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Tunng

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 17 juin 2013

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Né de la rencontre de Sam Genders – officiant maintenant en tant que Diagrams – et Mike Lindsay, Tunng se font remarquer en utilisant des instruments peu ordinaires comme des coquillages et en détournant des objets de la vie courante. Depuis dix ans, et malgré des parcours de vie différents, ce groupe électro-folk trouve dans la continuité stylistique un terrain de jeu pour ses expérimentations sonores ; toujours identique, mais constamment différent !
Avec Turbines, leur cinquième album studio, Tunng content les tranches de vie de ses membres qui, de l’Islande – où vit désormais Mike Lindsay – à l’Angleterre sont riches de diversités et pourtant articulées autour de ces inébranlables points centraux que sont l’amour, l’amitié ou le chagrin. Cultivant le contre temps mélodique et l’électronique de terroir, le nouvel album de Tunng est le premier projet du groupe totalement collectif aux sonorités riches de ces couleurs légèrement vintage que l’on voit s’agencer avec symétrie à travers un kaléidoscope pour enfant.

Votre groupe Tunng est né en 2003, il y a dix ans déjà !

Mike : Je crois que le premier album est sorti en 2005, mais était-ce vraiment 2003 notre année de naissance ? Oui, je crois que c’est l’année de ma rencontre avec Sam et de notre projet commun... C’est à partir de cette rencontre que tout a commencé dans le sous-sol d’une maison de la banlieue de Londres.

On peut dire que le groupe a eu deux vies, dont une assez complexe dans vos rapports avec Sam... Quel est le line-up du groupe aujourd’hui ?

Mike : En fait le line-up est quasiment le même depuis le départ ; exceptés les allers et retours fréquents de Sam. Becky, Ashley, Phil et Martin sont là depuis 2005. La nouveauté c’est que nous avons un batteur, Simon, qui joue en live alors que nous n’en avions jamais eu auparavant.

Avez-vous trouvé la bonne mesure pour Tunng et, en un sens, est-ce que le départ de Sam Genders n’a pas finalement permis à Tunng de trouver définitivement ses marques ?

Mike : Cela nous a peut-être aidés à nous concentrer sur une meilleure façon de travailler ensemble.
Becky : La fin de la période de collaboration avec Sam fut la fin d’une période un peu particulière. Nous sommes toujours de bons amis, mais il a senti le besoin de créer son propre projet avec Diagrams. Cela nous a donnés, à Ashley et moi-même, l’occasion d’imposer un peu plus nos voix et nos textes.

En 2010, nous avons eu la chance d’interviewer Sam et il a déclaré que, parfois, les aventures les plus difficiles dans la vie peuvent mener aux meilleurs résultats. Pensez-vous, vous aussi qu’un artiste doive ressentir une forme de déprime pour produire le meilleur de lui même ?

Mike : Je crois que tu l’as bien cerné (rires) !
Ashley : Indéniablement, il existe une différence dans les textes entre l’époque avec Sam et l’époque sans Sam. Non pas que Sam soit spécialement négatif, mais il sait écrire ce genre de textes et il le fait très bien. Notamment pour tout ce qui est histoire de fiction. Même si le dernier album que nous avons fait ensemble était un album assez joyeux, c’est quelqu’un de très souriant quand il le veut et quand il n’est pas habité par ses démons (rires)... Tout le monde a ses moments sombres sans pour autant être dépressif.

En conséquence, est-ce que Tunng sans Sam est un groupe qui propose une musique plus joyeuse ?

Becky : Sam aime la mélancolie. Mais la mélancolie peut être joyeuse ou triste.
Mike : Je pense que les gens aiment les chansons mélancoliques. Et, souvent, on donne plus de crédit à un artiste un peu misérable qui écrit sur sa vie. C’est une sorte de légende urbaine de la vie d’artiste...

Justement, à l’écoute de votre dernier album, Turbines, on a l’impression que vous n’avez pas ou plus besoin de cela...

Mike : C’est vrai depuis deux albums, au moins. Sur Turbines, je pense que l’on ressent les moments de la vie par lesquelles nous sommes toutes et tous passés tout au long de ces dernières années.

