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Bloc Party

Interview publiée par Julien Soullière le 20 août 2012

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Nous n'irons pas jusqu'à dire que nous attendions le nouvel album de Bloc Party comme d'autres ont attendu le Messie, mais savoir que le groupe était bel et bien de retour n'était pas sans nous coller des grosses étoiles dans les yeux. Et c'est par une chaude après-midi de juillet que nous avons rencontré Kele Okereke, leader de la formation britannique, pour parler d'un retour à la fois espéré et inattendu.

Quel est son sentiment par rapport au fait de revenir sur le devant de la scène avec Bloc Party ? Peux-tu nous en dire un peu plus sur les raisons qui expliquent ce retour : manque ou simple coup de tête ?

A la fin de notre tournée, en 2009, nous avons décidé de nous accorder une année sabbatique. Honnêtement, nous en avions besoin : nous étions épuisés, et nous nous sentions bien incapables de recommencer à faire quoi que ce soit ensemble à ce stade. Nous avions besoin de souffler, de prendre nos distances, ce qui est, je pense, tout à fait compréhensible. A la fin de l'année 2010, un an après cette décision, nous nous sommes retrouvés, et s'est alors posée la question de la suite à donner au groupe. Comme il n'y a jamais eu le moindre problème entre nous, nous nous sommes évidemment dit qu'il serait bien de travailler à nouveau ensemble et de plancher sur un nouveau disque. Puis, chacun est reparti de son côté, et pendant un temps, je n'ai pas su dire ce que les autres avaient vraiment en tête, s'ils réfléchissaient sérieusement à ce que pourraient être les nouvelles compositions du groupe, voire même, s'ils s'essayaient à écrire l'un ou l'autre morceau. Pour ma part, je n'osais pas trop prendre les devants, je préférais attendre que l'opportunité de se croiser à nouveau se présente, ce qui est finalement arrivé.
Me concernant, je crois que j'avais besoin de retrouver la spontanéité qui animait le groupe par le passé, et qui m'a sincèrement manqué à l'époque de The Boxer. Comprends-moi bien, j'ai adoré travailler en solo, néanmoins, j'avais besoin de retrouver ces discussions et ces échanges qui ont cours au sein d'un groupe, et qui font qu'au final un morceau est toujours différent de ce que tu avais en tête, mais en devient aussi bien meilleur. Je crois que nous avions tous envie de ça, et les choses se sont donc faites tout naturellement.

Tu as souligné l'importance que vous accordez au dialogue au sein du groupe, qu'est-il ressorti de ces échanges avec Russell, Matt et Gordon ? Four tient-il plus du nouveau départ que d'un adieu définitif ?

Pendant des années, nous avons été pris au piège de notre propre routine : studio, tournée, studio, tournée, etc... Une situation classique pour un groupe, mais qui use le collectif, et paraît bien souvent inextricable, d'où certaines séparations d'ailleurs. La machine dans laquelle tu es tourne à n'en plus finir, et tu as l'impression de ne plus avoir de vie en dehors de celle que tu as avec ton groupe. Russell, Matt, Gordon et moi, nous ne voulons tout simplement plus de ça. Si un album de Bloc Party voit le jour après Four, c'est qu'il aura été fait sans qu'on nous ait mis une quelconque pression, seulement parce que nous en avions envie. Bloc Party, ça doit rester un plaisir, rien d'autre.

