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Gang Of Four

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 2 mars 2015

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Gang Of Four a beau avoir perdu sa voix, la groupe poursuit son chemin, aidé d'une armée d'invités prestigieux. What Happens Next, titre à la double symboliques après le départ du chanteur Jon King, sort le 2 mars sur le label Membran.

En visite promo à Paris, après un concert donné la veille au festival Les Aventuriers de Fontenay-sous-Bois, Andy Gill nous reçoit chez nos confrères de Radio Nova où il attend d'enregistrer « Dans les Oreilles De… », le rendez-vous nocturne nostalgique d'Isadora Dartial.

What Happens Next est le premier album de Gang Of Four sans Jon King. Comment s'est passé son départ du groupe ? Quand as-tu décidé de faire ce nouvel album, sans lui ?

Quand on a eu terminé l'avant-dernier album, Content, avec Jon King, nous avons enchaîné sur la tournée qui a suivi. Trois semaines aux USA, deux en Australie, Bruxelles, Paris... et à la fin de la tournée, Jon m'a dit : « C'est fini pour moi. Je veux maintenant me concentrer à cent pour cent sur mes autres activités ». Je lui ai répondu : « Je vais continuer à porter le groupe de mon côté car c'est que j'aime faire le plus dans la vie ». Comme tu le sais, j'officie également en tant que producteur depuis des années et j'ai donc pris cela comme un nouveau challenge qui me permettait de me concentrer sur mes propres envies et mes propres visions, en tant que membre du groupe, mais également en tant que décideur de la vision artistique du groupe. Pour être franc avec toi, je savais que cela serait difficile et que les gens diraient : « Comment va-t-il faire maintenant que son chanteur, Jon King, n'est plus là ? ». J'ai commencé à écrire certains titres et à poser ma voix dessus. Mais, très vite je me suis dit qu'il me fallait quelqu'un avec une meilleure voix que moi. J'avais les mélodies et les textes, mais il me fallait quelqu'un d'autre pour finir les premières démos. Je ne savais pas encore qui serait le nouveau chanteur officiel, mais un jour mon manager m'a envoyé quelqu'un en studio que je ne connaissais pas et c'était John « Gaoler » Sterry. Je l'ai payé en tant que chanteur studio pour les premières démos. Finalement, je me suis rendu compte que j'aimais beaucoup sa voix et je lui ai proposé de chanter live sur certains titres. Et puis, je me suis tourné vers les gens que j'écoutais ou que j'appréciais depuis longtemps comme Allison Mosshart (The Kills) ou Herbert Grönemeyer (ndlr : un des plus célèbres musiciens et acteurs d'Allemagne) - Est-ce que Herbert Grönemeyer est connu en France ? Apparemment, non... - qui est actuellement numéro un en Suisse ou en Allemagne avec son dernier disque. C'est une superstar dans ces pays-là ! J'ai également demandé à Robbie Furze, de The Big Pink de rejoindre le projet. Tous ces gens-là me donnaient l'impression que l'esprit de Gang Of Four serait poursuivi et honoré dans ce nouvel album. John « Gaoler » Sterry chante sur la moitié des titres de What Happens Next. Le reste des chansons, on les a partagées entre Allison, Robbie, Herbert et moi-même.

Tu t'attendais au départ de Jon King ?

Oui et non. Au cours des années passées, Jon a toujours eu un pied dedans et un pied en dehors de Gang Of Four. Mais, cette fois je pense qu'il a réellement tiré un trait sur Gang Of Four...

Ce projet remonte aux âges sombres de la fin des années soixante-dix.

À ce moment-là, est-ce que tu t'es dit, même l'instant d'une seconde que tu allais mettre un terme à la carrière de Gang Of Four ?

Non. Même pas pour une seconde ! Pendant quatre secondes, par contre, du fait de son départ, je me suis dit que j'allais peut-être changer le nom du groupe. Tu sais, ce projet remonte aux âges sombres de la fin des années soixante-dix. Et si j'étais la plupart du temps à l'origine de la musique, Jon et moi ensemble étions les moteurs du groupe. Mais Gang Of Four est mon bébé et continuera à l'être...

Dis-nous en plus sur ta rencontre avec John « Gaoler » Sterry ?

Il a débarqué un jour dans le studio et ses premières démos chantées m'ont tout de suite plu. J'ai donc organisé un concert secret dans un Pub, le Lexington à Londres, pour qu'il tente l'expérience du live. Il y avait pas mal de monde à ma grande surprise et beaucoup ont filmé le concert avec leurs smartphones. Du coup, on s'est retrouvés tous les deux en vidéo sur Internet dès le lendemain. Après ça, on est parti jouer en Chine, à Pékin et Shanghai, ce qui était très intéressant pour nous ; le public est très jeune là-bas, pas plus de vingt-trois ans de moyenne, très compact et connaissant par cœur les paroles des chansons. C'est très différent du public Européen.

