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Laura Marling

Interview publiée par Fab le 7 mars 2010

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Étoile montante de la scène folk londonienne, Laura Marling nous revient le 22 mars avec un second album, I Speak Because I Can. Rencontre avec la jeune anglaise toujours dotée d'une incroyable présence vocale et d'un univers personnel attachant...

Tu n'avais que dix-sept ans lors de la sortie de ton premier album, de quelle manière ta vie a-t-elle changé depuis cette époque ?

Je pense vraiment être devenue une meilleure musicienne... ce qui est plutôt une bonne chose. D'un point de vue artistique, j'ai beaucoup travaillé mon jeu de guitare mais c'est sans doute humainement parlant que j'ai le plus changée. La fin de l'adolescence et le passage à l'âge adulte constituent une période très importante. Il faut grandir vite et s'adapter. J'ai changé...

As-tu conscience d'avoir vécu beaucoup plus de choses que la plupart des jeunes de ton âge ?

Je suis incroyablement chanceuse d'avoir une vie si bien remplie. Je n'ai jamais vraiment vu le temps passer, depuis le jour où l'on m'a offert une guitare pour mes cinq ans à mon premier concert avec Jamie T, et même jusqu'à maintenant, tout m'a souri.

Tu as joué aux côtés de Neil Young, Adam Green, Andrew Bird ou Jamie T ces dernières années, qu'as-tu appris d'eux ?

Les écouter jouer leurs chansons tous les soirs m'a beaucoup appris... mais je retiens surtout toutes mes illusions perdues. Ce n'est pas une mauvaise chose, je le vois même comme un point très positif. Découvrir comment fonctionne cette industrie et qui sont réellement les artistes d'une manière générale... mais aussi comment vivre ma vie tout en étant une musicienne accomplie. Faire les bons choix au bon moment en quelque sorte.

La scène folk britannique, à laquelle tu es souvent affiliée avec des groupes comme Mumford And Sons, Johhny Flynn ou Noah And The Whale, semble en plein essor depuis un an ou deux. Quelle en est ta perception ?

Nous n'avons pourtant jamais revendiqué cette appartenance, nous sommes souvent rassemblés et comparés entre nous contre notre gré. Le fait est que nous sommes tous amis depuis le collège, il était donc logique que nous poursuivions nos routes ensemble et qu'un esprit d'entraide se mette en place. J'aime cette idée de pouvoir évoluer avec mes amis, même si cette image quelque peu exclusive peut parfois être énervante. Je préfère me concentrer sur l'unité que nous ressentons tous ensemble et comment ma musique peut s'améliorer grâce à cela. Notre petite communauté m'apporte beaucoup de confiance en ce que je fais tous les jours.

Ton évolution aurait sans doute été très différente sans cet entourage ?

Pouvoir vivre toutes ces expériences ensemble est quelque chose d'assez fantastique selon moi. Certains d'entre eux m'ont beaucoup aidé pour l'enregistrement de ce nouvel album, notamment Marcus Mumford et Ted Dwane de Mumford And Sons à la batterie et à la basse ou Pete Roe au piano que je considère comme un songwriter extrêmement doué. Tom Fiddle de Noah And The Whale s'est occupé de tous les arrangements et Winston Marshall nous a aussi rejoint pour jouer du banjo. Il est beaucoup plus facile de travailler correctement avec un tel entourage toujours prêt à aider...

De quelle manière la collaboration s'est-elle déroulée ? As-tu donné toutes les directives ou laissé chacun exprimer ses idées ?

J'ai laissé chaque personne jouer de son instrument comme il l'entendait, principalement parce que je suis incapable de composer intégralement mes chansons. J'écris mes textes, je joue de la guitare et je chante mais je n'ai jamais suivi la moindre formation musicale. Pete Roe a joué un rôle primordial pour cet album, mais d'une manière plus générale tout les musiciens présents à mes côtés ont apporté leur pierre à l'édifice. Pour moi cet album est celui d'un véritable groupe, pas seulement le mien et celui d'un backing band.

Ce nouvel album est plus complexe instrumentalement parlant que le précédent, était-ce ta volonté dès le départ ?

