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Fink

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 15 juillet 2014

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A peine assis en face à face dans les locaux de Radio Campus qui a prévu un interview de Fink juste après nous, une discussions à bâtons rompus s'engage sur Paris, la dégradation de sa propreté, ses nuisances sonores et les manifestations sociales françaises, en tous genres... Fink a la tête rasée et une barbe fournie lui donnant un air de Charlélie Couture dans sa jeunesse. Avec sa guitare en bandoulière, il a longtemps habité dans le quartier République avec sa compagne, Parisienne, et ce chanteur anglais connaît plus d'endroits branchés dans la capitale que beaucoup de locaux.

Fink adore discuter et échanger. D'un ton franc et parfois presque rugueux tellement il se montre terre-à-terre et sans craintes du qu'en dira-t-on, il a l’âme d'un artiste total qui a fait beaucoup de chemin. Son nouvel album, Hard Believer, est le parfait ambassadeur de son état d'esprit cartésien et pragmatique. Anglais en Angleterre, Français en France, Américain aux Etats-Unis… Entretien fleuve avec un rêveur parfaitement éveillé.

Je ne suis sûrement pas le premier à te poser la question, mais y a-t-il une volonté de jeu de mots dans le choix de ton nom d'artiste ? Entre ton vrai prénom, Fin, ou même le verbe To Think et Fink, on pourrait facilement le croire ?

Non. Il y a longtemps, j'étais à la recherche d'un nom d'artiste, dans un laps de temps très court. J'avais quelque chose comme deux ou trois jours pour décider comment j'allais me faire appeler... Et tu sais comme moi que les noms de groupes sont parfois étranges et peu identitaires. Comme Radiohead, par exemple, ou même les Rolling Stones. Si tu les traduis littéralement, tu te rends compte qu'un nom n'a pas trop d'importance, finalement (rires). Comme tu le sais, j'ai démarré comme DJ et mon premier métier consistait à piquer des samples d'artistes, à droite à gauche... Mon prénom étant Fin et le mot « Fink », en langage de rue américain, voulant dire « quelqu'un en qui on ne peut pas avoir confiance », je me suis dit que ce nom sonnait bien vu que j'étais en train de sortir un premier album où je repiquais des musiques d'autres artistes. Je n'ai pas joué une seule note de mes emprunts sur ce disque, rien que des samples ! Et j'ai trouvé ça cool, en plus. En 1998, j'étais plus enclin à dire allez vous faire foutre qu'à reconnaître ou informer les gens sur mes samples. Aujourd'hui, quand une production me demande si elle peut avoir la licence d'un de mes titres ou utiliser tel ou tel extrait de ma musique de l'époque sur tel ou tel film, je réponds non ! Ce sont majoritairement des samples de chansons de Georges Benson, Miles Davis et autres... et je n'en ai pas les droits. J'en ai un peu honte (rires).

Quand j'ai commencé à presque haïr ce que je faisais, j'ai tout plaqué.

Tu as donc démarré comme DJ et remixeur dans le trip-hop et l'électronica. Quand et comment as-tu décidé de changer d'univers pour devenir le Fink que l'on connaît aujourd'hui et qui évolue dans un univers folk ?

