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Travis

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 15 août 2013

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Fin juin 2013, l’été pointe enfin le bout de son nez. Fran Healy et Andy Dunlop, deux membres du quatuor écossais Travis, étaient en journée promotionnelle à Paris à l’occasion de la sortie le 19 aout prochain de leur septième album Where You Stand. Sound of Violence les a rencontrés. Ils nous ont parlé de la notion du temps, de OK Computer, de R.E.M. et de bien d’autres choses encore...

Ces dernières années vous avez effectué une longue pause : vous avez tourné en duo pour des concerts en acoustique, Fran a sorti un disque solo... Tout cela peut expliquer pourquoi ce fut aussi long avant d’avoir la chance d’entendre un nouveau disque de Travis. Cependant, comme dans Mother, le morceau d’ouverture de ce disque, j’aimerai vous demander « Why did we wait so long » ?

Fran Healy : (Rires) Cela a pris beaucoup de temps parce que nous avons attendu le temps qu’il était nécessaire de prendre. Lorsque nous nous sommes arrêtés à la fin de cette tournée qu’Andy et moi avions donnée aux Etats-Unis, nous faisions un break avec Travis. Nous avons passé du temps avec nos familles, nos enfants. Je terminais mon album solo chez moi et mon fils était avec moi, ce fut une expérience assez compliquée, car un enfant demande beaucoup d’attention et de temps à consacrer. Lorsque nous avons déménagé à Londres en 1996, nous étions juste quatre types sans attaches familiales. Dix ans plus tard, beaucoup de choses avaient changé pour nous. Nous étions complétement unis. Nous formions chacun un quart de ce qu’était devenu Travis. Nous n’étions plus juste nous-mêmes. Aussi, en nous éloignant tous les quatre, cela nous a permis de prendre tout le temps nécessaire pour donner une suite à notre histoire. Nous avons individuellement pu revenir à nous-même. Nous nous sommes revus il y a deux ans de cela avec le mot d’ordre de travailler, d’écrire ensemble d’une manière différente de celle que nous avons utilisé auparavant. Nous étions davantage dans une optique de collaboration. Et surtout nous n’avions pas planifié de réaliser un nouvel album, et encore moins de repartir en tournée. L’objectif était de se revoir sans la moindre pression et de composer une chanson juste pour le plaisir de se retrouver. Et en définitive, après avoir écrit une chanson nous en avons composé une seconde, puis une troisième et voilà comment cet album a démarré... Nous sommes un groupe très organique. Nous savons exister en dehors du milieu de la musique, ce qui est une bonne et une mauvaise chose à la fois. Car ce milieu est vraiment imprévisible.

Si vous n’aviez aucun plan en vue de réaliser un nouvel album au moment où vous vous êtes revus, quelle fut la première chanson que vous avez composée ensemble ?

Andy Dunlop : La première chanson que nous avons écrite ensemble, c’est Another Guy. Nous l’avons composée au cours de la première session. C’était génial ! Nous avions commencé à improviser en jouant ensemble. Chacun ajoutait à tour de rôle une partie musicale à un morceau sans avoir écouté ce que la personne précédente avait fait, comme une forme de cadavre exquis. Et ce fut vraiment très amusant. Se retrouver de nouveau ensemble, être en studio avec des instruments sans pression, c’était juste incroyable. A la fin de la journée, Neil (ndlr : Pimrose, batteur de Travis) devait partir. Fran s’est placé derrière la batterie et il a trouvé un beat qui collait parfaitement à ce que nous avions composé au cours de la journée. Ce fut une très belle expérience car nous avons entièrement collaboré pour concevoir cette chanson. Nous avons continué à composer ensemble en studio, d’autres chansons ont par contre été conçues à l’extérieur. Nous avons pris énormément de plaisir à travailler de la sorte, un peu comme si c’était une première fois. Tout était très spontané, il n’y a rien eu de calculé.

