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The Duke Spirit

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 19 octobre 2011

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Voilà un groupe qui ne cède pas facilement pas aux sirènes de la hype ou des modes sans cesse revisitées et ressuscitées. Solide comme le roc, The Duke Spirit ne tient pas son nom du film des frères Cohen, ce serait trop facile ! Sublimés par la voix et l’aura scénique de leur chanteuse, Liela Moss, leur Debbie Harry à eux, les quatre garçons originaires de Londres sont en pleine balance sur la scène du Nouveau Casino quand je les rejoins ce lundi soir.

Une fois encore, cette formation n’aurait jamais vu le jour sans avoir fréquenté les mêmes bancs d’une école d’art Anglaise. Voici peut-être une des clefs de cette richesse inversement proportionnelle aux crédits de la culture à la merci du libéralisme agressif des anglo-saxons : les écoles d’arts sont nombreuses outre-Manche et ne souffrent pas, comme en France, de la suprématie d’une seule, située dans la capitale.

Oliver Betts, Luke Ford et Marc Sallis, récemment intégré à la place de Dan Higgins, m’accompagnent autour d’une bière blanche et de quelques snacks posés sur une table du café Charbon, annexe du Nouveau Casino.

Votre nom, The Duke Spirit, sonne comme une réplique tirée du film des frères Cohen, The Big Lebowski...

Luke : Dude (rires) ! J’aurais aimé, mais non. The Duke Spirit c’est un nom que nous avons trouvé alors que nous n’arrivions pas à nous décider sur le patronyme du groupe. Nous étions dans le bureau d’un ami qui gère un label et nous passions en revue les films, livres ou albums qui nous avaient marqués pour en tirer une idée de nom. Et, sur un coin d’une étagère, il y avait ce livre qui n’a jamais été édité avec ce nom, The Duke Spirit. Nous avons aimé les différents sens que ce nom pouvait véhiculer. Il faut savoir que nous avons écrit notre premier album sans avoir encore de nom !

Marc n’est pas vraiment un nouveau venu parmi nous. Il est au coté du groupe depuis des années et, pour finir, il est devenu un autre membre de la formation.

Ce nouvel album est le premier depuis le départ de Dan Higgins. En quoi cela a-t-il affecté le groupe et votre musique ?

Oliver : Cela a évidemment changé la donne quand nous nous sommes retrouvés de cinq à quatre membres pour jouer car Marc n’est pas arrivé tout de suite. Il n’y avait plus cinq avis ou propositions lors de l’écriture mais seulement quatre. Nous sommes passés à une seule basse et une seule guitare ce qui, parfois, peut aussi être positif...
Luke : Tony a presque toujours écrit les lignes de guitares et Dan avait un son très différent de lui. Cela a été une bonne chose pour cet album. Nous aimons nos albums précédents bien sûr, mais avoir un nouveau son et une nouvelle approche musicale n’a pas été négatif. Marc est arrivé et il a apporté un style qui colle parfaitement à ce que nous faisons maintenant. Ce n’est pas un nouveau groupe, mais tout cela a apporté de l’air frais à notre formation. En conséquence, Tony est monté d’un cran et est devenu un peu leader à la guitare. Avec Dan, le son était un peu plus noisy ; maintenant, Tony a plus d’espace pour jouer à sa manière et Marc apporte une ligne rythmique plus marquée. Il n’y a eu aucun différent entre nous, c’est juste la vie et une nouvelle opportunité pour le groupe ; ni meilleur ni moins bien qu’avant, juste sur une nouvelle route. Et Marc n’est pas vraiment nouveau venu parmi nous. Il est au coté du groupe depuis des années et, pour finir, il est devenu un autre membre de la formation. Qu’est ce que tu en penses Marc ?
Marc : Je n'en sais trop rien... Elle est bonne cette bière, c’est quoi (rires) ?

Avez-vous craint, un temps, que le départ de Dan puisse avoir un effet négatif sur The Duke Spirit ? Certains groupes ne se sont parfois jamais remis du départ d’un de leurs membres...

Luke : Non. Tout ce qui arrive doit être pris avec philosophie. Je ne sais pas ce qu’aurait donné le troisième album avec la même formation mais je sais que j’adore le son de Bruiser. C’est la beauté de la chose quand tous les membres sont des amis, cela met en route une nouvelle chimie entre eux. Cela nous a rendus peut être plus forts qu’avant.

