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WU LYF

Interview publiée par Amandine le 24 novembre 2011

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Il était presque inespéré de décrocher une interview avec les fascinants WU LYF tant les médias ont véhiculé de mystère autour des jeunes Londoniens. Lors de leur venue à Paris pour le Festival Les Inrocks Black XS, c'est Thomas McClung qui nous a chaleureusement accueillis : tout sourire et loin des clichés à son propos, il nous a raconté leur parcours de ces derniers mois et fait part de sa vision de la L.Y.F.

Vous venez de Manchester...

En effet...

On a souvent l'impression, en écoutant les journalistes, que venir de Manchester, quand tu es musicien, c'est presque avoir un talent inné pour la musique...

Ça dépend de la perception qu'en a le journaliste en question mais dans les faits, c'est totalement idiot, il faut le dire ! Je ne pense pas que le talent ait quoi que ce soit à voir avec le fait de venir de Manchester. Je crois qu'il y a tout de même des avantages dans tout ça car il y a un fort avantage musical qu'on ne peut pas nier, et quand tu es musicien et que tu dis venir de Manchester, ça éveille très rapidement la curiosité des gens qui vont te suivre depuis tes débuts, juste à cause de l'endroit d'où tu viens, parce qu'ils ont déjà une idée en tête : « Manchester est une ville où les musiciens font de la super musique ». En un sens, je ne vais pas me plaindre que les gens pensent ça, ça peut aussi aider, mais d'un autre côté, il y a aussi des gens qui disent... Un exemple concret pour t'expliquer : j'ai lu un article il y a quelque temps. Ça commençait comme ça : « Ça y est, les Stone Roses se reforment, je suis super excité par la nouvelle ! » et à la fin de la chronique, on pouvait lire « Donc je pense que WU LYF sont très bons, mais il est évident que ce ne sont pas les prochains Stone Roses » et là je me suis dit « OK, tant mieux, ce n'était pas du tout notre but ! » (rires).

Penses-tu que ta vie aurait été foncièrement différente si tu n'étais pas venu de Manchester ?

Ça aurait probablement été foncièrement différent, c'est ce que je me dis parfois. Il y a trois ans, j'étais à l'université de Newcastle et j'étudiais l'anglais. Un jour, j'ai décidé de rester à Manchester pour le groupe. Je n'avais pas la place à la fac pour répéter et faire de la musique mais imagine, si ça avait été le cas, je serais resté là-bas pour étudier et je travaillerais probablement à Tesco aujourd'hui. Si je n'avais pas pris le risque à ce moment-là de saisir l'opportunité de WU LYF, tout aurait été si différent aujourd'hui ! En fait, pour tout t'avouer, j'avais dans l'idée de faire un truc dans le journalisme à l'époque et maintenant, je me dis que la plupart du temps, je ne comprends même pas où ils veulent en venir quand ils me posent les questions (rires) !

Avec WU LYF, nous n'avez pas seulement créé un groupe mais vous avez aussi élaboré tout un concept autour : au niveau de l'image, des idéaux, vous avez tout un monde qui vous définit. D'où vient cette idée ?

Avant toute chose, tout ce qui sort sous le nom de WU LYF ou de la L.Y.F. (ndlr : Lucifer Youth Foundation) est créé par l'un d'entre nous, ça ne sert pas de vitrine à d'autres personnes. Ellery est à la base de beaucoup de choses car il s'intéresse à de nombreuses formes d'art. Il fait des collages, dont nous nous servons d'ailleurs pour les artworks de nos disques. Plus récemment, nous avons enregistré l'album et Joseph (ndlr : le batteur du groupe) a fait cette peinture que nous avons utilisée pour la pochette. Je me suis également occupé de cet emblème qui orne la pochette de We Bros. Tout ce que nous faisons est toujours réfléchi, c'est-à-dire que quand l'un d'entre nous crée quelque chose, nous nous disons « Voilà, ça représente tout à fait l'esprit dans lequel nous considérons que WU LYF doit se placer » et du coup, nous l'utilisons. Mais je crois que c'est très important pour nous quatre que ce qui porte notre nom soit une création de notre part. Je pense qu'un groupe doit être sa propre identité, qu'elle ne doit pas essayer de se façonner. C'est plus important pour moi que nous montrions quelque chose qui nous ressemble plutôt que nous fassions de l'art pour de l'art, ce dont on se fout complètement.

