Vingt-deux ans. Voici le temps écoulé depuis la première prestation de Franz Ferdinand à Paris, un soir de novembre 2003 à la Boule Noire, petit club niché dans les sous-sols de la Cigale et dans lequel le Festival des Inrocks prenait ses quartiers d'hiver chaque année. Les jeunes amateurs de rock indé du début des années 2000 y ont vu débuter une belle vague de groupes devenus aujourd'hui des incontournables, certains ayant fini dans des stades, d'autres au succès aussi fulgurant qu'éphémère, et une petite poignée comme Franz Ferdinand n'ayant jamais quitté nos platines ni nos agendas concerts depuis toutes ces années.
La première apparition des Écossais à la Cigale s'est faite en 2004, à l'époque du premier album éponyme qui a mis le feu à nos Discmans d'antan. En voilà un CD que nous avons usé jusqu'à la dernière rayure, et c'est à cette époque que nous avons découvert la générosité et la sympathie d'Alex Kapranos, Nick McCarthy, Paul Thompson et Robert Hardy, quatre mecs un peu passe-partout mais qui, une fois sur scène, renversent littéralement les foules grâce à leur pop stylée et ce sens aiguë du rock dansant et ultra festif. Bercé d'influences 60s, Alex Kapranos demeure en 2025 un as de l'hymne pop ultra feelgood, aux riffs ciselés et au tempo dynamité.
Hits To The Head, leur première compilation, a entériné le statut de grosse pointure rock britannique de Franz Ferdinand sans jamais entamer la détermination des musiciens de toujours rester au plus proche de leur public.
C'est donc une grosse poignée de chanceux qui se retrouve de nouveau à la Cigale pour assister au concert de lancement du nouvel album
The Human Fear paru début janvier, en mode « intimiste » face aux nombreux Zéniths et Arénas que remplissent aisément Franz Ferdinand un peu partout dans le monde. Parmi le public, une grande majorité de fans de la première heure, tous en train d'évoquer dès la file d'attente leurs très nombreux souvenirs ici et là en compagnie des Écossais, ces derniers n'ayant jamais rechigné à se produire un maximum à chaque fournée de disque. Les anecdotes fusent, les admirateurs les plus hardcore ne peuvent s'empêcher de se vanter d'avoir pu voir Franz Ferdinand à telle Black Session ou lors d'un des nombreux plateau télévisé de l'époque, comme lors de concerts privés quasi inaccessibles pour le commun des mortels sauf à être sur « la liste ». C'est donc face à un public totalement acquis à sa cause qu'Alex Kapranos va à nouveau mettre le feu dans l'assistance, toujours sur son trente-et-un portant ce soir costume sombre, souliers vernis et chaussettes rouge.

En attendant le retour du plus parisien des Écossais, nous faisons la découverte de
Master Peace, pseudonyme derrière lequel se cache le londonien Peace Okesie, auteur d'un premier album
How To Make A Master Peace, qui ce soir seulement accompagné d'un guitariste et d'une bande pré-enregistrée, va littéralement chauffer le public durant trente minutes avec son répertoire mélange d'indie rock et hip-hop, aux influences hybrides qui transforment d'ores et déjà la salle en dancefloor bondissant. On pourrait penser qu'un univers sépare Master Peace et Franz Ferdinand et, pourtant, Peace Okesie cite le groupe parmi ses plus grandes influences. On retrouve les riffs comme la rythmique pétaradante des meilleurs tubes à danser de ces derniers dans les titres comme
Get Naughty et
I Might Be Fake, ici sans Georgia mais qui remplit néanmoins son rôle à la perfection.
A seulement deux sur scène, Master Peace réussit facilement à convaincre le public,
Save Me et
Home prenant des accents très groovy et c'est sous une très chaude salve d'applaudissements que les Anglais signent leur premier passage sur le boulevard Rochechouart.
Habitués à retrouver le groupe dans des salles plus conséquentes comme les zéniths ou les grandes scènes des festivals estivaux, c'est un beau cadeau que nous font Franz Ferdinand de nous donner rendez-vous à la Cigale. Paris étant dorénavant la ville de résidence de la tribu Kapranos, c'est donc un concert un peu en famille qui nous attend ce soir. Durant une heure et demie, nous retrouverons les sensations des premières années quand nous écumions les petites salles où le chahut dans la fosse était une tradition au son des tubes les plus rythmés du groupe. Ce soir, la setlist sera cependant en majorité consacrée à
The Human Fear, au rythme d'un titre sur deux sur la première partie du set, joué dans son intégralité moins un (seul
Tell Me I Should Stay ne figure pas au menu), laissant à ce moment une partie des spectateurs un peu en retrait car pas encore pleinement imprégnés de ce nouvel opus.

Quelques petits moments de flottement vite oubliés car c'est avec à ses côtés Dino à la guitare, Julian au clavier et à la guitare additionnelle, Audrey à la batterie et l'imperturbable Bob à la basse, que nous fait face un Alex Kapranos au top de sa forme, soit hyper souriant, extrêmement expressif, qui ne cessera d'aller chercher les premiers rangs et de nous ravir avec ses pas de danse, ses sauts de cabris et autres moulinets de bras dont il a le secret depuis plus de vingt ans. Évidement dans un français des plus corrects, Alex entrecoupera le set de ses commentaires sur l'origine des morceaux, en profitant pour rendre hommage au regretté Philippe Zdar lors de
40', et invitera Peace Okesie à le rejoindre sur scène pour interpréter en duo
Hooked. Noyée dans une avalanche de néons fluorescents bleu, rouge et rose très criards, l'ambiance est digne d'une des plus grosses boîtes de nuit de la capitale, et renforce les envies de danser des présents qui retrouvent pour la plupart les sensations des premiers concerts du groupe.

Les morceaux de
The Human Fear remportent l'épreuve du live, une grande partie d'entre eux y trouvant plus de corps que sur disque. La série de gros tubes reste fidèle aux habitudes du groupe : on retrouve donc
Take Me Out,
The Dark Of The Matinée,
Do You Want To,
Michael,
No You Girls et
Walk Away.
Outsiders clôturera le set principal mais sans la réunion autour des fûts de batterie et
Jacqueline sera joué comme premier rappel sur demande expresse du premier rang. Un fan service qui favorise les deux premiers disques devenus des classiques absolus mais qui laisse désespérément de côté tout l'album
Always Ascending, pourtant porteur d'énormes hymnes électro rock plus que jouissifs en live.
Après vingt deux ans de bons et loyaux services, Franz Ferdinand demeure un des groupes incontournables des années 2000, de ceux qui ont propulsé la scène indie britannique hors des sentiers vieillissants de la Britpop en redistribuant les cartes pour diriger le jeu vers un rock beaucoup plus instinctif et populaire. Ce soir, Alex Kapranos, qui reste l'emblème de ce groupe fétiche, a de nouveau prouvé la solidité de ses compositions et entame ainsi auprès d'un groupe de fans privilégiés une nouvelle étape dans sa carrière de haute volée.