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Porcelain Raft

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 4 janvier 2014

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Il aura fallu attendre la fin du mois d'octobre 2013 pour que Mauro Remiddi, plus connu sous le nom de Porcelain Raft, puisse enfin réaliser un de ses rêves. En l’occurrence se produire à Paris au titre d’un concert en tant que tête d’affiche. A cette occasion Sound Of Violence l'a rencontré. Il nous parle de Permanent signal, son nouvel album, de reflets, de transition et de l'importance de jouer sur scène.

Mauro, ton premier album Strange Weekend avait été enregistré pendant un week-end...

En fait, il a été enregistré sur une période un plus étendue qu'un simple week-end. Ça a été comme un instantané, une image de ma vie lorsque j'ai déménagé à New-York. Et ce disque représente vraiment tout ce qui m'est arrivé à ce moment-là, sur une période très courte. L'idée derrière tout ça c'était d'afficher une image de vie au cours d'un week-end. Mais le disque a été plutôt enregistré sur une période d'un mois.

Comment cela s'est-il passé pour le nouvel album?

J'ai commencé à enregistrer le second album une fois la tournée terminée. Je l'ai attaqué immédiatement après. Pendant une tournée, il m'est très difficile de composer. Je reste concentré sur les chansons que je dois jouer sur scène. Lorsqu'on revient de tournée, il faut se repositionner par rapport au quotidien d'une vie normale, après cette vie un peu folle sur la route. J'ai enregistré ce disque à ce moment précis où je devais m'ajuster avec ce retour à la vie normale. J'étais épuisé mais si heureux d'être de nouveau à la maison. C'était un vrai moment de transition. C'est d'ailleurs ce qu'ont ces deux albums en commun : un moment de transition. Strange Weekend est plus enthousiaste car il fait référence à mon arrivée à New-York, alors que Permanent Signal est le parfait reflet de mon existence au retour d'une tournée et à la vie de tous les jours. C'est probablement pour cela que l'on ressent ce côté plus intimiste dans ce disque. Strange Weekend est un moment de ma vie que je voulais partager, alors que Permanent Signal est un passage de ma vie que je ne tenais pas à trop dévoiler.

Avant la sortie de ce second album, il y a eu un EP instrumental et particulièrement expérimental, Silent speech, cet été. Tu peux nous en parler ?

Tout est parti de la vente de mes anciens instruments. J'en ai acheté des nouveaux et ils sont beaucoup plus complexes à utiliser. Ce sont ceux-là que j'utilise actuellement sur scène. Quand j'étais en train d'enregistrer l'album, je ne pouvais pas faire ce que je désirais car je n'étais pas familiarisé avec eux. Du coup j'ai dû enregistrer l'album sans eux, et c'est pour cela qu'il peut paraître plus acoustique. Lorsque le disque a été terminé, je suis rentré chez moi et j'ai décidé qu'il était vraiment temps de travailler avec ces fameux instruments. J'ai passé beaucoup de temps à les découvrir, à les essayer. Et toutes ces nuits à faire du jam ont engendré Silent Speech EP. Pour te résumer mes dernières sorties, Permanent Signal est un disque de songwriter et Silent Speech est un disque de texture. Et il est probable que ces deux disques viennent se mélanger pour engendrer ce qui sera mon troisième album. Je ne suis cependant pas certain que Silent Speech soit un disque important. Les personnes qui ont et auront la curiosité de l'écouter en feront ce qu'ils en veulent. Je pense d'ailleurs que ce n'est pas un disque à mettre entre toutes les oreilles. Mais lorsque le troisième album sortira, il sera très probablement possible de relier cet EP avec le nouveau disque. Et c'est une idée qui me plait.

Permanent signal est un disque beaucoup plus complexe que le précédent. Considères-tu qu'avec ce disque tu es finalement arrivé à l'endroit où tu voulais arriver il y a pas mal de temps déjà, mais que tu ne pouvais pas atteindre à ce moment-là ?

