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Tunng

Interview publiée par Albane Chauvac Liao le 6 septembre 2018

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Imaginez vous, privé de votre dessert préféré pendant cinq longues années. Comme c'est bon de le retrouver enfin ! Voilà la sensation qui nous parcourt à l'écoute du nouvel album de Tunng, Songs You Make At Night, le sixième, sorti chez Full Time Hobby le 24 août dernier. On en crevait d'envie depuis 2007 : Mike Lindsay, Sam Genders, Becky Jacobs, Ashley Bates, Phil Winter et Martin Smith se réunissent pour redonner vie à leur folktronica. Rencontre avec les deux membres fondateurs Mike et Sam (depuis 2003) et la chanteuse Becky.

Votre nouvel album commence par Dream In et se termine par Dream Out. Alors imaginons que nous sommes dans un rêve, le rêve de votre enfance. Qu'est-ce que vos parents faisaient ?

Mike : Je suis né à Southampton, mon père bossait dans l'informatique et ma maman était une sorte d'étrange masseuse. Elle avait son salon au premier étage de notre maison. Je faisais ce rêve où le voisinage tout entier venait se faire masser, j'étais le portier : « Maman, ton ami est arrivé ! ».
Becky : Ça alors, c'est un sacré rêve.
Mike : Assez embarrassant.


La musique avait une grande importance quand vous étiez enfants ?

Mike : Mes parents n'étaient pas si musicaux, c'était surtout du Edward Woodward, des années 1930 Champagne Charlie Is My Name. Strauss le dimanche, un peu de Beatles et de Rolling Stones. Moi, j'étais plus un mec heavy metal.
Sam : Je suis originaire de Sheldon, au sud-ouest de l'Angleterre, j'ai déménagé dans le Derbyshire dans le centre, à la campagne, quand j'étais bébé. Mes parents étaient plutôt artistes, mon père était charpentier. J'ai commencé les cours de guitare et la composition à sept ans.
Becky : Je suis née dans le sud de Londres. Ma maman ne travaillait pas à cette époque et mon père est journaliste, aujourd'hui encore. Ils passaient plein de musique des sixties et seventies, de la soul, du Stevie Wonder, Rolling Stones...

Comment va la folktronica ?

Sam : Je ne dirais pas que nous étions les fondateurs. C'est ce qui se passait à ce moment-là et nous en faisions partie. Il faut retenir qu'avant ce mouvement, la folk était un peu old fashioned, traditionnelle, pas intégrée dans la musique mainstream, alors que depuis dix ou quinze ans ce n'est que ça, c'est la scène british de la culture mainstream. Tu ne ressens que de l'influence de la folktronica dans des lieux multiples.
Mike : Dans les premières expériences, au début des années 2000, de nouvelles branches de la musique folk (acid folk, psychedelic folk, etc. ), toutes puisaient des idées sixties, de Pentangle, avec des productions twistées, des montages sonores... Ça s'est transformé finalement en un truc à la Mumford & sons, un côté pop folk. Quand même Ed Sheeran s'y colle, ça devient mainstream. L'acoustique mixée à de la production pop n'a vraiment existé qu'entre 2004 et 2007. C'est d'une autre époque.
Becky : C'est le genre de choses sur lesquelles on te pose des questions, alors que la folktronica n'est pas notre intention. On ne l'appelait définitivement pas folktronica. Folk, peut-être. Quand on a enregistré notre premier album, on n'avait aucune idée de ce qu'on faisait, on jouait de la musique, tout simplement. C'est devenu une sorte de mouvement, et là il a fallu trouver un nom.

Vous pensez avoir inspiré de bons groupes actuels ?

Mike : Je sais que Laura Marling, avec qui j'ai collaboré récemment, était fan quand elle était plus jeune. On a été influencés aussi, par des artistes comme Elliott Smith...

Cette collaboration avec Laura Marling a eu quelle influence sur votre nouvel album ?

Mike : J'ai beaucoup aimé revenir au travail des textures et des sons, une démarche propre à Tunng.