Peut-on dire que toutes les formes d'art sont importantes pour le groupe, pas seulement la musique ?

Oui, même si nous avons tous les quatre une conception personnelle de WU LYF. Pour moi, WU LYF signifie être créatif et faire de son mieux. Si tu dessines quelque chose en étant inspiré, il existera toujours un moyen de l'intégrer.

En t'écoutant, on comprend que contrairement à ce qu'on a pu lire ces derniers mois dans la presse, tout vient naturellement et vous ne montez pas une sorte de religion ou d'idéologie...

Non, pas vraiment. Je crois qu'à partir du moment où tu fais avant tout de la musique et qu'ensuite tu te demandes comment te fait te sentir cette musique, ça ne peut pas être une idéologie. Il faudrait prendre le problème à l'envers pour que ce soit le cas. Nous, nous avons composé Heavy Pop et à partir de là, nous nous sommes dit que c'était le genre d'émotions que nous voulions faire passer dans notre art. Peut-être que pour le prochain album, nous partirons aussi d'une chanson avec un sentiment très fort pour articuler d'autres titres autour, c'est possible. Nous sommes tous les quatre très instinctifs.

Avant que l’album ne sorte, vous avez décidé de vous préserver des journalistes et de la presse en général, vous n’avez donné aucune interview. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Ce n’est pas exactement ça en fait. Au moment où les gens se sont dit que n’avions donné aucune interview, nous avions été élevés au rang de « groupe à suivre » par la presse mais quand les occasions se sont présentées, personne ne nous connaissait et, vraiment, nous pensions que personne ne s’intéressait à nous. Nous n’apparaissions pas dans les magazines par exemple donc nous nous sommes dit que nous n’avions pas besoin de donner des interviews car personne ou presque ne les lirait. Mais maintenant, les gens nous connaissent mieux, même les journalistes ; ils ont écouté notre musique et ont des questions à nous poser et nous y répondons bien volontiers comme tu peux le constater (rires) ! On ne pouvait pas savoir que WU LYF prendrait cette ampleur : il y a un an, j’étais encore à l’université à me demander ce que je ferais de ma vie.

A vos débuts, les journalistes n’avaient qu’une poignée de chansons à se mettre sous la dent, ils ne connaissaient presque rien de vous mais ils voulaient à tout prix dire quelque chose juste parce que vous aviez été propulsés au rang de « Groupe le plus cool de la semaine »...

Oui, exactement. Si tu t’exclus de ce statut de « Groupe le plus cool de la semaine », je pense que tu peux être un bon groupe pendant un long moment. Mais ça, personne ne voulait l’entendre il y a quelques mois.

Finalement, tu es satisfait du choix que vous avez fait de vous préserver un peu à vos débuts ?

Oui, l’auto-préservation, c’est ce qui importe le plus. Je crois que c’est un peu comme préserver le côté artistique des choses, qui est le but ultime de tout artiste. Nous aimerions tous pouvoir être une sorte de machine créatrice dans laquelle personne n’interférerait mais nous respectons et nous comprenons aussi que les gens aient besoin de savoir le pourquoi du comment et ce que nous avons voulu dire à travers notre musique.

Vous aimeriez vous contenter de faire de la musique sans avoir à dire pourquoi et comment vous la faites finalement...

Oui et non, parce que, finalement, ce n’est pas si ingrat qu’on le pensait de répondre aux questions. Enfin... ça dépend (rires) !

Est-ce que cette façon de procéder fait partie d’un projet à plus long terme, une sorte de vœux de « non concession » puisque, pour débuter, vous avez frappé fort : vous avez sorti l’album sur votre propre label, vous avez décidé que vous ne donneriez pas d’interview si vous n’aviez pas quelque chose d’intéressant à dire...

Oui, complètement ! Nous voulons garder notre propre identité, je pense que c’est très important si tu veux faire partie d’un groupe qui signifie quelque chose. Si tu laisses tomber toute sorte de challenge juste parce que ce sera un peu plus difficile d’atteindre le but que tu t’es fixé, les choses perdent de leur intérêt. Prenons l’exemple du label : si tu te dis que finalement, tu laisses tomber le concept de ton propre label et que tu te fais signer par une maison de disques, tu auras peut-être plus d’argent et tu sembleras vivre une vie sympa et d’un certain point de vue, tu auras plus de succès, mais si tu fais tout tout seul, je pense que tu peux être bien plus fier de toi au niveau personnel. Tu ne dois rien aux autres, ou beaucoup moins, et je pense qu’à terme, tu peux continuer à faire les choses comme tu l’entends pendant bien plus longtemps puisque tu gardes le contrôle de ton travail. Il n’y a pas de plan marketing ou quoi que ce soit. En fait, c’est exactement tout ce que nous avons réussi à faire et à préserver jusqu’à maintenant. Pour ça, nous sommes vraiment très chanceux.

