Après un rendez vous manqué lors de son passage à Paris en première partie de The Last Dinner Party, je retrouve Katy J Pearson en visio à la cool depuis le studio où elle répète avant de reprendre la route. L'occasion de faire le point sur ses albums, sa musique, son travail en studio et la scène.
J'aimerais commencer par parler de l'écriture de chansons et comprendre comment tu travailles. Comment ça se passe ?
Depuis que je suis assez jeune, j'ai toujours eu tendance à chanter la mélodie et les paroles en même temps. En général, je suis à la guitare, je chante la mélodie et les paroles par-dessus. Tout arrive un peu d'un coup, un peu étrangement. J'ai toujours fonctionné comme ça. Avant j'avais tendance à être très têtue : je composais la mélodie et les paroles sur le moment, avec les accords derrière, et je ne touchais plus à rien après ça. C'est amusant, mais parfois, quand tu improvises et que tu chantes des paroles qui te viennent directement en tête, elles ne font pas toujours beaucoup de sens. Avec l'expérience, j'ai appris à... ne pas être aussi paresseuse. Enfin, pas paresseuse, mais juste à vérifier mon travail pour m'assurer que le thème tient la route. Je n'ai jamais vraiment été du genre à écrire les paroles séparément, elles sont toujours inspirées par la musique, par les accords que j'entends, et je fais tout ensemble.
Tu dis que tu ton écriture a évolué, comment cela s'est passé ?
J'ai toujours ressenti l'écriture de chansons comme un muscle. Tu dois le travailler, en continuant à écrire autant que tu peux. Plus tu écris, plus tu t'améliores. C'est comme ça que j'ai pris davantage confiance en moi pour prendre des décisions sur la structure de mes chansons. C'est agréable de me voir évoluer et de faire mûrir son style, de voir cette évolution entre la jeune moi et celle que je suis maintenant. C'est intéressant de voir comment son cerveau commence à explorer différents thèmes et même à utiliser peut-être des mots un peu plus sophistiqués qu'avant. Je suis aussi plus assurée sur la direction que je donne au son de mes chansons.
Justement, pour Someday, Now, tu as choisi Bullion à la production. Je crois que tu l'as rencontré quand tu enregistrais avec Orlando Weeks. Est-ce que tu l'as choisi parce que vous aviez une bonne connexion ou parce que tu voulais quelque chose de plus électronique ?
J'ai d'abord pris contact pour faire une session, je n'étais pas sûre que ce soit vraiment la direction que je voulais prendre. Tu sais, je savais qu'il était beaucoup plus orienté vers l'électronique. Mais dès qu'on a fait la première session ensemble et qu'on a enregistré Those Goodbyes, j'ai compris qu'il y avait un bon équilibre dans la façon dont il travaillait mes chansons. Ce n'était pas comme s'il effaçait complètement le côté plus live et spontané, c'était plutôt comme s'il leur donnait une sonorité un peu différente. Je pense que c'était pour moi le bon moment pour explorer cet univers. Sur mon deuxième album, il y avait parfois une ambiance un peu plus électronique sur la partie produite par Dan Carey. Mais avec Bullion il était logique de plonger dedans et de lui faire confiance. C'est ça le privilège d'être auteur-compositeur : je peux faire un album comme celui-là, et ensuite je peux faire autre chose si je veux.
J'aimerais revenir sur Sound Of The Morning où tu as travaillé à la fois avec Ali Chant et Dan Carey. Comment s'est passée la collaboration avec chacun d'eux ?
Ce sont tous les deux des producteurs vraiment fantastiques, chacun à leur manière. Je dirais qu'Ali> est un peu plus réfléchi, plus prudent dans la façon dont il construit quelque chose sur le plan sonore. Dan est un peu plus chaotique, mais dans le bon sens du terme. Ce n'était pas mon intention de travailler avec deux producteurs pour cet album, mais c'est devenu évident parce qu'ils apportaient chacun ce qu'il fallait pour certaines chansons. C'est drôle, j'ai été agréablement surprise de voir qu'ils se complétaient bien, plutôt que de paraître déconnectés. Les productions d'Ali sont souvent un peu plus sèches, et le mix est un peu plus brut. Ça donne une ambiance plus live, comme si tu étais dans le studio. Tandis que Dan, parfois, pousse beaucoup plus avec de la distorsion, de la réverbération, il va un peu plus loin. Donc oui, ce sont des producteurs très différents. Mais c'était intéressant de voir comment les chansons s'intégraient bien ensemble malgré tout.