Il arrive que, quand un membre quitte un groupe, celui ci ne lui survive pas...

Luke : Prends deux exemples magnifiques : The Stooges et The Rolling Stones. Ils sont eux aussi passés par là et chaque nouvelle aventure avec un nouveau membre a donné de merveilleux albums. De Raw Power à Fun House ou de The Biggest Bang à Exile On Main Street.
Oliver : C’est une nouvelle dynamique. Elle nous fait évoluer du passé au futur...

Si le second album est souvent présenté comme un test important, le troisième joue souvent un rôle de pivot dans une carrière. L’avez-vous abordé d’une manière différente des précédents ?

Oliver : Que ce soit le deuxième ou le troisième album, il y a toujours une certaine pression sur les épaules d’un groupe. Mais, comme nous prenons notre temps entre chaque sortie, nous n’avons pas le stress du groupe qui se doit de confirmer son succès ou répondre à l’attente impatiente de ses fans. Je crois que, pour être créatif, il n’est pas possible d’être dans le rush. Il y avait peut-être un peu d’inconnu à cause de notre nouveau line-up, mais pas de pression.
Luke : Pour Neptune, le précédent album, nous avons passé beaucoup de temps aux États-Unis. Nous avons enregistré là-bas et beaucoup bougé sur place. Ce troisième album représente donc une sorte de retour aux sources, en Angleterre et en Europe. Et nous avons eu l’impression que Neptune n’a pas eu l’écoute méritée en Europe.

Que s’est-il passé entre Neptune et Bruiser ?

Oliver : Nous avons pas mal navigué sur notre yacht à Santa Monica ; j’ai fait du surf à Hawaï(rires). Nous avons tellement joué en live après Neptune que nous sommes rentrés épuisés. Puis, rapidement, nous avons décidé de construire notre propre studio afin d’avoir notre quartier général ! Ça nous est venus après avoir discuté avec pas mal de groupes Américains qui ont souvent leurs propres endroits à eux pour répéter ou se retrouver, parfois tous les jours.
Luke : Nous ne vivons pas à Londres, mais nous considérons ce studio comme notre maison commune. C’est une bonne chose d’être à Londres pour l’inspiration et la proximité des autres lieux d’enregistrement.
Oliver : Nous avons construit cet endroit avec mon père qui est dans le métier ; ça nous a pris presque une année. Puis, nous avons été contacté par le label Fiction en Angleterre, ce qui nous a vraiment fait plaisir. Maintenant, nous sommes bien distribués que ce soit aux Etats-Unis, en Angleterre ou même en France.

Seulement trois albums en huit ans, c’est un choix ou des parcours de vie ?

Luke : Honnêtement, nous n’avons vraiment pas chaumé entre ces trois disques. Le premier album a dû être enregistré deux fois à cause d’une erreur technique, il a été complètement refait. Les tournées ont été très nombreuses, nous avons construit un studio à Londres et ce nouvel album, qui aurait pu sortir une année auparavant, nous l’avons soigné et nous avons fait en sorte qu’il sorte au bon moment avec le son que nous attendions. Aucun de nous ne s’est vraiment reposé durant toutes ces années !

Nous sommes assez fans de groupes comme Suicide ou Clinic mais, plus important, nous sommes fans de Rock & Roll en général.

Le piano est plus présent encore sur cet album que le précédent et d’une manière plus générale, ce disque semble plus épuré également. C’était une décision « consciente » ou est-ce venu naturellement ?

