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Beth Orton

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 15 janvier 2024

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Un samedi à la mi-décembre. Il fait soleil mais un temps assez froid. Il est de bon augure de se réfugier dans un café pour se réchauffer, en attendant que Beth Orton arrive pour une petite conversation en prélude de son concert parisien le soir même. Retour sur cette rencontre où furent notamment abordés son nouvel album, ses concerts en première partie d’autres artistes, mais aussi sa collaboration avec Johnny Marr.

Six années se sont écoulées entre Kidsticks et Wheather Alive. Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ?

En fait, c'est principalement lié à trois choses. J'ai changé de pays. J'ai deux enfants, et puis aussi la vie tout simplement...

Savais-tu si tu sortirais un autre disque après Kidsticks?

Je n'en étais pas sûre, mais en fait je ne suis jamais sûre de rien. Je me dis qu'à chaque fois que je fais un disque, ce sera le dernier. Je pense que c'est ce qui me motive, mais je pense aussi que c'est comme une forme de superstition.

De ce fait, quand as-tu commencé à avoir envie de faire ce disque et à travailler dessus ?

Je pense que j'ai commencé à écrire des chansons vers 2018. Lorsque nous avons déménagé au Royaume-Uni et que j'écrivais sur un piano, les chansons ont commencé à venir. Ensuite, il a fallu que cela bouillonne dans mon esprit.

Finalement, tu as pris une direction musicale assez différente pour cet album. Un côté plus jazzy, parfois plus expérimental et même un peu funky voire groovy. Quand tu as commencé, savais-tu la direction que tu allais prendre ou est-ce quelque chose qui a évolué naturellement ?

Je pense que les chansons que j'écrivais avaient une atmosphère et une base mais tout est venu très organiquement. Et puis il y a vraiment eu une collaboration avec le groupe.

Les morceaux sont également plus longs que d'habitude...

C'est marrant, parce qu'en fait, au début, on a eu seulement trois jours pour enregistrer avant l'arrivée du COVID-19 et du confinement. Au départ on jouait juste comme ça et je ne savais pas que cela deviendrait de la musique. Et puis le COVID-19 est donc arrivé et mon ancien label a rompu mon contrat. Mais par la suite, j'ai pu utiliser les pistes qu'on avait enregistrées et elles étaient juste magnifiques.

Il y a quelque chose de lumineux dans ce disque et de mélancolique en même temps. Es-tu d'accord avec ça ?

Sans aucun doute. J'ai vraiment eu l'impression de jouer avec la lumière et de l'utiliser. Je veux dire, littéralement. Mais je pense aussi que j'ai creusé assez profondément. Je pense que je suis allée très loin. Mais ce n'est pas sombre, c'est plutôt un disque profond. Il y a énormément de profondeur, tant sur le plan émotionnel que musical.

J'ai pensé à cela parce que tu es seule sur la plage sur la pochette et je ne sais pas si c'est au moment du coucher ou du lever du soleil avec cette lumière...

En fait, c'est entre les deux.

Où cette photo a-t-elle été prise ?

Elle a été prise en Californie, sur une plage connue, mais je ne saurais plus te dire laquelle (rires).

Weather Alive est un disque émouvant. D'où vient sa beauté, cette atmosphère en fin de compte ?

Quand j'ai commencé à écrire ces chansons, je voulais entendre une musique que je ne trouvais pas ailleurs. J'ai donc décidé d'essayer d'écrire la musique, les chansons que j'avais le plus envie d'entendre. C'est en quelque sorte ce qui m'a inspiré et poussé à trouver ces chansons.

Je t'ai vue jouer en première partie de The War On Drugs au Zénith à Paris. Auparavant, tu avais ouvert pour Alanis Morissette à l'AccorHotel Arena et je me suis demandé pourquoi vous jouiez dans une aussi grande salle avec un disque aussi merveilleux et intimiste ?

Tu étais là pour le concert d'Alanis Morrissette ?

Non je n'y étais pas...