J'en suis très consciente lorsque je l'écoute mais je ne l'ai pas décidé subitement. Certaines des chansons présentes sur ce disques nécessitaient la présence d'un véritable groupe dans le studio mais d'autres sont plus dépouillées. Ce résultat est lié pour moitié à la manière dont les chansons ont été écrites mais aussi au contexte et à la façon dont nous avons tous travaillé ensemble. Les circonstances en ont fait ce qu'il est au final.

Après avoir obtenu une nomination au Mercury Music Prize pour ton premier album, ressentais-tu un certain besoin de proposer quelque chose de plus travaillé ?

Je m'impose systématiquement une pression très lourde lorsqu'il est question d'écrire de nouvelles chansons. J'ai malgré tout pu travailler très librement sur ce disque, sans ressentir d'angoisse particulière ni d'attente de la part de ma maison de disques. Ce n'est que récemment, depuis que le disque est achevé, que je commence à éprouver un certain stress vis à vis de sa sortie prochaine. Je traverse une phase durant laquelle je ne peux qu'attendre et subir en quelque sorte le temps qui passe, je dois me convaincre que les chansons n'ont plus besoin d'être retouchées et sont prêtes à être dévoilées au public. Alors je fais de mon mieux pour gérer tout cela et je me prépare à mes prochaines tournées car je sais que je vais être amenée à beaucoup voyager durant l'année à venir.

Contrairement à ton premier album, I Speak Because I Can a été produit par un professionnel du domaine, Ethan Johns. Pourquoi ce choix ?

Certains artistes qu'il a produits durant sa carrière m'ont beaucoup marquée lorsque j'étais plus jeune. Je pense par exemple à Sarabeth Tucek mais aussi aux Kings Of Leon dont le premier EP était extraordinaire... avant que leur musique ne prenne un tournant un peu étrange récemment (rires). Je pourrais aussi citer Emmylou Harris ou Ray LaMontagne avec lesquels il a travaillé. C'est une personne très discrète mais dans l'une de ses rares interviews j'avais pu lire que sa qualité première était sa faculté d'adaptation à son environnement et aux personnes avec lesquelles il collabore, alors je l'ai rencontré et durant quelques jours je lui ai exposé ma vision de la musique et mes craintes par rapport à mes défauts, notamment mes lacunes dans la composition.

Tu étais donc à la recherche d'un profil très particulier pour t'accompagner sur ce disque ?

Je ne voulais pas choisir un producteur pour le simple plaisir d'avoir une personne de renom dans le studio. Charlie Fink de Noah And The Whale avait parfaitement cerné mes besoins lors de l'enregistrement de mon premier album, il avait pris les choses en main et m'avait beaucoup aidée, même si notre méthode de travail était très libre et relaxée. Mes aspirations étaient cependant différentes cette fois-ci et je souhaitais être épaulée par une personne capable de véritablement cadrer les sessions de travail, peut-être d'une manière plus professionnelle et orientée. Sans vouloir offenser Charlie bien entendu !

Tu as choisi d'intituler l'album I Speak Because I Can. Peux-tu m'en dire plus sur ce choix ?

J'ai simplement choisi ce titre... car c'est aussi celui de la dernière chanson du disque. J'avais déjà suivi le même raisonnement pour mon premier album et l'idée me semblait cette fois encore adaptée. Je pense aussi que les deux titres s'enchaînent en quelque sorte quand ils sont lus à la suite, ce sont tous les deux de vraies affirmations. Un ami m'a récemment fait remarquer l'aspect provocateur d'une phrase telle que « I speak because I can », mais dans le contexte de la chanson, son sens est à l'opposée. Peut-être vais-je réaliser à la vue des réactions du public que j'ai fait une erreur (rires) !

Les textes présents sur cet album semblent une fois encore très personnelles. Quels sont les principaux sujets traités ici selon toi ?

J'aimerais que les personnes qui écouteront l'album prochainement soient capables de m'expliquer leur perception de mes textes... Je suis très consciente de mon état d'esprit lorsque je les ai écrits mais il est difficile de savoir quel va être le ressenti d'une autre personne. Quelques thèmes sont prédominants selon moi. Je pense par exemple à la transition entre l'adolescence et l'âge adulte, notamment le fait d'apprendre à faire ses propres choix sans pouvoir blâmer son entourage, mais aussi mon intérêt pour la féminité et le monde des femmes en général. Beaucoup d'éléments faisant partie de ma vie en réalité, mais aussi l'Angleterre en général et comment je m'y sens.

