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Theory Of Ghosts

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 3 février 2023

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Six ans après avoir mis un terme à Piano Magic, Glen Johnson a décidé de lancer un trio composé de deux membres issus de la formation du groupe mythique (Glen Johnson et Franck Alba) et d'un tout nouvel élément (Robert Hervais-Adelman). Empruntant leur nom d'un des morceaux de Disaffected, un des albums cultes de Piano Magic, Theory Of Ghosts ont sorti leur premier quatre titres, sobrement intitulé EP1, le 20 janvier. Le lendemain, la scène les attendait pour leur toute première prestation live, à Paris sur la scène du Petit Bain. Sound Of Violence a eu la chance de les rencontrer à cette occasion. Au-delà de leur performance live, ce fut la toute première interview du groupe. Retour sur ce moment historique.

Pourquoi avez-vous décidé de créer Theory Of Ghosts ?

Glen Johnson : En fait, ça m'a manqué de jouer avec un groupe. Depuis la fin de Piano Magic, j'ai joué beaucoup de musique électronique dans mon coin, mais le besoin d'interaction et de jouer avec d'autres musiciens dans la même pièce s'est fait sentir. C'est vraiment une sensation très différente de jouer avec d'autres personnes plutôt que de retrouver tout seul pour composer.

Votre premier EP est sorti hier. Un autre sortira aux alentours du mois d'avril. Pourquoi, comme avec ton autre projet Future conditional, vous n'avez pas sorti d'emblée un album de Theory Of Ghosts ?

Glen Johnson : Nous avons cherché à utiliser un modèle différent. Plutôt que de s'attaquer directement à un album, nous avons voulu écrire des chansons et les publier rapidement. Un album nécessite un long moment et nous avons le luxe d'avoir un studio d'enregistrement juste au coin de la rue où nous vivons. Franck habite quasiment juste à côté de chez moi et Robert vit dans le même coin. Cela facilite vraiment les choses.

L'influence musicale de Piano Magic est indéniable sur l'EP. Votre nom est tiré d'une chanson du groupe. Y a-t-il derrière tout ça une sorte de jeu de piste ?

Glen Johnson : Il y a une forme de continuité mais nous ne voulons plus être Piano Magic. Du temps a passé. Nous sommes bel et bien Theory Of Ghosts. Nous allons jouer quelques chansons de Piano Magic ce soir. Mais l'objectif est d'écrire de nombreuses chansons avec notre nouvelle formation afin que le stock des chansons de Piano Magic s'épuise. Mais ce sont nos débuts et c'est une période de transition. Nous ne pouvons pas passer de l'un à l'autre comme ça, en un claquement de doigts. Franck et moi aimons toujours les chansons de Piano Magic. Il n'y a pas de raison d'oublier qui nous sommes et d'où nous venons.

Est-ce que toutes les chansons sont nouvelles ou y a-t-il dans vos chansons des compositions de Piano Magic qui n'étaient pas terminées ?

Glen Johnson : Ce sont toutes des nouvelles chansons. Nous écrivons beaucoup de chansons et très rapidement. J'ai beaucoup de textes, ce qui nous aide à avoir produire de nouveaux morceaux facilement. Piano Magic avaient cette tendance à écrire des chansons lentement. Nous étions nombreux avec des personnalités assez complexes, ce qui n'aidait pas pour terminer rapidement les compositions. Plus il y a de gens impliqués dans le process, plus c'est long pour qu'une chanson aboutisse. Le fait d'être un trio, c'est vraiment parfait.

Robert, comment as-tu connu Glen et Franck ?

Robert Hervais-Adelman : Je connaissais Franck, étant donné que nous habitons dans la même zone. C'est un grand ami d'un de mes frères. J'écoutais Piano Magic quand j'avais treize ans. Franck m'avait offert le CD de The Troubled Sleep Of Piano Magic. J'avais vraiment beaucoup aimé ce disque. J'ai joué avec Franck à différentes occasions. Il m'a ensuite présenté à Glen.
Glen Johnson : Je connais également son frère. Nous nous croisons souvent dans la rue.

Comment avez-vous procédé pour réaliser cet EP ? Était-ce comme par le passé ou avez-vous travaillé de manière différente ?

Glen Johnson : : Franck et moi n'avons jamais arrêté de travailler ensemble depuis la fin de Piano Magic. Nous nous sommes vus quasiment toutes les semaines, simplement pour le plaisir de jouer ensemble. Nous avons donné quelques concerts, comme celui au Comets Café, ou encore le concert de charité pour l'Ukraine.
Franck Alba : Normalement, je travaille à une démo et je la propose à Glen et Robert. C'est très organique et tout se passe rapidement. Il n'y a pas de recette particulière. Glen a beaucoup de textes et il arrive que nous nous mettions à répéter en fonction de celui-ci. Nous trouvons des riffs de guitare et au final cela devient une chanson.
Glen Johnson : Piano Magic avaient un son très particulier. Je ne voulais pas spécialement m'éloigner de celui-ci, mais je tenais à ce que ce soit plus mélodique. J'ai toujours aimé The Smiths et je ne voulais pas que mes influences sonnent un peu trop naïvement.

