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Michael Kiwanuka

Interview publiée par Cassandre Gouillaud le 4 août 2016

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Avec Love & Hate, Michael Kiwanuka est l'auteur d'un des albums les plus passionnants de l’été. L’artiste a su nous convaincre avec des morceaux oscillant entre soul et folk maîtrisés à la perfection, mais aussi portés par une voix très charismatique. Nous avions eu la chance de le rencontrer il y a quelques mois pour évoquer ce second album réussi.

La première impression qui ressortie de mon écoute de Love & Hate est que c'est un album très différent de Home Again, notamment en termes de guitares, et qui est bien plus expérimental. Qu'est-ce qui t'a inspiré ces nouvelles sonorités ?

Je crois que j'ai toujours écouté ce type de musique, même si je ne m'exprimais pas de cette façon sur Home Again. Je suis très intéressé par la soul psychédélique et le rock'n'roll des années 1960 et 1970, par Pink Floyd, The Who, ou certains albums des Beatles. Ce sont ces groupes qui m'ont beaucoup influencés pour Love & Hate. Pour autant, il ne font pas tout. Je me laisse aussi influencer par ce qu'il se passe autour de moi lorsque j'écris et par ce que j'entends sur le moment.

Je réalise maintenant qu'on avait déjà eu la chance de découvrir certaines chansons de cet album lors de ton concert aux Étoiles à Paris, en novembre dernier. Depuis combien de temps est-ce que tu travailles dessus ?

Je suis dessus depuis environ deux ans et demi, je crois. Je suis passé par plusieurs étapes, parfois chez moi, parfois au studio, dans différents studios même. Au début, Love & Hate se construisait vraiment pièce par pièce, puis morceau par morceau. Certains sont restés, pas d'autres. Je les ai soumis aux personnes qui travaillaient avec moi, et j'ai gardé ce que je pensais être le meilleur de ce que j'avais.

Quelles personnes ont travaillé avec toi sur cet album ?

Essentiellement trois personnes : Paul Butler, qui avait déjà produit Home Again, Inflo (Dean Josiah) et puis Danger Mouse (Brian Burton), avec qui je travaille depuis février dernier. On s'est rencontrés en studio à Los Angeles, après qu'il ait contacté mon équipe pour collaborer sur une chanson.

Longue de dix minutes et placée en tête d'album, Cold Little Heart est certainement d'ailleurs la plus expérimentale de cet album. Comment cette chanson est-elle née ?

Celle-ci a été écrite en studio. Comme la plupart des chansons, elle s'est développée à partir de quelques accords que j'avais notés dans un coin et gardés pour plus tard. Elle a aussi été influencée par Pink Floyd, que j'écoutais beaucoup à ce moment. Pour le reste, je n'avais pas prévu ni ce long-format ni cette intro. Ils se sont imposés d'eux-mêmes au fil du travail.

Pourquoi l'avoir placée en ouverture de ton album ?

Il n'y a pas franchement d'explication, ce choix m'a d'emblée paru évident. C'est comme une grande déclaration qui donne le ton pour le reste de l'album.

Je ne crois pas travailler de façon particulière, je fais un peu comme tous les artistes.

De manière générale, est-ce que tu as un procédé d'écriture particulier ? Pourrais-tu nous le décrire ?

Je ne crois pas travailler de façon particulière, je fais un peu comme tous les artistes. J'ai parfois une chanson qui me vient facilement à la guitare, d'autres fois il me faut chanter plusieurs fois au-dessus des accords pour arriver à quelque chose. Je peux aussi commencer à la batterie ou au piano. Le tout est de trouver une idée, rien qu'une mélodie. Si elle est bonne, elle se développe d'elle même. Sinon, je la mets de côté.

Tu es avant tout guitariste, mais tu joues donc d'autres instruments en studio ?

Oh oui, un tout petit peu. Je me mets parfois au piano, mais je reste surtout à la guitare et la basse. Inflo joue de la batterie et du piano, Brian du piano également.

Tu as nommé ton album Love & Hate, deux termes antithétiques, mais souvent associés. Y a t'il une histoire plus personnelle derrière ?