Je pense que cela avait d'abord à voir avec mon âge. Les clubs et faire le DJ tous les soirs, c'est quand même un truc de jeune ! Regarde l'âge de certains DJs aujourd'hui, comme ce sacré Guetta... Je dis ça sans critiquer. Je suis content pour lui. Il était là au début, il était là au milieu et il est encore là aujourd'hui ! J'ai aussi vu Sven Väth récemment à Berlin ; il joue encore lui aussi, à presque cinquante ans. Et c'était un sacré bon set ! Peut-être le meilleur de ces dernières années. Il a joué treize heures d'affilée ou presque, et le tout seulement avec des vinyles... Je ne suis pas dans la Trance ou la Dance, mais Sven Väth, j'adore toujours. Pour revenir à ta question, après six ans passés à être un bon DJ, reconnu internationalement – et c'était une sacrée bonne période ! - je me suis demandé ce que j'allais bien pouvoir faire par la suite. Et, devant moi, je n'avais aucun exemple de DJ qui pouvait prétendre faire ça toute leur vie en restant cool. Tout ceux que je voyais vieillissaient lamentablement avec leurs platines, dans les clubs. Ils buvaient leur jus d'orange jusqu'à des quatre heures du matin, pas plus tard. Plus d'alcool, plus de drogues, plus de fêtes en after... Et je me suis dit, si ton avenir c'est continuer à passer des disques sans avoir en compensation tout le fun qui va avec, ça devient un job de merde ! De nos jours, je pense que la donne est différente. Si j'étais un jeune DJ démarrant aujourd'hui, je verrais plus d'options se présenter à moi pour l'avenir. Tu peux devenir un Skrillex, un Guetta... Tu peux être un James Murphy et te diriger vers la production et créer un label... Mais, à mon époque, il n'y avait pas d'autres options que de faire autre chose, à un moment donné. Et quand j'ai commencé à presque haïr ce que je faisais, j'ai tout plaqué.

Cela a du être un énorme changement pour toi de te retrouver sur scène à jouer des folk songs pour la première fois ?

C'était le jour et la nuit ! C'était très difficile et très différent. C'était difficile techniquement, mais plus facile aussi en un sens car, pour la première fois, j'avais une setlist définie avec tant de titres à jouer et pas plus. S'ils aimaient, tant mieux, s'ils n'aimaient pas, tant pis. Il n'y avait pas grand chose que je puisse faire pour y changer quoi que ce soit. Quand tu es DJ, tu ne pars pas avec vingt disques en caisse en te disant : « Je vais jouer ça et pas autre chose ! ». Tu es obligé de ressentir l'ambiance du public et t'adapter. Plus doux ? OK. Plus dur ? OK. Un peu de vocal ? OK. C'est la différence la plus marquante liée à ce nouveau chemin que j'empruntais.

Où as tu rencontré tes partenaires, Tim Thornton et Guy Whittaker ?

J'ai rencontré Guy en sortant avec sa sœur. Elle était une des plus belles filles de son âge ! Lui était très jeune à l'époque, mais il avait déjà joué dans pas mal de groupes. Quant à Tim, notre batteur il a lui aussi beaucoup joué dans des groupes avant de jouer avec moi, et souvent avec Guy. Ces deux musiciens ont démarré très tôt leurs carrières respectives. A l'époque de l'album Biscuits For Breakfast j'ai eu besoin d'autres musiciens. J'ai donc immédiatement appelé Guy – dont j'avais quitté la sœur – et je lui ai demandé s'il jouait toujours de la basse et s'il était d'accord pour assurer cette partition sur mon nouveau disque. Quand il a accepté, je lui ai demandé s'il traînait toujours avec ce batteur que j'avais rencontré, Tim. Nous avons immédiatement commencé à travailler ensemble et nous avons attaqué les live presque aussi tôt. Je suis originaire de Brighton, mais eux sont tous les deux de Londres.

Peux-tu nous dire deux mots sur le label que tu as crée pour ce nouveau disque, R'COUP'D ? Tu ressentais le besoin d'avoir ton propre label après dix années passées au sein de Ninja Tune ?