Maintenant que tu as travaillé avec des producteurs aussi différents, qu'est-ce que tu veux faire ensuite ?
Sans vouloir offenser qui que ce soit parce que je pense qu'ils sont tous fantastiques et je les adore tous, j'aimerais vraiment essayer de produire mon prochain album moi-même, si je le peux. J'étais l'autre jour dans le métro avec mon ami Joel, qui a joué sur le dernier album, et on parlait de mon prochain disque et de ce que j'allais faire. Et il m'a dit : « Je pense que tu devrais simplement l'auto-produire. ». Je n'y avais jamais vraiment pensé avant, mais je pense que le groupe de session que j'avais pour Someday, Now a vraiment bien fonctionné. Et je pense que j'ai tellement appris de ces producteurs avec qui j'ai travaillé, que ça serait un super défi de voir ce que je peux faire dans un studio, toute seule. Tu sais, avoir quelqu'un pour aider techniquement et produire le son que tu veux, c'est génial, mais ne pas avoir cette personne et voir ce que mon cerveau peut imaginer... Cela m'intéresserait de voir ce qui pourrait en sortir.
Cela me semble assez naturel, surtout quand tu parles de l'écriture comme d'un muscle à exercer ou quand tu compares les producteurs à des coachs...
Exactement. Et, tu sais, c'est vraiment très gratifiant d'arriver à ce stade. Parce que je pense qu'il y a eu un changement dans la façon dont la musique est faite aujourd'hui. Avant, il y avait une sorte de dynamique de pouvoir où c'était très clair : tu avais ton producteur pour le son, et l'artiste écrivait juste les chansons. Mais maintenant, je pense que les frontières sont devenues floues, et c'est une bonne chose. Beaucoup d'artistes le réalisent et nous avons accès à des technologies qui peuvent nous dispenser d'aller en studio avec un producteur. Bien sûr j'adore encore aller dans des endroits comme Rockfield, c'était incroyable d'être dans un endroit aussi historique (ndlr : le studio où elle a enregistré Someday, Now et où sont passés Queen, The Damned, Iggy Pop, Bauhaus, The Stone Roses, Coldplay...). Mais oui, je pense que maintenant, on a beaucoup plus de possibilités pour essayer de le faire soi-même, et ça me tente vraiment de voir ce que ça donnerait.
Quel serait l'endroit idéal pour écrire et enregistrer ton prochain album ?
Eh bien, tu sais quoi, ce n'est pas juste parce que tu es français, mais j'adore la France. J'aimerais vraiment aller dans un studio résidentiel dont des amis m'ont parlé (ndlr : elle essaie de se rappeler le nom ou la région). Je ne sais plus où il se trouve [rires]. J'aimerais bien partir à l'étranger. Hum, et j'ai eu l'occasion de travailler avec Jonathan Rado, il y a deux ans, à Los Angeles, et j'aimerais bien y retourner. Son studio était vraiment cool. Ce serait chouette de s'ouvrir à d'autres endroits. Il y a aussi un studio vraiment génial à Hydra, en Grèce, où Cate Le Bon et Westerman ont enregistré. Ça a l'air dingue même si c'est un peu stressant l'été à cause des cigales, et que tu dois enregistrer la nuit parce qu'il fait trop chaud. Mais ça a l'air fun.
Donc c'est une sorte de retraite que tu cherches...
Oui, enfin, peut-être que j'essaie juste de transformer ça en vacances ! [rires]
Tu arrives en studio avec toutes les chansons prêtes, ou tu les développes sur place ?
Normalement je suis assez désorganisée, et pour les deux premiers albums, c'était même assez chaotique. Je n'avais pas vraiment de démos de référence pour les chansons. Mais pour cet album, Nathan Bullion et moi avons pris une semaine et demie pour passer en revue chaque chanson, et en les réenregistrant pour qu'elles se rapprochent de ce qu'on imaginait sur le plan sonore. C'était super utile. Pour une fois, j'avais l'impression d'avoir révisé pour l'examen avant d'entrer en studio. Je me sentais plus organisée et je pense que c'était vraiment bien de faire un peu plus de travail de préproduction avant d'aller en studio. Ça a rendu le processus beaucoup plus fluide. Et ça nous a permis de prendre plus de temps si quelque chose n'allait pas, au lieu de devoir tout improviser sur place. Le temps de studio coûte cher, donc c'était bien de mieux gérer mon temps.
