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Edwyn Collins

Interview publiée par Anne-Line le 22 septembre 2010

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Edwyn Collins est un miraculé. Après avoir souffert de deux AVC et d'une infection nosocomiale en 2005 et 2007, le légendaire auteur de A Girl Like You est diminué mais pas abattu. Entouré de ses amis et de son complice Seb Lewsley, il est retourné en studio comme si rien ne s'était passé. Le résultat, l'album Losing Sleep, est un formidable hymne au positivisme et l'énergie de vivre. Nous sommes allés à la rencontre du songwriter écossais, accompagné de sa femme et manager Grace Maxwell, pour évoquer cette aventure extraordinaire, et les acteurs du projet parmi lesquels figurent son fils William, The Cribs, Franz Ferdinand, The Drums, The Magic Numbers et Roddy Frame d'Aztec Camera...

Tout d'abord, félicitations pour ce nouvel album très réussi ! Les critiques sont très positives, t'y attendais-tu ?

Edwyn : C'est vrai ? Merci beaucoup !
Grace : Oui, c'est vrai qu'on entend beaucoup de choses positives ! L'accueil est juste formidable.
Edwyn : J'ai découvert que j'aimais de nouveau écrire des chansons rapides. Avant, je pouvais faire toutes sortes de chansons, des lentes, des rapides, des medium. Maintenant, je redécouvre mon envie de faire des choses agressives et furieuses (rires) !

Au-delà du tempo des chansons, le son de l'album est très brut, très direct...

Grace : Oui, je pense que c'était un parti pris dès l'enregistrement.
Edwyn : On peut dire que Seb, mon ingénieur du son, est un génie ! On a tout appris ensemble. Il y a beaucoup de choses que je ne peux plus faire moi-même maintenant...
Grace : ...mais ton sens de la production est resté intact ! Edwyn et Seb travaillent ensemble depuis dix-sept ans. Alors quand Edwyn est revenu au studio après sa maladie, Seb était vraiment excité de pouvoir retravailler avec lui ! Ils forment une équipe qui gagne.
Edwyn : Seb et moi, c'est l'union parfaite.
Grace : Ce sont des âmes soeurs (rires) !
Edwyn : Avant, par exemple à l'époque d'Orange Juice, je travaillais seul, c'était assez dur. Et puis j'ai rencontré Seb pour Gorgeous George (ndlr : l'album où figure A Girl Like You)...
Grace : Donc ça commence à dater ! Ils ont vraiment trouvé leur équilibre en matière de son, de matériel, de méthodes de travail.
Edwyn : C'est de là que vient l'énergie.

Cet album possède un line-up assez impressionnant d'invités. Comment cela s'est-il construit ?

Edwyn : En fait, c'est assez simple. Par exemple pour les Cribs, c'est Ryan qui est passé un jour au studio...
Grace : ...ce qu'il fait souvent ! Ryan est toujours là, il fait partie de la famille.
Edwyn (imitant Ryan) : Les mecs, je peux faire une chanson avec vous ? Et voilà, What Is My Role? (rires) ! Cette chanson, c'est du punk. Du Magazine, tu vois...
Grace: C'est vrai qu'il y a un côté DeVoto...
Edwyn : J'ai écrit deux chansons avec Ryan, celle-ci et puis I Still Believe In You.
Grace : Il est très facile pour Edwyn et Ryan de travailler ensemble, Edwyn a déjà produit les Cribs (ndlr : sur leur album The New Fellas)donc ils se connaissent très bien.
Edwyn: Quant à la chanson Come Tomorrow Come Today, c'est Johnny Marr qui l'a écrite. Et j'ai tout de suite voulu la chanter.
Grace : Rien n'a été calculé en ce qui concerne la venue des invités. Ce sont juste nos amis, ils venaient boire le thé, et ils repartaient avec une chanson !
Edwyn : C'était très spontané. C'est venu très naturellement.
Grace : On s'est vraiment bien amusé !
Edwyn: ...sauf sur les deux derniers morceaux, All My Days et Searching For The Truth !
Grace : Ah oui ! Les deux chansons lentes à la fin de l'album (rires) !

Quel rôle a joué William, votre fils ?