Luke : On ne joue ni du violon ni de l’harmonium, tu as remarqué (rires) ! Des titres comme Procession ou De Lux comportent des sons synthétiques, mais c’est peut-être plus discret que chez d’autres groupes. Le titre Procession est très influencé par des groupes comme Depeche Mode ou Nein Inch Nails et, nous-mêmes, sommes assez fans de groupes comme Suicide ou Clinic mais, plus important, nous sommes fans de Rock & Roll en général et si nous sentons qu’un titre doit comporter plus d’électronique ou d’instruments classiques, nous le faisons. En se plongeant dans Bruiser on découvre que le disque est assez carré. Le rock sonne souvent très métronomique ! Mais nous y avons aussi mis des inspirations prises à Donna Summer ou au psychédélisme des années 60s.
Oliver : « Nous avons volontairement épuré notre son pour Bruiser. Ce que nous avions en démos en studio, nous avons essayé de le garder dans la mesure du possible. Cela donne un son et une intention très purs au final.
Luke : La présence particulière du piano vient de Liela. Elle ne joue et n’écrit qu’au piano et elle écrit la majorité des textes, avec notre intervention de temps en temps. Elle compose aussi certaines mélodies au piano comme pour Sweet Bitter Sweet. Et pourtant, elle se reproche souvent de ne pas être une bonne musicienne, mais elle a le feeling nécessaire. Elle joue également très bien de l’harmonica et aucun d’entre nous ne la surpasse, mais elle ne croit pas en ses talents de musicienne. Heureusement, elle croit en sa voix ! Un titre comme Vilain, personne d’autre n’aurait pu l’écrire, en tout cas pas de cette façon. De Lux, qu’Oliver a écrit en usant de synthétiseurs, je n’aurais pas pu le composer comme lui l’a composé. C’est le très bon coté d’un groupe dont les membres sont amis et se complètent.
Oliver : Un autre bon point pour un groupe qui sait laisser de l’espace à tous ses membres c’est que nous sommes capables d’entendre et d’écouter les critiques des autres membres. Pour la batterie, Luke peut très bien avoir des idées auxquelles je n’aurais pas pensé et que lui aura parce que, justement, ce n’est pas un batteur, mais il joue avec moi. Ce qui n’empêche que, de temps en temps, il se peut que j’ai envie de dire « allez vous faire foutre ! », mais cela est contrebalancé par notre sincère entente. J’ai un ami qui est auteur, il ne peut créer sans avoir quelqu’un à ses cotés pour l'engueuler ou le critiquer dans le processus. Il lui faut un sparring partner !
Luke : Je n’ai jamais écrit de chansons avec Liela sans m’engueuler avec elle à un moment donné. Même si nous nous entendons à merveille, le processus créatif comprend inexorablement des engueulades, ça marche de cette façon parfois. Si nous étions comme le club des cinq, nous sonnerions sûrement comme Coldplay (rires) !

Vous partagez une grande admiration pour Nick Cave, quelles sont vos influences artistiques avant même d’être musiciens ?

Oliver : Nous partageons la même attirance pour le rock que l’on pourrait qualifier de primaire, dans le sens premier du terme. Celui qui fait bouger les jambes et remuer les lèvres. The Rolling Stones et, avant eux, le blues qui est très important pour nous...
Luke : Nick Cave a toujours été consistant dans sa carrière et a toujours été très important pour nous. De plus, c’est un artiste et un homme très intelligent qui ne se met jamais en avant dans ses projets. C’est un mec cool qui a un sens de l’humour très corrosif. Il est capable de faire des albums presque entièrement joués au piano, comme The Boatman's Call, après avoir été un rocker primaire et primordial avec The Birthday Party, puis les Bad Seeds et, maintenant il vogue vers d’autres horizons mais toujours en explorant son art au maximum de ses compétences et de celles de ses musiciens.
Oliver : Qui pourrait enregistrer un duo avec Kylie Minogue et rester cool malgré tout (rires) ?

En parlant de collaboration inattendue, vous avez enregistré un titre avec UNKLE sur l’album War Stories qui est un projet très électronique à la base. Comment est-ce arrivé ?

Luke : Nous avons parlé avec Chriss Goss qui a co-produit ce disque d’UNKLE et qui avait fait un super travail avec Queens Of The Stone Age. UNKLE nous connaissaient et appréciaient notre musique, comme nous étions aux États-Unis à cette époque et eux aussi, nous avons fait un saut dans leur studio et nous y sommes restés une journée à enregistrer.Ils se sont spécialisés dans le mixage de lourdes guitares, très rock, avec de l’électronique et nous sommes heureux d’avoir commis ce Mayday avec eux.

Existe-t-il d’autres collaborations en projets pour The Duke Spirit ?

Marc : Gary Numan vient de faire un remix de Procession. Nous l’avons rencontré sur un festival et nous lui avons demandé s’il pouvait faire un remix pour nous. C'est une icône de la Cold Wave et un des piliers du rock synthétique. La différence de style entre nous donne quelque chose de vraiment intéressant.

Depeche Mode, Gary Numan mais aussi Serge Gainsbourg ou Tom Petty, des influences assez éclectiques.

Vous écoutiez quoi en enregistrant Bruiser ?

