Ignorés en France lors de la sortie de l'album A Certain Trigger, Maxïmo Park s'apprêtent en 2007 à changer l'ordre des choses avec un second opus, Our Earthly Pleasures, aux qualités indéniables. De quoi nous donner l'occasion de rencontrer Paul Smith, figure emblématique du groupe...
Votre nouvel album, Our Earthly Pleasures, sort en Europe au début du mois d’avril, comment s’est déroulé son écriture ? N’avez-vous pas ressenti une certaine pression de la part de votre entourage ou de votre maison de disques ?
La pression ne nous touche pas car l’écriture de ce disque a débuté avant même la sortie de A Certain Trigger. On compose et on écrit de nouvelles chansons sans cesse, il n’existe pas de période fixe pour nous. Ce n’est qu’une fois le travail effectué, lorsque le disque est enregistré et prêt à sortir, que tu peux vraiment réaliser combien de temps et d’énergie il t’a fallu pour le finir.
L’énergie est la base de tout. C’est grâce à elle que nos concerts de ces dernières années se sont parfaitement déroulés, que le groupe a pu évoluer et enregistrer ce second album. Que ce soit lors de nos débuts ou maintenant, l’écriture de nouvelles chansons n’a jamais été un problème pour nous car on on a toujours perçu en continu cette fameuse énergie.
Votre évolution a donc été très naturelle ?
C’est un processus dont personne n’est vraiment conscient. On écrit des chansons, on les enregistre et on réalise par la suite si le résultat est satisfaisant. Par expérience, on sait parfois qu’on ne veut pas reproduire certaines choses… des notes de guitare ou une mélodie au clavier par exemple. Si ça ne fonctionne pas, il n’y a aucun intérêt à insister. Mieux vaut oublier l’idée et passer à autre chose de plus intéressant. Je ressens la même chose lorsque j’écris les paroles d’une nouvelle chanson. Je m’inspire de ce qui m’entoure, et si ma « création » finale me plaît et me semble suffisamment originale, alors je ne peux qu’être fier de cela.
Je pense que tous les musiciens ne fonctionnent pas de la même manière, certains ont des motivations différentes et veulent atteindre des buts personnels. Certains veulent juste toucher ou émouvoir leur public, avoir l’air cool, d’autres vendre des milliers de disques… la perception est différente.
Aucun d’entre nous n’a ressenti la moindre pression durant l’écriture de ce nouvel album car seule la musique comptait, les autres paramètres ne nous concernaient pas vraiment.
Tout est donc une question de mentalité ?
Exactement. Pour Our Earthly Pleasures, notre seul but était de pouvoir dépasser A Certain Trigger, d’améliorer notre musique, notre son, les paroles de chansons. Les bases sont présentes depuis nos débuts, mais il était nécessaire de faire mieux. On a enregistré une vingtaine de titres en studio, et je pense qu’ils sont vraiment tous bons. Cela peut paraître peu, mais lorsque la qualité est là, il n’est pas nécessaire d’en faire plus juste par principe.
Au final, ce sont pourtant les ventes du disque qui conditionneront votre réussite…
Je ne réalise cela que maintenant. J’ai beau être enthousiaste vis-à-vis de ce disque, la pression commerciale est inévitable à un moment donné. Etre fier d’un album ne suffit pas, il faut vendre des disques et gagner de l’argent sinon les gens te parlent d’échec. Notre management nous demandait régulièrement si ce disque contiendrait de bons singles, mais il nous était impossible de leur répondre ! On écrit des chansons avec une certaine sensibilité pop, on ne peut pas raisonner d’un point de vue commercial. Ce n’est pas notre approche.
Je ne sais pas quelle sera la réaction du public ou des journalistes, mais ceux qui auront entendu les nouvelles chansons en live n'apprécieront pas l’album de la même façon, c’est un disque qui ne se révèle qu’au fur et à mesure des écoutes avec une vraie progression.
Our Earthly Pleasures parait en effet très homogène… les nouvelles chansons sont moins évidentes que les anciens singles comme Apply Some Pressure ou Graffiti. N’avez-vous pas cherché à vous détacher de l’image de « groupe à singles » qui vous collait à la peau ?
Pour ce disque, notre but était de créer un ensemble plus cohérent tout en conservant une dynamique. La base des chansons existait avant d’entrer en studio, mais aucun d’entre nous ne savait comment les enregistrer, et c’est à cet instant que Gil Norton a joué son rôle. Il nous a guidé, nous a permis de réaliser notre capacité à composer des chansons suffisamment variées.
Au final, la cohérence du disque a été mise en avant. Les titres sont plus sophistiqués, plus instinctifs également, et les enchaînements semblent presque naturels. Il n’était pas question de penser à l’album au titre par titre, il fallait qu’il constitue un « tout ».
Il a donc été nécessaire que chacun s’adapte à ce nouveau fonctionnement ?
