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Villagers

Interview publiée par Amandine le 16 février 2013

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Quelques semaines après la sortie du très réussi {Awayland}, le timide Conor O'Brien nous a accordé un moment privilégié ; l'occasion de revenir sur le virage amorcé par lui et son groupe et sur un nouveau chapitre s'ouvrant pour eux.

Après le succès de Becoming A Jackal, tout le monde attendait Villagers au tournant : comment as-tu réussi à gérer la pression autour de cette attente ?

A vrai dire, je n'ai pas tellement eu ce problème. C'est vrai que j'ai un peu subi la pression quand je me suis assis face à une feuille blanche pour écrire car je me demandais ce qui allait en ressortir mais finalement, ça s'est passé différemment ; j'ai acheté un synthétiseur et une boîte à rythmes car je voulais tester une nouvelle façon de travailler et j'ai commencé à expérimenter. Très rapidement, j'ai été tellement occupé et j'étais tellement dans mon petit voyage musical personnel que j'ai quelque peu oublié toute cette pression sur moi et ça a facilité les choses pour composer dans de meilleurs conditions. Je crois que c'est le fait d'avoir eu l'esprit occupé qui a évacué à la fois la pression extérieure mais aussi celle que je me mettais moi-même. Si j'avais écrit des chansons acoustiques, ça aurait peut-être été différent car je me serais dit « Sois créatif ! » alors que là, je n'avais pas l'occasion d'y penser.

Mon plus grand but dans la musique a toujours été de ne pas me répéter et de faire en sorte de me renouveler.

Tu avais besoin de prendre un peu de recul après cette longue tournée, le succès de l'album et la nomination au Mercury Prize ?

Exactement ! Je crois que nous avons tourné trop longtemps. Avant même d'avoir signé avec notre maison de disques pour Becoming A Jackal, nous avions déjà tourné pendant presque un an en Irlande et après, nous sommes repartis pour presque un an et demi, ce qui est très long quand on y pense. Je crois que c'était un trop long moment pour jouer les mêmes titres à chaque fois. A la fin de la tournée, ça en devenait malsain et cynique. Mon plus grand but dans la musique a toujours été de ne pas me répéter et de faire en sorte de me renouveler et là, j'avais une impression totalement inverse. Pour ce nouvel album, je voulais expérimenter, ouvrir mon esprit à de nouvelles choses et repousser les limites de mon imagination. Je voulais travailler sur de nouvelles textures et sonorités. La seule chose que j'avais en tête, c'était donc « Ne te répète pas ! » et rien d'autre ; je ne voulais pas me focaliser sur les paroles ou les mélodies, j'ai toujours cru que tout découlerait de l'inspiration du début et c'est ce qui s'est passé finalement.

Est-ce la raison pour laquelle tu voulais explorer de nouveaux horizons, assez loin des titres acoustiques du premier album, comme pour te prouver que tu n'étais pas cantonné à ça ?

Tu as peut-être raison mais je ne suis pas tellement du genre à vouloir prouver des choses, que ce soit à moi ou aux autres. Je crois que c'est surtout que j'ai cette curiosité naturelle et quand j'ai écrit Becoming A Jackal, j'écoutais beaucoup de musique acoustique, d'où l'orientation de l'album, j'ai été influencé par ce que j'écoutais. Cette fois-ci, j'ai voulu voir si je pouvais plus travailler sur la texture de la musique, en me rendant sourd à ce que je pouvais entendre autour de moi. Le travail sur {Awayland} était bien moins académique que pour le premier album où j'avais un thème, un titre etc. Cette fois, je n'avais rien de tout ça et je partais plus de sentiments, de sensations et tout a grandi bien moins rapidement.

Donc tu as travaillé d'une manière complètement différente que pour Becoming A Jackal ?

Oui, complètement ! C'était presque l'opposé de la première fois.

J'ai eu la chance de te voir jouer les deux fois où tu es passé à Paris dernièrement et la différence avec la tournée précédente est frappante : on a réellement l'impression que Villagers est devenu un groupe à part entière et que ce n'est plus l'histoire de Conor et de ses musiciens...