Comment décrirais-tu ce premier EP ? Un disque mélancolique ?

Glen Johnson : Je trouve que c'est un disque optimiste, beaucoup plus que bon nombre de chansons de Piano Magic. C'est bien plus romantique et je trouve que mélancolique est un mot intéressant car je suis de cette nature. Je ne trouve pas que la mélancolie ait quelque chose à voir avec la dépression. Elle peut être très belle, tout comme la tristesse. The Apartments font ce qu'on appelle de la jangle pop. J'aime beaucoup cette idée que nous en faisions également.

La fin de Piano Magic fut assez triste, musicalement parlant, surtout l'atmosphère sur Life Has Not Finished With Me Yet. Il y eut ensuite Closure, le chapitre final du groupe. Est-ce qu'on peut considérer que Theory Of Ghosts est en quelque sorte une forme de renaissance ?

Glen Johnson : Pour nous, Life Has Not Finished With Me Yet signifiait la fin du groupe, ou tout au moins c'était ce que je pensais. Nous n'étions plus heureux ensemble. Mais malgré tout, j'ai senti que nous avions encore un autre disque en nous. Aussi nous avons fait ce tout dernier album ensemble, dont nous sommes très fiers. J'aime ce disque mais je lui préfère Closure. Aujourd'hui c'est devenu difficile, parce que tout le monde pense que c'est terminé pour Piano Magic, mais peut-être qu'un jour nous nous reformerons. Je n'en sais rien, mais rien n'est pas impossible.

La pluie à la fin de When The Rain Stops, la mer au début de Actresses Who Sing... les éléments naturels occupent une place importante dans ta musique ?

Glen Johnson : Tout à fait. Donner le ton de l'atmosphère avec des sonorités narratives est quelque chose qui compte pour toi. La pluie à la fin de When The Rain Stops a été enregistrée alors que nous étions en studio pour ce morceau. J'étais en train de pisser et j'ai entendu qu'il pleuvait. J'ai donc demandé si nous pouvions sortir pour enregistrer la pluie qui tombe. Nous nous sommes mis à la porte et voilà. Pour moi ce genre de choses est vraiment important. When The Rain Stops parle de Paris. Quand nous sommes venus donner ce concert au Comets Café, nous sommes retombés amoureux de cette ville. Nous avons passé quatre jours formidables. C'est aussi pourquoi nous sommes là aujourd'hui. Regarde, Franck porte un béret (Rires).

J'aime beaucoup le changement, le break dans cette chanson. C'est comme si elle se transformait avant de reprendre comme initialement. Tu ne voulais pas la terminer quand tu chantes "If you tell me this was heaven, I just would just lay down and die" ?

Glen Johnson : C'était pour clarifier cette sensation que je pouvais avoir à ce moment précis. Il ne pleut plus à Paris. Les buissons sont mouillés. Quelqu'un est en train d'allumer une cigarette. C'est vraiment contextuel et c'est un peu comme si c'était le dernier moment de mon existence sur terre. C'est un très beau moment. C'est pour cela qu'il y a cette pause, pour amplifier ce sentiment.

Pouvez vous nous en dire plus sur la chanson Actresses Who Sing ?

Franck Alba : Ma petite amie est une actrice, et elle chante parfois. La chanson est basée sur le concept du jugement, dans le cas précis le fait de chanter lorsqu'on est une actrice. Les journalistes ont toujours un avis sur la question.
Glen Johnson : Cela est souvent arrivé par le passé. Paloma Picasso par exemple, ou plus récemment Charlotte Gainsbourg ou Scarlett Johansson, Irène Jacob... Pourquoi ne devraient-elles pas chanter et sortir un ou des disques ? D'autant que le fait d'être actrices ne signifie pas qu'elles sortiront un mauvais album. La chanson est assez ironique, mais c'est vraiment surtout contre les journalistes qui critiquent à tout va, alors qu'eux même ont parfois des vies très ennuyeuses et qu'ils ne sont pas en position de dire aux autres ce qu'ils devraient et ne devraient pas faire.
Franck Alba : Les bons journalistes sont morts ou emprisonnés (Rires).

Glen, tu t'occupes du label Second Language Music. Est-ce facile de gérer un label indépendant à notre époque ?

Glen Johnson : C'est très compliqué. Ce qui a tué le business au Royaume-Uni, c'est le Brexit. C'est un véritable désastre. Les petits labels disparaissent les uns après les autres. Les personnes extérieures au Royaume-Uni n'achètent plus de disques chez nous à cause des tarifs postaux démesurés. Des centaines de clients ont donc décidé d'arrêter d'acheter des disques. Ils me disent "Glen, j'aime ta musique, mais ça coûte vraiment trop cher". Le Brexit tue donc les petits labels et les services postaux européens également, en profitant que des paquets arrivent du Royaume-Uni pour leur ajouter des taxes. C'est vraiment écœurant.