Sur Mother, Fran, tu évoques comme je vous disais précédemment la notion du temps. Il y a aussi ce départ musical assez lent, puis cette accélération du rythme, comme si il ne fallait pas surtout plus en perdre. Dans Reminder, tu traites du fait que le temps passe très vite et qu’il faut en profiter avant qu’il ne soit trop tard. Est-ce que fondamentalement tu considères que le temps passe très (trop ?) vite et qu’il n’y a plus de temps à perdre ?

Fran Healy : Devenir père change beaucoup la donne. Quand tu es encore enfant ou tant que tu n’es pas encore parent, tu vois la vie d’une certaine manière. Lorsque tu deviens parent, tu vois la vie sous un autre angle et celui-ci est à 360 degrés de ce que tu voyais auparavant. Tu penses davantage à la vie, à la mort. Tu te sens très important pour ton enfant. Si tu n’es pas là pour lui, comment cela va-t-il se passer ? Tu vois donc la vie différemment. Tu ne sais pas comment la fin peut ou va arriver. C’est pourquoi cette notion du temps est un peu omniprésente sur cet album. Il n’y a pourtant rien eu de délibéré derrière tout ça, ce fut au contraire une forme de thérapie. Ce disque correspond vraiment à un reflet de notre vie à l’instant où nous l’avons écrit. L’insouciance du temps n’est plus de mise.

Lorsque vous vous êtes retrouvés après ce long break, est-ce que les automatismes étaient toujours les mêmes ? D’ailleurs étaient-ils toujours présents ?

Andy Dunlop : Rien n’a changé. L’alchimie entre nous reste la même. L’album est basé aussi sur cette énergie que nous avons su conserver. C’était d’ailleurs très important de le constater, de le sentir, car oui en définitive tout aurait pu changer après ces années, mais il n’en a rien été.

Where You Stand est très différent de votre précédent opus Ode To J. Smith. Ce dernier avait été enregistré en quelques jours. Vous vouliez prendre votre temps et revenir à l’essence qui vous est propre en rouvrant cette fameuse boite enfouie je ne sais où et dans laquelle se trouvent vos recettes magiques pour composer ces fameuses pop songs qui figurent sur ce nouvel album ?

Fran Healy : Les sessions d’enregistrement ont seulement duré une semaine de plus que celles de Ode To J. Smith. Cependant l’écriture des chansons a nécessité plus d’une année. Celle de Ode To J. Smith a quant à elle simplement pris trois semaines. De ce fait nous avons eu beaucoup de temps pour considérer ce que nous allions faire. A mon sens, Travis a sorti deux types d’albums. D’un côté, il y a Good Feeling, 12 Memories et Ode To J. Smith. De l’autre se trouvent The Man Who, The Invisible Band, The Boy With No Name et Where You Stand. The Man Who est le disque le plus familier que nous ayons sorti. Parfois nous changeons de visage et les gens ne nous reconnaissent pas. Je ne peux pas t’expliquer vers quelle direction nous allons lorsque nous nous éloignons de The Man Who mais nous restons Travis. Lorsque cet album est sorti, c’était la fin de la britpop et il a connu un succès phénoménal. Pourtant, jamais nous n’aurions imaginé connaître un tel succès ! Pour ce disque, c’est comme si nous étions partis en vacances et que nous avions trouvé des plages magnifiques et totalement désertes, des endroits magiques. Et trois ans plus tard, c’est comme si cet endroit était devenu aussi touristique que Las Vegas. Cinq cent groupes se trouvaient à cet endroit et sonnaient tous exactement de la même manière. 12 Memories a peut-être été une forme d’échappatoire de cet endroit. Les gens nous regardaient partir et c’est un peu comme si ils nous disaient : « Nous vous aimons, mais on veut que vous continuiez à composer ces chansons que nous aimons, nous voulons restons à cet endroit ». Nous nous sommes demandés quelle direction nous devions prendre pour nous éloigner de cet endroit devenu vraiment surpeuplé. Et puis nous avons réussi à retrouver un endroit calme et dépeuplé. Et je crois que le fait d’avoir déménagé a aussi permis aux gens de nous reconnaitre. Nous avons donc deux faces. Et je pense que chaque groupe devrait en avoir autant. Mes groupes préférés ont deux faces.

