Rencontre avec Baxter Dury dans un hôtel situé non loin des locaux de son label sur les flancs de la butte Montmartre, un lieu cosy, chic et personnel sans être clinquant, tout à l'image du plus nouvelle vague des dandys britanniques. Il s'y sent bien et la relation a l'air réciproque, il y a une photo dédicacée de lui derrière la réception.
Aujourd'hui il fait beau à Paris, et chaud, et les 30°C au mercure n'empêchent pas l'anglais de monter enfiler son costume en tweed pour une séance photo. Malgré sa tenue, j'ai rendez-vous avec le vrai Baxter Dury, pas un des nombreux personnages de ses chansons. Il a le sourire du gamin qui en sait plus que l'on ne croit, et qui est confiant dans le fait qu'il arrivera à ses fins, même si le chemin n'est pas évident. Il me rappelle le personnage d'Antoine Doinel.
Nous allons parler de ton nouvel album, mais avant, comme nous sommes à deux semaines de Glastonbury et que le communiqué de presse de ton nouvel album dit que tu as rencontré Paul Epworth en coulisses, je voudrais savoir ce qui se passe d'autre dans les coulisses de Glastonbury ?
Ah, je connaissais déjà Paul, nous avions déjà eu l'occasion de discuter ! Pour répondre à ta question, Glastonbury est si grand qu'il y a différentes zones derrière les scènes, tout le site est juste une énorme zone VIP, et il n'y a pas vraiment de backstage. Il y a beaucoup de gens, des Anglais qui se défoncent, mais pas moi. Il y a aussi beaucoup de gens qui ont des idées qu'ils oublieront le lendemain. Je pensais que cet album serait l'une d'entre elles, mais il a fini par se réaliser.
A quel point est-il différent de l'idée initiale que Paul et toi aviez initialement discutée ?
L'album est l'exact reflet de cette conversation. Chaque seconde de l'album vient de cette conversation.
Tu savais donc exactement où tu mettais les pieds ?
Non, je n'en avais aucune idée, mais lui si. Il est très doué pour ça.
Il s'est passé des mois entre votre conversation en juin et l'enregistrement en novembre. Est-ce que tu y as pensé pendant que tu continuais ta tournée ?
J'y ai un peu pensé, mais sans trop y penser non plus. J'ai commencé à l'écrire et à penser à des paroles, mais sans m'y consacrer complètement et en restant toujours très ouvert. J'avais un album en tête, mais je n'étais pas sûr que c'était le bon. Il a pris ce que je lui ai apporté et l'a emmené dans une direction totalement différente, sans vraiment me demander. Quand il l'a fini, je me suis dit "c'est cool, merci beaucoup". J'étais reconnaissant.
Est-ce que tu te sens dépossédé de quelque chose ?
Non, je me sens vraiment partie prenante, c'était un processus magnifique. Il a été très généreux tout en étant très directif. J'adore la manière qu'il a de se lancer, il s'engage dans le projet. Il est du genre à te dire qu'il part dans une direction, et tu as deux minutes pour te ressaisir et suivre. Ça m'a plu de le suivre.
Est-ce que ça changera la façon dont tu feras ton prochain album ?
Je ne suis pas encore sûr. Je ne réfléchis pas vraiment à l'avance. Je pense qu'il faut voir comment celui-ci fonctionne. Comme tu le sais, c'est de l'art et du business. Les deux doivent fonctionner, surtout la partie business si tu veux garder le cycle en marche. Alors voyons ce qui se passe et si les gens l'aiment. Il y en a qui risquent d'être pas mal déconcertés au début. On verra.
Est-ce que tu le considères comme un vrai album ou plus comme un projet parallèle ?
Tous les albums sont des albums. C'est juste moi en train d'essayer de faire quelque chose, c'est totalement mon album.
Est-ce que tu es du genre à toujours écrire des chansons dans un carnet ?