En dehors de John « Gaoler » Sterry, il y a beaucoup d'invités prestigieux sur What Happens Next. N'est-ce pas difficile, parfois de diriger et manager tous ces musiciens et chanteurs venant d'autres groupes ?

Effectivement, c'est parfois compliqué. Et si tout s'est bien déroulé, au final, j'ai eu quelques doutes, parfois, sur la cohérence entre toutes ses voix si différentes. Mais, au plus l'enregistrement avançait et au plus j'étais rassuré sur la cohésion de l'album. Bien sûr, tout le processus d'enregistrement s'en trouve un peu compliqué.

Comment vont se dérouler les live de la tournée à venir avec autant de « guests » chantant sur What Happens Next ?

Quand on jouera en Allemagne, Herbert viendra chanter quelques chansons avec nous. Tu penses bien que le public sera ravi ! Mais, en mars, nous allons tourner aux Canada et je pense qu'il n'y aura aucun de ces invités avec nous. Uniquement John « Gaoler » Sterry et nous, nous serons donc quatre sur scène.

Tu appréhendes la réaction du public avec ce nouveau line-up et les nouvelles sonorités electronica de ce nouvel album ?

Jusqu'ici, tout s'est bien passé et le public a été très positif vis à vis de ces changements. Hier soir, nous avons joué à Fontenay-sous-Bois au festival Les Aventuriers et le soir d'avant, à Lyon, et le public était tout à fait ravi. C'est vrai que pour le moment, nous n'avons pas encore joué beaucoup des nouveaux titres de What Happens Next. Nous sommes encore en phase de répétition pour certains de ses titres et en 2015, nous serons fin prêts à jouer les titres les plus récents. Il y a dix-huit mois, nous avons joué à guichets fermés à Leeds, qui est notre ville d'origine, et le jour d'après, sur Facebook j'ai lu trois ou quatre commentaires agressifs qui disaient : « Ceci n'est pas Gang Of Four ! Où est Jon King ? ». Il y a deux semaines, nous avons à nouveau joué près de Leeds avec un public similaire et le jour d'après, je ne voyais plus aucun commentaire négatif sur les réseaux, mais on pouvait y lire : « Super concert les gars ! ». Je pense qu'il a fallu un peu de temps pour que certains acceptent les changements.

Combien de temps a pris l'écriture de l'album ?

Cela m'a pris bien trop longtemps... Notamment parce que tous les guests rendaient plus compliqué le processus. J'ai démarré l'écriture en 2012 et cela m'a pris en tout presque deux ans et demi pour achever le disque. Je vais te dire un secret, je ne suis pas le plus rapide dans ma catégorie (rires). Certains des titres m'ont pris des mois à eux seuls. Merde... il faut que je me débrouille pour travailler plus rapidement (rires) !


Sur quelles bases et quelles influences as-tu écrit et composé What Happens Next, un album un peu plus sombre que les précédents albums de Gang Of Four ?

Je t'accorde cela ; cet album est plus sombre que les autres... Concernant les textes, c'est un album très londonien, je pense. Londres est un peu comme un pays à part et à part entière en Angleterre. Cette ville a toujours été le centre du capitalisme le plus effréné. Aujourd'hui, Londres compte tellement de cultures différentes et nouvelles en quelque sorte. Beaucoup de Russes, d'Arabes des pays du Golf... des gens venant de tous les pays du monde, riches ou pauvres d'ailleurs. Les pauvres sont généralement issus des ex-colonies de l'Empire Britannique : Indiens, Pakistanais... Il y a ce livre que je relis régulièrement et qui se nomme Heart Of Darkness, de Joseph Conrad. C'est l'histoire de cinq hommes assis dans un bateau amarré sur la Tamise qui, à la nuit tombée, se racontent les histoires de leurs aventures. Et dans ce livre, une des histoires se passe en Afrique, sur le Congo qui est le symbole de l'Impérialisme, du pouvoir, de l'argent coulant à flot et se répandant dans des contrées encore sauvages. Et au bout de cette rivière Congo, il y a le colonel Kurtz... (ndlr : le livre qui inspira, Apocalypse Now). Dans ce nouvel album, il y a un titre qui se nomme Isle Of Dogs. L'île des chiens se situe sur la Tamise. C'est un endroit où les chiens errants étaient massés. Aujourd'hui, on voit l'Ile des chiens des tours de la City de Londres et j'imagine toujours un colonel Kurtz moderne qui serait trader millionnaire de la City, accroc à la coke et aux putes, du haut de son appartement « condo » de plusieurs centaines de mètres carrés... Dans le titre Where The Nightingale Sings, je parle de la dichotomie entre les gens vivant en ville et ceux vivant à la campagne et il y a cette idée que les gens de la ville ne savent plus parler entre eux et ne cherchent pas à savoir qui est le voisin ou le collègue de voyage en métro. Nous sommes tous des solitaires en ville. À l'opposé de la campagne où les gens se connaissent et échangent entre eux ; ils forment de vraies communautés. Ou plutôt, le souvenir d'un âge d'or de la communauté que pouvait former un village ou une petite ville, à une certaine époque. Mais, en contrepartie, ces gens-là sont assez hermétiques au fait d'accueillir des « étrangers » dans leur communauté. Et, actuellement en Europe, que ce soit en Angleterre, en Allemagne ou en France on a vu ces manifestations et parfois ces émeutes basées sur la peur des étrangers... Tout cela résume bien l'ambiance un peu plus sombre ou pessimiste dans laquelle j'ai écrit ces textes et dans laquelle, la période actuelle nous entraîne.

