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Editors

Interview publiée par Anne-Line le 27 juin 2013

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Après trois albums ayant fait d'eux l'un des groupes les plus importants d'Europe, Editors ont eu à subir la terrible épreuve du départ d'un de leurs membres fondateurs : Chris Urbanowicz. Leur nouveau disque, The Weight Of Your Love, témoigne d'une orientation différente, moins sombre, plus aérée, par moments carrément pop. Pour expliquer ces choix, nous sommes allés à la rencontre de Russell Leetch, bassiste, et de Tom Smith, leader du groupe, qui en toute bonne rock star qui se respecte, arrivera en retard à l'entretien. C'est donc sans Tom que commence l'interview, de bon matin dans leur hôtel parisien...

Nous vous avions quittés après In This Light And On This Evening, un album très sombre où résonnaient beaucoup de synthétiseurs. Que s'est-il passé par la suite ?

Russell : Effectivement, nous avons eu une période assez mouvementée... c'est le moins qu'on puisse dire, avec notre guitariste qui est parti. Notre son a complètement changé. Il jouait un rôle tellement important dans l'architecture de notre musique d'avant. Lorsque les choses se sont gâtées, nous avons dû tout repenser, et au final nous avons recruté deux nouveaux membres. Ce sont eux que l'on entend sur le nouveau disque.

Vous êtes-vous demandés à un moment si cela pouvait être la fin d'Editors ?

Russell : Absolument, oui. Nous l'avons envisagé très sérieusement. Nous avons eu une période de répétitions et d'enregistrement avec Flood, environ huit semaines, et au final nous n'avons rien gardé. Lorsque quelque chose comme ça arrive, on se pose beaucoup de questions. Si l'on n'arrive pas à s'en sortir avec un aussi bon producteur, qu'est-ce que ça signifie ? Nous avons dû tout réévaluer. Il faut dire que nous avons passé énormément de temps ensemble, depuis nos dix-huit ans, et maintenant nous en avons trente. C'est très long.

On peut devenir tellement habitué à la personnalité les uns des autres, dans un groupe qui dure, que n'importe quel changement fait du bien.

Veux-tu dire par là que c'était presque une nécessité d'avoir de nouveaux membres dans le groupe ?

Russell : Évidemment, c'est quelque chose de très revigorant. On peut devenir tellement habitué à la personnalité les uns des autres, dans un groupe qui dure, que n'importe quel changement fait du bien. Les nouveaux apportent énormément au groupe, et à notre musique.

Sur ce, Tom Smith arrive, les cheveux encore trempés, s'excusant platement d'avoir mal compris l'heure du début de l'interview...

Tom : Désolé, j’étais encore dans la douche ! Où en étiez-vous ?

Nous parlions des nouveaux membres du groupe, Justin et Elliot. Quel effet ont-ils apporté au groupe en arrivant ?

Russell : Beaucoup d’enthousiasme. Nous ne connaissions même pas Justin avant de commencer à travailler avec lui, et il a un style très différent de Chris. D’un point de vue technique, c’était très intéressant pour les parties de guitares.

Sur ce disque, il y a beaucoup de sonorités que vous n’aviez pas utilisées jusqu’à maintenant. Auriez-vous pu faire le même album si Chris était resté ?

Tom : Non, pas du tout. Justement, Chris est parti car il n’était pas très enthousiaste sur ces nouveaux morceaux. Il était une partie intégrante de notre son d’avant.

Il a vraiment été question qu’on se sépare à un moment, oui. Car ça ne marchait pas.

Peut-être aurait-il fallu enregistrer ce disque sous un autre nom qu’Editors ?

Tom : Il est vrai que nous avons beaucoup évolué, mais cela ne nous est pas venu à l’esprit. Il a vraiment été question qu’on se sépare à un moment, oui. Car ça ne marchait pas. Mais je croyais en ces chansons, et puis chacun de nous avait le désir qu’Editors puisse continuer. Nous explorons de nouveaux territoires musicalement, mais je pense quand même que des morceaux comme Two Hearted Spider, Sugar, ou encore Formaldehyde sont indéniablement des chansons d’Editors. Ce n’est pas un groupe différent. Finalement, chacun de nos disques était un peu différent du précédent. La seule chose qui a vraiment changé, c’est qu’il n’y a plus les guitares stridentes de Chris. Si l’on considère que cela était le principal attrait d’Editors, alors oui, nous sommes un groupe différent, mais je ne pense pas comme ça.

On peut dire que vous vous êtes appropriés les codes du songwriting des groupes importants que l’on a l’habitude d’entendre au sommet des charts. C’est cela qui est un peu inattendu...

Tom : Oui, nous avons essayé de « nettoyer » un peu notre son. D’aller au plus direct. Avant nous avions tendance à compliquer certaines choses, d’ajouter beaucoup de couches différentes, nous avions un peu peur d’inclure des moments de lyrisme. Cette fois, nous voulions vraiment mettre à nu les chansons et les laisser aller où elles l’exigent. Si une chanson n’a besoin que d’une guitare acoustique pour fonctionner, et bien soit.

Tom, apparemment il a été question que tu écrives un morceau pour l’un des participants du X-Factor en Angleterre. On ne peut pas faire plus inattendu !

