaissance de la part de l'industrie musicale. De quel œil voyez-vous tout ça ?

Tom : C'est une bonne chose mais en même temps, je ne sais pas comment dire, c'est aussi un peu lassant...
Hayden : En fait, autour de nous, ça a changé, mais à l'intérieur, pour nous, c'est toujours pareil. Nous faisons toujours la même musique, les mêmes chansons et nous venons toujours de là où nous avons grandi.
Tom : Je pense que le soir de la cérémonie, quand nous avons vu que The XX avaient gagné, nous étions à la maison en train de regarder ça et nous nous sommes tous dit « Oh merci mon Dieu ! Nous allons pouvoir nous réveiller demain matin et continuer à faire les choses que nous voulons faire ! » Parce que c'est indéniable que c'est une marque de reconnaissance que de gagner un tel prix mais les gens attendent beaucoup de toi après.

Votre nom, Wild Beasts, fait référence au mouvement pictural (ndlr : le fauvisme). Votre musique fait référence au théâtre, au mime ou encore au cabaret. Il semble que pour vous, toutes les formes d'art soient liées mais sont-elles toutes des influences pour votre musique ?

Hayden : Je pense que oui ! Pas toujours de façon directe mais nous sommes musiciens et il faut être honnête, il serait ridicule de dire que nous n'avons aucune influence. Faire de la musique en ne s'inspirant que de la musique serait un travail imparfait à mon sens. Même si ce n'est pas flagrant, nous nous inspirons de la danse par exemple. Nous sommes un groupe de mecs mais nous ne sommes pas la revendication du machisme et beaucoup diront sûrement que nous manquons de testostérone parce que nous aimons ces déclinaisons artistiques mais nous sommes fiers de ce que nous sommes. Quand nous regardons des danseurs et que nous voyons la façon dont ils bougent leur corps, nous nous disons « Oh mon Dieu ! Je suis une véritable brute ! Je pensais être un chanteur sensible mais quand je vois ça, je ne suis rien côté sensibilité ! Je ne suis qu'un rustre buveur de bière ! » Se tourner vers les autres disciplines artistiques permet de voir nos défauts et le fossé qu'il y a entre certaines formes d'art et ce que nous faisons.

Votre musique ne semble pas se préoccuper de ce qui est à la mode ou de ce genre de préoccupations un peu futiles. On a l'impression que vous faites la musique que vous avez envie de faire. Est-ce vraiment le cas ?

Tom : Je pense que oui. Nous nous tenons à ce que nous avons toujours fait et voulu faire. Je pense qu'il faut toujours garder un œil ouvert et penser en premier lieu à ce que tu veux faire, avoir des idées et après ça, prendre toutes les sources pour faire naître une chanson. C'est mieux que de n'avoir aucune idée et d'écouter ça, ça et ça pour s'inspirer. Je pense qu'à chaque fois que nous produisons un nouveau disque, nous franchissons une marche par rapport au précédent. C'est un compliment quand on nous dit que nous n'avons rien à faire de la mode parce que la mode est quelque chose de rétrospectif, qui est déjà arrivé, qui est déjà fait et nous, nous voulons constamment faire de nouvelles choses et avancer.

Vous venez de Kendal, une petite ville du Lake District et j'ai entendu que vous aviez déclaré que là-bas, les jeunes préféraient le heavy metal à la pop. D'où vous vient cette atmosphère musicale si personnelle et loin des clichés ?

Hayden : Nous venons de Kendal et nous avons enregistré notre dernier album au pays de Galles. Je crois que ces deux endroits sont un peu similaires, éloignés de tout le reste, comme s'ils étaient enfermés dans les décennies précédentes. Le paysage est très important parce qu'il est à l'origine de comment les gens se sentent et agissent. Ça tient peut-être aussi du fait que là-bas il n'y a pas de culture à proprement parler comme dans les grandes villes telles que Londres ou Paris où la vie est excessive. Les gens ne sont pas dans l'urgence à Kendal ou au pays de Galles.

