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Blood Red Shoes

Interview publiée par Adonis Didier le 30 octobre 2023

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Vous saviez qu’il y avait un studio de danse à l’étage du Point Ephémère ? Eh bien moi non plus, mais c’est là que l’on a eu la chance de discuter une petite vingtaine de minutes avec Laura-Mary Carter, co-chanteuse et guitariste du groupe Blood Red Shoes, peu avant le concert parisien du duo dans la salle du quai de Valmy. L’occasion d’aborder leur tournée de « petites salles punk », les directions musicales d’un groupe en pleine évolution, la carrière solo de Laura-Mary Carter, ainsi que sa personnalité, ses avis sur l’industrie musicale, ou encore de savoir s’il fait bon vivre et faire de la musique à Brighton.

J'ai vérifié avant de venir, ce soir c'est le 122ème concert de Blood Red Shoes depuis début 2022... tu vas bien ?

Je suis clairement fatiguée. J'ai pris froid en plus là... Donc je sens la fatigue, mais je suis toujours là, et on n'a pas eu à annuler quoi que ce soit, donc c'est top !

Il y a déjà eu une tournée pour l'album GHOSTS ON TAPE l'an dernier, mais avec moins de dates que prévu à cause du COVID-19. C'était une envie, un besoin de repartir pour une grande tournée au Royaume-Uni, en Irlande et en Europe pendant un mois et demi ?

Je crois que le plan c'était juste de faire quelques concerts dans une ambiance plus punk et resserrée, et ça a fini en tournée de cinq semaines. Ne me demande pas comment c'est arrivé, ça n'a clairement rien à voir avec moi ! D'un coup, hop on est en tournée, c'est parti, mais d'un côté c'est marrant, parce que la tournée précédente, on revenait tout juste du COVID-19, et les gens étaient un peu inquiets à l'idée de ressortir. Cette fois-ci, c'est un peu un retour à la normale. Au final c'est une très bonne tournée, on a fait complet sur quasi toutes les dates, dans des salles assez petites mais avec de très bonnes vibes !

L'an dernier, sur la tournée GHOSTS ON TAPE justement, vous étiez quatre sur scène, avec un bassiste et un claviériste en plus. Pour cette tournée vous êtes revenus à uniquement Steven (ndlr : Steven Ansell, co-chanteur et batteur de Blood Red Shoes) et toi...

On voulait des gens en plus pour pouvoir jouer certaines chansons, donc on a fait cette tournée avec eux, et ensuite, quand on est arrivés à un point où on allait ne plus être que deux, pour des raisons financières et autres, on a réalisé qu'on pouvait sans doute jouer une partie de ces chansons en duo, et on s'est débrouillés comme ça. On ne peut pas tout jouer, pour Eye To Eye et d'autres chansons c'est trop compliqué en n'étant que deux, mais on s'est dit que comme on l'avait fait sur la tournée précédente, on pouvait passer à autre chose et revenir au format en duo. Et je pense que les gens aiment bien ce duo, il y a une énergie particulière. La majorité de ces dix-neuf dernières années on a tout joué à deux, donc ça reste une habitude pour nous. Et de revenir à ça pour une tournée de salles plus punk, ça faisait aussi du sens !

De ce duo, tu es la plus réservée, je ne sais pas si je peux dire la plus timide même ?

Je pense que je suis réservée plus que timide.

Et tu n'as jamais essayé d'être aussi électrique que Steven sur scène ?

Tu sais ce qu'on dit, trop de cuisiniers dans la même cuisine, ce genre de choses... Il a sa façon d'être, je ne peux pas le battre sur ce point, et ce n'est pas dans ma personnalité d'essayer. Il a sa personnalité propre, et les rôles se sont répartis comme ça avec le temps. Je suis plus réservée, lui c'est le gars qui parle. Mais quand je fais mes propres trucs, et c'est pour ça que j'ai lancé mon projet solo, je peux être ce que je veux. Donc avec Steven, on est des personnes très différentes, et sur scène, comme on est que deux, ça se voit de manière extrême... Je veux dire, j'ai essayé, mais il est... Il n'y a rien à faire contre celui-là ! (rires) Il est qui il est, et je suis qui je suis.

Est-ce que c'est cette opposition qui vous fait tenir ensemble depuis tout ce temps ?