Permanent signal est un disque plus complexe parce que j'ai eu presque deux ans pour le développer, pour concevoir certaines chansons avec mes moyens, mes instruments. Lorsque j'ai décidé de m'attaquer à ce disque, je ne voulais absolument pas reproduire la technique que j'avais utilisée pour Strange Weekend. J'ai pris un grand risque, car j'ai voulu avancer dans une direction qui m'était complétement inconnue. Il me fallait abandonner derrière moi la manière avec laquelle j'ai toujours travaillé jusque-là. C'était vraiment quelque chose d'important et je ne voulais surtout pas me retrouver piéger par cette prise de décision. Il faut que tu comprennes que je n'ai rien prémédité, j'ai agi quasiment à l'aveugle. Je me suis débarrassé de la plupart de mes anciens instruments, j'en ai acheté de nouveaux. Je ne savais pas du tout comment les utiliser et c'est pour cela que les arrangements sur le disque sont bien plus simples que sur l'album précédent. Je me suis juste concentré sur les chansons.

L'album est plus lumineux que tes travaux précédents. Il y a cependant toujours des passages qui restent sombres. Ça te colle à la peau ?

Cela fait partie de moi. Ce côté sombre que tu ressens, c'est quelque chose que je ne peux pas contrôler, que je ne peux pas changer. Cela se traduit par des apparitions dans mes chansons. Il arrive que ce soit léger à certains moments, mais c'est toujours présent. Peut-être devrais-je écrire un album où j'explore littéralement ce côté noir. Cela pourrait être salvateur (rires). Au moment de la conception de Permanent Signal, j'étais assez épuisé. Je réfléchissais beaucoup. J'étais dans un état d'esprit très particulier. Je n'étais pas dans un état ténébreux. Tout ce que tu entends sur le disque est venu à moi sans que ce soit prémédité.

Es-tu conscient qu'une chanson comme Cluster pourrait rendre jaloux Paul Banks le chanteur d'Interpol ?

(Rires) Non, je n'imaginais pas ça. Mais merci beaucoup pour le compliment ! En fait initialement, je ne voulais pas que cette chanson figure sur l'album. Mon manager m'a poussé à l'inclure sur le disque alors que je n'étais vraiment pas convaincu de devoir agir de la sorte. Il a réussi à me convaincre et en définitive je suis très content qu'il ait insisté en ce sens.

Il y a une connexion entre Strange Weekend et Permanent Signal. Sur Night birds et The way in, tu chantes exactement sur le même ton. Est-ce quelque chose qui s'est passé consciemment ?

En fait ces deux chansons ont le même sujet de discussion. Mais il n'y avait rien de prémédité. C'est vraiment intéressant que tu me parles de cela, car maintenant je réalise clairement le lien entre les deux chansons et les deux disques. C'est un peu comme les compositeurs classiques qui écrivent un thème musical et celui-ci revient inévitablement dans différentes compositions. C'est un peu ce qui a dû m'arriver ici car je ne planifie rien à l'avance. Ma manière de composer s'apparente essentiellement à une photographie de l'instant. Je ne décide pas de prendre une photo d'un paysage ou de faire un portrait. J'agis spontanément et je saisis ce qui se passe à ce moment-là. De ce fait, ces deux chansons constituent une photographie somme toute inconsciente, à l'exception peut-être du sujet. Mais je comprends parfaitement le parallèle que tu fais.

Le disque sonne davantage comme un album réalisé en groupe. Mais est-ce le cas ?

J'ai composé l'album tout seul. Mais je désirais un bassiste, un trompettiste, un batteur. D'autant que je ne maitrise pas vraiment ces instruments. Pendant la tournée, j'ai joué avec quelques groupes dans des grandes salles et j'ai réalisé combien la sonorité de d'une vraie batterie était importante. Ce disque reste une réelle expérimentation, mais c'est juste moi qui l'a réalisé malgré mon désir de le concevoir avec un groupe. Le prochain album sera probablement très différent et peut-être que cette fois je ne serai plus seul pour le réaliser.