En trois ans, vous avez sorti trois albums. Comment expliquez-vous cette productivité ?

Tom : (rires) Je crois que c'est surtout un désir de vivre et de faire entendre notre voix. Je pense que c'est important de différencier les gens qui sont artistes de ceux qui aiment l'être. Nous ne voulons pas nous complaire dans notre rôle d'artiste. Nous voulons continuer à travailler et à être productifs. C'est aussi très excitant de faire un disque, c'est la meilleure partie du travail ! A la fin, tu peux te regarder dans le miroir et dire : « Ça y est, je suis arrivé au bout du projet ! ». Je crois que nous serions malheureux si nous ne faisions pas sans cesse de la musique. Si nous avions attendu deux années avant de faire ce nouvel album, nous ne nous serions pas sentis bien et, à vrai dire, je me demande bien ce que nous aurions pu faire pendant tout ce temps !

L'annonce de la sortie de Smother a été une surprise. Depuis Two Dancers, et même avant, vous semblez ne pas vouloir faire de pause. Quand cet album a-t-il été écrit et enregistré ?

Hayden : (rires) Le dernier concert de la tournée pour Two Dancers était le 27 septembre et trois jours après, nous commencions à écrire le nouvel album. Physiquement, nous aurions probablement dû faire une pause mais nous avons réalisé qu'en un sens, c'était déjà trop tard à la fin de la tournée. Ce que nous attendions de ce nouvel album c'est qu'il soit honnête et nous ne voulions pas cacher le fait que nous étions fatigués et même vulnérables car cela nous montre tels que nous étions à ce moment, sans mensonge. Nous n'avions pas de projet comme partir un mois en Australie pour nous reposer au soleil et revenir en pleine forme avec le sourire. D'ailleurs, si nous l'avions fait, nous n'aurions probablement pas réussi à produire un aussi bon album je pense. Smother retranscrit cette transition : après la tournée, nous sommes retournés à Londres la même semaine, le Mercury Prize avait eu lieu quelques semaines auparavant. Avec tout ce que nous venions de vivre, nous avions nourri notre esprit de beaucoup d'émotions et de souvenirs pour créer de nouvelles choses.

Vous avez enregistré votre nouvel album dans la campagne galloise. Cet environnement a-t-il eu un impact sur votre musique ?

Tom : Je pense que le plus important pendant cette période c'est l'autarcie. Nous sommes ensemble 24 heures sur 24, nous ne retournons pas chez nous et tout cela crée une atmosphère particulière. Nous avons passé trois semaines ensemble dans un environnement très intense. Le lieu où nous étions a aussi été très important : c'était magnifique, un peu sombre et sinistre, très froid, il neigeait dehors. C'est comme si nous étions dans une sorte de cocon et que nous ne pouvions pas vivre et nous libérer de ce cocon avant d'avoir terminé cet album. Autant que l'environnement extérieur, ce qui est important est le processus de création.

A la sortie de Two Dancers , vous avez déclaré que votre maison de disques, Domino Records, n'attendait rien de spécial de cet album et que vous étiez libres de faire ce que vous désiriez. Maintenant que vous êtes plus connus, était-ce encore le cas avec Smother ? Avez-vous reçu certaines instructions ?

Hayden : Je crois que la chose extraordinaire et unique avec ce label c'est qu'il ne te donne aucun conseil, aucune instruction. Nous avons appris nos leçons, acquis une certaine réputation, tiré des conclusions de ce que nous avons fait ou vécu et ça leur suffit. Imagine que quelqu'un te dise ce que tu dois faire ! Si ç'avait été le cas, nous leur aurions ri au nez en disant « Eh bien fais-le ! ». C'est une sorte de mariage idéal pour nous cette alliance à Domino Records. Nous connaissons chacun de notre côté les responsabilités qui nous incombent et nous les assumons. Ils savent que nous ne sortirons jamais un disque auquel nous ne croyons pas.
Tom : Imagine, tourner pendant deux ans avec un album que tu n'aimes pas et dont tu n'as pas décidé les moindres détails ! Ce serait affreux !