Eh bien oui, peut-être. Parce qu'imagine, si j'étais comme Steve, ce serait juste trop, ça partirait dans tous les sens. Il est très vif dans ses pensées, il pense et il agit très rapidement, quand moi je pense les choses un peu plus avant de les lancer. Et c'est une bonne combinaison, parce que sans ça on finirait par faire des trucs absurdes si on était tout le temps en mode « oh ouais ouais ouais ! ». Moi je suis plus « réfléchissons encore un peu, posons-nous deux minutes », et du coup si on était les deux comme ça il ne se passerait jamais rien, ce ne serait pas mieux ! Donc oui, c'est un bon combo !

A propos de GHOSTS ON TAPE, votre dernier album sorti début 2022, vous l'aviez écrit ensemble à Los Angeles. Vis-tu toujours là-bas ?

Non, je suis revenue au moment du COVID-19, et j'ai plus été en tournée qu'à la maison depuis, donc... Je ne sais pas, c'est un peu un entre-deux en ce moment !

A Los Angeles, vous avez écrit cet album sans batterie, sans ampli, en branchant ta guitare sur un ordinateur et en utilisant des synthés et des boucles de batterie… Que penseraient les Blood Red Shoes d'il y a quinze ans, qui ne juraient que par une batterie et une guitare ?

J'imagine que les gens changent, tu ne peux pas toujours rester la même personne. Si tu restes pareil toute ta vie, c'est bizarre non ? Nous, on venait de la scène punk, on a pris beaucoup de cet esprit, mais après quand tu vieillis, avec le temps qui passe, tu veux essayer de nouveaux trucs, parce que tu n'as pas envie de t'ennuyer à ressasser les mêmes trucs tout le temps. C'est bien de te mettre un coup de pied au cul et d'essayer des nouvelles choses. Donc oui, on a changé d'avis, mais on change d'avis tout le temps, donc on pourrait très bien revenir en arrière, ou partir encore ailleurs, je n'en sais rien ! Qui sait ? On ne planifie vraiment rien du tout !

Vos dernières sorties ce sont les sessions acoustiques de MURDER ME et DIG A HOLE, en plus d'un album de remixes par d'autres groupes de certaines chansons de GHOSTS ON TAPE. J'ai l'impression que le Blood Red Shoes actuel n'a jamais été plus éloigné du Blood Red Shoes originel que maintenant, vous savez où vous allez ?

Je n'ai aucune idée d'où on va ! C'est comme si on n'avait jamais su où on allait, depuis le début. Quand quelque chose nous semble bon, on le fait, et si le voyage est cool ça mènera quelque part. Je pense qu'avec le temps on est aussi devenus moins précieux, et c'est peut-être pour ça qu'on s'autorise à essayer plein de nouveaux trucs. Quand tu montes un groupe, tu veux avoir ta propre identité, et bien figer qui tu es, mais comme le temps passe, tu deviens de plus en plus ouvert aux collaborations, aux nouvelles idées, de toi ou des autres, parce qu'à un moment tu tentes de faire tes preuves. Ensuite tu arrives à un point où tu es depuis tellement longtemps dans un groupe que tu n'as plus rien à prouver, et tu fais juste ce qui te rend heureux. Et puis, aussi, tu es plus... Tu vois, je refusais que quiconque joue mes parties de guitare parce que je tenais, et aussi en tant que femme dans ce milieu, à ce que personne ne me prenne ça, parce que j'avais bossé vraiment très dur pour pouvoir dire que ça ce sont mes parties, c'était mon truc. Mais maintenant, si quelqu'un peut jouer ça mieux que moi pour un enregistrement, je m'en fous, qu'il le fasse ! A un moment, tu arrives à un point où... Je ne sais pas si j'y suis vraiment déjà mais... (rires) Je n'ai plus besoin de prouver quoi que ce soit aux gens, ça au moins c'est sûr.

Donc ton projet solo ce n'est pas un besoin de t'affirmer et de te prouver hors de Blood Red Shoes ?

Mon projet solo c'est différent. Ça représente plus mon cœur. Dans le groupe, on est un duo, donc on écrit à propos de choses qui nous touchent, mais de manière collective plus que de manière personnelle. Donc je ressens mon projet solo comme véritablement qui je suis. Si tu me connais, tu sais que c'est moi, ça sonne comme moi, donc c'est une chose différente, ce n'est pas pour prouver... OK c'est peut-être en partie pour m'affirmer ou me prouver des trucs, peut-être, mais pour moi c'est surtout un besoin de le faire, là, maintenant. D'ailleurs je vais sortir un album prochainement, et je suis vraiment à fond dessus parce que j'en suis arrivé au point où j'ai besoin de le faire pour moi-même. J'ai besoin d'exprimer quelque chose, de faire sortir quelque chose ! Et je ne peux pas le faire autant avec le groupe.