Mike, tu officies toujours en tant qu’auteur principal pour Turbines ?

Mike : Pas autant qu’avant. Pour ce disque, Ashley a souvent posé le premier canevas de textes et nous l’avons suivi en interprétant, à notre manière, la suite à y donner.
Ashley : C’est, sans contexte, un album collaboratif.
Mike : Comme tu le sais, je ne vis plus en Angleterre et chacun a sa propre vie en dehors de Londres, aujourd’hui. Il ne m’était plus possible, de toute façon, de jouer au chef d’orchestre.

Mike, peux tu nous parler de ton side-project, Cheeck Moutain Thief en quelques mots ? Est-ce que celui-ci a changé ta façon de travailler avec Tunng ?

Mike : Je crois que ce projet m’a donné encore plus de confiance au niveau du chant et de l’écriture. Le fait que je sois seul sur ce side-project a influencé mon travail sur Turbines. Je n’avais jamais fait cela avant et je peux dire que j’aime vraiment travailler sur Cheeck Moutain Thief. D’un point de vue sonore, je ne pense pas que ce projet soit si éloigné que ça de Tunng. Je me suis senti encore mieux et plus affûté pour ce nouvel album.

Tu entretiens, je crois, une relation très spéciale avec l’Islande ? Ce récent pays d’adoption a-t-il également influencé ton travail pour Turbines ?

Mike : En un sens, oui. Turbines est rempli d’expériences de vie récentes. Et, spécialement de mon point de vue, j’ai eu une vie très remplie et pleine de surprises depuis deux ans. Des histoires d’amour, des enfants, des chagrins...

C’est pour ces raisons que tu as qualifié Turbines de disque d’un nouvel âge pour Tunng ?

Mike : J’ai dit cela, c’est vrai... (rires) Tunng nous a toutes et tous vus grandir et évoluer tout au long de ces dix années passées. J’ai peur d’employer le qualificatif de maturité pour cet album...
Becky : Oh non ! Ne fais pas ça (rires) !
Mike : Mais il y a pourtant un peu de ça. Voilà quelques années que nous nous connaissons et travaillons ensemble, nous avons su mûrir notre musique et notre écriture. C’est plus un sentiment personnel qu’une vraie affirmation ; ce que je ne pourrais confirmer pour mes collègues.
Ashley : Sans aucun doute possible, ce disque est le disque qui a vu tous les membres de Tunng apporter chacun leur pierre à l’édifice. Dans le passé, nous n’avions jamais réussi à réaliser cela. Nous ne nous étions jamais assis tous ensemble pour construire un titre du début à la fin avant Turbines.
Mike : Il faut que nous t’avouions quelque chose. Tu es notre premier interviewer pour la promotion de cet album ! Tu reçois donc les pires réponses à tes questions (rires) ! Je dis ça ironiquement, mais en fait c’est vraiment bien pour nous de pouvoir enfin discuter de ce projet tous ensemble et d’essayer d’analyser nos réponses car, quand tu es plongé dans la création d’un nouveau disque, tu as la tête dedans et tu n’as jamais le temps de prendre le recul nécessaire à réfléchir aux réponses aux interviews qui vont suivre. Désolé si celles ci sont encore un peu décousues...

Pour confirmer ce que vous me disiez, vous avez déclaré que cet album était un vrai album collectif comparé aux précédents, en quoi votre processus créatif a-t-il changé ?

Becky : Par le passé, Mike et moi travaillions les textes et le début des mélodies de notre coté. Ensuite, nous exposions nos idées au reste du groupe. Ou bien, Ashley arrivait avec ses idées et nous les soumettait. Mike était un sorte de phare brillant dans la nuit pour nous tous et nous allions le consulter comme un oracle pour avoir son avis éclairé... Ce n’est décidément pas bon comme réponse, reviens plus tard s’il te plait (rires). Plus sérieusement, le fait que Mike n’habite plus en Angleterre nous a poussés à aller de l’avant et à nous concentrer un peu plus tous ensemble sur les périodes de temps où il était de retour avec nous. C’est surtout cela qui a changé dans nos processus, le fait que quand Mike était là, c’était pour travailler d’arrache pied sur de relativement courtes périodes.
Mike : Nous avions booké le premier studio pour deux semaines et quand nous sommes entrés dedans pour travailler, nous n’avions encore rien écrit. Mais c’était le plan que nous nous étions fixé. Tout ce que nous avions avec nous c’étaient quelques sessions de jams faites auparavant. Nous sommes partis de là pour l’écriture et l’enregistrement. Puis, pendant deux autres semaines, nous avons finalisé nos textes. Certains sont même venus me voir en Islande pour travailler sur Turbines.