Tom : Pas exactement. En fait, j’étais avec l’un des responsables de notre maison de disques, et il me parlait des personnes qu’ils avaient contactées pour le faire. J’étais un peu jaloux qu’on ne m’ait pas demandé ! Alors quand je suis rentré chez moi, je me suis dit que je pouvais tout aussi bien écrire des chansons comme ça, et j’ai écrit What Is This Thing Called Love. Au final, il n’en est rien sorti, et je ne l’avais même pas écrite en pensant à Editors. C’était juste histoire de sortir de mes schémas habituels. Et quand je l’ai fait écouter aux gars du groupe, ils ont bien aimé le résultat, et donc nous l’avons faite ensemble. Même Chris a aimé ! Nous n’avons pas eu l’occasion de la jouer avec lui, mais il l’aimait bien.

Est-ce que Chris a écouté l’album ? Qu’en a-t-il pensé ?

Tom : Je ne sais pas !
Russell : Je ne pense pas. On devrait peut-être l’appeler. Ce serait intéressant d’avoir son opinion.

On s’est beaucoup amusé à faire ce disque, du coup ça m’a rappelé ce que faire de la musique doit être : du plaisir.

Tom, est-ce que le fait d’avoir enregistré avec Andy Burrows (ndlr : pour l’album de Smith & Burrows, Funny Looking Angels) t’a influencé pour l’écriture de ce nouvel album ?

Tom : En quelque sorte, oui. J’ai commencé à travailler avec lui au moment où ça n’allait pas très bien pour Editors. Quand j’ai vu que j’avais quelques semaines de libre, je suis parti enregistrer avec lui, et j’ai bien fait car c’était vraiment magique. La plupart des chansons étaient des reprises, mais j’ai apprécié de travailler avec quelqu’un d’autre pour écrire. Son fonctionnement est complètement différent du mien, on peut dire très mainstream. C’est un songwriter extraordinaire. Même si la plupart des nouvelles chansons d’Editors était déjà en gestation au moment où j’ai travaillé avec Andy, on peut dire qu’il y a eu une influence, oui. Cela m’a donné du recul. On s’est beaucoup amusé à faire ce disque, du coup ça m’a rappelé ce que faire de la musique doit être : du plaisir. Cela m’a aidé quand je suis revenu vers Editors.

Ces nouveaux morceaux ont-ils été écrits en pensant aux stades ? Il y a un très fort esprit live qui s’en dégage...

Russell : Tu trouves ? C’est vrai qu’on a beaucoup répété en live, dans le studio.
Tom : C’est pour ça que nous avons choisi Jacquire (ndlr : Jacquire King a produit l'album).
Russell : Oui, Jacquire est très bon pour capturer ce genre d’ambiance, un groupe qui joue ensemble dans la même pièce. Il sait aussi très bien enlever le superflu d’une chanson, faire en sorte qu’elle soit plus concise et qu’elle aille droit au but.

Maintenant que l'influence de Chris n'est plus là, nous avons chacun beaucoup plus d'espace pour nous exprimer.

Et sur le plan relationnel, le fait d'avoir ces deux nouvelles personnalités a-t-il changé quelque chose ?

Russell : Cela a débloqué la communication au sein du groupe. Maintenant, on se parle. Lorsqu'un groupe se met à bien marcher, il y a un phénomène qui fait qu'il se renferme un peu sur lui-même. Alors l'arrivée de nouveaux membres crée un appel d'air bienvenu.
Tom : Je trouve que cela a changé pas mal de choses pour Russell et Ed aussi. Avant, en studio, Ed n'était pas vraiment force de proposition. Il faisait un peu ce qu'on lui disait de faire. Maintenant il peut très bien donner son avis, sur une mélodie, moi-même je suis dans un esprit beaucoup plus participatif qu'avant, je demande plus souvent l'avis des autres. Dans le passé, lorsque Chris était là, il est vrai que son travail à la guitare pouvait avoir tendance à tout dicter. Maintenant que son influence n'est plus là, nous avons chacun beaucoup plus d'espace pour nous exprimer.

Une remarque qui peut paraître anodine, mais j'ai relevé que l'on entend souvent le mot « love » dans vos nouvelles chansons... Beaucoup de gens ont la hantise de ce terme, auriez-vous dépassé ce cap ?

Tom : Oui, absolument. Cela vient avec l'âge, avec l'expérience. Nous en sommes à notre quatrième album maintenant, nous ne nous soucions plus du tout d'être « cool » ou « hipster ». Nous ne sommes pas si vieux que ça non plus, mais nous avons des enfants maintenant, c'est différent...
Russell : Oui, nous n'avons plus peur d'aborder ce genre de sujet.
Tom : Lorsque tu es plus jeune, tu as toujours un peu peur d'utiliser ce mot, mais maintenant même si c'est toujours assez dur de le dire dans une conversation normale, c'est plus facile de le mettre dans une chanson. Lorsque nous écrivons, cela part toujours du principe qu'une personne s'adresse à une autre, plus ou moins, et cette fois nous avons fait quelque chose de très direct. Personnellement, je suis toujours un peu mal à l'aise à l'idée de parler de ça dans une conversation normale, mais je pense que les chansons sont faites pour ça : pour exprimer des choses qu'on ne peut pas dans la vie de tous les jours.