Donc le vrai toi, c'est du folk americana ?

Eh bien, le nouvel album ne sera pas tout à fait comme ça. Je pense que j'avais trouvé un son, mais ce n'est pas tellement du son que je parle, je parle des paroles, des mélodies, tout ça. J'écoute beaucoup de folk, de soul, d'americana, toutes ces choses-là. Je n'écoute plus tellement de rock ces temps-ci, donc j'imagine que je me déclare officiellement vieille ! (rires) J'ai pas mal écouté du rock, mais jamais autant que ce que les gens le pensent. Je me retrouve beaucoup dans les paroles, donc tout ce qui est du genre Elliott Smith, je vais vraiment accrocher. C'est plus moi.

De ce que j'ai pu lire, tu as des goûts musicaux très variés. J'ai trouvé notamment une interview de Steven où il disait que tu adorais les Smiths, un groupe qu'il déteste, mais que tu détestais Queen, alors qu'il les adore !

Je déteste Queen ?

C'est lui qui l'a dit !

Oh non, je ne déteste pas Queen ! Ce n'est juste pas un groupe qui m'enchante trop. Je sais qu'ils ont de très bonnes chansons, je ne dis pas le contraire ! Mais je ne suis pas vraiment amoureuse de leurs chansons !

Mais à côté de ça, tu adores les Smiths et Morrissey ?

Je n'adore pas Morrissey, oh non ! J'aime bien les Smiths par contre, oui, même si je dirais pas que j'adore les Smiths. Mais oui j'aime les Smiths, c'est un bon groupe !

Pour revenir à ton projet solo, tu vas sortir un album bientôt donc ?

Oui, après cette tournée on va faire une petite pause, et je vais enregistrer un album qui va sortir à un moment donné l'an prochain. Un vrai album, parce que je n'ai sorti qu'un EP avant.

Et tu sais déjà ce que ça va être, tu as déjà les chansons ?

Oui, j'ai déjà les chansons, parce que je dois enregistrer dans.. Dans pas très longtemps, en fait ! J'ai écrit les chansons et le tout a un thème, c'est vraiment un album thématique mais en fait c'est tout ce que je peux dire parce qu'on n'a pas encore fini !

Et ce sera produit par Steven ? Ou tu veux, ou as besoin, de faire ça de ton côté ?

Cette fois ce ne sera pas lui, non, parce que c'est totalement différent. Je pense qu'il produit un genre de musique très différent, et quoi qu'il se passe quand on travaille ensemble, ça finit toujours par ressembler à Blood Red Shoes. Je peux l'entendre, comme un truc par défaut dans le son, et clairement ce n'est pas vers ça que j'ai envie d'aller !

C'est vrai que quand on voit l'évolution de CIEL, qui est produit par Steven sur votre label Jazz Life, à chaque EP ils sonnent un peu plus comme Blood Red Shoes... ce qui est pas une mauvais chose !

Oui, on a le même studio d'enregistrement, et il se sert de toutes mes pédales et tout notre matériel pour les enregistrer, donc forcément ça sonne comme nous ! Quoi qu'on fasse, ça finit toujours par sonner un peu comme nous, parce que c'est notre petit studio, et notre son a l'air incrusté dedans !

Donc le projet c'est d'avoir une carrière solo avec Blood Red Shoes qui continue à côté, avec peut-être une tournée solo à venir ?

J'aimerais bien oui ! J'essaye de clarifier un peu tout ça en ce moment, je vais d'abord faire l'album, et ensuite on pourra planifier. Et je vais aussi faire un peu plus d'art en général, on jouera probablement dans des festivals avec Blood Red Shoes, peut-être l'année prochaine... On a tellement tourné les deux dernières années, on a besoin d'une petite pause, et on en profitera peut-être pour écrire aussi.

En parlant d'art plus général, c'est toujours toi qui t'occupes des pochettes et des artworks du groupe ?

Oui, toujours, la plupart du temps c'est moi.

Et tu as pensé à faire autre chose que de la musique à un moment ?

Eh bien, j'ai commencé en faisant de l'art, j'ai commencé avec ça. J'étais en école d'art, et le groupe a pris cette place en quelque sorte, donc j'ai poursuivi dans cette direction. Mais j'adore la photographie maintenant, je fais aussi de la peinture, et je voudrais en faire plus. J'ai eu pas mal de temps pendant le COVID-19 pour faire à nouveau des choses, et ça a réveillé la flamme, donc j'espère que l'an prochain j'aurai le temps de me replonger là-dedans.