Ta musique a toujours été très marquée par les artistes américains mais tu mentionnes énormément tes racines et ton pays d'origine dans tes textes. Comment l'expliques-tu ?

Mon besoin d'écrire sur ces sujets est intimement lié à ma vie. Je suis très souvent amenée à être déracinée pour des tournées et à voyager loin de chez moi, alors j'aime écrire sur toutes ces choses qui me manquent, comme l'Angleterre ou Londres par exemple. Ce sont des choses que je ressens plus particulièrement lorsque je pars en tournée très longtemps en Europe ou aux Etats-Unis. Pourtant, la plupart des artistes que je considère comme des influences fortes sont américains !

Alpha Shallows est l'un des titres les plus marquants du disque, peux-tu m'en dire plus sur lui ?

Cette chanson traite du genre de personne que chacun rencontre un jour ou l'autre dans sa vie. Cette personne est très sûre d'elle et possède toujours un avis très marqué sur tous les sujets, sans toutefois être capable d'argumenter ou d'expliquer en quoi son avis est le plus juste. « Alpha Shallows » n'est qu'un surnom au final. J'avais écrit cette chanson à l'origine sous la forme d'un avertissement par rapport à ce genre de personnes mais le résultat est beaucoup plus obscur et pessimiste que je ne me l'étais imaginé. Je pensais la conclure sur une note d'optimisme en insistant sur le fait que tous les êtres humains sont faits de la même matière, mais j'y ai renoncé.

Au mois de décembre dernier tu avais publié le titre Goodbye England (Covered In Snow) sous la forme d'un single de Noël, comment était née cette idée ?

Il existe en réalité deux versions de cette chanson. La première avait été enregistrée dans mon appartement londonien sans Ethan Johns, et le résultat était vraiment mielleux avec des chœurs et des sons de cloche... Cette version était un véritable cliché mais nous avons voulu en faire notre single de Noël, juste pour notre propre plaisir. J'avais toujours rêvé jusqu'alors de pouvoir moi aussi sortir un single de Noël un jour (rires)...

L'édition limitée de ton album comprendra un DVD sur lequel figurent de nombreux extraits du concert que tu avais donné avec de nombreux invités au Royal Festival Hall de Londres...

C'était un concert vraiment très spécial pour nous tous. Nous l'avions à l'origine pensé comme une soirée, mais puisque je n'avais pas de véritable idée sur les animations en mettre en place nous l'avons dédiée aux communautés. Concrètement, lorsque tu te sens chanceux et soutenu, tu ne peux que mieux vivre, et c'est cela que nous avions voulu mettre en avant. Mon histoire est étroitement liée à ce mode de pensée... Lorsque j'ai commencé à me faire connaître j'étais une jeune fille très timide et renfermée, je n'étais pas capable de faire les choses par moi-même mais j'avais la chance d'être très entourée et d'avoir de vrais guides à mes cotés. Durant cette soirée au Royal Festival Hall nous avons donc fait la part-belle à ces interactions entre nous tous, entre ceux qui étaient proches depuis longtemps et ceux qui se connaissaient moins. Beaucoup d'entre nous ont joué des chansons à cette occasion, à commencer par Mumford And Sons, Johnny Flynn, Peggy Sue ou Pete Roe, mais je les ai aussi tous interviewés sur leur perception de notre petite troupe de musiciens.

Tu as longtemps été accompagnée à la batterie par Marcus Mumford de Mumford And Sons. Comment as-tu vécu son départ lorsqu'il a choisi de se consacrer à son groupe ?

Marcus et moi avons commencé à donner des concerts ensemble il y a quelques années car aucun de nous deux n'avait d'argent de côté, c'était notre mode de vie. Il jouait de nombreux instruments, je chantais, et il existait une alchimie parfaite entre nous deux... notre musique était un peu banale mais le public nous appréciait. J'ai traversé une crise très difficile lorsque Marcus a été contraint de mettre un terme à notre collaboration, je n'avais pas la moindre idée de comment je pourrais continuer à jouer de la musique sans lui. Désormais je me suis adaptée, je suis moins dépendante, et lorsque je pars en tournée en Europe, aux Etats-Unis ou en Australie je suis entourée de différents musiciens en fonction des lieux.