Je crois être celui qui a eu le plus de difficultés ! Au départ, je cherchais à placer ma voix lorsque les instruments m’en laissaient l’occasion. Je cherchais des blancs, de petites ouvertures pour mes textes… J’étais totalement perdu au moment d’enregistrer notre nouveau single, Our Velocity, je me sentais noyé au milieu des instruments sans trouver ma place. Sur Our Earthly Pleasures, le travail autour des arrangements a été mis en avant, bien plus que lors de l’enregistrement de notre premier album. Il nous a fallu beaucoup de temps avant d’achever certains morceaux.
La première chanson de l'album, Girls Who Play Guitars, aurait pu figurer sur votre premier album, c’est une vraie transition entre ces deux mondes en quelque sorte…
C’est le pont entre ces deux disques, une très bonne chanson qui pourrait figurer sur l’un ou l’autre sans dépareiller. Je veux que le public puisse nous accompagner dans notre évolution, passer d’un album à l’autre, apprécier nos nouvelles compositions Le choix de la première chanson est toujours difficile car il conditionne l’ensemble du disque.
Ton chant est la caractéristique commune à vos deux albums : ta prononciation est très claire et même une personne non anglophone peut percevoir le sens des paroles. Est-ce important pour toi que l’auditeur puisse assimiler le sens de tes textes ?
Bien sûr ! Qui ne le voudrait pas ? Quand je chante une chanson, je veux que les personnes puissent en comprendre le sens. Pour certains groupes, My Bloody Valentine par exemple, l’intérêt se situe peut-être plus au niveau instrumental, mais dans la majorité des cas il est important de parvenir à faire passer un message à travers les textes. Ma façon de chanter est différente car je veux parler aux personnes qui écoutent notre musique, leur dire quelque chose… communiquer tout simplement. Je brise les barrière entre nous et eux de cette manière, à ma manière. Je veux que les gens puissent ressentir les mêmes sentiments que moi en écoutant mes textes. En écoutant certains albums de Joni Mitchell j’ai réalisé à quel point il était important que les textes puissent être perçus et compris par l’auditeur. Les mots et les phrases sont organisés dans les chansons pour exister, exprimer des choses.
Les mélodies et les sons de Lukas au clavier semblent beaucoup plus classique que par le passé, cette nouvelle orientation apporte une certaine fraicheur à la plupart des chansons…
C’est une part de notre évolution, naturelle encore une fois. La façon dont certains de nos nouveaux titres ont été composés nous a amenée à expérimenter de nouvelles choses. Ce n’était pas une obligation, mais il nous a semblé juste d’explorer cette voie qui semblait cohérente avec l’ambiance du disque. Quand tu progresses en tant que musicien, tu apprends à exploiter le potentiel de ton instrument et à améliorer ta technique. Il est important de réfléchir à la meilleure manière de contribuer à une chanson en fonction de tes capacités, et c’est ce qu’il s’est produit avec le clavier.
Est-ce que le choix du producteur n’a pas été un facteur également ?
Je crois que la présence de Gil Norton à la production a influencé cette évolution. Paul Epworth apprécie beaucoup les sons électroniques, et cela s’est au final répercuté sur A Certain Trigger. L’approche plus classique de Gil en a fait de même pour cet album. Ce sont deux artistes différente, avec des méthodes propres, et le résultat final a donc été marqué par la présence ou non de ces personnes.
On nous parle beaucoup de nos claviers par rapport à ce disque, alors qu’il y a deux ans personne n’y prêtait attention. C’est surprenant car c’est un élément important de notre musique et beaucoup de gens semblent le réaliser désormais. Le changement n’est pas radical, mais quelques titres sont suffisamment différents pour attirer l’attention.
Pour quelles raisons avez-vous opté pour Gil Norton en tant que producteur ?
Il nous a beaucoup aidé au moment de choisir le tracklisting du disque. Il fallait décider des morceaux à conserver, de ceux à améliorer ou oublier, et son rôle dans ce processus a été très important. Ce processus est une vraie collaboration entre le groupe et le producteur, il faut savoir écouter les conseils extérieurs pour faire les bons choix.
On n’a pas choisi Gil Norton par hasard, mais on ne pouvait pas savoir à l’avance si son travail nous conviendrait, c’est quelque chose qu’il nous a fallu expérimenter en studio le moment venu. Gil a eu un comportement très paternel avec nous. Il a su canaliser notre énergie en studio, nous rendre plus studieux et nous conseiller de la meilleure des façons. Il nous a poussé dans nos retranchements.
En produisant beaucoup de jeunes groupes à un moment donné, Maxïmo Park inclus, Paul Epworth avait créé un son uniforme que beaucoup ont critiqué. N’avez-vous pas cherché à vous distancer de ce phénomène ?
On aurait pu travailler à nouveau avec Paul Epworth mais on voulait créer un disque différent du premier et on a donc logiquement cherché un producteur différent. L’avis des journalistes n’a eu aucun poids dans ce choix qui a été basé sur ce qu’on voulait tous faire au sein du groupe. On aurait pu travailler avec Jacknife Lee par exemple, mais ce choix n’aurait pas été très judicieux dans l’optique du changement.