Si on en revient à la musique, quand tu vivais aux Etats-Unis, tu avais déclaré que tu voyais une forme de négativité dans l'industrie musicale anglaise. C'était quoi exactement ?

En fait, je dirais que c'est dans l'industrie musicale au global. Je pense qu'en tant que musicien tu es bien plus respecté en Europe, mais au global tu as ce truc où toute l'industrie considère que tu devrais être reconnaissant d'avoir déjà quelque chose. Tu devrais être reconnaissant d'aller en tournée et de conduire dix heures par jour, tu devrais être reconnaissant pour l'argent que tu touches, alors qu'on est tous pauvres. Et sauf si tu viens d'une famille riche, ce qui est le cas pour au final pas mal de musiciens, mais pas nous ni beaucoup de nos amis non plus, eh bien tu es là à essayer de gagner ta vie, tu te casses le cul tous les jours pour faire tes concerts, être à fond, et personne ne sait vraiment ce que tu fais de tes journées, ce qui se passe dedans, sauf ceux qui l'ont déjà fait. Donc je parlais de cette mentalité normalisée qui a cours depuis toujours dans l'industrie musicale, que tout le monde profite, tape dedans, et qu'au final les musiciens sont laissés avec pas grand-chose. Et on a même pas beaucoup de respect de leur part. Là je vois qu'à Hollywood les scénaristes font grève, je me dis que les musiciens devraient aussi faire grève ! Imagine s'il n'y avait plus de musique toute une journée ? Genre rien, à la télé, dans les ascenseurs, dans les hôtels, dans les voitures... Les gens seraient là à dire « oh c'est quoi ce bordel !? ». Je pense que personne ne comprend la quantité de travail et de cœur et tout ce qu'on met dans ce qu'on fait. OK, je sais que les gens si, mais l'industrie musicale ils... Je ne suis pas une grande fan. Et c'est pour ça qu'on a toujours opéré de notre côté, dans notre petit monde, sans avoir trop besoin de leur aide.

Une dernière question : en préparant l'interview, je me suis rendu compte de l'ampleur de la scène rock actuelle de Brighton, avec Black Honey, Porridge Radio, ĠENN, Squid, Demob Happy, DITZ, CIEL, Opus Kink, etc... Quel regard avez-vous sur cette nouvelle génération ? Vous vous sentez comme des parents, comme les parrains de la ville, ou c'est loin de vous tout ça ?

J'ai le sentiment qu'on se connait tous, oui. Clairement CIEL, parce qu'ils sont sur notre label, on les a aidés, ce sont des amis, et Steve les produit, donc ils nous perçoivent un peu comme leurs parents ! (rires) Mais oui, il y a vraiment beaucoup de bonne musique à Brighton, et je pense que ça a toujours été comme ça. Je me souviens quand on a commencé, il y avait Bat For Lashes, Metronomy, tellement de variations de différents styles de musique et tout. Et je pense que ce qui est bien avec Brighton quand tu lances un groupe, c'est que c'est beaucoup moins cher de vivre là-bas qu'à Londres, tout en restant pas loin, et tu as cette connexion avec la scène locale où tout le monde s'entraide. Tu peux facilement aller n'importe où à pied, c'est assez petit, donc ça enlève aussi les galères pour répéter et avoir tout le monde au même endroit en même temps, parce que tout le monde habite à côté. Je viens de Londres, j'ai déménagé à Brighton quand le groupe a pris de l'ampleur parce que Steve a toujours vécu là-bas, et je pense que ça nous a aidés à décoller plus vite parce qu'on a pu se connecter à ce réseau local, et à mon sens ça fonctionne toujours comme ça aujourd'hui dans cette ville. Le seul problème c'est que ça peut aussi t'enfermer dans une espèce de bulle, mais tant que tu sors et que tu continues à jouer ailleurs, c'est bon. Mais oui, ce sont tous des groupes super, nos amis, et même si on est tous différents, tout le monde apprend de tout le monde, et on infuse un peu chacun dans la musique des autres. Brighton c'est proche de Londres, c'est une ville cool, moins chère, tu peux aller partout à pied, et c'est plutôt sympa le bord de mer.

Ça ne devient jamais chiant le bord de mer (ndlr : référence à It's Getting Boring By The Sea) ?

Avec le temps... Je pensais vraiment ne jamais revenir y vivre, mais m'y revoilà, pour l'instant !