La musique que nous jouons n'a jamais vraiment été calibrée pour Ninja Tune, ou l'inverse. Et c'est assez paradoxal parce que j'ai passé de nombreuses bonnes et productives années avec ce label. Biscuits For Breakfast, en 2006, était peut-être l'album qui collait le plus à cette maison de disques. Mais, Hard Believer, par exemple, ne correspondait pas du tout à Ninja Tune, à mon sens. Il y a des raisons à cela : par exemple, nous avons vite eu besoin d'avoir un vrai groupe avec un bus pour les tournées, une équipe pour nous épauler... Et Ninja Tune n'est pas vraiment dans le concept des « groupes » en tant que tels. Nous aimons Ninja Tune et je pense que c'est réciproque. L'amitié qui nous lie est réelle, mais le temps était venu pour nous de franchir une nouvelle étape. Nous nous sommes posés la question de savoir comment avancer et faire progresser notre groupe ? La solution était soit de quitter le label et signer ailleurs – ce que je ne voulais pas faire – soit de créer une entité à l'intérieur de Ninja Tune. J'ai beaucoup travaillé avec différents labels durant ma carrière ainsi que mon manager. J'ai crée un label rock, ça n'a pas marché ; j'ai crée un label folk, ça n'a pas marché ; j'ai crée un label Dance et celui là marche toujours... En créant R'COUP'D nous voulions un réceptacle pour signer des artistes que nous aimons et sortir nos propres disques. Et avec Ninja Tune toujours derrière nous, R'COUP'D leur permettra de sortir des artistes qui, eux aussi, pourraient ne pas vraiment coller avec leur image mais qu'ils aiment et qu'ils voudraient sortir, via notre label.

Tu as déjà quelques artistes en vue pour ton nouveau label ?

Absolument. Nous en avons deux en vue pour l'instant. L'un a déjà fait quelques disques ; il est vraiment talentueux et ce serait formidable que nous trouvions un terrain d'entente car j'aimerai vraiment le signer. Nous avons déjà parlementé et nous pouvons lui offrir ce dont il a besoin pour sa musique. L'autre est une jeune artiste américaine; elle est terrible ! J'aimerai l'avoir avec nous pour la mettre dans certaines conditions. J'aimerai la conseiller et lui dire « Arrête d'écouter Beyonce ou Katy Perry ! ». Tu dois écouter Janis Joplin car c'est de ça qu'il faut que tu te rapproches maintenant. Mais, je t'en ai déjà trop dit et je ne peux malheureusement pas te donner de noms. Pas encore...

Dans tes précédents albums, comme Distance And Time, tu parlais de gens éloignés les uns des autres. Quel est le thème de ce nouvel album, Hard Believer ?

Distance And Time, comme d'autres disques, parlait souvent de la solitude que mes passions ou mes centres d'intérêt créaient autour de moi. Et Distance And Time était le disque qui en parlait le mieux. Hard Believer traite de la foi en soi et de comment avoir confiance en soi et dans les autres pour progresser dans son art ou sa passion. Chaque disque est un risque pour nous et il faut avoir confiance en soi et dans les autres pour aller de l'avant et ne pas avoir peur de choquer ou de ne pas être attendus là où nous emmenons notre public. Et si ça ne fonctionne pas question attentes, tant pis. Cela sera de notre faute. Mais, nous ne nous serons pas corrompus à faire ce qui était le plus attendu de notre part. Si ta vie est un film où tu tiens le rôle principal, quelle serait la scène suivante que tu écrirais pour toi même afin que le film reste intéressant et que le public accepte de continuer à regarder ? En fait, je ne sais pas encore de quoi parle vraiment Hard Believer, mais je sens qu'il faut que ça parle de tout cela !


Où as tu enregistré Hard Believer ?

A Los Angeles, au Sound Factory Studio. Il y a là-bas un tel équipement, et tellement de bons disques en sont sortis, que si tu y fais un album de merde, ce ne sera jamais la faute du studio. Tu vois ce que je veux dire ? Chaque jour, en pénétrant dans ce studio, je passais devant un mur de disques accrochés et chaque jour je découvrais que j'avais un jour acheté ces disques et qu'ils représentaient le top de ce que la musique avait jamais produit.

Qui l'a produit ?

Billy Bush. Il a travaillé avec Garbage, Muse, Beck... Le truc le plus incroyable avec Billy Bush – excepté le fait qu'il connaît tout Los Angeles, Hollywood et ses artistes – c'est que c'est un pro comme peu d'autres le sont. Il fait ça tous les jours et il travaille rapidement et sans aucun doute dans ses actes. Et il a fait ses classes auprès de Bryan David « Butch » Vig. Autant te dire l'un des plus grands producteurs des dernières décennies, à la baguette pour le Nervermind de Nirvana ; pour te donner un seul exemple ! Avec Billy Bush, tu peux sortir un disque en seize jours ; un autre aurait besoin de seize jours pour faire trois titres !

