Brève rencontre avec Frances McKee et Eugene Kelly le samedi 29 janvier dernier, juste avant leur concert au Festival Mo'Fo' organisé dans la salle de Mains d'Oeuvres à Saint-Ouen afin de défendre leur excellent second album, Sex With An X.
Heureux de retrouver la scène des Mains d'Oeuvres ? Comment se passe la tournée ?
Eugene : On a fait une pause d'un mois, et là c'est le troisième ou quatrième concert qu'on donne, mais ça fait presque deux ans qu'on tourne à nouveau. Et à Paris, on a plutôt de bons souvenirs. On a déjà joué ici en solo ou avec les Vaselines aussi, le public était très sympa.
Quel type de public avez-vous, justement ? Plutôt des adolescents ou des gens qui étaient adolescents dans les années 80s ?
Frances : Certains sont vraiment très jeunes, d'autres ont... notre âge ! C'est assez mélangé.
Eugene : Oui, ça dépend des soirs. A Sheffield l'autre jour c'était assez varié. Parfois on a un public plutôt âgé... Je pense aussi qu'on ne se rend pas bien compte parce que les plus jeunes viennent juste devant la scène, alors que les quadragénaires retournent derrière en disant« aïe, mes genoux »..
Y a-t-il des enfants qui viennent vous voir à la fin des concerts pour vous dire « C’est cool, vous avez fait des reprises de Nirvana ! » ?
Eugene : Oui, ça arrive malheureusement, c'est vraiment agaçant !
Comment en êtes-vous arrivés à cette idée de refaire un album ensemble ?
Eugene : On a donné quelques concerts ensemble et on a réalisé qu'il nous faudrait de nouvelles chansons. On en a écrit quelques unes, on a décidé de se voir une fois par semaine pour composer jusqu'à ce qu'on ait assez de chansons pour nos concerts.
Frances : On voulait voir ce qui arriverait si on remontait nos manches. On s'y est mis et on a réalisé que ça nous plaisait, que c'était ça qu'on aimait faire, alors on a simplement continué. C'est comme ça que ça s'est fait.
Et comment avez-vous produit l'album, pour obtenir ce son assez DIY ?
Eugene : On ne sait pas faire autre chose, c'est la seule façon qu'on connaît de produire. Et puis l'argent est toujours limité, ce qui nous oblige à enregistrer rapidement.
Frances : On a délibérément choisi un studio analogique. On ne voulait pas utiliser d'ordinateurs, on voulait retrouver la chaleur des enregistrements d'autrefois. Je crois qu'on était tous les deux d'accord sur le fait que la technologie a tellement évolué qu'elle a privé certaines musiques de leur âme. Ce n'est pas vrai pour tous les groupes qui utilisent des ordinateurs, évidemment, mais pour nous, il était évident qu'il fallait garder un lien avec ce qu'on avait fait par le passé.
Eugene : Et l'album a un son live, un son de grabuge.
Frances : On voulait le faire rapidement pour garder cette énergie dans laquelle on baignait.
C'est un disque très adolescent, dans ses thèmes et dans le son en lui-même. Vous vous voyez comme d'éternels ados ou c'est avec un recul ironique ?
Eugene : On avait vingt-et-un ou vingt-deux ans à l'époque où on a commencé, alors les Vaselines ont toujours cet âge quelque part... c'est très jeune. Donc on peut jouer des chansons des Vaselines en transmettant cette impression d'être plus jeunes. C'est vrai aussi qu'on chante sur ce qu'on ressent, on ne se sent pas capables de parler des grands problèmes du monde, alors on reste dans la simplicité et le fun. On a plein de chansons qui sont assez humoristiques, et on veut continuer à ce que ce soit fun pour nous et pour le public, même si aujourd'hui on pourrait être très ennuyeux et chanter sur des sujets ennuyeux...
Mais sur ce disque-là, ce qui est amusant, justement, c'est de vous voir, à quarante ans passés, chanter sur le désir adolescent...
Eugene: Tout ce qu'on fait est assez ironique. On est sérieux dans notre travail, mais sans nous prendre nous-mêmes au sérieux. On ne veut pas devenir pompeux, juste prendre du plaisir dans ce qu'on fait. On ne fait pas semblant du tout, on veut juste que ce soit un plaisir, pour nous et pour le public.
Cette idée de ne pas se prendre au sérieux, c'est un certain esprit punk. Vous acceptez ce qualificatif ?
Eugene: Oui, mais c'est aussi du pop rock, du garage rock, de l'indie rock...
Frances : Je crois que pop-punk nous définirait assez bien.