Où s’est déroulé l’enregistrement des versions finales ?

Mike : Les deux premières semaines de travail se sont déroulées dans le Dorset, dans la campagne du sud ouest de l’Angleterre. Proche de l’English Riviera décrite par un groupe comme Metronomy. Et les deux autres semaines se sont déroulées dans le studio du batteur de Jethro Tull, proche de Londres. C’est un insomniaque très brillant qui vit au dessus du studio et, parfois, sur les coups de 3h du matin, nous nous retrouvions dans la cuisine à boire du vin et expérimenter des idées musicales qui nous venaient, un peu alcoolisés... Nous avons également travaillé au studio de Benji (ndlr : DJ et animateur de BBC Radio One) dans l’est de Londres où nous avions déjà travaillé par le passé. Il y a dans ce studio la plus grande collection de synthétiseurs analogiques du pays.
Ashley : D’ailleurs, à un moment, l’album ressemblait vraiment à un disque synthétique des années 80, sans guitares. C’était une bonne version de Turbines. Peut-être en ferons nous quelque chose, un jour...
Mike : Le mixage s’est fait au Greenhouse studio en Islande qui ressemble plus à une communauté de passionnés avec ses plantes, ses jardins et sa nourriture bio (et un label), qu’à un lieu de location commercial pour professionnels de la musique. J’ai assuré la production moi-même, mais vu que nous étions presque tous présents lors de cette étape, je peux dire que la production était collégiale.

Tous vos disques ont un artwork très typé, qui sont les artistes en charge ?

Mike : Tous nos disques ont été graphiquement conçus par une artiste nommée Vanessa Da Silva. Elle est brésilienne et, accessoirement, une ancienne petite amie. Elle a ce style bien à elle que nous aimons particulièrement et, pour cette pochette, elle a su se renouveler tout en gardant l’esprit de Tunng des disques passés. Elle écoute notre travail et l’inspiration lui vient très rapidement. Elle se met alors à dessiner sur son ordinateur.
Becky : Son travail de graphisme m’a toujours paru coller parfaitement à notre musique. Bien sûr, nous n’avons pas le recul pour nous prononcer sur d’autres graphistes puisqu’elle a produit tous nos artworks, mais cela semble si fluide avec Vanessa que nous ne sentons pas le besoin d’aller voir ailleurs.
Mike : Elle s’est également occupée de tous nos singles ou EPs et, dans ce sens, son travail avec Tunng est une sorte de collection graphique à part entière. On devait organiser une exposition de ses œuvres créées pour le groupe.

Turbines a le son de Tunng, le goût de Tunng, et pourtant, il comporte une nouvelle structure, plus psychédélique, voire plus directe dans son approche, que celle de vos précédents disques. Si vous deviez décrire cet album, quel serait ton thème central ?

Mike : On en parlait un peu hier soir... c’est un concentré de thèmes indépendants – en l’occurrence les histoires de nos vies durant des années depuis notre dernier album – réunis en une seule émotion acquise lors de notre travail collectif ; comme si nous avions plongé nos vies dans un panier, remué ce dernier et sorti un lapin magique qui se nomme Turbines ! Si tu écoutes le disque, tu y entendras une seule direction, mais si tu actives le « Picture-in-picture », tu y discerneras nos histoires respectives... C’est bien comme réponse ça, non (rires) ?
Becky : C’est exactement ça. Nos vies sont parallèles et se croisent pour n’en former qu’une seule lors de notre travail musical ; cela donne l’album Turbines !
Ashley : Moi j’aurais envie de dire que l’album renferme, également, un coté science-fiction, une approche musicale presque futuriste. Certains de nos amis qui ont écouté Turbines nous ont dit qu’ils y retrouvaient les bandes sons des films de science-fiction de séries B dans les années cinquante !
Mike : Quel compliment (rires) !