Il semble que tu entretiennes une relation particulière avec Los Angeles. Cela vient d'où ?

Oh... J'ai une relation amour-haine très forte avec cette ville. Si tu es bon dans ton travail, L.A te mènera directement au succès et à l'argent. L.A, c'est là qu'est l'argent. Et je ne te parle pas d'argent européen, je te parle de Dollars ! C'est pour cela que tant de gens tentent leur chance à L.A ; de la serveuse de bar à l'acteur en passant par le chanteur de rue... Pour un européen, il n'y a aucune raison d'aller à L.A pour sa culture ou même sa nourriture. Et même architecturalement, c'est n'importe quoi ! On dirait une grosse banlieue, moche et sale. Plus sale que Paris (rires). La météo est géniale là-bas, mais tu es constamment dans ta voiture donc tu n'en profites pas ! Tu ne te promènes pas de café en café en faisant du lèche-vitrine dans les rues... Marcher dans la rue peut te valoir d'être arrêté par la police tellement c'est un comportement bizarre pour eux ! Mais, il est impossible de ne pas reconnaître que le succès inspire ceux qui se donnent les moyens d'y arriver. Là-bas, le succès – qu'il soit via de grosses voitures, de grosses maisons ou de gros comptes en banque – s'affiche partout et sans scrupules. A Paris, un million d'Euros te permettent d'acheter un appartement sympathique dans le Marais, pas plus. A L.A, un million de dollars te permettent d'acheter une superbe villa là où les stars vivent. Ici on se nourrit de Monet, Rembrandt et autres Picasso... Là-bas, tout ce qu'ils veulent ce sont de belles voitures et de belles maisons. Et, je ne sais pourquoi, mais j'adore cette franchise. Autre lieu commun : à L.A, tu ne finis pas à point d'heure dans des fêtes orgiaques. Il te faut conduire pour rentrer chez toi et donc, vu la sévérité des lois, à onze heure tu quittes les fêtes pour aller te mettre au lit en ayant bu un ou deux verres, maximum. Ta santé s'en ressent et tu restes en forme plus longtemps. Quand j'habitais à Paris, j'allais boire dans ce bar qui ouvrait jusqu'à 5h du matin et si je vivais encore ici, ce soir je serais sûrement allé chez Janou, à quelques mètres d'ici pour manger et boire jusqu'à très tard ! Sans compter que ce lieu recèle parmi les plus belles filles de Paris qui, souvent, ne sont pas autre chose que des escort girls à la recherche d'un client. A L.A, tu te lèves à 8h tous les jours et tu as toute la journée pour travailler. Cela fait la différence, souvent...

Je crois que c'est la première fois que tu écris et composes un album collégialement avec tes deux amis, Tim et Guy ?

C'est la première fois qu'on écrit et compose vraiment ensemble, c'est vrai. Pour dire vrai, tous les titres de Fink ou presque ont toujours été co-signés par nous tous. Mais par le passé, nous avions plutôt l'habitude de jammer ensemble et de garder le meilleur de ces sessions. Là, les portes étaient ouvertes et sachant que nous avions besoin de dix titres, tout le monde pouvait apporter sa pierre à l'édifice. Bien sûr, je chante ces titres donc il est primordial que je les aime et approuve. C'était une opportunité pour Tim et Guy d'écrire des textes, également, et de vraiment partager tout le projet. Y compris la promo ! Voilà cinq albums que je suis seul à assurer la promo de nos disques et je voulais qu'ils expérimentent, eux aussi, cette partie du travail. Je pense que tu apprends beaucoup sur ton travail et sur toi-même quand tu participes aux interviews comme la tienne.

Et finalement, pour toi, est-ce plus facile ou plus difficile de travailler collégialement sur un album ?