Ce nouvel album signe votre réunion au complet depuis la séparation de 2007. Quel a été le déclic ?

Mike : Sam et moi on a fait un album, sous le nom de THROWS. On n’avait pas fait grand-chose depuis longtemps et on a plutôt apprécié.
Sam : En fait on est retourné sen studio dans le but de faire un deuxième album sous THROWS, on a commencé à jouer et nos idées sonnaient plus comme Tunng. Je me souviens, on est retournés en studio le lendemain et on avait la même idée, l'un de nous deux a dit « Et si tu mettais Tunng sur tout ce qu'on vient de faire, ça sonne mieux, non ? ».

Si le nouvel album était un rêve, ce serait quoi ?

Becky : Ce serait assurément une gamme de couleurs sombres, quelques explosions de rose foncé. Une sorte de couché de soleil.
Sam : Quand on composait les chansons, on cherchait un thème commun. On a eu cette idée qu'elles pourraient être liées au personnage de Jenny, de l'une des anciennes chansons du deuxième album. Elle a un passé très sombre, elle a mis sa vie d'avant derrière elle, elle s'est enfuit, au bord de la mer. On s'est demandé ce qu'elle pourrait traverser comme épreuves. Elle est hantée par son passé, elle est somnambule. Une nuit elle rêve...
Mike : Il y a beaucoup d'obscurité, liée à un passé difficile, mais il y a aussi l'idée de ce personnage qui trouve la force de commencer quelque chose de nouveau et excitant. Une lumière.

Vous faites des rêves inspirants ?

Sam : Je me souviens d'un rêve que je faisais, j'étais en studio ou sur scène, et je jouais une chanson magnifique. Ce rêve survenait à une époque où je n'avais pas encore fait grand-chose qui me satisfaisait. C'était très excitant. Puis je me réveillais sans pouvoir me souvenir de la chanson. Puis le succès est arrivé.
Becky : Une prémonition !
Mike : J'ai fait énormément de rêves sur Tunng. Des moments étranges du quotidien. Souvent avec des attaques de panique.

Pouvez-vous me décrire les chansons Flatland et Crow ?

Mike : Crow est inspiré de ce livre, Grief Is The Thing With Feathers. Dans la chanson, le crow est une personnification du chagrin, de l'existence, de la mort, de toutes les expériences de vie, de tout ce qui fait de toi ce que tu es, les amitiés. Combien la vie te transforme.
Sam : Avec cette chanson en particulier, je retrouve l'importance de ce lien avec les gens qui ont compté, des amis, les liens du passé. Il y a des visages sur ces paroles. Une façon d'accueillir les moments difficiles. Tu regardes souvent en arrière en remarquant "en fait, ce moment très difficile s'est transformé en quelque chose de positif".

Et le titre Flatland ?

Becky : Flatland est une allégorie publiée en 1884, où l'auteur, Edwin Abbott Abbott, donne vie aux dimensions géométriques, le point, la ligne et les surfaces, avant d'en arriver à faire découvrir l'univers des volumes par un carré. Il est souvent placé en référence dans les programmes de physique, de psychologie. Je connais le concept de Flatland, les dangers de la pensée bidimensionnelle (noir et blanc), c'est un flux de conscience, les paroles sont sorties ainsi. Et cette dimension est présente dans les sonorités, avec deux guitares distordues. La bi-dimension, au lieu de présenter une image simple de ce que tu es.


Une image fausse ?

Becky : Oui, mais inconsciente. Il y a un passage de la chanson sur un mec qui se sépare de quelques parties de lui et les cache sous son lit.

Qui est bon aujourd'hui sur la scène britannique ?

Sam : Boy Azooga du Pays de Galles ! De vrais badass. Enjoués, psychédéliques, avec un héritage folk classique, une touche de Beatles puis des moments plus violents. Je les ai écoutés et je me suis dit : "je veux être dans ce groupe !". (Rires)

Que se passe-t-il à la fin du rêve ?

Tous : Le rêve est sans fin.

Crédit photos : Antoine Monégier du Sorbier