Non. Mais quand je veux sortir quelque chose, je me mets beaucoup de pression et je me force à le sortir d'une manière ou d'une autre. Il y a parfois beaucoup de gens en colère qui attendent [rires]. Je suis du genre à ne pas trop me prendre la tête, je fais ce que j'ai à faire. Parfois ça marche et parfois non. Je n'ai pas de méthode, en tout cas j'essaie de changer le processus assez souvent juste pour rester motivé. C'est aussi pour ça que j'aime bien travailler avec des personnes différentes, pour que des choses différentes se produisent.
tu as dit que dans le studio de Paul, tu te sentais comme le personnage d'Eddie Murphy dans Un Fauteuil Pour Deux. Tu as le syndrome de l'imposteur ?
Je ne pense pas, c'est plutôt que je remarque tout ce qui m'entoure. Là où des gens vont trouver normal qu'un traiteur apporte des sushis en studio, je vais le remarquer et ça va m'intéresser comme une anecdote. Ma vie est un peu un fantasme, une anecdote. Je ne me sens pas comme un imposteur qui ne mériterait pas d'être là, plutôt comme un observateur qui trouve ça drôle. C'est une sorte d'enthousiasme enfantin, je suis amusé par le monde.
Es-tu du genre à attendre de voir ce qui se passe ou à rêver de quelque chose et à essayer d'y arriver ?
Je pense que je vais le faire et y arriver. La musique, la peinture, la littérature... tout ça c'est génial et incroyable. Mais la seule chose qui a une valeur, c'est de produire une œuvre et de la finir. Donc avant de dire quoi que ce soit, termines quelque chose et alors seulement tu peux en parler. Quand je veux faire quelque chose, peu importe si ça va être bien ou nul, c'est que finalement je vais la terminer. La seule chose que j'ai apprise, positivement, de mes parents et d'autres artistes, c'est de finir ce que j'ai commencé. Je n'ai aucune autre compétence, quand je dis que je vais faire quelque chose, je trouverai toujours un moyen de le réaliser. J'ai cette confiance en moi. C'est seulement quand c'est terminé que tu peux commencer à juger de l'œuvre, si elle est bien ou pas. Je ne théorise pas trop les choses, je me mets juste suffisamment de pression pour réaliser mes projets.
Dans ton livre, tu te décris plutôt comme un adolescent qui a du mal à trouver sa voie...
J'étais en train de finir d'être un enfant, et mon développement à l'adolescence n'a pas suivi les chemins normaux. J'ai dû traiter pas mal de choses quand j'étais plus jeune, un peu distrait et la célébrité de parents un peu fous étaient un sacré obstacle à une croissance normale. Il m'a fallu du temps pour me repositionner et comprendre ce que c'est que la patience. C'est parfois la voie à suivre, le chaos est parfois un obstacle au progrès, ça prend du temps pour équilibrer les choses. Je suis toujours chaotique, mais je sais ce que je dois terminer et ce que j'ai dans la tête. Il faut terminer les choses avant de les juger. Avant que quiconque ne parle de ses projets, il faut fermer sa gueule et les terminer. Ne dis pas que tu écris un livre, tu dois juste le terminer.
Justement, la dernière fois que tu as rencontré ma collègue, tu lui as dit que tu écrivais un deuxième livre...
Oui, c'est vrai, mais je ne vais pas en parler jusqu'à ce que je le termine. J'ai une page.
C'est un bon début !
Oui, ce que j'ai appris sur l'écriture, c'est que tout le monde parle d'un volume de pages à écrire chaque jour, mais j'ai réalisé que c'est la pire chose à faire. Ce sont des conneries absolues, et vraiment une mauvaise chose à enseigner parce que tu commences à apprendre à sortir toute cette merde et tu te perds. Je ne sais pas si ce que je dis est très utile, mais je suis juste resté à lutter pour écrire quatre mille mots par jour, épuisé, et ils sont tous nuls et je ne les ai jamais utilisés. C'est une distraction totale.
C'est peut-être un bon conseil pour quelqu'un qui ne sait pas du tout écrire, comme pour commencer à exercer un muscle. Ou quand tu joues d'un instrument, tu dois t'entraîner pour progresser, mais ce n'est pas parce que tu t'entraînes que tu écriras quelque chose de bien...
Oui, je pense qu'une phrase qui est bonne est meilleure que mille qui ne le sont pas, alors mieux vaut apprendre à écrire une bonne phrase. Et après seulement on peut en écrire mille autres.