Luke : Beaucoup de disques... Depeche Mode, Gary Numan mais aussi Serge Gainsbourg ou Tom Petty, des influences assez éclectiques. Peut-être plus de musiques électroniques que pour les précédents albums. Northbound et Homecoming s’en ressentent beaucoup je trouve. En tournée, nous emportons également beaucoup de disques avec nous, des films musicaux et sur la vie de groupes de rock.

Quelle est votre vision de la consommation de la musique ? Notamment par rapport au téléchargement illégal sur Internet et des lois de plus en répressives ? Pensez vous que le téléchargement puisse tuer les groupes les plus fragiles ?

Oliver : Au contraire, je pense que ça peut les aider. Le public peut rapidement les connaître et même les écouter. Quand il y a un concert, peut-être que, grâce à Internet, tu pourras vendre plus de places et même de merchandising.
Luke : Je ne suis pas d’accord avec ça. Je pense que ceux qui téléchargent illégalement ne vont pas à tes concerts ou acheter tes tshirts... tout ce qu’ils veulent, c’est t’écouter sur leur lecteur mp3 puis ils passent à autre chose. Certains groupes pensent se créer des univers de fans mais il n’y pas là le geste de celui qui va choisir d’aller acheter ton CD et d’aller te voir en concert. La gratuité dévalorise de l’art, qu’il soit musical ou autre. Franchement, je hais le piratage sur Internet ou ailleurs.
Marc : Je dois reconnaître que Luke et Oliver ont raison tous les deux. La situation n’est vraiment pas claire et peut révolter comme séduire. C’est vrai qu’Internet donne accès à plus de groupes et plus de choix mais pour les artistes, souvent ça ne contrebalance pas le fait qu’on puisse trop facilement les pirater. Peut-être que des solutions comme Spotify ou Deezer qui font payer des licences à l’internaute ou au fournisseur d'accès sont l’avenir du téléchargement, mais je ne vois pas cela très positivement pour l’avenir des groupes. Sans oublier que notre société rend tout jetable aujourd’hui et demander à des fans d’investir ou non dans des disques ou des concerts, parfois trop chers, ça va devenir compliqué dans une société, paradoxalement, de l’ultra-consommation.
Luke : La sortie du dernier Radiohead, en téléchargement gratuit pour un certain temps, a ouvert la boîte de Pandore à mon avis. D’autres labels vont s’engouffrer dans la voie. Comment un groupe qui n’est pas millionnaire ou planétairement connu comme Radiohead pourra sortir un second album si le premier a été donné gratuitement ?

Pensez vous que les groupes devront travailler à coté de leur musique pour survivre dans le futur ?

Luke : Malheureusement, c’est déjà une réalité pour beaucoup de nos amis musiciens aux États-Unis !
Oliver : Tu sais, Sonic Youth, Dieu sait qu’ils sont géniaux et célèbres, mais ils avaient tous un job au départ et ça a perduré quelques temps après leurs premiers albums. C’est aussi un état d’esprit que de ne pas vouloir faire toutes les concessions pour faire le maximum d’argent en oubliant la qualité ou son intégrité artistique.
Luke : Si cela doit améliorer la qualité d’un groupe et éviter les concessions, pourquoi ne pas laver des voitures pour payer le loyer (rires) !

Une suggestion de film que vous avez vraiment aimé cette année et qui n’est pas encore sorti chez nous ?

En choeur : Senna ! Quel film sur la vie d’Ayrton Senna. Un vrai film rock & roll même s’il concerne la Formule 1. C’était le Jimmy Hendrix de la course automobile.

Et un groupe de rock ?

Luke : The Computers ! Ils ont tourné avec nous en Angleterre et nous les adorons. Ils viennent de sortir leur premier album. Ils ont quelque chose des Cramps avec tout ce que le rockabilly garage peut comporter de meilleur et de plus typique. Je les conseille, vraiment.

Ce soir vous vous produisez une porte à coté, au Nouveau Casino. Vous avez déjà joué ici je crois ?

Luke : Oui. Nous adorons l’atmosphère de cet endroit et l’accueil que nous réserve la France à chaque concert. Nous avons aussi joué à La Flèche d’Or ou la Maroquinerie... Les concerts en Allemagne se sont aussi très bien passés au cours de notre récente tournée Européenne.
Marc : Paris, j’aimerais vivre ici...