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Elbow

Interview publiée par Fab le 27 avril 2011

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Devenus l'un des groupes phares de la scène musicale britannique avec The Seldom Seen Kid, Elbow ont sorti il y a quelques semaines un cinquième album studio, Build A Rocket Boys!, rapidement adopté par le public et les journalistes. De passage à Paris, Guy Garvey et Pete Turner nous ont fait l'honneur d'un bilan de leur carrière...

Vous avez vécu beaucoup de choses depuis votre dernier concert en France dans la salle du Bataclan en 2008...

Guy : Oh oui ! Notre précédent album est soudainement devenu une sorte de supernova, du moins au Royaume-Uni ! Après avoir profité des retombées nous avons décidé qu'il était temps de nous remettre au travail et l'accueil réservé à Build A Rocket Boys! a été tout aussi enthousiasmant. Suite à sa sortie, nous avons organisé une tournée dans des Arenas au Royaume-Uni, ce qui était une première pour nous. J'ai ressenti un incroyable sentiment d'accomplissement à cette occasion. Après tout, cela fait maintenant près de vingt ans que nous jouons de la musique ensemble, ce n'est pas rien...

Une telle longévité est devenue rare à notre époque, comment expliquez-vous votre capacité à durer ?

Guy : Ce que je vais dire est un vrai cliché, mais si la musique ne nous avais pas unis, nous ne serions plus là aujourd'hui. Nous aimons toujours autant écrire des chansons ensemble et nous nous respectons comme au premier jour, en plus d'être toujours restés très soudés tous les cinq. Tout le monde apprécie mon humour, c'est une raison de plus pour continuer (rires) !
Pete : Guy est convaincu qu'il est le plus drôle d'entre nous... mais il est le seul à le penser (rires) ! Il y a quelques temps nous en avons discuté en studio mais les votes ont été unanimes pour me choisir ! Je pense que nous avons eu beaucoup de chance de nous trouver un jour, nous sommes tous devenus une véritable famille les uns ou pour les autres. Le climat est très sain.

Vous avez connu des hauts et des bas durant toutes ces années, avez-vous douté un jour de la solidité du groupe ?

Guy : Seuls nos besoins ont pu être à la source du doute. Nous ne sommes plus très jeunes et nous avons maintenant des familles à nourrir, c'est un paramètre important à prendre en compte ! Durant l'enregistrement de The Seldom Seen Kid, nous vivions avec l'argent que nous avions été capables de mettre de coté durant les années précédentes. Nous n'avions plus de maison de disques et notre situation financière devenait compliquée, tout comme notre situation contractuelle avec un label devenu progressivement de plus en plus petit. Nous ne savions vraiment pas ce qu'il allait advenir d'Elbow et de cet album en cours d'enregistrement. Si aucune maison de disques ne s'était présentée, nous l'aurions peut-être mis en téléchargement avant de passer à autre chose.

Heureusement pour vous, Fiction Records se sont présentés...

Guy : Lorsque nos réserves d'argent auraient été à sec, nous n'aurions pas eu d'autre choix que de laisser le groupe derrière nous et chercher du travail. Tu connais la suite... Pour en revenir à la question, seuls des éléments extérieurs au groupe auraient pu éventuellement nous pousser à arrêter à un moment donné.

Comment votre arrivée chez Fiction Records s'est-elle déroulée ?

Guy : Stephen Fretwell, un très bon ami à nous, est signé depuis plusieurs années chez Fiction Records. Nous savions donc grâce à lui que cette maison de disques pouvait correspondre à nos attentes. Les premiers contacts remontent à l'époque de Leaders Of The Free World lorsque notre label était en passe de s'effondrer. Ils souhaitaient déjà travailler avec nous et relancer la promotion du disque mais l'idée avait été abandonnée pour des raisons contractuelles. Ils ont par la suite accepté de nous offrir un contrat sans avoir entendu la moindre note de The Seldom Seen Kid, ce qui était pour nous une incroyable preuve de confiance et de respect. Nous n'aurions pas pu rêver mieux compte tenu de notre situation.