C'est plus facile pour moi ; du moment que je reste le boss (rires) ! Je plaisante, mais étant le chanteur, il est plus facile pour moi d'écrire ou de valider à plusieurs les mélodies par exemple. Quant aux textes, je dois être partie prenante du processus également, pour les mêmes raisons.

Ma vie est ma meilleure source d'inspiration.

Tes textes sont toujours intelligents et bien travaillés. D'où viennent tes inspirations ? Ce sont des histoires vécues ou des fictions ?

Ce n'est jamais de la fiction ; toujours des histoires vraies. Ma vie est ma meilleure source d'inspiration. Je sais toujours ce que je veux dire et comment je veux le dire. Mais quand tu aimes travailler les mots, ce n'est pas toujours facile de trouver le ton et les formules justes. Quand tu lis un bon roman, on dirait qu'il est aisé d'aligner les mots et les bons et que tout le monde est capable d'écrire des histoires ; c'est une erreur. Trouver des histoires à raconter n'est pas difficile ; les raconter avec élégance est une autre paire de manches. Et à contrario des Arctic Monkeys ou de The Rapture, par exemple, qui eux sont prolifiques au niveau des mots dans leurs textes, j'aime travailler à l'économie. Mon truc c'est de laisser de l'espace pour que les gens puissent remplir cet espace avec leurs propres pensées. Prince ou les Rolling Stones font ça parfaitement. Mon style c'est dire plus en en disant moins...

Dans quel environnement as-tu grandi ? As-tu eu un entourage artistique étant jeune ?

Mon père est dans l'art. Il est musicien également. J'ai grandi dans un milieu pas très aisé, mais comme c'était le cas de toutes les familles autour de nous, nous étions tous égaux (rires). Quand tu es enfant, tu as envie d'avoir plus et de gagner mieux ta vie, un jour. C'était donc un très bon déclencheur pour m'évader de mon milieu. Ma mère est très sociable et très douce. Mon père est un artiste difficile qui ne se livre pas beaucoup. J'ai eu une enfance qu'on pourrait qualifier de normale malgré tout. Mais voir mon père sacrifier son art pour nous donner cette vie normale – et il n'a jamais regretté son choix ; il avait deux enfants à nourrir et à fait ce qu'il fallait pour ça – m'a donné des ailes pour franchir la ligne jaune. Celle qui, une fois passée, ne te permet plus de revenir en arrière. Décision prise une bonne fois pour toutes.

Comme pas mal d'autres artistes anglais, tu vends plus d'albums en France ou ailleurs que dans ton propre pays. Comment expliques-tu cela ? Ta musique ne correspond pas à l'Angleterre ?

Pour la France je ne sais pas. Mais, je sais que je vends plus aux États-Unis qu'en Angleterre. C'est drôle parce que, parfois, il est vrai que je ressens que mon pays n'est pas friand de notre musique. En Angleterre, nous n'avons pas souvent droit aux radios et autres médias sans parler des TV qui nous snobent complètement. Je ne saurais pas vraiment expliquer cela, en fait. Je pense que nous n'avons pas eu la visibilité et le coup de pouce nécessaires dans notre pays à nos débuts. L'Angleterre, comme la France d'ailleurs, aime la nouveauté. Radio Nova avait adoré notre premier album. Le second était un peu moins diffusé, et ainsi de suite... Cela reste un mystère pour nous également. Pourtant, nous traitons l'Angleterre comme nous traitons tous les autres pays. Et puis c'est vrai que je ne me sens plus vraiment comme résident anglais ; j'ai toujours vécu un peu de partout... Au début, j'étais un peu vexé de ne pas être reconnu dans mon propre pays. Mais maintenant, je trouve agréable d'être arrêté dans les rues de Paris, Sidney ou Berlin par des gens qui ont écouté mes disques et désirent simplement discuter musique avec moi. Mais cela ne m'arrive jamais en Angleterre ! Il faut dire que là-bas, le marché du disque est tellement saturé... Si tu vois la liste des concerts à Londres chaque semaine, tu deviens fou ! Il y en a partout et pour tous les genres. Ceci expliquant peut-être cela. Parfois, une Lana Del Rey ou une Adele sortent de l'ombre alors que les maisons de disque ne s'y attendaient pas. Et dès que c'est le cas, tout le monde s'engouffre dans la brèche et tente de produire sa propre Lana Del Rey ou sa propre Lorde. Mais ça ne fonctionne jamais.