Il nous fallait un producteur capable de nous pousser vers un son plus lourd, dans un style rock plus traditionnel. Les idées étaient là, il ne restait donc qu’à trouver un contexte différent pour les laisser s’exprimer. Gil Norton avait travaillé avec les Pixies et les Foo Fighters… c’est une sacrée carte de visite, mais ses précédents travaux correspondaient à nos espoirs d’évolution pour l'album. Il était évident, et ce dès le départ, que le résultat final nous éloignerait des Rakes, Bloc Party ou Futureheads. Je suis impatient de partir en tournée pour me sentir comme un Foo Fighters sur scène ! (rires)
Le titre de votre nouvel album, Our Earthly Pleasures, possède une connotation très personnelle. Est-ce que tu peux me l’expliquer ?
Cela signifie que nous sommes tous dans la même galère. Tout le monde a des envies, des désirs, des souhaits. Les hommes veulent rencontrer des femmes, les femmes veulent rencontrer des hommes, et même parfois les hommes veulent rencontrer des hommes ou autre chose ! Ce sont des espérances très basiques que tout le monde partage. L’album résume en quelque sorte tous les avantages et inconvénients de ces besoins, il les étale aux yeux de tous, qu’ils soient bons ou mauvais, positifs ou négatifs. Ce n’est pas un jugement, juste un constat du mode de fonctionnement de la société et de toutes les choses qui nous entourent.
La lecture de la presse nationale ou internationale me fait réaliser de nombreuses choses, elle me fait prendre conscience du fait que je ne suis pas insensible à la vie sur Terre. Que ferais-tu si une personne pointait une arme sur ta tête et te demandait de régler un conflit quel qu’il soit ? Ferais-tu un choix personnel ou préfèrerais tu mettre un terme à un conflit ou un fléau mondial ? L’être humain est égoïste par nature, et même une personne dotée d’un grand sens civique choisirait sans doute d’aider sa famille ou un proche.
Personne ne peut dire où s’arrête la frontière du bon choix avec le mauvais.
Our Earthly Pleasures représente une réflexion de cette société. Dans quel but se lève-t-on tous les matins ? Comment améliorer les choses dans le monde ? Tous les aspects de la vie.
A ce propos, les pochettes de Our Velocity et Our Earthly Pleasures semblent se rapporter à ces fameuses relations entre les êtres humains…
Ces visuels sont volontairement ambigus. Ils représentent les relations entre un homme et une femme, mais sans être assez précis pour dévoiler la teneur des sentiments entre ces deux personnes. Je veux que ceux qui regarderont ces photographies puissent imaginer leurs propres histoires, trouver une signification personnelle à ce qu’ils ont devant les yeux. Même si la musique est prépondérante, le physique, ou plutôt l’aspect visuel, est primordial dans la société. C’est un critère de reconnaissance, il conditionne beaucoup de relations.
Tu n’as jamais caché ton intérêt pour la France, et plus précisément pour Paris, notamment avec le titre Graffiti sur votre premier album… et Parisian Skies sur Our Earthly Pleasures. Comment est née cette passion ?
Parisian Skies est une chanson très triste et mélancolique à propos du départ d’une personne et du sentiment de désespoir que l’on peut éprouver suite à cela. La personne qui fuit se désintéresse de toi, elle brise une histoire d’amour qui réunissait pourtant deux êtres humains. Je me suis remémoré ces sentiments lorsque je suis venu en vacances à Paris car c’est une ville que je trouve très romantique et évocatrice. La France est à mes yeux un pays très artistique, j’aime observer l’architecture des bâtiments et de la ville, m’y promener… j’y puise une grande inspiration.
N’est-il pas un peu frustrant de ne pas avoir beaucoup de succès dans un pays si important pour toi ?
C’est un regret que tout le groupe partage. Je pense qu’on aimerait tous vendre plus de disques ici pour venir en tournée, visiter des villes, rencontrer plus de public… Lors de chacune de nos venues je sens qu’une connexion se crée, mais en donnant si peu de concerts tout reste très compliqué.
Notre succès a été immédiat au Japon ou en Australie, deux pays où les habitants me semblent beaucoup plus ouverts à la langue anglaise qu’en France par exemple. Même en ayant donné peu de concerts là-bas, nos ventes ont été très bonnes.
Notre but pour l’année à venir est de jouer le plus possible en France pour rattraper le retard accumulé depuis nos débuts. Notre label ne pourra pas se permettre de dépenser des fortunes pour le groupe si les ventes ne suivent pas mais je reste très confiant en notre potentiel « français ». Je suis très impatient de revenir en France en avril pour jouer au Printemps de Bourges avec Bloc Party et Phoenix. Les prochains mois s’annoncent très excitants pour nous, il n’y aura pas de place pour le repos !