Alors qu'il vient de publier son formidable deuxième album, Look Now, Oscar Lang revient sur la genèse de ce disque et sa jeune carrière. Rencontre avec un touchant prodige de la pop.
Bonjour Oscar, comment te sens-tu alors que vient de sortir ton nouvel album ?
Cela fait un bien fou de pouvoir enfin le partager avec tout le monde ! J'avais vraiment hâte qu'il sorte, j'ai l'impression de l'écouter dans mon coin depuis des années. L'album est terminé depuis le mois de juillet de l'année dernière. J'ai l'habitude d'enregistrer et de sortir mes chansons très vite, alors un an de délai ça me paraît fou !
Que représente cet album pour toi ?
C'est la première sortie musicale sur laquelle j'ai passé autant de temps et dont je suis aussi fier. Et j'ai l'impression que c'est mon premier album qui sonne très adulte. J'ai beaucoup grandi depuis un an et demi ou deux ans, et cette croissance se reflète dans ma musique
J'ai lu que tu avais changé de direction en pleine composition de l'album. Comment ce changement s'est-il produit ?
J'ai en général toujours une idée assez précise de ce à quoi va ressembler le prochain album. Quand j'ai commencé à travailler sur celui-ci, j'avais donc une idée précise de là où voulais aller : un son très pop 80s, un peu similaire à mon single de l'année dernière, Never Been To L.A. Puis j'ai vécu une rupture pendant que je préparais l'album qui m'a inspiré toutes ces ballades au piano, avec un ton plus sombre. Cela m'a poussé à me remettre à cet instrument, ce que je n'avais pas fait depuis des années. J'ai renoué avec la musique que j'ai toujours aimée et que je voulais faire depuis des années.
Tu as encore fait appel à Rich Turvey (ndlr : producteur de The Coral et Blossoms notamment) pour t'épauler à la production...
J'avais arrêté de produire moi-même ma musique après mon EP Overthunk pour lequel j'avais eu beaucoup de difficultés à reproduire le son que j'avais dans ma tête. Sur Look Now, je me suis remis à la production, mais en collaboration avec Rich avec qui je travaille depuis quelques temps. Il coécrit aussi beaucoup de chansons avec moi. J'écris la majeure partie des titres, mais il est très doué pour me pousser à trouver la bonne ligne de texte ou à terminer des paroles lorsque je suis bloqué. Notre façon de travailler est très collaborative.
Comment as-tu commencé à travailler avec lui ?
C'est mon manager qui m'avait suggéré de rencontrer Rich car il a pensé qu'on pourrait bien s'entendre. Dès notre première session, on a écrit ensemble la chanson Apple Juice, qui est devenu le titre principal de mon EP. On s'entend très bien, il me fait mourir de rire ! C'est un vrai Northerener. Il a cette énergie très cool et beaucoup d'humour. C'est très bon pour mon humeur et pour mon énergie créative.
As-tu travaillé avec d'autres personnes pour cet album ?
La majorité de l'album a été enregistrée par Rich et moi dans une toute petite pièce dans son studio. Mais nous avons aussi sur l'album mon ami Mac, qui est le batteur de mon groupe, qui a enregistré les batteries ainsi que Molly Payton qui chante sur When You Were A Child. Il y a aussi Mimi Bay que j'ai appelée pour faire des chœurs sur Take Me Apart. Enfin, les parties de cordes ont été composées par Owen Pallett. Il est incroyable ! Je lui envoyais des mémos vocaux où je chantais des parties de cordes et il me renvoyait ces partitions magnifiques. Je le connaissais via la bande originale du film Her, qui est un de mes films préférés et dont j'ai écouté les titres des centaines de fois. J'ai eu un vrai moment de fan quand je l'ai appelé pour lui proposer de travailler ensemble car j'aimais tellement son travail sur ce disque !
En parlant d'écriture, tes paroles sur Look Now oscillent entre humour et émotion. Est-ce qu'elles vous te venues facilement, ou as-tu rencontré des difficultés en les écrivant ?