Je dirais que cela m'évoque... le conflit. Plus précisément cette forme de conflit interne inhérente à l'être humain. Ces contraires qui se rencontrent et se heurtent. Je trouve aussi que Love & Hate sonne bien comme titre pour un album soul.

J'aimerais aussi te parler d'une autre chanson, Black Man In A White World. À l'entendre, je peux imaginer qu'elle est tirée de tes expériences personnelles...

C'est vrai. C'est une chanson qui aborde la question de l'identité, et l'envie de trouver ta propre place dans le monde. Souvent dans ma vie, j'ai pu me sentir... à part.

Avais, ou as-tu encore, l'impression d'avoir grandi dans un monde qui est différent de toi ?

Ouais. J'ai grandi dans un monde différent de celui du reste de ma famille [ndlr ses parents ont grandi en Ouganda et ont fui la dictature d'Idi Amin Dada dans les années 1970]. Je dois trouver où je me situe par rapport à eux, par rapport au monde. J'en reviens encore à cette notion de conflit, puisque dans un sens, j'ai grandi d'une façon totalement opposée à celle de mes proches. Beaucoup de personnes s'en fichent probablement, mais c'était une période intéressante pour moi. J'ai pu vraiment me questionner sur qui j'étais.

Au vu du titre de la chanson, est-ce qu'il y a aussi une différence de l'ordre de la couleur de peau ?

Clairement, j'ai grandi entouré de blancs, donc... Partout où j'allais, j'étais considéré comme un cas, juste parce que je m'intéressais à mes origines. J'étais souvent le seul enfant noir. Dans cette chanson, je voulais parler de mon ressenti par rapport à ceci.

Est-ce que tu dirais que tu as, à proprement parler, souffert de cette différence ?

Non, je ne pense pas. C'était plus une question d'être confortable avec moi-même et ce que j'étais. Il me semble que c'est important, et c'est là-dessus que j'ai souhaité m'exprimer.

Beaucoup de choses peuvent te mettre en marge de la société.

C'est plus difficile justement, d'être à l'aise avec toi-même dans ces conditions ?

Je crois que tu es plus conscient de toi-même. Tu ne rentres pas dans le moule, alors tu essaies de tenir le coup. Je ne sais pas si c'est plus difficile, car je pense que tout le monde a ce ressenti, d'une façon à une autre. Je ne parle pas forcément que de ma propre expérience. Beaucoup de choses peuvent te mettre en marge de la société, que ce soit ta couleur de peau ou autre chose. Il faut faire ressortir ces choses, parfois ces détails, qui font de toi une personne à part entière. La différence est une bonne chose, car elle te pousse à t'affirmer. Mais quand tu es jeune, c'est compliqué. C'est un âge où tu veux être comme tout le monde et t'identifier aux autres.

Est-ce que tu penses que la musique a pu t'aider dans ces moments ?

Oh oui, énormément. À 100%. La musique était un moyen de m'exprimer. C'est une bonne façon d'extérioriser les choses.

Le clip de cette chanson a été réalisé par Hiro Murai, qui a travaillé avec des artistes comme Queens Of The Stone Age ou St Vincent. Comment vous êtes vous rencontrés ?

J'ai entendu parler de lui lorsqu'il a réalisé le clip de Flying Lotus pour Never Catch Me. À ce moment, je me demandais comment exprimer ma musique à travers l'image et la vidéo. Le clip qui m'a vraiment beaucoup intéressé, et me paraissait explorer une nouvelle voie, était celui de Until The Quiet Comes, réalisé par Khalil Joseph. J'ai trouvé que c'était brillamment tourné. Là, il s'est trouvé qu'Hiro et moi avions une approche similaire. Après avoir entendu la chanson, il a accepté de réaliser le clip. Il a travaillé tout cela en étant en Amérique, et j'ai beaucoup aimé le résultat. Il est génial, surtout qu'au final, je ne l'ai jamais rencontré en personne et il a quand même réussi à produire tout ceci. J'espère pouvoir un jour.