Oui, tu as parfaitement raison. Ils ont travaillé et enregistré avec moi cette fois-ci, ce qui n'était pas du tout le cas pour Becoming A Jackal. J'ai tout de même travaillé seul sur le processus jusqu'aux démos et ensuite, je leur ai présenté ce que j'avais composé, ils s'en sont imprégnés et nous avons pu commencé à répéter. Là, les choses ont inévitablement évolué et ils ont tous ajouté leur marque. Chacun jouait sa partie un peu différemment par rapport à la façon dont j'avais pu le concevoir et c'était plus collaboratif que par le passé. La très grande différence et nouveauté, c'est aussi que les autres sont venus en studio enregistrer avec moi, ce qui n'était pas le cas auparavant. Je pense que ce n'est pas anecdotique car ça a pour conséquence qu'on se concentre plus sur l'aspect émotionnel de la musique alors que quand j'ai enregistré seul en studio, c'était la partie technique qui retenait plus mon attention.

J'ai toujours beaucoup aimé la musique électronique. J'en écoute énormément et je me suis dit que c'était une direction qui m'intéressait beaucoup.

Comment en es-tu venu à ces expérimentations électroniques sur {Awayland} ?

J'ai toujours beaucoup aimé la musique électronique. J'en écoute énormément et je me suis dit que c'était une direction qui m'intéressait beaucoup. Comme je te l'ai dit, j'ai acheté mon premier synthé assez récemment et ensuite, j'ai acquis un sampler et j'ai commencé à bidouiller et à faire des choses étranges, pas toujours écoutables d'ailleurs (rires).
C'était comme avoir un nouveau set de peinture quand tu es gamin : c'était excitant mais je me suis méfié à ne pas me perdre dans ces expérimentations car au bout d'un certain temps, je me suis retrouvé avec pas mal de « morceaux » d'une vingtaine de minutes de rock instrumental ou de techno et il fallait faire le tri. Pour certains titres comme The Waves ou The Bell, le morceau s'est rapidement détaché. A la fin de ces expérimentations, j'avais une banque assez fournie de grooves, de sons et d'improvisations qu'il fallait mettre en forme pour en faire un album cohérent.

Et tu as donc dû coupé ces longues plages pour en faire des morceaux plus standards au niveau de leur durée ?

Oui. Ça n'a pas toujours été facile, d'ailleurs ! Cependant, les chansons venaient généralement en même temps que ces expériences sonores, c'était un processus complet donc je n'ai jamais l'impression de faire des copier/coller de ces moments. J'ai plutôt eu l'impression que certains morceaux avaient une similarité, notamment au niveau de l'esprit et de l'émotion qui s'en détachaient.

Vous avez passé beaucoup de temps à l'écriture et à l'enregistrement d'{Awayland} ?

La phase d'écriture et de composition a été très longue, je dirais une année si on met tout bout à bout. Pour l'enregistrement, nous sommes restés un mois en studio et il a ensuite fallu une semaine ou deux pour le mixage.

Et tu avais déjà commencé à écrire durant la tournée Becoming A Jackal ?

Oui, tout à fait. J'avais écrit des morceaux de chansons, comme pour Earthly Pleasure. In A Newfound Land You Are Free a été écrite pendant la tournée également, pareil pour Grateful Song mais tout le reste a été travaillé après cette période un peu intense.

Un petit mot sur The Bell car elle apparaît comme un OVNI sur cette album : très cinématique, on a l'impression que tu l'as écrite pour la bande originale d'un film...

Oui, c'est une assez vieille chanson et je la jouais complètement différemment avec mon ancien groupe. Ça parle de ces moments où les mots et le langage ne sont plus suffisants car ils ne peuvent plus décrire ce qui se passe et ce que l'on ressent. C'est à propos de ces situations où l'on se rend compte que la communication, quel qu'elle soit, est limitée et que notre côté animal dans nos désirs remonte rapidement. J'écoutais beaucoup de musique mélodramatique quand j'ai écrit The Bell et ça se ressent beaucoup dans la tension qu'on y retrouve. J'ai aussi beaucoup écouté Jean-claude Vannier, qui a notamment travaillé sur le Mélodie Nelson de Gainsbourg mais aussi des choses plus groovy comme Curtis Mayfield et finalement, The Bell est un composite de tout ça.