Quel sont tes groupes préférés ?

Fran Healy : Il y en beaucoup. R.E.M. est un bon exemple.
Andy Dunlop : Ils ont sorti Monster, juste après Automatic For The People. Deux albums aux antipodes l’un de l’autre.
Fran Healy : Leur côté face pour les fans purs et durs c’est Monster. Et leur côté pile, c’est Out Of Time qui s’apparente à leur côté commercial. Cela a dû leur sembler particulièrement étrange de cartonner de la sorte avec ce disque.

En 2011, à l’occasion de ton concert en solo à la Maroquinerie, Fran m’a avoué qu’il était un piètre joueur de piano...

Fran Healy : C’est toujours le cas.

(Rires) As-tu fait des progrès depuis et est-ce toi qui joue sur The Big Screen ?

Fran Healy : Non c’est Andy qui joue du piano sur ce morceau. Je suis incapable de jouer de la sorte et je ne pourrai jamais le faire. Je peux écrire des morceaux au piano mais je ne peux pas les jouer.
Andy Dunlop : Je ne suis pas un grand joueur de piano. Je connais quelques bases et je les utilise assez souvent. C’était compliqué pour moi d’écrire des mélodies au piano. Alors je me suis inspiré des airs déjà composés. Des morceaux très simples comme par exemple Au Clair de la Lune. Et j’ai petit à petit découvert la manière d’écrire par moi-même des mélodies au piano. J’ai beaucoup aimé apprendre ainsi. Et pour le disque, je me suis senti très à l’aise pour jouer de cet instrument.
Fran Healy : La manière dont a été conçu Where You Stand est très différente de celle que nous utilisions dans le passé. J’ai davantage travaillé mon chant pour le disque, par contre je n’ai pas joué de guitare lors des sessions d’enregistrement. C’est la première fois que ça arrive. Pour composer je me suis servi des guitares mais bien moins que d’habitude. Je voulais utiliser des procédés qui étaient nouveaux pour moi. Par exemple, je me suis servi du programme Ableton Live que les DJs utilisent. C’est avec celui-ci que j’ai composé Mother. Toutes les chansons de l’album proviennent de techniques utilisées par ce programme.
Andy Dunlop : Nous avons nos habitudes et évidemment il est facile de se cantonner à ce qu’on maitrise. Mais ce fut une super expérience d’utiliser de nouveaux procédés, des techniques différentes pour ce nouveau disque.

Le rythme saccadé de New Shoes est assez proche du rap, ce qui est assez inhabituel chez vous. Est-ce que dans les premières versions de cette chanson tu rappais les paroles ?

Fran Healy : (Il prend son Macbook et me fait écouter la démo de New Shoes). Tu m’entends jouer sur une petite boîte à rythmes et en effet ça se rapproche assez d’une mélodie rap. Je suis allé dans un magasin de musique à Berlin, j’ai acheté cet instrument et j’ai commencé à m’amuser avec. J’ai trouvé ce beat qui m’a beaucoup plu. Cependant je ne vais jamais chanter comme un rappeur, c’est comme pour le piano je ne serai jamais capable d’en jouer (rires).

Vous avez enregistré l’album à Berlin et en Norvège. Berlin, c’est là où tu vis, Fran, mais pourquoi ce choix de la Norvège ? Vous n’auriez pas pu enregistrer ce disque avec Nigel Godrich ?