Je pense que nous nous en sommes bien sortis. Mais nous n'avons pas joué ce disque sur scène lors de ce concert. Il était hors de question que je touche à mon nouvel album. A cette époque je me suis sentie très émotive parce que je savais que j'avais d'autres projets à venir. J'étais en larmes pendant cette tournée, vraiment. Ils ont pourtant été adorables, le groupe, les gens, Alanis et tous les autres. Mais c'était si étrange de jouer de vieilles chansons alors que j'étais dans un nouvel espace et que j'essayais de faire des interviews pour ce nouvel album, alors cela me faisait pleurer. C'était tellement embarrassant. Mais je n'ai pas pu m'en empêcher parce que je me sentais si étrange. C'était trippant. Tous les soirs où nous avons joué, je pense que nous avons très bien interprétés les chansons. Mais c'était un sentiment vraiment étrange, de savoir que j'avais ce nouveau disque et de ne pas pouvoir le jouer sur scène. Je craignais la réaction des gens.

Arms Around A Memory est ma chanson préférée de l'album. Elle est magnifique. C'est tellement déchirant, je l'adore. J'aime tout l'album, mais cette chanson me touche vraiment plus que les autres...

J'aime aussi beaucoup cette chanson. Je la trouve belle et c'est un peu comme une œuvre qui grandit et qui va, je pense, continuer à grandir. Cette idée me plait beaucoup.

Pour cet album, y a-t-il des chansons que tu n'as finalement pas sorties ou qui étaient peut-être inachevées ?

Il y a une chanson qui n'a pas été retenue. J'aimerais la sortir mais je n'ai pas encore eu le temps de le faire. Je le ferai un jour.

Comment cette date de concert au Café de la Danse à Paris est-elle arrivée ? Tu n'es pas en tournée finalement actuellement...

Je n'arrêtais pas de dire que je voulais vraiment jouer à Paris. Je le voulais tellement... Comme tu l'as dit, j'ai ouvert pour Alanis Morissette, puis The War On drugs. Mais je tenais tellement à faire un concert dans une belle salle avec mon groupe. Et on y est enfin !

Johnny Marr a écrit avec toi Concrete Sky. Quel souvenir gardes-tu de cette collaboration avec lui ?

C'était une personne tellement généreuse, adorable et encourageante. Il voulait vraiment, vraiment m'encourager, me soutenir et être un ami collaborateur. Il m'a accordé beaucoup de temps et d'espace. C'est quelqu'un de très bien.

Ton premier album Superpinkymandy a maintenant trente ans. C'est un disque rare et difficile à trouver, tu n'as jamais envisagé de le rééditer un jour ?

Je ne l'ai pas écouté depuis des années. C'est probablement mieux ainsi. Mais, tu sais, à ce moment-là, je ne savais pas que j'allais faire de la musique. J'apprenais juste à écrire des chansons avec William Orbit et je ne m'attendais pas à ce que cela devienne ensuite ma vie. Mais ce n'est pas vraiment un disque qui représente ce que je suis.

Tu ne tiens même pas compte du fait qu'il s'agit de ton premier album ?

En quelque sorte, non.

Trailer Park et Central Reservation ont eu droit à une réédition Deluxe avec des bonus. Est-ce que Daybreaker connaîtra également ce traitement un jour ?

C'est possible. Il y a tant à faire. Mais pour l'instant, je veux continuer à avancer avec du nouveau matériel. Ça m'excite beaucoup.

Tu viens tout juste d'avoir cinquante-trois ans. Joyeux anniversaire ! Comment te sens-tu par rapport à ça ?

Ma mère est morte à cinquante-trois ans, alors avoir cet âge est très effrayant pour moi parce que c'est comme si c'était une page blanche. Je pense qu'en vieillissant, je suis plus enthousiaste à l'idée de ne pas réussir, forcément. C'est vrai. J'aimerais avoir du succès, mais avoir du succès dans mon art, dans mon travail. J'aime ce que je fais et cela m'intéresse de plus en plus.