Eugene : Dans les années 80s, on arrivait sur une scène post-punk, tout le monde était plus ou moins post-punk et nous on était post-post-punk, et c'est pour ça qu'on a encore cette énergie du punk-rock, cette excitation... C'est aussi qu'on ne savait pas très bien jouer, donc on était obligé de gratter nos guitares de façon assez agressive, et c'est de la que vient cette énergie, de notre manière de jouer.
A partir de là, quand on regarde la pochette de l'album qui évoque le luxe et l'élégance, il y a quelque chose d'un peu paradoxal, qui ne colle pas avec cet esprit fun et un peu amateur...
Frances : Oui, on était tombés sur cette alcôve dans un hôtel, toute tapissée de rouge. On a trouvé ça cool, et on s'est dit qu'on pourrait s'habiller en noir, on aimait bien les deux couleurs ensemble... Aujourd'hui, quand je vois l'album, je suis un peu mal à l'aise parce que ça ne nous ressemble pas, mais si on regarde l'arrière de la pochette, où je suis en train de rigoler, on voit qu'on est ironiques. On s'est dit qu'en voyant ce nouvel album, les gens diraient « Tiens, les Vaselines qui veulent faire du pognon », alors on a fait cette mise en scène...
Eugene : On aurait dû boire du champagne sur la photo...
Frances : Et puis, c'est une image forte, c'est le principal !
Eugene : Je ne suis plus si sûr que je l'aime, cette photo...
Frances : Moi non plus !
Eugene : Au début, on ne voulait pas figurer nous-mêmes sur la pochette, mais face à l'insistance on a décidé de faire quelque chose comme ça.
Quelle image avez-vous de la scène contemporaine, à Glasgow notamment ?
Frances : A l'époque où on a commencé, il n'était pas du tout nécessaire d'être bon partout, il n'était même pas obligatoire de bien savoir jouer de son instrument. Aujourd'hui je crois que la pression est énorme pour les groupes, qu'ils doivent être vraiment très très bons... ce qui n'était pas vraiment vu comme une bonne chose à nos débuts. Nous, quand on va voir un groupe, on aime voir les erreurs, les défauts...
Mais s'ils sont meilleurs instrumentalement parlant, sont-ils meilleurs dans l'absolu ?
Frances : Absolument. On est complètement aigris parce qu'ils jouent mieux que nous.
Eugene : On est très jaloux.
Frances : Il me semble qu'après toute la banalité des années 90s on a maintenant un retour de la bonne musique. On peut trouver de la musique vraiment fantastique. Mais en terme de ce qui est populaire, c'est juste affligeant.
Donc tu as l'impression qu'on vit un tournant actuellement ?
Frances : Oui, le tournant est nécessaire d'ailleurs, parce que quand j'écoute ce que les gamins écoutent aujourd'hui, je me dis « Mais c'est ça qui les passionne ? ». C'est mal...
Vous êtes toujours actifs à Glasgow, vous suivez un peu ce qui s'y passe?
Eugene : On y a joué en septembre. Je ne vais plus aussi souvent voir des concerts qu'autrefois, il y a dix ans j'y allais tous les soirs, mais ce n'est plus possible quand on a la quarantaine. Alors non, je ne sais pas vraiment ce qui se passe à Glasgow.
Frances : Je sors peu de manière générale. J'essaie de voir autant de concerts que je peux, mais pas autant que je voudrais. Cela dit, je connais pas mal de groupes qui montent, et c'est plutôt bon.
Vous prévoyez de jouer chacun en solo à nouveau ?
Eugene : J'en ai eu vraiment marre d'être seul en scène, je me sentais trop isolé. Et puis, à ce moment-là, je faisais des premières parties, donc dans le public personne ne voulait me voir moi puisqu'ils venaient voir la tête d'affiche, alors c'était moi contre le public... donc je n'ai vraiment pas envie de revenir en solo. Mais j'ai beaucoup de chansons déjà écrites dont je ne sais pas quoi faire.
Frances : Oui, j'ai des choses que je voudrais bien enregistrer, je ne sais pas ce que j'en ferai, mais sans doute un autre album solo. C'est une histoire de processus, on commence à écrire une chanson, et on ne sait pas où ça va aller ensuite, et j'aime ce genre d'incertitude...
Vous prévoyez de rejouer ensemble, alors ?
Frances : C'est possible.
Eugene : On ne fait pas de projets...
Frances : On ne dit ni oui ni non. Mais j'espère que oui, on fera quelque chose un jour.
Dernière question : Avec ce nom, les Vaselines, qui évoque pour les Britanniques une marque de baume à lèvres, vous jouiez aussi sur la connotation sexuelle ?
Frances : Bien sûr que non !
Eugene : C'est un ami qui nous avait suggéré ce nom. Au début on n'était pas très chauds, mais comme ça marchait bien, on l'a gardé... C'était l'époque des groupes en V, avec Vashti Bunyan ou Velvet Revoler. Et j'aime la forme de cette lettre...