Ces dernières années, j'ai perfectionné mon approche de l'écriture des textes. Je cherche maintenant la formule ou la rime parfaite pour chaque ligne. Pour moi, l'écriture des paroles est vraiment la partie difficile. Souvent, il m'arrivait d'être coincé ou alors de laisser passer une phrase pas vraiment aboutie. C'est là que Rich intervient et me dit « Non non, finissons ce texte » ! J'avais aussi l'habitude de glisser des gros mots dans chacune de mes chansons ! Mais Rich m'a encouragé à trouver de meilleures alternatives. Aujourd'hui, je pense que je suis devenu légèrement plus adulte dans mes chansons. C'est donc moins léger, même s'il reste toujours quelques touches d'humour !
Comme sur A Song About Me, c'est une chanson de rupture mais ce twist est juste trop drôle...
Je voulais écrire un truc un peu ironique, dans le genre de « You're so vain », quand j'ai commencé ce morceau. Puis cette punchline est vraiment descendue du ciel ! Après ma séparation, j'ai rencontré mon ex pour discuter et elle m'a dit « don't write a song about me » ! J'ai tout de suite trouvé ça intéressant parce que j'avais écrit toutes ces chansons d'amour durant des années... Ca m'a semblé être un juste retour des choses que d'en écrire une sur notre rupture ! Et je me suis dit que ça ferait un titre génial pour une chanson.
C'est encore un album assez varié que tu as réalisé, même s'il y a le fil rouge du piano, des cordes... Est-ce que c'est une volonté délibérée de ta part de partir dans des directions variées ?
Je pense que cela vient tout simplement de la façon dont j'écoute de la musique depuis que j'ai dix ans. La plupart de la musique que je consomme vient de playlists Spotify, pas d'album complets. Il y a un million de genres que j'aime ! La plupart du temps pour ma propre musique il s'agit donc d'essayer de résister à cette envie d'être un peu fou et de partir dans toutes les directions ! Je produis pas mal de chansons aussi qui ne seront jamais entendues par personne et qui sont très différentes, comme ces morceaux de rap un peu déglingués, avec des basses hyper saturées. Pour cet album par exemple, nous avons enregistré une cinquantaine de morceaux, dont dix seulement ont été conservés. Les autres vont finir sur un disque dur et ne verront plus le jour. Ca fait partie du process !
J'avais vu sur ton Instagram une chanson pour laquelle tu criais dans un microphone et faisais des bruits bizarres mais rythmés avec ta bouche. Cet arrangement a-t-il finit sur l'album finalement ?
Elle faisait partie des cinquante chansons abandonnées en cours de route, elle ne verra pas la lumière du jour. C'était une chanson qui avait un drop un peu à la Daft Punk. Mais c'était avant que je change de direction artistique. Mais le truc, c'est que très souvent je fais un quelque chose que j'aime bien sur une chanson, et je prends une note dans mon esprit « ah ça c'était un truc cool à faire ». Et j'utilise souvent cette technique de production plus tard.
Quelles sont les chansons dont tu es le plus fier sur Look Now ?
Je suis vraiment très fier de la chanson Everything Unspoken. Il se passe tellement de choses sur cette chanson... Et je joue de la batterie aussi ! Je suis vraiment très fier de cela, finalement, je l'ai fait ! (rires) Je joue de la batterie depuis que j'ai onze ans, mais de façon vraiment pourrie, c'est donc un vrai aboutissement d'en arriver là. Je suis aussi vraiment très fier de When You Were A Child. Cette chanson résume bien pour moi cette émotion de regarder le passé et de se dire « être un enfant, c'était vraiment génial ! ». Il y en a une aussi que j'adore qui s'est un peu glissé dans une faille, Blow Your Cash. Elle dénote un peu sur l'album avec un côté un peu Beck, mais je voyais quand même un lien avec toutes les autres parce que j'y parle d'un truc plutôt personnel, ma « retail therapy » et ma façon de dépenser de l'argent dans des achats compulsifs ! Mais je suis vraiment fier de tout l'album, je pourrais dire cela de chaque chanson. Elles sont toutes spéciales pour moi.
Est-ce que tu as grandi dans un milieu artistique ou musical ?