Pendant longtemps, vous avez été, et vous l’êtes encore d’ailleurs, l’un des groupes que tous les labels voulaient signer mais vous avez préféré sortir Go Tell Fire To The Mountain sur votre label : Était-ce juste pour vous préserver ou était-ce plutôt parce qu’aucun label ne convenait vraiment au groupe ?

Je crois qu’on peut dire ça. Nous avions une idée claire et déterminée sur ce que nous voulions faire... Nous ne savions pas encore à qui nous voulions nous adresser mais nous savions quel était notre but, comment nous voulions que sonne l’album. A vrai dire, nous voulons surtout être un groupe le plus naturel possible et pas forcément paraître le plus professionnel qui soit. Un label aurait rendu tout ça plus professionnel donc, finalement, la décision de sortir l’album par nos propres moyens s’est imposée à nous plus qu’autre chose.

Maintenant que l’album est sorti, le public en sait un peu plus sur vous et votre musique : penses-tu que désormais, les journalistes considèrent WU LYF un peu plus sérieusement que « le groupe le plus hype du moment » ?

J’aimerais pouvoir te répondre que oui mais je n’en suis vraiment pas certain. J’ai vu d’autres groupes se faire interviewer et je pense que beaucoup travaillent dur pour créer leur propre image, là où chacun des membres du groupe représente un personnage bien spécifique, tu vois ce que je veux dire... Je crois que, qu’on le veuille ou non, on se rapproche tous d’un stéréotype mais j’aime à penser que quand les gens parlent de WU LYF, ils voient des gars naturels, qui ne jouent pas un rôle. Je n’ai jamais essayé de ressembler à qui que ce soit et j’espère bien ne jamais le faire. J’adore Kurt Cobain mais ce n’est pas pour autant que je fais tout pour lui ressembler (rires) ! Il était formidable, c’était un mec timide qui savait dire des choses extrêmement profondes face à une caméra. Je suis sûr qu’il y a des centaines de groupes qui se refont les interviews et les concerts de Kurt juste pour essayer de lui ressembler, c’est tellement ridicule ! Peut-être que la prochaine fois, à la prochaine interview, j’essaierai de jouer un rôle, je répondrai « No comment, passons à la suite » quand une question ne me conviendra pas (rires).

WU LYF est basé sur une imagerie très forte et tout un tas d’idées et de croyances qui vous sont propres et vous définissent, je pense notamment au rapport très étroit qui revient régulièrement dans les paroles entre la jeunesse, l’enfance et quelque chose de sombre et de pessimiste. D’où vient cette idée ?

Je crois que la connexion entre l’enfance, une sorte de naïveté et la présence de tout ce côté sombre est une histoire d’âge. Pour moi, ce n’est pas une histoire de chiffres. Peu importe l'âge que tu peux avoir, tout ça se rapproche du moment où tu laisses tomber ton innocence parce que quelqu’un t’a dit un jour « C’est le moment de grandir maintenant ! » et je déteste cette idée. Je pense que tu peux garder cette innocence de la jeunesse tout en étant totalement fonctionnel et sans être une sorte d’homme-enfant. Cette part d’innocence est importante pour l’être humain, surtout par les temps difficiles que nous sommes en train de vivre. Je crois que WU LYF, son concept, c’est justement de préserver ce genre d’attitude, le concept de « fun », de passion et de jeu. Quand tu y regardes de plus près, tu te rends compte que lorsque des enfants jouent, tout est question de communication et ils réussissent à se parler, se comprendre mais aussi à pardonner, ce qui fait aussi partie de la vie d’adulte. Je suis partisan du fait de garder une part d’enfance tout en acceptant les responsabilités d’adulte, pour être le plus heureux possible et profiter de la vie.

Parce que finalement, tu n’as pas besoin d’être un enfant pour t’amuser...