Comment expliquez-vous que The Seldom Seen Kid ait rencontré un tel succès ?

Pete : Durant les mois ayant suivi sa sortie, beaucoup de choses très positives nous sont arrivées, des choses sur lesquelles nous n'avions pourtant aucun contrôle. Le disque s'était plutôt bien vendu avant que nous remportions le Mercury Music Prize, mais après tout a pris une ampleur très différente. Je ne sais pas si nous aurions remporté d'autres récompenses sans le Mercury Music Prize, mais à cette époque nous avions le sentiment que la terre entière était à nos cotés et nous soutenait. J'imagine que notre tour était venu...
Guy : Nous ressentions un sentiment positif général vis à vis de nous, à la fois chez les critiques et le public, ce qui est somme toute assez rare. La presse britannique a pour réputation d'encenser des groupes afin de les porter aux sommets... pour pouvoir mieux les critiquer et les faire descendre la suite. Lorsqu'un artiste devient trop populaire, il est cool pour eux de lancer des attaques pour lui porter préjudice. C'est avec ce genre de procédés qu'ils font de l'argent. Lorsque le choix du vainqueur du Mercury Music Prize doit être effectué, il y a beaucoup de débats plus ou moins sains dans les médias, mais pour The Seldom Seen Kid une forme d'unanimité générale est apparue. Plus que le fait qu'Elbow ait été choisi, je préfère retenir le fait que tous les décideurs étaient derrière nous. Ce n'est sans doute qu'une question de temps avant que certaines personnes ne cherchent à nous bousculer, mais nous sommes prêts, nous avons vécu suffisamment de choses pour résister à tout cela.

Le Mercury Music Prize n'a-t-il pas constitué une sorte de déclencheur ?

Guy : Certainement. Durant le reste de l'année, nous avons remporté plus de trophées et de prix que nous n'aurions jamais pu l'imaginer. Toutes ces choses fantastiques sont parties de là, mais je retiens principalement le Mercury Music Prize et l'Ivor Novello reçus pour cet album. Le premier parce que nous avions déjà eu une chance de le remporter il y a quelques années, et le second parce qu'il est décerné par les musiciens eux-mêmes et non des journalistes.

Vous venez de sortir un nouveau disque, Build A Rocket Boys!, dont le titre ressemble à une forme d'encouragement...

Guy : C'est effectivement un titre directement adressé à des personnes. Il est extrait d'une chanson dont l'inspiration est venue spontanément en regardant des adolescents jouer dans la rue près de chez moi. Ma réaction première fut une forme d'inquiétude face à un ce groupe d'individus inconnus, puis progressivement j'ai réalisé que j'étais dans la même situation dans ma jeunesses, en train de m'amuser dehors dans la rue avec mes amis. Nous sommes à un moment de nos vies où nous avons le devoir prendre nos responsabilités et protéger nos familles et nos maisons, et j'imagine que cette évolution nous amène à être plus méfiants vis à vis des autres personnes. En découle parfois des préjugés comme celui-ci qui n'ont pas lieu d'être. J'ai l'impression de débuter un nouveau chapitre de ma vie avec la quarantaine et de découvrir de nouvelles manière de penser ma vie. C'est ce dont parle ce nouvel album.

Comment ce parallèle entre votre vie actuelle et celle que vous meniez lorsque vous aviez vingt ans s'est-il manifesté ?