Quand tu dis, tu termines et puis tu juges, y a-t-il un coffre secret avec plein d'albums de Baxter Dury que tu as décidé de garder au chaud ?
J'ai beaucoup d'idées qui sont mises de côté, mais pas toutes très précises. Je pense que c'est une question de productivité. À mesure que tu vieillis et que la vie devient plus compliquée, tu dois faire attention à ne pas trop en sortir car tu commences à te fatiguer et tu risques de te répéter. Il n'y a rien de pire que le sentiment de répétition. Aussi, comme je ne suis pas très patient, si ça ne va pas très vite, j'essaie d'aller faire autre chose. Je dois être persévérant et combattre ma propre personnalité pour arriver à faire les choses.
C'est drôle parce que quand j'écoute tes albums, j'ai justement l'impression que tu joues à chaque fois une personnalité différente, mais quand je te parle, tu es la somme de ces personnes...
Ce sont des astuces d'écriture, des fragments émotionnels, ce ne sont pas vraiment des récits. C'est de l'énergie mélangée à de la musique pour que tu croies à l'histoire et que cela provoque une émotion : qu'elle te rende mal à l'aise ou euphorique. C'est tout ce que ça a besoin d'être, et il n'y a aucune analyse à faire. Les chansons avec de grandes histoires sont rares. House Of The Rising Sun est la seule chanson avec une grande histoire qui vaille la peine d'être écoutée. Toutes les autres ne sont que des trucs impressionnistes où tu n'as pas vraiment besoin d'aller au-delà. Je pense qu'il faut rester simple et être assez authentique pour que les gens se connectent avec toi. Ce n'est pas facile pour autant, il faut que ça ait l'air vrai et mystérieux à la fois.
La musique est un mystère, ça ne vient pas de la même partie de ton cerveau que l'écriture d'un paragraphe. La musique vient d'une sorte de chaudron intérieur étrange et inconnu. Les chansons n'arrivent pas tout à fait formées, et tu les façonnes pour la phonétique et le sens des mots. Tu peux orienter le thème, mais tu ne peux pas être trop précis parce que ça prive l'auditeur de son expérience personnelle.
Peux-tu avoir tes chansons préférées ?
Je ne sais pas si tu devrais. Ça dépend aussi de la façon dont elles sont reçues par les gens. Je pensais que Allbarone serait un énorme succès, mais les gens ont été assez désarçonnés par le morceau. Ce n'était pas aussi évident que je le pensais, l'album est assez déroutant, surtout pour ceux qui n'aiment pas la musique électrique. C'est trop récent pour vraiment savoir comment l'album sera reçu, il faudra un an ou deux pour que l'idée mûrisse.
Comment vas-tu adapter cet album électronique à la scène?
Je n'en ai aucune idée en fait, tu verras [rires]. Je travaille avec de bons musiciens, ils sont patients. Ça va être intéressant de voir à quoi ça ressemblera, ce sera amusant. J'ai hâte de jouer à Paris, la salle à l'air chouette (ndlr : la salle Pleyel, initialement construite pour la musique symphonique).
Tu as fait le DJ hier pour présenter ce nouvel album, comment était-ce?
C'était cool et super facile. J'ai passé tout l'album et après quelques autres chansons. Je suis un DJ très paresseux, mais je sais avoir la bonne attitude. Je ne joue pas avec les boutons, je fais juste semblant. Le public était vraiment sympa et très réceptif, il est devenu complètement fou.
Tu as collaboré avec Etienne de Crecy, Fred again.. et maintenant Paul Epsworth. Quelle est ta prochaine collaboration électronique ?
Je ne sais pas, me relaxer peut-être ? Je sors un album tous les deux ans, et peu importe combien tu le changes, ça peut être un peu trop. Je dois ralentir un peu, peut-être faire un break. Peut-être que je vais terminer le livre et écrire un film. Faire autre chose.
As-tu pensé à jouer dans un film justement ?
J'y ai pensé, mais personne d'autre n'a encore pensé à moi et ça me contrarie un peu. Quelqu'un pourrait me mettre dans un film français...