Exactement ! Regarde-moi ! J’ai vingt-deux ans, je ne suis plus un enfant et pourtant... (rires)

Vous avez enregistré l’album dans une église. Penses-tu que ce lieu ait apporté quelque chose de spécial à votre musique ? Même sans être croyant, on ne peut pas nier qu’une église est un lieu empreint de spiritualité et qui dégage une atmosphère particulière...

Nous aurions pu choisir plein d’autres lieux comme ça à Manchester qui auraient eu un rendu sonore à peu près similaire mais nous ne voulions pas travailler dans un endroit spécialement dédié à l’enregistrement, un lieu de travail à proprement parler. Nous avons découvert cette église et nous sautions partout tellement nous étions contents de pouvoir enregistrer là-bas. Ce qui est génial, c’est que tu ne te sens jamais à l’aise dans un tel lieu. Cela nous a permis de nous remettre en question. Nous ne voulons pas créer une religion mais nous voulons que notre musique sonne comme telle donc c’était le lieu idéal.

Une question un peu plus classique mais néanmoins importante : quelles sont les artistes qui ont influencé WU LYF ?

Nous avons certaines influences communes comme Fela Kuti nous aimons tous beaucoup Nirvana et Bruce Springsteen ou Will Oldham. Nous aimons beaucoup les groupes avec un son énorme et puissant mais qui pour autant ne se revendiquent pas comme des « groupes de rock » avec toute l’attitude débile qui va avec. Nous aimons la musique puissante et c’est ce que nous voulions amener à notre premier album : un son qui aille jusqu’à l’émulation et qui transporte l’auditeur. Personnellement, j’ai beaucoup écouté Galaxy 500 récemment et Gene Clark qui a fait un album qui s’appelle No One Talks About Gene Clark. C'est l’album le plus hilarant que j’aie jamais écouté. On peut y lire qu’il était le membre le plus beau et le plus populaire des Byrds mais qu’il était loin d’être le meilleur musicien (rires). Bref, je te le recommande.

A l’origine, il me semble qu’Ellery avait un projet beaucoup plus visuel que musical : il voulait faire un film mais vous n’aviez pas les moyens pour le concrétiser : maintenant que WU LYF commence à rencontrer un certain succès, pensez-vous qu’il verra le jour ? Avez-vous d’autres idées que la musique pour la suite ?

J’aimerais m’atteler à de nouvelles choses. Nous ne voulons surtout pas nous limiter au fait d’être « un groupe » et rien de plus. Tu dois savoir que je n’étais pas le premier intéressé en ce qui concerne le film, c’est plutôt le trip d’Ellery, et je ne voudrais pas répondre à sa place. Je m’intéresse beaucoup à tout ce que peuvent produire les personnes faisant partie de la L. Y. F. Personnellement, je n’ai pas de plan pour m’immiscer dans le monde de l’art ; je veux produire la meilleure musique possible et je pense en être capable. Je laisse aux autres le soin de faire naître d’autres projets artistiques.

La scène semble être quelque chose d’important pour vous : Penses-tu qu'elle apporte quelque chose à la musique qui n’existe pas en studio ?

L’enregistrement a de toute façon été pour nous une très mauvaise expérience : il faisait très froid, c’était intimidant. Nous n’avions que trois semaines pour tout faire parce que c’était très cher et quand nous avons écouté pour la première fois l’album, nous étions assez fiers du résultat. Quand tu joues en live, c’est tellement différent ! Tu vis le son, tu vois les gens chanter en même temps que toi et c’est une émotion très forte et incroyable. C’est comme si le public, avec tout ce qu’il t’apporte à ce moment-là, te faisait te sentir bien plus important et grand que tu ne l’es en réalité.

Comment te sens-tu après un concert alors ?

Tout commence pendant le concert et il y a ce moment où tu te dis « Bon, nous jouons maintenant la huitième chanson » et tu te sens si bien ! Tu es à l’aise, tu n’as plus d’appréhension et tu as atteint ce point où tout ce que tu fais est totalement naturel. Là, tu regardes le public et tu sens que tu ne fais qu’un avec lui : aucun visage ne se désengage de ce sentiment et, très honnêtement, ça n’arrive pas à chaque fois. Parfois, les choses ne tournent pas comme tu le voudrais, tu as des problèmes de son par exemple. Mais quand tu réussis à atteindre ce sentiment, c’est le pied.