Tu penses que Londres comme Paris ou d'autres capitales ont perdu leur « esprit » ?

Non. Mais, je pense qu'il a changé. Et même si à Londres règne une étrange intensité, plus que partout ailleurs due à un grand stress permanent, dans un sens, cette intensité peut se révéler positive. Car, si des dizaines de cultures différentes se côtoient chaque jour dans cette ville, il faut reconnaître qu'ils arrivent à vivre ensemble d'une manière assez intelligente pour la plupart.

Revenons à l'album ; où l'as-tu enregistré ?

La plus grande partie du disque a été enregistrée dans mon studio, chez moi. Je me demande, d'ailleurs, comment on peut enregistrer un disque sans avoir son propre studio de nos jours ? Aujourd'hui, il n'y a plus d'argent dans l'industrie de la musique et qui peut encore payer 500£ par jour pour louer un studio privé ? En contrepartie, n'étant pas payé à l'heure de studio, tu mets un peu plus de temps à faire un disque... Et si j'ai tenu à faire la production moi-même, j'ai tenu à ce qu'une personne extérieure au groupe se charge du mixage de l'album. Mixer un disque demande un talent très précis. Sur les cinq derniers mois, j'ai quand même demandé à un autre producteur, Josh Rumble, de m'aider pour finaliser l'album. À chaque titre, tu te retrouves avec six ou sept prises et quelqu'un d'extérieur se doit de les écouter pour choisir la bonne. Josh m'a aidé à faire le tri avec une oreille neuve.

Je crois que c'est la première fois que Gang Of Four propose un titre chanté en Allemand, Staubkorn. Quelle est l'histoire de ce titre ?

Je pense que tu connais le réalisateur et photographe Anton Corbijn ? C'est un de mes plus anciens amis et il est ami avec Herbert Grönemeyer, également. Il nous a présentés, il y a plus de vingt ans maintenant. Quand j'ai démarré la création du disque, j'ai appelé Herbert et je lui ai proposé de se joindre à nous pour chanter une ou deux chansons. Et je me suis demandé : « Quel est le domaine où Herbert excelle dans son métier ? ». J'ai donc ré écouté ses albums et je me suis rendu compte que ce que je préférais chez lui ce n'était pas les chansons rock & roll de son répertoire, mais les titres plus anxiogènes et douloureux par les sujets. Quelque chose de très germanique, presque du Wagner... Et quand Herbert fait cela, il est tellement authentique et émotionnel dans ses textes et sa voix que tu sais qu'il ne triche pas. C'est exactement ce que je voulais de sa part. La tâche était d'écrire un titre qui sonne comme du Gang Of Four, mais qui atteigne les sentiments et l'émotion qu'Herbert maîtrise à merveille. Au bout de plusieurs semaines de travail, j'ai enfin pu écrire les paroles de ce titre, Staubkorn, The Dying Rays en Anglais, et une amie à moi, poète de langue allemande a fait la traduction pour Herbert. Herbert a d'abord chanté le titre en Anglais et c'était parfait. Et puis, je lui ai présenté la version allemande et je lui ai demandé de chanter le titre en Allemand. Il a d'abord ri, incrédule et puis il l'a chanté, en Allemand.

L'artwork de l'album montre deux tours jumelles, photographiées en contre-plongée. Y a-t-il une référence faite aux Twin Towers de New York ?