La musique, c'est un peu ce qui fait le lien tout au long de ma vie. Apparemment, quand j'étais enfant, je chantais en mangeant ! Et ma mère chantait tout le temps dans la maison. Je pense que c'est elle aussi qui a acheté un piano et m'a fait commencer des leçons. Puis elle est décédée quand j'avais juste sept ans. Alors, je pense que la musique est un peu un lien avec ma mère. Après cela, j'étais tout le temps en train de chanter. J'ai commencé à écrire des chansons à douze ou treize ans. Je faisais aussi des reprises sur YouTube sous le nom de Pig. Pendant tout ce temps, j'ai appris comment enregistrer, composer... J'ai tout appris par moi-même, la plupart du temps avec des tutoriels vidéo. Et puis j'ai eu de la chance de rencontrer beabadoobee avec qui j'ai enregistré quelques chansons et depuis, ça me paraît toujours un peu fou, c'est devenu ma carrière.
Tu as presque 2 000 000 d'auditeurs sur Spotify, ce qui est dingue pour un artiste indie. Comment est-ce possible ?
Je me le demande encore moi-même ! J'ai été très chanceux avec une de mes chansons, She Likes Another Boy. Elle a extrêmement bien marché sur TikTok puis mon EP To Whom It May Concern a bien marché aussi. Ma musique s'est répandue sur les réseaux et les gens ont vraiment accroché à cet EP. Je suis juste hyper chanceux. Il y a eu pas mal de bouche à oreille, des chaînes de curateurs sur YouTube qui ont plusieurs millions de followers ont repris mes morceaux. Par exemple, j'ai une de mes chansons, Million Little Reasons, avec des paroles doublées en espagnol qui a dix millions de vues sur YouTube. C'est fou !
Qu'est-ce que tu as appris de plus important par rapport à la musique à cette étape de ta carrière ?
J'ai appris à suivre mon instinct. Pour mes EPs et mon album précédent, j'ai passé beaucoup de temps à enregistrer des parties encore et encore pour que la prise soit parfaite. Mais parfois il y a plus de magie dans la toute première prise ! Il y a de la magie dans des trucs un peu merdiques (rires). Pas mal de mes morceaux qui ont bien marché sont un peu bancals, parce que je ne savais pas vraiment ce que je faisais : pas de compression, grain des cassettes... Mais tous ces détails qui sont techniquement très discutables ont sans doute été la raison du succès de chansons comme She Likes Another Boy. Ce son très lo-fi, qui fait bedroom pop enregistré de façon brute sur cassette, c'est ce une partie de ce qui a plu. C'est pourtant assez difficile pour moi de résister à cette envie de vouloir être super perfectionniste, de mettre de l'auto-tune sur toutes tes voix pour que tout soit parfait. Le truc, je pense, c'est de laisser passer certaines choses, une note est un peu fausse par exemple, car cela gagne en naturel.
Tu dis que tu as grandi en écoutant des playlists Spotify, mais quel est ton genre de musique de prédilection ?
C'est difficile à dire. J'adore bien sûr toute la musique indie comme Mac DeMarco, Tame Impala, Parquet courts, Beck... Très récemment j'ai beaucoup écouté Andy Shauf et les Lemon Twigs par exemple. Mais d'un autre côté, j'écoute aussi du folk bulgare ou de la musique turque ! J'aime beaucoup l'ambient aussi, avec ces tonalités, ces bruits. J'adore aussi le funk et le disco du Moyen-Orient. Tout un tas de trucs très cools et un peu bizarres !
Il y a beaucoup d'audace dans ce que tu fais, une volonté d'expérimenter pour voir ce qui va se passer...
Oui, je suis content que tu ressentes ça parce que c'est vraiment mon approche de la musique. J'adore l'expérimentation. Mon truc préféré, c'est de produire des sons et de voir ce qui se passe. Un peu comme la peinture ou la cuisine : qu'est-ce qui se passe si je mélange ça avec ça ? Est-ce que ça sonne dingue ? Pour moi, c'est vraiment un jeu ! Une approche créative et aventureuse.
As-tu une idée de la direction pour ton prochain album ?
J'ai déjà commencé à travailler sur mon prochain album et j'ai déjà une idée de son général. Et peut être aussi pour celui d'après ! Mais encore une fois, avec Look Now, le process m'a montré qu'il faut aussi parfois savoir tout changer et suivre son inspiration pour voir où cela t'emmène.