logo SOV

Johnny Flynn

Interview publiée par Xavier Turlot le 20 novembre 2013

Bookmark and Share
A l'heure où le salut semble passer par l'électro-rock, le math-rock ou le folk mielleux, il en est toujours qui naviguent à contre-courant, et Johnny Flynn fait partie de ceux-là. De passage à Paris afin de se produire à la Flèche d'Or, nous avons rencontré le jeune anglais pour évoquer son début de carrière ainsi que son nouvel album Country Mile.

Tu ne joues pas très souvent en France très souvent, comment ressens-tu le public ici ?

J'imagine que nous ne jouons pas assez souvent pour que je m'en rappelle. J'ai eu quelques très bonnes expériences à Paris. J'avais fait un concert seul dans un club il y a à peu près trois ans, l'accueil avait été exceptionnel. J'ai dû déjà jouer six ou sept fois ici. On joue assez souvent en Europe et il y a toujours une excellent atmosphère, les gens sont très reconnaissants. Étant donné que nous ne sommes pas un très gros groupe, il y a toujours beaucoup de fans parmi le public. En Angleterre ce sont souvent les mêmes personnes qui viennent à nos concerts, du coup quand on joue à l'étranger devant un public d'inconnus, cela nous rappelle nos débuts.

Quels sont les groupes qui t'ont particulièrement influencé ?

Principalement le blues, le blues américain. Je suis un grand fan de Bob Dylan, et j'ai découvert beaucoup d'autres groupes à partir de lui, des choses plus folk et bluegrass. J'ai grandi en écoutant beaucoup de punk également, comme les Pixies, et ces différences de goûts ont créé un mélange qui a abouti à ce que je fais maintenant. J'ai aussi eu une éducation en musique classique qui a dû jouer là-dedans. En fait il y a tellement d'influences que c'est dur de dire ce qui m'a principalement influencé précisément.

Tu as joué dans de nombreuses pièces de théâtre avant d'embrasser une carrière de musicien. Est-ce que cette expérience a eu un impact sur ton écriture et l'esthétique de ta musique ?

Oui. J'adore raconter des histoires sur scène, ça m'a appris à tisser un fil narratif. J'ai été touché par l'aspect fantastique de Shakespeare, qui m'a donné l'envie d'essayer de changer et varier les atmosphères sur scène à travers le storytelling, de développer des thèmes différents.

As-tu l'impression de jouer un rôle sur scène ?

Beaucoup de groupes se sapent pour leurs concerts et jouent des personnages, parfois en allant très loin, développant un véritable alter ego. Je trouve ça cool, ça ne me dérange absolument pas, mais personnellement je n'en ressens pas le besoin, cela n'est finalement pas la réalité et quand on est bon acteur on n'a plus vraiment besoin de jouer.

Écris-tu toujours des poèmes sans les transformer en chansons ?

Cela m'arrive parfois, mais je n'en publie plus maintenant. Je ne me suis jamais considéré comme un poète. J'écris souvent, parfois sans savoir si ces textes vont trouver leur place dans une chanson ; c'est plus comme un journal intime. La plupart du temps, ces textes restent dans mon calepin pour toujours.

As-tu des poètes anglais à nous conseiller ?

Je n'en connais pas beaucoup en fait, la plupart de ceux que j'aime sont Irlandais ou Américains. Je n'arrive même pas à me rappeler d'un poète anglais. Mes racines sont plutôt du côté de l'Irlande, du Pays de Galles et de l'Ecosse. Je suis arrivé au Pays de Galles quand j'avais quatorze ans. La poésie que j'aime est souvent assez ancienne. Je dirais que William Blake est peut-être l'un de mes préférés, sa poésie est vraiment magnifique, de même que John Keats, William Wordsworth et Samuel Coleridge. Tout ce courant romantique du 19ème siècle est passionnant. J'adore aussi William Yeats, un Irlandais.

De nombreuses parties de tes chansons me font penser à la musique traditionnelle irlandaise. En écoutes-tu beaucoup ?

J'ai grandi en écoutant beaucoup de musique traditionnelle effectivement. J'en jouais au violon, le premier instrument dont j'ai appris à me servir. Quand je suis allé en Irlande, j'ai tenté de trouver ce genre de concerts, à l'atmosphère dingue. Je n'en écoute plus tellement aujourd'hui bien que je l'aime toujours autant, surtout la harpe celtique. Ce courant musical fait partie de l'inconscient britannique et irlandais, c'est un héritage commun, notre ADN si on veut. Cette atmosphère enfumée de pub, les musiciens qui tapent le rythme avec leurs pieds...

On imaginerait qu'il y a un fossé entre l'Angleterre et le monde celtique, vu d'ici...