Avec ce nouvel album, vous paraissez plus confiants, tous les instruments sont irréprochables. Hayden, tu sembles encore plus maîtriser ta voix et toi, Tom, tu chantes de plus en plus, parfois, vous mêlez même vos deux voix comme sur le magnifique Reach A Bit Further. Pouvez-vous un peu nous expliquer toutes ces évolutions ?

Tom : Sur cet album, la plupart des réussites proviennent d'accidents et d'expérimentations. Depuis le début, ce que nous voulions par-dessus tout c'était produire un magnifique album, un disque feutré avec des titres plus lents et ce genre de choses, être encore plus sensibles en nous rapprochant des micros et des instruments.
Hayden : Je crois que sur cet album, les choses ne devraient pas avoir à être justifiées. Les gens cherchent toujours une raison à tout et parfois, nous avons envie de répondre « Mais pourquoi ? Tout ça est le résultat de l'état dans lequel nous étions au moment où nous l'avons écrit et enregistré. Ressentez-le juste ! ». Tout ça est très énigmatique et très mystérieux et quand on le déchiffre, ça perd de sa romance et de sa magie.

Beaucoup de choses se sont passées depuis votre premier album, Limbo Panto . Votre musique a beaucoup évolué, la plus grande différence étant probablement celle entre Two Dancers et Smother . Ce nouvel album est plus sensuel, calme ou ambient et les tempos sont plus lents. On n'y retrouve pas de titre dansant comme We Still Got The Taste Dancin' In Our Tongues et l'atmosphère y est très particulière. Était-ce volontaire de votre part ou est-ce simplement dû à une évolution naturelle lors de l'écriture et de l'enregistrement ?

Hayden : Je crois que le terme « atmosphère » est très approprié. Avec Two Dancers , le rendu final et l'atmosphère qui s'en dégageait n'étaient pas intentionnels. C'est comme ça, grâce à l'ambiance qui régnait quand nous avons enregistré, le fait d'être ensemble pour vivre cette expérience. C'est un peu la même chose qui est arrivée avec Smother . Nous venions de vivre ensemble pendant les deux années de tournée, au point que parfois nous en avions marre les uns des autres et nous nous sommes dit « Mettons toutes ces émotions ensemble, les meilleures comme celles un peu plus négatives, et ce sera la meilleure solution pour tirer une conclusion à tout ce qui vient de nous arriver ». Pour qu'un album ait une atmosphère aussi intense, il a fallu que nous soyons honnêtes. C'est un peu comme pour un photographe : il ne peut pas cacher ce qu'il photographie, il ne peut pas mentir. Faire un album, c'est littéralement se mettre à nu : ce sont nos voix, nos compositions et je suppose que Smother reflète la confiance mutuelle que nous pouvions avoir et nous n'avons pas eu peur de nous montrer même quand notre humeur était morose.

Smother est-il construit, comme l'était Two Dancers , autour d'un thème central ?

Tom : Le titre de l'album lui-même a un double sens ; il évoque à la fois le confort (ndlr : le terme signifie emmitoufler) mais il évoque aussi l'étouffement. Il est certain qu'il y a des chansons d'amour sur cet album mais elles ne racontent pas de jolies choses et montrent qu'en amour, ce n'est pas toujours très plaisant. Nous avons voulu montrer les différents aspects d'un même thème. Je pense que les tempos plus lents et l'atmosphère générale reflètent bien tout ça, toute cette force dont il faut parfois faire preuve.

Albatross est le premier extrait de votre nouvel album. N'avez-vous pas eu peur de décontenancer vote public en sortant un titre aussi différent de ce que vous avez fait auparavant ?