Guy : Une des chansons de l'album, Jesus Is A Rochdale Girl, symbolise tout cela. Lorsque j'avais environ vingt ans, j'habitais dans un appartement merdique. Je n'avais pas d'argent, pas de vêtements ni de quoi me nourrir. Malgré cela mes amis étaient toujours à mes cotés, tout comme cette superbe fille que j'aimais profondément et qui s'occupait de moi et m'amenait à manger. Cela me semblait complètement insensé qu'une telle personne puisse s'occuper autant de moi alors que tout allait si mal. C'est à cette époque que j'ai perdu ma foi en la religion et en Dieu. La jeune fille en question était originaire de Rochdale, d'où le titre de cette chanson. Lorsque nous étions en studio et que j'ai entendu pour la première fois les premières instrumentations de la chanson, délicates et douces, le besoin de me projeter en arrière et d'écrire sur cette période de ma vie est devenu une évidence. Je crois que je n'ai jamais eu autant de facilité à écrire durant toute notre carrière.

Le succès rencontré avec The Seldom Seen Kid ne s'est-il pas accompagné de pression ou d'une nécessité de faire aussi bien avec ce nouvel album ?

Guy : Cela aurait été logique, mais après avoir emmagasiné tant d'expériences au fil des années, nous avons appréhendé ce nouvel album comme une chance inespérée de pouvoir montrer à un public plus large quel est notre univers. Il n'existait aucune pression par rapport à un besoin de continuer à vendre autant de disques, cela aurait sans doute gâché tout le plaisir que nous avons pris ensemble dans le studio.
Pete : Je me souviens qu'à l'époque d'Asleep In The Back, il me semblait impossible de pouvoir composer un disque du même niveau. Avec le temps, j'ai compris que les connaissances acquises pour chaque disque te servent pour le suivant. L'expérience qu'a constitué l'enregistrement de Build A Rocket Boys! a été fantastique pour nous, aucun élément négatif n'est venu nous freiner ou nous inquiéter.

Cet album est certainement l'un des plus homogènes de votre discographie. Il ne contient aucun single à proprement parler mais tous les titres s'emboitent pour constituer une atmosphère particulière...

Guy : Craig, notre claviériste et producteur, a beaucoup œuvré en ce sens. Ce n'est pas un simple musicien désireux de produire son groupe, il est désormais reconnu pour son travail sur nos disques et les différents prix qu'il a pu recevoir en attestent. Son idée première était de créer un album plus simple, pensé comme une bande originale de film ou un album photo que l'on pourrait feuilleter. Ce disque montre toute la confiance que nous avons acquise en nous-mêmes et en Craig. Nous sommes tous des perfectionnistes et chaque son présent sur l'album a été pensé et réfléchi.

Le choix de laisser Craig produire cet album était-il une évidence dès le départ ?

Guy : Nous avons discuté de la possibilité de faire appel à un producteur extérieur et personne n'était contre à l'idée... à condition que Craig y trouve une certaine nécessité. Notre réflexion a été guidée par notre vision de l'album. Si nous avions voulu enregistrer des chanson très groovy, nous aurions pu faire appel à Ben Hillier par exemple, mais ce n'était pas pertinent pour Build A Rocket Boys!. Après tout, le fait que le producteur du disque soit un membre du groupe rend la chose plus excitante encore.
Pete : Le mode de fonctionnement de notre maison de disques actuelle nous permet ce genre de luxe. Avec d'autres personnes, nous aurions sans doute eu des comptes à rendre sur notre avancée et chacun aurait exprimé son point de vue sur nos chansons avec des conseils personnels plus ou moins pertinents.

La liberté dont vous jouissez actuellement sur ce point donc un facteur important de votre réussite ?

Pete : Pour Leaders Of The Free World, nous sentions qu'il nous manquait encore quelque chose et c'est pour cela que nous avions sollicité une personne extérieure au groupe pour nous aider. A partir de The Seldom Seen Kid, Craig avait accumulé assez de confiance et de connaissance pour réaliser les choses seul.
Guy : L'élément le plus important dans ce processus est la confiance en soi. Une fois que tu l'as, tu n'as plus de barrière. Craig est souvent présenté comme la personne ayant produit nos derniers disques mais je sais qu'il est encore plus fier d'avoir réussi le mixage. Le processus de production est étroitement lié à l'enregistrement : nous sommes tous dans le studio et certaines décisions sont prises conjointement après des discussions. Le mixage, au contraire, est l’œuvre de Craig.