Pas du tout. Mais d'autres personnes m'ont demandé la même chose... En vérité, je n'ai jamais pensé à cela. Maintenant que tout le monde m'en parle, je me pose moi-même la question (rires) ! Je vois plutôt cela comme les tours récentes de Londres et l'expression d'une tension qui s'exercent entre ces tours et la population.

Par le passé, si Gang Of Four avait des textes engagés, cela n'a jamais été comme un message politique.

Tu as toujours été très engagé dans tes textes, que ce soit socialement ou politiquement. Le nom du groupe lui-même est un engagement politique ! Qu'est-ce qui te motive à écrire des chansons engagées ?

Par le passé, si Gang Of Four avait des textes engagés, cela n'a jamais été comme un message politique. Nous voulions surtout faire des constats, poser des questions et pointer des injustices ou des inégalités. Je pense que cet album n'échappe pas à la règle, notamment avec le titre Where The Nightingale Sings. Si tu prends England Is In My Bones qui joue d'un double sens ; cela peut être vu comme une maladie dans mes os, mais également un cri de ralliement pour des nationalistes exacerbés. En fait, c'est une image pour décrire la crise d'identité que traverse l'Angleterre, mais également pas mal de pays d'Europe.

En même temps que Gang Of Four, tu as produit de très nombreux artistes durant toutes ces années. De quel disque ou de quel artiste gardes-tu le meilleur souvenir ou es-tu le plus fier ?

Étrangement, le souvenir le plus fort reste celui de l'époque où je travaillais avec Michael Hutchence (INXS) et quand je produisais et co-écrivais son album solo. Et puis Michael est décédé, brutalement, alors que quatre-vingt-dix pour cent du disque étaient achevés, sans label pour nous soutenir. À ce moment-là, aucune maison de disque n'a voulu prendre la relève et finaliser ce disque. Il a fallu attendre un an pour que Richard Branson s'implique dans ce disque avec V2. Il y avait ce titre, Slideaway, qui était toujours au stade de démo, que le label adorait et voulait voir figurer sur le disque fini. Mais, le problème c'est que Michael n'avait pas eu le temps de finir sa partie vocale... Et là je me suis dit, que vais-je faire ? J'ai donc pensé à écrire de nouvelles paroles et j'ai appelé Bono pour lui demander s'il acceptait de venir chanter sur ce titre, en complément. Il est venu, a amené de nouvelles idées mélodiques et nous avons finalisé, avec les choristes ce qui reste comme mon seul duo post-mortem. Sûrement le titre le plus étrange et émotionnel que je n'ai jamais produit...

En 2011, tu déclarais dans une interview donnée à Sound Of Violence que tu détestais le format mp3. Pense-tu que toutes ces nouvelles technologies que tu as vu croître au cours des années passées sont responsables de la chute de l'industrie du disque ?

Si tu as dix-sept ans de nos jours et que tu as le moyen de trouver le titre que tu cherches, gratuit sur Internet, que vas-tu faire ? Il est difficile de blâmer cette personne qui va aller télécharger un titre illégalement sur Internet... Néanmoins, les musiciens sont en difficulté de nos jours. Il y a de moins en moins d'argent dans le circuit. Des studios d'enregistrement ferment chaque semaine. Et à moins que tu ne finances ton disque à cent pour cent par toi-même, la seule autre solution c'est d'enregistrer dans ta chambre avec ton laptop ! Donc, oui cela devient compliqué avec toutes ces nouvelles technologies, mais l'industrie du disque est coupable elle aussi. Coupable de la non-réponse apportée à ces problèmes. Coupable de son manque de vision à moyen et long termes. Les gens achètent de moins en moins de disques et écoutent de plus en plus la musique en streaming. Ce que je réprouve, mais c'est pratique, pas cher et facile... Dans le même temps, il se vend de plus en plus de vinyles et quand on connaît la piètre qualité du mp3, on se prend à espérer un sursaut. Il va bien falloir trouver une solution pérenne, sinon les artistes ne pourront plus faire de disques et ne pourront plus vivre de leur musique.

Quarante ans après les débuts de Gang Of Four, les fans sont toujours présents, du Japon à l'Australie en passant par l'Amérique ou l'Europe. Comment expliques-tu cette fidélité ?

C'est toujours fascinant d'être au Brésil, par exemple et d'entendre ces jeunes et très réputés groupes locaux faire référence à Gang Of Four. Je crois que les langages musicaux et lyriques que Gang Of Four ont inventé à l'époque étaient novateurs et différents, à l'opposé de la musique jetable qui s'est démocratisée par la suite. C'est une musique plus difficile à appréhender et qui demande du temps pour être appréciée