Je pense qu'Earthly Pleasure est le morceau le plus réussi en terme d'expérimentations électroniques combinées à mon songwriting plus habituel.

La transition entre My Lighthouse, une ballade folk acoustique très introspective et Earthly Pleasure, sorte d'hymne electro-folk est assez surprenante et finalement très représentative du virage que tu as pu prendre avec {Awayland} : as-tu voulu jouer de cet effet de surprise ou est-ce simplement le résultat des différentes atmosphères présentes sur cet album ?

C'est probablement un peu des deux. L'album est très varié et j'ai donc voulu jouer sur ces différents aspects en mettant l'une après l'autre les deux chansons qui étaient les plus éloignées. Les placer au début de l'album permettait aussi d'introduire auprès de l'auditeur le monde dans lequel il mettait les pieds. J'aime beaucoup comment My Lighthouse est articulée, notamment sa fin, assez abrupte. J'aime aussi, comme tu l'as dit, le fait que ce soit un titre très calme et introspectif et on bifurque totalement avec l'image, au début d'Earthly Pleasure, d'un mec nu sur ses toilettes, avec une brosse à dents dans la bouche. Le contraste est assez saisissant, je dois bien l'avouer (rires). J'ai mis ces éléments tragi-comiques les uns après les autres pour renforcer le caractère de chacun. Je pense qu'Earthly Pleasure est le morceau le plus réussi en terme d'expérimentations électroniques combinées à mon songwriting plus habituel on va dire. Je me suis dit que commencer par My Lighthouse ravirait les fans de folk et qu'enchaîner avec Earthly Pleasure les surprendrait d'autant plus (rires). Je pense que quand tu veux ennuyer quelqu'un, c'est très drôle de le faire avec les fans de folk car ce sont des personnes très précieuses.

Selon toi, quelle est la plus grande différence entre Becoming A Jackal et {Awayland} ?

Je pense que les chansons ont moins une ligne directrice franche sur ce nouvel album et qu'elles voyagent plus que précédemment. Elles contiennent plus de contradictions et sont probablement plus spirituelles, enfin, si on peut vraiment appeler ça comme ça...

Vous avez tourné récemment avec Grizzly Bear : comment cela s'est-il passé ?

Ce sont eux qui sont venus nous le demander. En fait, je pense que notre agent a dû leur dire que nous pourrions être intéressé et il a dû leur refiler quelques bandes des nouveaux morceaux. Nous avions déjà partagé la scène avec eux il y a quelques années mais pour un seul concert et là, c'était pour plusieurs dates et c'était super !

J'ai assisté à l'enregistrement de L'Album de la Semaine il y a quelques semaines et j'aimerais t'en glisser quelques mots. Comment avez-vous vécu cet enregistrement car du point de vue du public, c'était une sensation assez étrange...

(Rires) Ça me fait plaisir d'entendre ça car nous avons eu exactement la même impression. Comme souvent pour ce genre d'exercice, ça manque toujours un peu de naturel mais là, les spectateurs... nous avions parfois l'impression qu'ils ne savaient pas vraiment comment réagir ! En tout cas, on nous a envoyé le résultat et c'était une très belle émission.

Ça manquait de spontanéité, non ?

Oui ! J'ai un peu halluciné en voyant ces gens applaudir tout au long de The Waves (rires). Ce n'était pas très naturel, on voyait qu'un chauffeur de salle était planqué dans un coin et ordonnait d'applaudir. Rassure-moi, c'était bien le cas ?!

Oui, c'était le cas...

Dans ces moments-là, il faut garder à l'esprit que tu joues pour beaucoup de gens derrière la caméra et pas seulement pour les quelques personnes présentes dont, visiblement, certaines n'avaient jamais entendu parler de Villagers. C'était un environnement très contrôlé dirons-nous, mais ça en valait la peine, le concert rend très bien à l'écran je trouve.