Par le passé, tu as sorti des EP, des 45 tours, une cassette également. Mais pour Permanent Signal il n'y a eu aucun single en tant que tel. Tu n'avais plus de morceaux pour mettre en face-b ?

Une chose que j'ai découverte progressivement, c'est l'industrie de la musique. Auparavant je ne m'étais jamais intéressé à ça. Je n'avais même pas de contrat avec une maison de disques. Et maintenant que j'ai un contrat avec un label, j'entends dire qu'il n'y a pas de single sur mon album.

Cluster ne pourrait pas sortir en single ?

Tu devrais en parler à mon label (rires). Car c'est une des premières choses qu'on m'a dit après la découverte de mon album : « Il n'y a pas de single sur ton disque ». De ce fait, je ne suis pas surpris qu'il n'y ait aucun extrait de Permanent Signal qui sorte en simple. De toute façon, à mes yeux, il n'y a pas vraiment de single sur ce disque, et je n'y prête pas trop attention. Si je désirais vraiment sortir un single, je ferai le forcing et je pense que le label m'exaucerait. Actuellement je me soucie uniquement des concerts que je donne avec cette formation. Je ne veux surtout pas qu'on croit que j'ai pris la grosse tête, mais je trouve que nos concerts sont vraiment très bons. Les concerts que j'ai pu donner auparavant n'avaient pas beaucoup d'intérêt par rapport à ceux que nous donnons actuellement, et crois-moi c'est la seule chose qui m'importe. Je suis très content de jouer aux Etats-Unis et en Europe. J'ai envie que les gens qui viennent me voir en aient vraiment pour leur argent, que les dix Euros qu'ils payent pour leur place soient justifiés.

I Lost Connection est une de mes chansons préférées de l'album. J'aime beaucoup la mélodie au piano. Est-ce que c'est la reprise de Daniel Blumberg via son projet Oupa de Backwords qui t'a inspiré pour cette chanson?

C'est vraiment incroyable ce que tu me demandes là. Je ne sais pas ce qui t'a conduit à me poser cette question car en fait cette chanson parle de Daniel. Je ne l'ai pas composé en pensant spécialement à Oupa, mais j'ai pensé à lui pendant la dernière tournée. Nous nous étions vus, nous avions échangés sur nos vies respectives et toutes ces conversations ont continué de me faire penser à lui. Cette chanson est assurément le reflet de mes pensées à propos de ces échanges. Elle n'est pas exclusivement en rapport avec Daniel mais il en est la principale source d'inspiration.

Sur la pochette de ton nouvel album on aperçoit Mauro Remiddi. Peux-tu nous expliquer ce que cela signifie ?

Je suis très intéressé par le mouvement répétitif. Pas celui des boucles qui continuent à l'infini mais par l'action de répéter la même chose. Par exemple, répéter les mêmes mots. Ces répétitions peuvent devenir le reflet de quelque chose ou de quelqu'un. Dans le cas de la pochette, on me voit de dos et on me voit également sur le côté droit comme dans une forme de répétition. C'est simplement le reflet de moi-même d'une manière inconstante. C'est-à-dire que le reflet disparaît avec le temps mais il finit toujours par revenir. Lorsque tu te rends dans une église et que tu entends quelqu'un parler, la plupart du temps tu ne peux identifier d'où cette voix provient parce qu'il y a un décalage entre la parole et la possibilité de l'entendre. C'est ce que signifie ma pochette. Ma fascination du reflet, de la répétition, même si ça ne reste pas cela revient toujours, avec ce décalage qui la rend incontrôlable.

A propos des deux dernières chansons de Permanent Signal, est-ce que Five Minutes From Now représente la traversée de l'enfer avant d'atteindre le paradis de Echo ?

J'aime beaucoup ton concept. Je l'achète ! (rires) Je vais mentionner ce que tu viens de me dire dans ma biographie car je trouve cela magnifique !