J'aimerais maintenant parler de l'aspect visuel de ton travail : les vidéo clips et les pochettes. Ils ont tous un style très distinctif. Comment tu abordes ça ?
Je m'y implique beaucoup. Le visuel m'a toujours autant que la partie sonore. J'ai toujours eu une idée très claire de ce que je veux de ce point de vue. Tu sais, même petite, j'ai toujours eu un style vestimentaire un peu excentrique, et j'ai toujours adoré l'art. J'ai toujours suivi mon propre chemin. Donc, pour les vidéo clips, le premier que j'ai fait avec Dino Moves, pour Those Goodbyes, j'avais vu son travail et je savais qu'il serait la bonne personne. On a pu aller en Autriche et tourner dans une cabane en montagne sans électricité. Mon label m'a supplié de ne pas le faire, ils trouvaient ça dingue. Je leur ai juste dit : « Non, désolée, j'y vais ! ». On l'a fait sans presque aucun argent, c'était complètement fou, mais ça a marché. Pour le vidéo clip de Maybe, c'est venu d'une découverte : le tir à l'arc ! Ça a été une porte d'entrée pour les femmes dans le sport. C'était le premier où elles pouvaient concourir aux Jeux Olympiques, en 1908 (ndlr : c'est la première fois qu'il y avait une majorité de femmes dans l'équipe britannique, mais certaines disciplines ont été ouvertes en 1900). La chanson parle de moi qui retrouve ma confiance et me dit que je suis assez bien. Alors un jour, je me suis dit : « Oh mon Dieu, je devrais faire un vidéo clip sur le tir à l'arc. » J'ai écrit un petit scénario et impliqué mon ami Edie Lawrence. C'est génial que mon label me laisse autant de liberté. Ils ne sont pas trop sur mon dos, et j'ai la chance d'avoir cet espace pour m'exprimer. Pour l'artwork, c'était aussi mon idée. Mon ami m'a aidée pour le costume, mais c'est moi qui ai contacté Kasia et conçu le décor. Je l'ai même peint moi-même. Donc oui, je suis très impliquée dans tous les aspects.
Tu es peintre aussi ?
Hum, je ne dirais pas que je suis peintre. Je dirais que je sais peindre. Mais oui, j'ai peint ça. J'ai utilisé de la peinture en spray pour les cercles pâles derrière moi sur le décor. Mais, honnêtement, j'ai cru que j'allais m'empoisonner la veille du tournage, tellement les vapeurs étaient puissantes. Heureusement, on est sortis pour peindre, parce que sinon je crois que j'aurais succombé à l'exposition aux produits chimiques ! [rires]
Parlons maintenant de tes performances live. Comment ton approche a-t-elle évolué au fil des années ?
Hum, je pense que je suis devenue beaucoup plus confiante. Même sur la dernière tournée que j'ai faite avec The Last Dinner Party, le fait d'être exposée à des publics plus importants et aussi d'être en tournée avec plus de femmes m'a permis de me sentir plus à l'aise et de me lâcher un peu plus sur scène. Mais aussi, avec la situation économique actuelle, surtout au Royaume-Uni - et je ne sais pas si c'est pareil en France - c'est assez difficile et il y a plus de contraintes financières. Ce n'est plus comme avant où tu pouvais te dire : « Bon, je vais avoir autant de membres dans mon groupe que je veux. » Maintenant, il faut être plus pratique. Donc, pour moi, c'est un groupe de quatre personnes, y compris moi. Mais c'est vraiment amusant, en fait. Être limitée te pousse à être plus créatif pour reproduire l'album sur scène. Au début, c'était beaucoup plus brut et live. Avec cet album, c'est un peu difficile parce que quand tu joues en live, ça devient automatiquement plus orienté groupe. La production est plus soignée, et pour le retranscrire sur scène j'ai besoin de davantage de backing tracks. Avant, j'avais peur de ça, mais parfois, c'est nécessaire. Si tu ne peux pas te permettre d'avoir un orchestre de vingt musiciens, il faut accepter qu'il y ait des backing tracks ici et là.
Tu as mentionné la tournée avec The Last Dinner Party. Comment abordes-tu le fait d'être un groupe de première partie par rapport à être la tête d'affiche ?
