Il y a trente ans, à quelques mètres d'ici, à l'Elysée Montmartre, Stereolab assuraient la première partie de Pavement. Le Trianon était alors en sommeil, attendant un repreneur motivé pour en faire à nouveau l'une des plus belles salles de concert parisiennes avec ses dorures, ses moulures romantiques et ses sièges en velours rouge, sans parler d'un foyer très haut de plafond avec de belles baies vitrées et un sol en marbre et un escalier qui fait honneur à son inspiration versaillaise. Stereolab connaissent aussi les hiatus bienfaiteurs et leur premier album en quinze ans nous a charmés.
Avant de découvrir
Instant Hologram on Metal Films sur scène,
Astrobal va chauffer la salle avec sa pop onirique. Emmanuel Mario de son vrai nom, est seul sur scène pour ces dates en Europe. Un clavier sur sa gauche, une batterie en face de lui, et des images plein la tête lui suffisent. Il a l'air détendu avec sa chemise hawaïnenne en noir et blanc et sa casquette rouge. Batteur avant tout, il a d'ailleurs joué avec Laetitia Sadier, on voit immédiatement l'importance du rythme dans ses chansons. Avec ses boucles de synthé vintage et son univers psychédélique, sa musique prend un air rétro qui va très bien avec celle Stereolab.
Il nous donne un peu de contexte sur les morceaux qu'il joue ce soir, issus de son dernier album
L'uomo e la natura inspiré par la Science Fiction et Gaston Bachelard (ndlr : philosophe des sciences qui a également écrit sur la poésie et l'imagination). Il cite même ce dernier : « Il faut que l'imagination prenne trop pour que la pensée ait assez ». Astrobal nous dit ne pas être intéressé par la dystopie mais par les mondes imaginaires qui, comme sa musique, laissent beaucoup de place à l'évasion. Le Trianon est bien une salle de spectacle et pas un café philo, son show fait bien sûr la part belle à la chanson.
Le musicien est un poète surréaliste qui semble vivre dans le monde qu'il a créé, un univers bienveillant qu'il prend plaisir à nous faire visiter. Toutes les mélodies sont jouées sur le clavier ou préenregistrées pour qu'il puisse jouer de la batterie. Son show solo est hyper rodé et aucune hésitation ne vient entraver le flux de la musique. Les chansons aux noms improbables (
Galassia M81,
L'abeille Pourpre...) se succèdent dans la joie et l'allégresse. Une atmosphère qui colle bien à l'univers rétro futuriste de la tête d'affiche du soir.
Après l'interlude, le groupe franco britannique
Stereolab monte sur scène. Nul n'est prophète dans son pays, mais il est manifeste que Laetitia Sadier est heureuse de jouer à Paris dans un Trianon complet. Elle lâche un « Salut la compagnie ! » comme si elle jouait devant un groupe de potes. Le groupe démarre par
Aerial Troubles, les voix sont en harmonie comme toujours à la frontière de la justesse, les instruments ont un son sec et chacun a l'espace pour s'exprimer sans avoir à jouer des coudes sur les fréquences. En quelques instants, c'est tout Stereolab que nous retrouvons, avec un groove qui prend plus de puissance sur scène.
Avec
Motoroller Scalatron, nous repartons presque trente ans en arrière. Le Trianon s'est transformé en machine à remonter dans le temps ou en salle de balle grandiose du vaisseau spatial d'un film disco des années 70 avec les claviers vintages et les guitares qui cocottent.
Peng! 33 remonte encore un peu plus dans le temps, mais la chanson a mûri, elle a toujours un air enfantin, frais et sérieux, que les adultes appellent naïveté. Comme si Alice du Pays des merveilles avait forcé sur le thé du Chapelier Fou. Les premières notes de
The Flower Called Nowhere ravissent le public, et la chanteuse semble très émue de cet accueil.
Les nouveaux morceaux passent également très bien l'épreuve de la scène.
Melodie Is A Wound est coloré, les mélodies se fondent en riffs saturés, mais jamais agressifs, et en nappes de synthèse distordues hyper psychédéliques. Et comme si le délire n'était pas assez fort, Laetitia prend un trombone. Juste pour deux notes d'abord, mais ce qui est encore plus fou, elle le prendra à nouveau pour une vraie mélodie sur la chanson suivante. Le public réagit très bien aux nouveaux morceaux et, porté par les rythmiques enjouées, le sol rebondit sous l'assaut de la foule qui danse.
If You Remember I Forgot How To Dream nous ravit musicalement et nous rappelle aussi que Stereolab ont vraiment le chic pour trouver des titres qui sont déjà des mini poèmes.

Le public accueille
Miss Modular avec joie. L'ambiance et le groove du titre entre jazz, funk et shoegaze est surréaliste. Avec les paroles en français, on pense à l'adaptation de l'Ecume des Jours par Michel Gondry. Les anciens et nouveaux morceaux s'enchaînent parfaitement,
Electrified Teenybop est l'occasion de plaisanter avec le public avant le démarrage du morceau, et pendant celui-ci Laetitia Sadier reprend la danse d'Uma Thurman dans Pulp Fiction.
Cybele's Reverie marque la fin du set principal, mais le groupe revient très vite pour un court rappel. Tous les musiciens sont à fond, Laetitia les présente, avant de remercier le staff et le public. Il y a un quelque chose de remise des Oscars ce soir, jusqu'aux références politiques puisque
Percolator a été écrite en 1996 au sujet des gens privés de voix et qui restent d'actualité.
Immortal Hands sera également introduite en souhaitant la liberté pour tous. Comme c'est le dernier titre, la chanteuse précisera, pour calmer le public qui en demanderait bien plus, « on a plein de chansons, mais les autres on ne les a pas répétées ! ». Imparable.