Edwyn : Il joue de la batterie sur All My Days...
Grace : Oui ! Il a un jeu de batterie disons, assez minimal (rires). Il a aussi joué de la basse sur Over The Hill, c'est lui qui écrit la ligne. Par contre, il me semble que ce n'est pas lui qu'on entend sur la version de l'album, il n'était pas assez bon pour jouer ce qu'il a lui-même écrit (rires) !
Edwyn : C'est Barrie Cadogan qui a fini par la jouer, il est beaucoup plus rapide.
Grace : C'est lui qui nous a présentés The Drums. Il a vingt ans et joue très bien de la guitare.
Edwyn : Il a joué une première fois avec moi lors d'une session radio, sur une de mes guitares. Ma Telecaster de 1965...
Grace : Mon Dieu, combien l'as-tu payée ? Oh non, je préfère ne pas savoir (rires) !
Edwyn : À peu près 4000 ou 5000 Livres Sterling. Maintenant il ne veut plus trop traîner avec moi. Je suis sans doute trop vieux pour lui. On est de vieux schnocks pour lui !
Grace : Au fond je pense qu'il est très fier de toi. Surtout quand il te voit jouer sur scène. C'est lui qui nous a présentés The Drums, donc, ils sont ses amis, et il nous a dit « Ils sont très fans de papa » (rires). C'était très amusant de travailler avec eux, bien qu'ils soient d'une autre génération.
Edwyn : Ça m'a étonné qu'ils soient fans d'Orange Juice. Ils nous aident à rester au courant de ce qui se passe dans le monde !
Grace : C'est vrai qu'on est souvent coupés du monde, avec tout ce qui s'est passé.

Cela doit être très intéressant de travailler avec Barrie Cadogan (ndlr : de Little Barrie), c'est un musicien exceptionnel, pouvez-vous me parler de lui ?

Grace : Les conditions de notre rencontre, pour l'enregistrement de leur premier album, étaient très amusantes. Ils avaient tous un travail à côté, et il n'y avait qu'un seul jour dans la semaine où ils pouvaient tous se réunir, c'était le mercredi. Ils ont enregistré l'album en une vingtaine de mercredi (rires) !
Edwyn : Barrie est vraiment un guitariste extraordinaire.
Grace : Il a été d'un énorme soutien. Il a été présent dès le premier morceau pour cet album, qui était d'ailleurs Losing Sleep. Il me disait l'autre jour qu'il était déterminé à réapprendre à Edwyn à jouer de la guitare quand il aura le temps. Barrie voit les choses de son point de vue de guitariste, et il se dit que si un jour il ne pouvait plus jouer, ça le tuerait ! Ce serait pour lui une torture.
Edwyn: En réalité je peux encore jouer les accords avec ma main gauche, mais c'est mon bras droit qui est bloqué. C'est vrai que j'aimerais bien pouvoir rejouer de la guitare, mais... Je peux faire d'autres choses !
Grace : Tu peux chanter, tu peux donner des concerts, tu peux écrire des chansons, tu peux enregistrer des albums, tu peux produire... C'est déjà fantastique de pouvoir à nouveau faire tout cela ! Nous sommes contents de ce qu'il a pu récupérer, au lieu d'être triste de ce qu'il a pu perdre. Mais Barrie est vraiment un grand soutien. Et lorsqu'il joue en live avec Edwyn, il rend les gens fous (rires) ! Il joue les parties d'Edwyn en concert, par exemple sur A Girl Like You, et il rajoute des solos complètement fous !
Edwyn : Chaque fois qu'il joue, il crée quelque chose de différent. Il ne joue jamais une chanson deux fois de la même manière. Il y va toujours à fond.
Grace : Malheureusement, Barrie ne pourra pas être avec nous sur la tournée européenne, car à ce moment-là il sera occupé avec Primal Scream.

Concrètement, qu'est-ce que la maladie a modifié dans ta manière de travailler ?

Edwyn : J'ai dû réapprendre à jouer de tout. Je peux jouer du piano, mais je ne peux pas de la guitare. Je dois dire aux autres quoi jouer, à Johnny Marr, à Barrie Cadogan ou à Alex Kapranos.
Grace : Edwyn a beaucoup de chance en ce qui concerne les musiciens, aussi bien en studio que sur scène. Avant cet album, Edwyn avait tendance à devenir un peu autarcique. Presque un despote... maintenant il doit s'habituer à dépendre des autres. Mais finalement ça lui a fait du bien. N'est-ce pas ?
Edwyn : Bien sûr! Ce n'était pas du tout un problème. Plus de batailles d'ego...
Grace : Voilà, personne n'était là pour sa fierté personnelle.