J'aime vraiment faire des premières parties, parce que c'est une super opportunité et tu as moins de pression. Ça te donne aussi l'occasion de vraiment tester la manière dont tu veux présenter ta musique. Tu dois essayer de conquérir le public, c'est un défi, un peu comme un jeu. Chaque soir, tu essaies de gagner le public, et les gens ne sont pas là pour toi. C'est une expérience qui te ramène à l'essentiel, c'est bien pour les artistes parce que ça nous rend meilleurs, je crois. Pour ma tournée en tête d'affiche qui commence la semaine prochaine, je suis super excitée. Quand c'est ta propre tournée, les enjeux sont beaucoup plus élevés. Les gens ont payé pour te voir. Mais être en première partie peut aussi être difficile. Si le public n'est pas d'humeur à écouter les premières parties, et qu'il y en a deux, quand tu montes sur scène en deuxième, ils peuvent être un peu impatients. Mais les deux expériences sont formidables.
Tes chansons préférées de l'album sont-elles aussi celles que tu préfères jouer en live ?
Tu sais quoi ? Une de mes chansons préférées de l'album est Long Range Driver, et c'est super amusant à jouer en live. Et puis Sky aussi, c'est vraiment fun à jouer sur scène. Et Constant, on ne l'a pas encore vraiment interprétée, donc j'ai hâte de la faire avec le groupe. Là, je suis dans une petite salle de répétition, on a encore une grosse journée de préparation demain et après on prend la route.
Bonne chance pour la tournée ! J'ai une dernière question. C'est à propos de toutes les collaborations que tu fais. On t'entend sur de nombreux albums, notamment ceux de Yard Act, Orlando Weeks, Metronomy... Ça fait beaucoup de collaborations. Comment t'y prends tu ?
J'ai eu beaucoup de chance avec les gens que j'ai rencontrés. J'étais tellement fan de The Maccabees quand j'étais ado, j'allais à tous leurs concerts. Donc, chanter sur les albums d'Orlando Weeks, c'est toujours un peu dingue pour moi. Je crois que j'ai hérité de ma mère, qui est très douée pour les relations humaines. Et je crois que j'ai eu de la chance de rencontrer certaines personnes avec qui je m'entendais vraiment bien. Avec Rhian de Wet Leg, c'est une longue amitié. Je l'ai rencontrée quand j'avais seize ans et elle devait en avoir dix-huit. Et maintenant, je vais avoir vingt-neuf ans l'année prochaine, donc ça fait longtemps qu'on se connaît. On s'est rencontrées lors de nos tout premiers concerts à Bristol avec nos anciens projets, alors qu'aucune de nous n'habitait là-bas. C'est vraiment beau de la voir réussir et de faire ma musique en parallèle. Yard Act m'ont contactée parce qu'ils aimaient ma musique. Ensuite, on est devenus amis, et quand ils travaillaient sur leur dernier album, ils m'ont demandé de chanter dessus. Et puis, j'ai eu la chance de travailler avec Metronomy. Oui, c'est complètement fou. Je suis flattée que des gens veuillent que je chante sur leur musique ou viennent m'aider sur la mienne.
Tu as un style assez unique, et tu ne t'inscris pas vraiment dans une scène précise. Est-ce que tu te sens faire partie d'une scène ou d'une communauté de musiciens ?
Je vois ce que tu veux dire. Je pense que j'ai beaucoup d'amis dans la musique, mais je n'ai jamais eu l'impression de vraiment faire partie d'une scène. J'ai évidemment fait des choses avec Broadside Hacks, mais ce n'était pas ma propre musique. C'était plus un projet collectif. À Bristol, il y avait une super scène quand j'ai commencé, mais je ne pense pas faire partie d'une scène spécifique. Pour être honnête, je pense que j'ai toujours fait mon propre truc, sans suivre de tendances. Et ça a bien marché, parce que faire partie d'une scène peut être risqué : elles montent très vite et peuvent disparaître tout aussi vite. Donc, c'est agréable d'être un peu en périphérie. Je crois que je m'en suis bien sortie parce que je ne me suis jamais étiquetée comme quelque chose de précis. Certaines personnes me qualifient de folk pop, ça me va. C'est un genre tellement large. Et puis, je n'ai pas grandi dans une grande ville comme Londres. J'ai grandi à la campagne, donc j'ai toujours été assez isolée dans ma façon de travailler.
Merci d'avoir répondu à mes questions, bonne chance pour ta tournée !