En fait il y a énormément d'Irlandais qui vivent à Londres, ils se retrouvent dans des pubs et organisent des sessions de concerts. Ce sont des communautés très serrées et j'ai l'impression qu'il y a un grand mouvement de revival en ce moment. La langue, la musique et l'esprit rapprochent tous ces gens. Mes grands-parents étaient anglais, irlandais, gallois et écossais, je ne ressens donc aucune frontière entre ses régions.

En écoutant tes chansons, on pense parfois à la grande famille de songwriters américains comme Bob Dylan, Leonard Cohen ou même Neil Young. Ne crois-tu pas que ce style a quelque chose d'immortel en lui ?

J'imagine que oui. Ce style évoque toujours le voyage et les passions personnelles. Les trois musiciens que tu as cités ont un sens très développé de la spontanéité et de la mélodie. Je ne sais pas... ces trois compositeurs sont très différents, mais ils ont chacun suivi une muse, et ont réussi à créer un broad appeal, avec une visée contestataire qui a parlé à toute une génération. Cohen était poète depuis toujours. Chacun a trouvé sa voix, et elles sont toutes uniques.

J'aimerais en apprendre plus sur la façon dont tu écris. Est-ce que tu composes tes propres chansons et les soumets ensuite au groupe, ou est-ce que c'est un processus collectif ?

J'écris les chansons et les soumets au groupe. Pour cet album, nous nous sommes exclusivement servis de démos que j'avais enregistrées. Bien sûr les membres du groupe font des suggestions pour les faire évoluer. On ne répète pas vraiment les morceaux, on joue ensemble depuis si longtemps que tout vient naturellement.

Ton dernier album est plus sophistiqué que les précédents, il y a plus d'arrangements de voix, plus de clavier et de cuivres, as-tu passé plus de temps à le préparer ?

Oui. On a commencé il y a deux ans et demi trois ans, juste après la sortie de Been Listening. L'écriture du disque a été éparpillée sur ces trois années car tout le monde faisait quelque chose à côté. Mon fils est né entre temps par exemple. Mais j'ai commencé à enregistrer dès 2010, avec déjà pour idée en tête de plus travailler les harmonies vocales. Cette longue durée a permis aux chansons de mûrir tranquillement, nous avons eu le temps de les remodeler progressivement jusqu'à ce qu'on les estime présentable.

Tu joues d'un nombre impressionnant d'instruments : guitare, violon, mandoline, banjo, trompette et même harmonica... Les as-tu tous appris toi-même ?

Pour le violon, le piano et la trompette, j'ai reçu des leçons en école de musique quand j'étais enfant. En ce qui concerne les autres je les ai appris moi-même, mais je suis loin d'être un virtuose, je me sers de peu de technique. Et le fait de ne pas avoir eu d'enseignement m'a aidé à développer mon propre style de jeu.

Passes-tu du temps à travailler ton son en studio ou préfères-tu privilégier la spontanéité ?

J'aime peindre une atmosphère entre les deux. Je n'aime pas penser au studio lorsque je compose. C'est bien d'avoir des parties composées loin de la perspective d'enregistrement pour laisser libre cours à son imagination. Mais c'est tout aussi important de travailler les arrangements, pour les faire sonner mieux. J'ai mon propre studio, une petite pièce de quelques mètres carrés, et il n'y a donc pas d'ingénieur du son et de délais à respecter. Du coup il n'y a eu aucune pression durant l'enregistrement du disque, cette atmosphère décontractée a donné sa couleur à Country Mile.

Tu as composé la bande son d'un film, A Bag Of Hammers. J'imagine que c'est un exercice assez particulier. Comment l'as-tu préparé ? T'es-tu complètement focalisé sur le film pour composer ta musique ?

Le réalisateur connaissait bien ma musique avant de me contacter. Il ne m'a rien dicté de particulier, il connaissait ma voix et mon style. Bien sûr j'ai regardé des scènes pour savoir quoi mettre dessus. C'est une démarche artistique intéressante car il n'y a pas de perspective de concerts, juste une adéquation entre son et image. J'ai beaucoup aimé cette expérience car il y a une certaine magie qui se dégage quand la musique devient visuelle.

Tu as des chansons incongrues dans ton baladeur ?

Pas mal je pense... (il sort son smartphone). En ce moment j'écoute The Roches, un groupe de folk des années 1970, très axé sur les voix. Le dernier album de Major Lazer... J'ai aussi ce mec, James Blake, qu'on m'a conseillé mais que je n'ai pas encore écouté. J'ai pas mal de musique méditative, et aussi The Jesus and Mary Chain, du rock des années 1980. Edith Piaf, Dizzee Rascal...

Que ferais-tu si tu n'étais pas devenu musicien ?

Je serais probablement acteur car j'adore vraiment ça. J'ai longtemps étudié l'anglais à l'université, donc peut être que j'enseignerais l'anglais. Même je ne suis probablement pas assez intelligent pour ça.