Et pour presser des disques ? Est-ce compliqué également ?

Glen Johnson : C'est assez facile car les disques sont pressés en Angleterre. Il y a des usines de fabrication de CD au Royaume-Uni. C'est possible d'avoir des disques pressés en dix jours. Notre EP a nécessité sept jours pour être disponible.

Tu as toujours eu une connexion avec la France. Tu es et a été entouré d'artistes et de musiciens français ? D'où cela vient-il finalement ?

Glen Johnson : C'est assez une forme de coïncidence. Robert, ta mère est française.
Robert Hervais-Adelman : Tout à fait, elle est née à Paris mais je suis né à Londres.
Glen Johnson : C'est vrai que c'était le cas avec Piano Magic. Quand j'étais adolescent, j'étais très francophile et obsédé par les films français de la Nouvelle Vague. J'ai rencontré Jérome Tcherneyan qui venait de Marseille, et qui vit à Londres. Il est devenu le batteur de Piano Magic. Nous avions besoin d'un guitariste et il m'a présenté Franck. A cette époque, ma petite amie était Angèle David-Guillou. Nous sommes restés assez longtemps ensemble. Il y a également Cédric Pin, qui vient du Sud de la France pour nous voir ce soir. C'est un de mes meilleurs amis. Est-ce que tout ça est une coïncidence ? Je ne sais pas. Je ne suis pas à la recherche de personnes françaises mais elles traversent naturellement mon existence.

Franck et toi avez donné quelques concerts en acoustique l'été dernier. Y avait-il une idée bien précise derrière ça ?

Franck Alba : Nous voulions simplement jouer ainsi. Glen et moi en avions discuté depuis un bon moment. Le Comets café est un endroit tout petit, de ce fait, jouer en duo était vraiment parfait. Nous avions déjà revisité des morceaux du catalogue de Piano Magic. Par curiosité, nous voulions nous retrouver avec simplement nos deux guitares. Ce fut vraiment un bon moment et un vrai challenge également.
Glen Johnson : Ces chansons ont permis aux gens présents d'avoir un vrai retour aux sources. C'est bien parfois de tester des choses nouvelles. Je n'ai pas de problèmes avec le minimalisme car je ne suis pas un guitariste en tant que tel. Je suis avant tout un parolier, et un guitariste.
Franck Alba : Le mieux est l'ennemi du bien.

Certaines de vos chansons sont très longues, parfois vingt ou même quarante minutes. Que préférez-vous entre le format très long et le format plus classique des morceaux de trois à cinq minutes ?

Glen Johnson : Pour moi, la seule chose à laquelle je fais attention dans la durée d'une chanson, c'est si elle dure quatre minutes et vingt secondes. Lorsque Robin Guthrie a commencé à réaliser l'album Blue Bell Knoll des Cocteau Twins, il a déclaré : "il n'y aura pas de chanson au format de quatre minutes et vingt secondes sur ce disque". J'adore ce disque. Tu n'as pas le temps de t'ennuyer avec les morceaux de cet album. Mais tu sais, j'aime Brian Eno qui a fait des morceaux de musique très longs. Je n'ai pas de problème à faire ce genre de musique, car ce sont des plages musicales très répétitives. Je laisse l'enregistrement en route et nous continuons d'improviser avec les guitares. Autobahn de Kratftwerk ou You Do Right de Can font partie de mes chansons préférées. J'aime le fait qu'on se sente complétement immergé dans celles-ci. Je n'aime pas vraiment quand on essaye d'intégrer des tas de choses dans un format court.

Ce soir vous allez donner le tout premier concert de Theory Of Ghosts. Que ressentez-vous ?

Robert Hervais-Adelman : Je suis très excité. La salle me semble très bien et le fait de se trouver à Paris pour cet évènement c'est vraiment quelque chose qui me donne envie.
Glen Johnson : Jouer When The Rain Stops dans un décor parisien, c'est vraiment quelque chose de spécial. Nous connaissons Pete (Astor) depuis longtemps. Il chante sur le second album de Piano Magic. Je l'ai connu quand je travaillais chez Rough Trade Records. Il travaillait à Momento Music. Nous nous appelions tout le temps. Au tout dernier concert de Piano Magic à Londres en 2016, Pete était notre première partie. Il y a vraiment une connexion entre nous. Nous sommes un groupe européen, et cela compte beaucoup pour moi. Nous voulons vraiment jouer en Europe sur le continent autant que possible. Le Brexit a cassé beaucoup de choses et nous essayons d'en créer de nouvelles grâce à la musique. Que ce soit volontaire ou pas, c'est vraiment une situation très triste pour le Royaume-Uni et l'Europe. Je pense que vous allez survivre. Quant à nous, nous sombrerons dans la mer.

Photographie : © John Barrett