Il y a quelques mois, la rumeur parlait de tensions au sein groupe, de ta mise à l'écart, de séparation. C'est d'ailleurs toi qui a mis le feu aux poudres lors d'une interview... Au final, tout ça ne serait qu'une énorme farce, destinée à faire parler la presse. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Il m'arrive de m'ennuyer en interview, et dans ces cas là, je me laisse parfois aller à dire certaines choses, comme ça, pour rire. J'adore rire. Ce que j'ai dit au NME, c'est que lorsque j'étais à New-York, j'ai aperçu notre guitariste, Russell, dans la rue un jour, et ai alors décidé de le suivre discrètement. J'ai également dit qu'à ma grande surprise, Matt et Gordon étaient eux aussi en ville, et attendaient Russell devant un grand bâtiment, dans lequel ils sont finalement rentrés. Celui-ci abritant un studio d'enregistrement, j'ai avoué avoir immédiatement pensé au pire. Voilà ce que j'ai dit, mais rien de tout ça n'était vrai. Enfin, tout ne l'était pas... La réalité, c'est que je ne pouvais rien dire de nos projets, il était encore trop tôt, et rien ne nous permettait de savoir à ce stade si les choses iraient dans le bon sens entre nous quatre. Pour tout te dire, j'ai pris plaisir à voir les proportions prises par toute cette histoire. Nous nous sommes un peu pris au jeu, oui, mais nous nous sommes surtout concentrés sur nous et notre musique. Peu importe ce que le monde extérieur pouvait dire ou penser, il fallait avancer et voir si l'alchimie était toujours de la partie.

Tu parais très décontracté, mais lorsque l'on jouit d'une certaine renommée, ce qui est le cas de Bloc Party, on doit quand même se sentir redevable de quelque chose, a minima vis à vis du public peut-être ? La pression t'est étrangère ?

La seule chose qui m'importe, et c'est comme ça depuis que je fais de la musique, c'est de faire du mieux que je puisse. Bloc Party, ce n'est pas, et ce ne sera jamais, l'histoire d'un album, du prochain, ou de celui qui a précédé. Ce qui définit un groupe, c'est l'ensemble de ce qu'il a fait, et fera, sous son nom. Et, à chaque fois qu'il fait quelque chose, il faut qu'il le fasse du mieux possible, en ayant en tête ce qu'il a déjà produit par le passé. J'aime cette notion de continuité. Elle est de toute façon inéluctable.

Parlons musique, maintenant. On le voit bien aux différents side-projects dans lesquels sont impliqués les membres de Bloc Party (Young Legionnaire, Pin Me Down...), vous avez tous des influences différentes, et des goûts qui le sont sûrement tout autant. Comment réussissez-vous à tirer au mieux partie de cette richesse ?

Pour être honnête, il n'y a pas de réelles discussions en ce sens. En tout cas, ce n'est pas si pro-actif. Il n'y a aucun a priori, et nous ne commençons jamais à travailler sur un album en nous disant qu'il faut obligatoirement qu'il soit le plus rock que nous ayons jamais fait, ou en instaurant une règle disant que chaque morceau doit être rempli à ras-bord de sonorités électroniques. Les choses se font assez naturellement, dès lors que nous sommes tous les quatre enfermés dans une pièce, à jouer de la musique ensemble.Nous sommes très différents, mais avons, je pense, une même vision de ce groupe, de ce que nous essayons de faire au travers lui. Nous sommes peut-être l'essence de Bloc Party, mais le groupe dépasse les individualités.

N'êtes-vous jamais aussi bons que lorsque vous êtes ensemble ? Peut-on parler d'âmes sœurs sur le plan musical ?

On ne peut pas dire ça, non. Je pense que Bloc Party est un projet, parmi d'autres, qui permet à chacun d'entre nous de nous exprimer, de faire de la musique tout en y prenant du plaisir. J'aime faire de la musique de mon côté, les autres aussi, et à partir de là, nous ne pouvons pas nous permettre de vouloir hiérarchiser, surtout que les différents groupes ou projets dans lesquels nous nous impliquons par ailleurs peuvent être très différents les uns des autres. Ce dont je suis convaincu, par contre, et ce d'autant plus que j'ai eu l'occasion de partir en tournée seul dans le cadre de la promotion de mon album solo, c'est qu'il est extrêmement plaisant de s'entourer et de travailler avec d'autres musiciens. Qu'ils s'appellent Russell, Gordon et Matt ou non !

Tes propos me donnent l'occasion de faire une petite parenthèse : comptes-tu quand même travailler à l'écriture d'un nouvel album solo ou as-tu définitivement tourné cette page ?