Donc cet album a vraiment été enregistré entre amis, en famille même ?

Grace : Pendant l'enregistrement, Seb a eu un bébé. Nous discutions du nom qu'il pourrait lui donner, et c'est Ross Jarman, qui a lancé l'idée de l'appeler Sebwyn. C'est comme ça qu'il appelle Seb et Edwyn, parce qu'ils sont toujours ensemble (rires) ! Johnny Marr est venu de lui-même nous demander de participer à un morceau, parce qu'il voyait tout le monde le faire, il voulait sa part du gâteau (rires) ! Il avait ce titre dans sa tête, Come Tomorrow Come Today, depuis très longtemps. Il s'est dit que c'était l'occasion. Avec Edwyn ils ont travaillé autour de ce titre pour construire la chanson.

Pourquoi avoir choisi comme couverture du disque des dessins d'oiseaux ?

Edwyn : Je ne sais pas, il faut demander à Grace, c'est elle qui a choisi. C'est moi qui les ai dessinés. J'adore dessiner les animaux. Des castors, des ratons-laveurs, des souris...
Grace : C'est bien moi qui ai choisi le motif des oiseaux. J'ai fait créer le design par les fabricants de tissus Liberty, pour les imprimer sur des tissus. Le résultat était tellement beau que j'ai décidé d'en faire la couverture de l'album. Ce qui est drôle, c'est qu'au début, la maison de disques n'a pas du tout aimé !
Edwyn : J'ai dit « Et alors ? » (rires) !
Grace : Ils pensaient que ça ne reflétait pas bien le son de l'album. Moi je trouve que c'est une image très forte.

Edwyn, pendant le processus de convalescence, t'es-tu posé la question de savoir si tu allais continuer à être un musicien ?

Edwyn : Pas pendant les six premiers mois. Tout ce que je pouvais dire, c'était « oui », « non », et « Les possibilités sont infinies ». Sans arrêt. Et aussi « Grace Maxwell, Grace Maxwell, Grace Maxwell... ».
Grace : C'est un des symptômes de l'aphasie. On peut se retrouver coincé dans une boucle. Comme un disque rayé. Heureusement, ça n'a pas duré trop longtemps. Après l'hospitalisation, nous avons dû travailler sur le ré-apprentissage du langage, avec deux orthophonistes formidables. C'est assez effrayant quand on y repense, il y a deux ans, Edwyn n'aurait pas pu avoir le genre de conversation que nous avons en ce moment.
Edwyn : Mais pour chanter, je n'ai pas de problèmes ! Je ne suis pas très au point pour le langage, mais je m'en sors.
Grace : Il n'y a pas si longtemps, Edwyn parlait dix fois plus lentement qu'aujourd'hui.
Edwyn : Le première fois que je suis remonté sur scène, au Dingwalls à Londres, j'avais très peur. J'ai fait beaucoup d'erreurs.
Grace : Bien sûr, c'est un peu moins fluide qu'auparavant, mais on ne se dit pas qu'il y a un gros problème ! Apparemment, la musique réside dans une autre partie du cerveau que le langage, donc c'est plus facile pour Edwyn d'y accéder. En fait, retrouver le sens de la musique a été capital, puisque ça l'a aidé à retrouver plus vite d'autres aptitudes. Donc on n'y a pas pensé tout de suite en tant que métier, mais plus comme un moyen de progresser vers la guérison. Edwyn avait tout perdu : le langage, la lecture, l'écriture, le sens de l'orientation, la mémoire... Sur scène, il a des feuilles avec les paroles de ses propres chansons. Il a du mal à lire et chanter en même temps, mais ça le rassure.

Edwyn, as-tu lu le livre que Grace a écrit sur votre nouvelle vie, Falling And Laughing ?

Edwyn : J'ai lu quelques extraits. J'ai pleuré. C'était très émouvant. Je me souviens de la dernière phrase: « Aujourd'hui, nous marchons sous le soleil ».