C'est également le fait des réseaux et l'immédiateté des choses qui conduisent les maisons de disques à vouloir aller toujours plus vite pour être les premiers à produire la « nouveauté » qui va marcher. Vous êtes loin de tout ça avec Fink, mais pourtant, vous êtes des fans d'Internet depuis ses débuts il me semble ?

Pour moi, Internet et les réseaux n'ont que des aspects positifs. Même le téléchargement illégal, je ne vois pas ça aussi durement que d'autres artistes. Quand j'étais jeune, j'aurais donné tout ce que j'avais pour avoir une seule cassette de mes titres préférés à la radio ! Aujourd'hui, les jeunes rippent les musiques des vidéos de Youtube. C'est plus ou moins la même chose. La différence majeure c'est que les groupes font plus d'argent avec les tickets de concerts qu'avec les ventes de disques. Même si leur téléchargement est illégal, s'ils viennent voir tes concerts, tu gagneras plus. Une fois en Pologne, nous jouions devant deux mille personnes. Nous avons lancé dans le public : « Combien d'entre vous ont acheté notre album ? ». Trois mains seulement se sont levées. Mais j'aime le bon son et les objets physiques. Donc quand j'écoute un titre ou un disque sur Internet, s'il est bon, je vais l'acheter. S'il est mauvais, j'ai économisé de l'argent. Internet est comme une vitrine de magasin où tu peux voir, sentir et comparer les produits. Et si tu aimes, tu ressors avec en ayant payé ton produit. Et tu peux acheter ton produit sans bouger de chez toi, la nuit, le jour, les jours fériés... C'est vraiment cool ! C'est vrai que certains groupes se plaignent qu'ils ne gagnent qu'une misère en vendant un titre sur iTunes. Mais si tu en vends un million ? Et si tu es complètement hermétique à l'argent, tu peux même te passer des maisons de disques. Tu peux faire ton propre vidéo clip, ton propre album en home studio... Tout est ouvert et possible avec Internet.

Le folk est censé être la musique live et un peu traditionnelle du peuple, au sens premier du terme. Penses-tu que la musique, en général, puisse encore changer le monde comme elle l'a fait dans les années soixante, par exemple ?

C'est intéressant parce que récemment, j'ai eu à écrire un article sur le titre Paint It Black des Rolling Stones pour un magazine rock assez connu. Il s'agissait de donner ses dix titres les plus importants de tous les temps. Et ce titre s'est avéré être mon numéro un. Figure toi que je me suis rendu compte que je ne possédais même pas le disque ou le single du titre ! Il est tellement devenu partie intégrante de nos vies, que tu n'as même plus besoin de l'avoir chez toi pour en parler et le comprendre. C'est une partie de ma réponse. Dans un deuxième temps, je pense que si tu es dans un genre spécial et engagé comme peut l'être à son niveau Lady Gaga avec tout ce que cela comprend de mouvement LGBT ou Transgenre autour, tu peux agir comme une sorte d'unificateur de ces mouvements et des gens qui n'osent pas encore le revendiquer. Et peut-être que sa présence et ses titres ont changé la vie de certaines de ces personnes. Mais est-ce que je vois un groupe qui aurait changé les choses en s'engageant politiquement dans des chansons depuis les dix dernières années ? Je ne crois pas. Aujourd'hui, je pense que tu changes et milites mieux avec une vidéo sur Youtube par exemple. Et là je pense aux documentaires de Michael Moore quand ils sont sortis. Et puis il faut dire que les temps ont changé... Aujourd'hui les choses sont plus cool que dans les années soixante ou soixante-dix, quoi qu'on en dise, et les raisons de protester ou de revendiquer moins nombreuses, en dehors du social. Donc, au final, ma réponse à ta question sera : Non (rires) !