C'est amusant que tu dises ça, parce que je réfléchis justement à un nouveau projet solo, et dans un style probablement très différent de celui de mon premier disque. Travailler sur Four a réveillé quelques envies en moi. Mais il est encore un peu tôt pour en parler...(sourire)

Tu as évoqué Four, je te propose donc d'en parler dans le détail. A l'écoute de certains morceaux, il est difficile de réaliser qu'il s'agit d'un disque de Bloc Party! Tout est beaucoup plus rock, et les guitares se montrent parfois très agressives, sur 3x3 ou We're Not Good People notamment. Comment expliques-tu ce changement assez radical ?

Quoi qu'on en dise, Bloc Party est un groupe de rock par essence. Je parlais toute à l'heure de nos influences, et je pense qu'au sein du groupe, nous avons tous été marqués par la musique rock des années 80s et 90s, en particulier celle qui nous est venue des États-Unis. C'est un peu notre base commune. D'un autre côté, Intimacy est sûrement notre disque le plus emprunt de sonorités électroniques, et entre cet album et mon expérience solo, j'avais pour ma part envie de revenir à un son plus rock, plus direct, et, en un sens, plus excitant.

D'une certaine manière, avez-vous eu l'impression de vous être un peu trop éloignés de vos débuts, de votre vision commune, pour reprendre tes mots, de ce que devait être Bloc Party en tant que groupe ?

Comme je le disais, nous n'avons jamais fait aucun plan, et nous n'avons donc pas cherché à rectifier un quelconque tir avec ce nouveau disque. Qui plus est, et tu t'en es sûrement rendu compte, Four est un album beaucoup moins produit que ne l'était Intimacy par exemple. A ce titre, je ne pense pas que l'on puisse parler d'un retour aux sources, puisque nous n'avons jamais enregistré, il me semble, de disque plus produit ou chiadé que Silent Alarm !

Bloc Party ne semble jamais autant être Bloc Party que sur les titres les plus calmes ou les plus aériens. Ce qui apparaît comme plus évident encore sur Four, qui est globalement très agressif. Pourquoi ce besoin éternel de calmer le jeu ?

Pour moi, un album c'est un moment de vie, à l'image des êtres humains qui le composent. Dans la vie, je crois qu'on ne vit à fond les périodes les plus heureuses que si nous connaissons par ailleurs des moments plus difficiles, de doute, de solitude. Un extrême permet de mieux comprendre et vivre l'extrême opposé, ce sont deux faces d'une seule et même pièce. Sur un album, je pense que c'est un peu la même chose : il est nécessaire de briser la monotonie, et nous apprécions sûrement plus les morceaux les plus énergiques d'un disque quand il y en a par ailleurs de plus calmes.

Des titres comme Banquet et Helicopter paraissent désormais bien loin, et Bloc Party ne semblent plus avoir vocation à faire danser les foules. Un des nombreux effets de l'âge ?

Oui, si on veut. Je pense surtout qu'il est normal, en tant que groupe, d'avoir envie d'évoluer, de ne pas jouer la même musique du début à la fin. Je crois que ce ne serait ni intéressant pour Bloc Party en tant que groupe, ni pour le public qui nous écoute. Lorsque le style évolue, cela entraîne nécessairement des critiques et autres mécontentements, mais je pense que ça serait plus dommage encore de ne rien faire. Et puis, d'ailleurs, on nous le reprocherait aussi !

Il n'est pas nécessaire de poser l'oreille sur les premières mesures, très country, de Coliseum pour se rendre compte à quel point Four est influencé par le rock américain...

Dans le groupe, et ce n'est pas une surprise, nous aimons beaucoup le rock, qu'il soit anglais ou américain d'ailleurs. Ceci dit, le dénominateur commun, c'est très clairement le rock US ! Concernant la relative agressivité du disque, ce n'est peut-être que mon avis, mais je trouve que la musique américaine tend à se durcir ces dernières années, ce qui explique peut-être ce que tu entends sur Four.

Une dernière question pour la route : alors comme ça, vous n'êtes pas du genre fréquentable chez Bloc Party ? (ndlr: en référence au dernier titre de l'album, intitulé We're Not Good People)

Tu sais, tout n'est jamais qu'une question de perspective ! (rires)