L'accueil réservé à Build A Rocket Boys! s'est avéré très positif, est-ce conforme à vos attentes ?

Guy : Je n'aime pas utiliser le terme d'attentes par rapport à un disque... Je préfère espérer. Nous prenons les critiques comme elles viennent, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, car nous n'avons pas la main dessus.

Votre dernière tournée en date en Angleterre vous a amenés à jouer dans les salles les plus importantes de votre carrière. A cette occasion, vous n'avez toutefois joué aucune des chansons de vos deux premiers disques...

Guy : Ce n'est pas une décision radicale. Chaque soir nous devons synthétiser notre carrière et nos cinq albums en l'espace de deux heures pour offrir le meilleur spectacle possible au public. Nous n'avons pas fait nos adieux à Asleep In The Back et Cast Of Thousands, nous avons simplement fait des choix pour cette tournée.
Pete : Cette tournée a été fantastique. La première date a eu lieu une semaine après la sortie de l'album et nous pouvions sentir progressivement que le public apprenait à le connaître de mieux en mieux. Beaucoup de gens ne nous avaient encore jamais vus en concert, ils ont donc vécu une forme de premier contact avec nous pour ces dates.
Guy : Durant ces concerts, nous avions un quatuor de cordes à nos cotés comme sur la tournée précédente de The Seldom Seen Kid. Pour une des dates, une chorale d'enfants nous a rejoints, tout comme Richard Hawley pour chanter The Fix à Sheffield. Nous avions quelques craintes en amont de la tournée mais nous ne voulions pas utiliser des effets superflus juste pour justifier notre présence dans de si grandes salles. L'idée était au contraire de placer le public au centre du spectacle, qu'il sente notre plaisir d'être là à jouer pour lui, de communier en quelque sorte. Chaque soir, je conversais beaucoup entre les chansons, et avant l'ouverture des portes, nous choisissions aussi une place assise dans les gradins et à un instant donné les projecteurs se braquaient sur celle-ci de manière à ce que nous puissions saluer la personne assise. C'est ce genre d'attentions pour le public que nous préférons aux effets pyrotechniques...

En juin, vous fêterez votre retour à Glastonbury sur la scène principale juste avant U2...

Guy : Ce sera fantastique. Nous n'avons pas encore décidé si nous allons mettre en place quelque chose de spécial.
Pete : C'est pour moi le meilleur festival au monde. Durant toute l'année c'est une petite ville, mais durant quelques semaines Glastonbury se transforme pour accueillir ce festival gigantesque.

Après avoir acquis une telle popularité dans votre pays, n'avez-vous pas envie de vous faire connaitre un peu plus en Europe et ailleurs dans le monde ?

Guy : Absolument ! Maintenant que nous nous sommes occupés du Royaume-Uni, c'est le moment (rires) ! Nous avons tous une famille, nous n'avons pas réellement envie de passer trop de temps en Amérique par exemple. Lorsque nous nous y rendons, ce n'est que pour y donner une poignée de concerts, nous préférons vraiment jouer plus en Europe. Je pense par exemple à la France ou l'Allemagne, ainsi qu'à la Belgique et aux Pays-Bas. Avec notre nouvelle maison de disques, j'ai bon espoir que nous puissions changer les choses en Europe.

Vous fêterez votre vingtième anniversaire en juin, qu'espérez-vous encore vivre avec Elbow dans le futur ?

Guy : Être le premier groupe à jouer sur la lune ? Jouer durant trois jours sans interruption (rires) ? Ou pourquoi pas une comédie musicale ? Je verrais bien Mark, notre guitariste, en train de chanter dans une cuisine !