Hayden : J'espère que les gens vont être désarçonnés (rires) ! La véritable intention était de surprendre les auditeurs. Nous voulions revenir et que les gens se disent « Mais que s'est-il passé ? Que leur est-il arrivé ? ». L'album sonne différemment de Two Dancers car nous sommes des personnes différentes dorénavant. Nous avons vu et fait beaucoup de choses depuis, certaines sont derrière nous et d'autres font encore partie de nos vies. Nous avons la chance de pouvoir nous renouveler, c'est la plus importante des aptitudes et l'arme la plus puissante au monde est de pouvoir se réinventer sans cesse.

Sur Smother, les titres sont très harmonieux et homogènes. Ne pensez-vous pas que l'atmosphère de cet album est presque plus importante que les chansons en elles-mêmes ?

Tom : Je pense que les deux sont importantes. Je suis tout à fait d'accord avec toi quand tu dis que l'atmosphère est primordiale sur Smother et même de manière générale puisque selon moi, c'est ce qui différencie les bons disques des très bons disques, qui fait qu'un album va plus marcher qu'un autre. Tu peux écrire autant de chansons que tu veux, de jolies chansons, mais tu ne peux pas créer une atmosphère intentionnellement, ça vient tout seul et tu ne peux pas mentir là-dessus, ça s'entendrait de suite. Nous voulions faire en sorte que cet album soit le plus honnête possible. Malgré tout, nous sommes quand même des compositeurs et les paroles sont importantes dans notre musique.

Le titre Burning m'apparaît un peu comme un OVNI sur ce nouvel album, c'est presque plus un poème qu'une chanson à proprement parler. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?

Tom : Cette chanson est née d'une erreur. C'était censé être une belle chanson avec du piano et un sample, mais quand nous l'avons enregistrée, nous avons tous pensé qu'il ne fallait plus rien y ajouter, nous voulions la faire en une prise, nous asseoir un soir et nous dire « Bon, voilà, maintenant, ajoutons-y des paroles ». Finalement, je trouve que ce titre, sans réelle rythmique et qui ne correspond pas à un standard dans sa composition, est très représentatif de la thématique du disque.
Hayden : Je pense que la plus grande réussite pour un album est de se dire qu'il sonne exactement comme nous le voulions. Ce que nous retiendrons de cette dernière expérience c'est qu'il est bon d'être aventureux et de partir vers de nouveaux chemins parce qu'à la fin, le résultat est totalement novateur. Parfois, tout vient très vite et c'est un peu ce qui s'est passé avec Burning ; si nous avions voulu arriver à ce résultat intentionnellement, ça aurait sonné ridicule, c'est évident, mais là, c'était une surprise et ce n'était même pas voulu. Je suis vraiment heureux de t'entendre dire que tu pensais que c'était intentionnel (rires) !

Une dernière question : J'ai vu sur votre site internet que vous repartiez en tournée au Royaume-Uni, en Europe mais aussi aux États-Unis. Comment se passe votre vie lorsque vous êtes sur la route ? Trouvez-vous le temps de travailler à de nouvelles compositions ?

Tom : Nous collectons des idées pendant les tournées. Les idées, c'est la partie la plus simple du travail et la partie la plus difficile est d'en faire quelque chose quand nous sommes ensemble. Nous avons profité de la tournée Two Dancers et nous n'avons rien écrit de nouveau avant d'avoir terminé. Être en tournée, c'est une incroyable énergie créatrice. Être en tournée, malgré tout, c'est se mettre en mode survivor, il faut être extrêmement rigoureux car les gens viennent pour te voir et tu te dois d'être bon même si tu ne vas pas bien.
Hayden : Ce qui est génial en tournée, c'est de jouer les titres live. C'est différent de créer de nouvelles choses. Là, il faut jouer correctement des titres que tu as déjà écrit auparavant et les jouer de la façon la plus appropriée par rapport au public qui est devant toi ce soir-là. La joie des tournées c'est aussi de pouvoir réécrire et revisiter les titres, de toujours repenser sa musique.