C’est peut-être pourquoi vous avez dit que cet album était « Sci-Fi rock » ?

Ashley : Pour moi c’est à peu prés cela, oui.

Je ne pense pas que personne dans l’industrie du disque n’ait jamais utilisé cette définition ! Elle est de ton invention ?

Ashley : Je crois, oui ! (rires)
Mike : Ce que Ashley ne dit pas c’est qu’il a écrit pas mal d’introductions de textes pour cet album, et nous, nous nous amusions à les terminer sans obligatoirement savoir pourquoi il racontait cela. C’est sûrement cela qui donne, également, ce coté fantaisie dans le sens fantastique du terme à l’album.
Becky : C’est l’essence même de la musique et de ses paroles, elles peuvent avoir différentes interprétations selon le point de vue ou plutôt le point d’écoute de la personne. Et si quelqu’un fait une connexion qui n’a rien à voir avec notre sujet de base, cela ne veut pas dire pour autant qu’il est dans le faux. Tu vois ce que je veux dire ?
Ashley : Il y a, dans Turbines, un seul titre dont les paroles sont vraiment calquées sur l’histoire personnelle de Mike ; celle-ci. Nous ne pouvions pas nous permettre de jouer avec ou de lui donner de multiples sens parce que nous voulions être précautionneux et attentifs à son déroulement. Cela donne un très beau titre, sûrement à cause de son intégrité. Mais je ne veux pas te dire laquelle (rires) !

Le titre By This m’a soudainement fait penser au standard populaire anglais de Jona Lewie, Stop The Cavalry, par son coté héroïque et lyrique...

Mike : Wow ! C’est un classique. Mais c’est aussi un titre de Noël.
Ashley : C’est un grand titre, je l’adore !

quelles étaient les musiques que vous entendiez chez vous quand vous étiez encore enfants ? Quelles sont les musiques qui vous ont poussés à devenir Tunng ?

Becky : En ce qui me concerne, après avoir écouté beaucoup de pop music étant plus jeune, en mimant mes chanteurs favoris devant ma glace avec ma brosse à cheveux en guise de microphone, j’ai beaucoup aimé la période hip-hop. Ensuite, j’ai plongé dans Björk durant les années 90. Sûrement le thème de la femme artiste respectée dans le monde entier a-t-il joué sur cette période de ma vie. Même si, aujourd’hui, je n’écoute plus trop les disques de Björk.
Ashley : Keith Moon ! Je me souviens avoir vu Keith Moon dans The Kids Are Alright fracasser sa chambre d’hôtel avec ses comparses. J’avais environ dix ans et je me suis dit : « C’est la chose la plus cool que je n’ai jamais vue ! ».
Mike : Pour moi, c’est plus compliqué ; j’ai vite plongé dans le Trash Metal étant jeune. Cela n’a pas donné grand-chose, et tant mieux sûrement, mais j’ai depuis été fan des guitaristes hardcore de ce genre de rock là. Bizarrement, je me suis ensuite passionné pour la folk music et un chanteur nommé Davey Graham et son jeu de guitare. Il faisait partie de la génération nouvelle vague des années 60. A l’époque où j’écoutais cela, je travaillais dans ce label, Expending Records, qui faisait dans l’électronica glitch (Prefuse 73...). Pour moi, ce mélange a été un vrai détonateur pour Tunng. Cela l’est toujours, d’ailleurs. Aujourd’hui, je n’écoute plus de musique (rires).

Si vous pouviez choisir la ville de rêve pour votre prochain concert, où aimeriez-vous jouer ?

Becky : N’importe où pourvu qu’il y fasse chaud et qu’il y ait une plage !
Mike : Un endroit exotique, fantastique et cinématique (rires). C’est un peu ce que Sam Genders aurait pu dire ! (rires)