Fran Healy : Non, nous n’enregistrerons plus avec Nigel. C’est mon ami mais nous avons suffisamment collaboré par le passé. L’album a été enregistré à Giske en Norvège parce que j’y suis allé l’année dernière et j’ai découvert ce studio à cette occasion. Là-bas il y a la console sur laquelle OK Computer a été enregistré, et donc sur laquelle The Man Who a été également enregistré.
Andy Dunlop : Ces deux albums ont été enregistrés avec Nigel Godrich (rires).
Fran Healy : Ils ont emmené cette table de mixage de Londres jusqu'à cette petite île de Norvège. Et lorsque j’ai pénétré dans le studio pour la première fois j’ai été tellement étonné de revoir cette console sur laquelle nous avons travaillé et avec laquelle nous avons connu un tel succès. Je me suis alors dit que ce devait être un signe et que nous devrions peut-être venir jusque-là pour enregistrer notre prochain disque. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes rendus en Norvège. La beauté de cette ile fut une autre raison de ce voyage.
Andy Dunlop : C’était super de se retrouver dans des situations très inhabituelles. Nous avons pris un risque en travaillant avec Michael Illbert car il ne connaissait pas vraiment nos chansons pour ce disque. Nous lui avons juste donné quelques démos, mais comme nous enregistrons assez peu, nous ne pouvions beaucoup l’éclairer sur les morceaux que nous voulions mettre sur ce disque. Il a pourtant réalisé un travail exceptionnel en donnant un son très organique à Where We Stand.

Cet album dégage une énergie incroyable. L’écouter aujourd’hui par cette belle journée ensoleillée, c’est vraiment idéal...

Fran Healy : Tout à fait. C’est pour cela qu’on désirait le sortir en été.
Andy Dunlop : Il y a une légère mélancolie sur ce disque, mais c’est avant tout une belle célébration de la vie.

Quelle est la chanson qui vous a causé le plus de problèmes à enregistrer ?

Fran Healy : C’est la plage d’ouverture de l’album, Mother.
Andy Dunlop : Oui, tout à fait.
Fran Healy : Lorsque nous avons commencé à enregistrer en Norvège, il nous fallait découvrir la sonorité du studio d’enregistrement. Lorsque tu joues, tu entends le son et tu réalises que ce n’est pas du tout celui que tu pensais trouver. Il nous a fallu cinq à six heures pour trouver le son que nous voulions mettre sur le disque. Mais une fois que nous avons trouvé ce que nous voulions, tout est devenu vraiment facile, comme une évidence. C’est un peu comme s'il y avait un mur et dans ce mur se trouve une porte, mais tu ne sais pas où elle se situe car tu es dans le noir. Tu cherches en tâtonnant avec les mains. Et finalement tu réussis à la trouver et c’est un immense soulagement. Ensuite tout devient vraiment très simple.
Andy Dunlop : Ce fut la meilleure session d’enregistrement que nous ayons eue. Elle a duré trois semaines. Et ce qui est vraiment génial c’est de s’être retrouvé ainsi après toutes ces années et d’avoir conservé cette magie, cette alchimie entre nous.
Fran Healy : Oui c’est vrai. Il y a tellement de groupes qui splittent parce qu’ils se sont fait bouffer par le système. Ils ont suivi cette triste ligne : « Si tu n’as pas de succès, c’est que tu fais de la merde. ». Et c’est tellement faux. Nous sommes tellement chanceux d’avoir connu ce succès. Nous avons pu prendre tout l’espace nécessaire pour continuer comme cela nous chantait sans se retrouver démolis par le système. Beaucoup de personnes pensent que nous sommes très conservateurs, que nous ne sommes pas indie ou obtus. Mais je crois au contraire que nous sommes un des groupes les plus obtus qui existe. Nous n’avons jamais sorti de disques à la pelle sous l’influence du système.
Andy Dunlop : Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait en toute honnêteté.

Avez-vous prévu de faire une tournée ?

Fran Healy : Oui, nous reviendrons à Paris en fin d’année.