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Micachu And The Shapes

Interview publiée par Chloé Thomas le 8 mars 2009

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Mica Levi aka Micachu fait partie des artistes à suivre. Ce petit bout de femme qui se promène du conservatoire aux clubs londoniens devrait se faire remarquer avec son premier album, Jewellery, dont la sortie anglaise est l'occasion de la rencontrer, et de confirmer qu'elle est à la fois très cool et totalement à part.

Comment l'album a-t-il été produit? Etait-ce agréable de travailler avec Matthew Herbert, d'Accidental Records?

La moitié du disque a été enregistrée en live avec mon groupe, les Shapes; l'autre moitié, je l'ai faite à la maison avec mon ordinateur, puis je l'ai apportée à Matthew et on l'a retravaillée en studio; il a plein de supers outils. En studio on a essayé de faire sonner ces chansons un peu plus "live", on a cherché à exagérer le côté synthétique de certaines d'entre elles. L'autre moitié, donc, c'est de l'enregistrement live qu'on a fait en deux jours au studio, et ensuite on l'a rendu plus électronique: on a coupé et collé des morceaux, changé des samples. Matthew est quelqu'un de super, très conciliant, et il connaît très bien son équipement. Il a vraiment compris ce que je voulais faire et a insisté pour que j'aille jusqu'au bout de mes intentions. Il m'a beaucoup soutenue.

Qu'est-ce que cela a changé pour toi d'être signée chez Rough Trade, après avoir produit ce disque avec Accidental Records?

C'est une bonne chose. Au début je pensais que cela me mettrait plus sous pression, mais finalement non. Matthew et Geoff Travis, de rough Trade, ont beaucoup dialogué, ce qui a permis une continuité. C'est un label très stimulant.

Tu penses que cela va donner un coup de pouce à ta carrière?

Oui, sans doute, parce que c'est un label connu, qui inspire la confiance; et ils ont une meilleure assise mondiale, ce qui est bien. Ils ont vraiment envie de nous soutenir. Mais ça ne changera rien par rapport à la musique que nous faisons.

Peux-tu m'en dire un peu plus sur les autres membres de ton groupe, les Shapes, Raisa Khan et Marc Pell?

Raisa a une formation classique, mais elle a étudié la musique électronique à Guildhall. Elle aime bien faire de la musique pour des pubs ou des films, elle est excellente en production, en mix. Elle est à moitié pakistanaise, à moitié allemande, née à Londres. Nous n'avons pas vraiment d'intérêt communs en matière de musique dans le groupe, mais son groupe préféré est The Dove. Mark est d'une famille complètement anglaise depuis le seizième siècle. Il a d'abord joué du trombone dans une formation de cuivres, puis il a choisi la batterie, il a fait du drum'n'bass. Il fait de la musique électronique aussi, il a suivi le même cours que Raisa à Guildhall. C'est un fan de Tool.

Tu as aussi composé une symphonie expérimentale pour le London Philarmonic. Penses-tu qu'il y a une différence essentielle entre musique populaire et musique savante?

Il y a une différence si on laisse une différence s'installer. La formation classique apporte de bonnes bases techniques, une discipline, et cela sert dans la vie de tous les jours. Mais je ne pense pas que la qualité soit nécessairement meilleure. Ce que la musique classique m'a appris de plus important, je le tiens de la musique expérimentale, la musique américaine des années soixante et soixante-dix. La pop est très spontannée, très honnête, elle s'écrit très naturellement. Dans la musique classique, on joue des choses écrites par d'autres gens alors que dans un groupe pop, on joue sa propre composition. La pop et le classique ont tendance à se mépriser mutuellement; beaucoup de gens considèrent que les musiciens classiques sont ennuyeux, et les musiciens classiques considèrent que les artistes pop sont un peu bêtes.

Avec le London Philarmonic, tu as travaillé dans un contexte institutionnel, respecté, même si tu n'as pas fait exactement de la musique classique mais plutôt de l'expérimental. Est-ce que ta manière de travailler était différente que lorsque tu travailles avec les Shapes?

Avec les Shapes, tout est instantanné: on a une idée, on en parle immédiatement. Avec le London Philarmonic, c'était un travail d'étudiant, il fallait que je discute de tout avec l'école, afin de faire mon boulot correctement. Mais en termes purement sonores, il n'y a pas vraiment de différence.

Ton album se réclame d'une esthétique pop, que ce soit dans sa musique ou dans son visuel. Qu'est-ce que la pop pour toi, quels sont ses référents aujourd'hui?

Ce disque a un son bien à lui, mais son style n'est pas très cohérent; en réalité il passe d'un style à l'autre. C'est cela la pop. Par exemple des artistes très "pop", mettons Pink, vont avoir sur un même album une chanson très rock, une autre très hip-hop, une autre encore plutôt country, une folk... le tout de manière très édulcorée. La pop fait souvent écho à ce qui se passe dans d'autres genres, mais en l'édulcorant.

Il y a quelque chose de très enfantin, et de joueur, sur cet album.

Oui, ça doit être vrai. J'ai voulu un album léger, fun. C'est trop facile de se prendre au sérieux.

Tes instruments, par exemple cette petite guitare à côté de toi, ressemblent presque à des jouets. Ça participe de ce refus de se prendre au sérieux, de ce goût pour l'enfance?

Cette petite guitare permet de faire des sons très intéressants, parce que les cordes sont plus lâches, on peut en tirer des sons un peu bizarres, un peu maladroits. Mais je crois que malgré tout, la fin du disque est un peu plus sombre. Je pense que le prochain album sera toujours fun, mais peut-être un peu plus cynique. Sur celui-ci déjà il est question d'angoisses.

Tu ne fais pas de la musique complètement abstraite, tu parles de choses réelles, matérielles, il y a presque un sens du toucher dans ce que tu fais. Tu utilises des sons très familiers, un aspirateur, un téléphone, et tu les rends étrangement inquiétants et musicaux. D'où te vient cette envie de travailler sur le familier et sur la matière?

Généralement on trouve que beaucoup de choses paraissent très bizarres, alors que le plus bizarre nous entoure au quotidien. C'est beaucoup plus familier d'entendre le bruit d'une voiture, que des rythmes musicaux. Beaucoup de gens ne se rendent pas compte que s'ils éteignent leur frigo, le silence leur paraîtra bizarre. J'ai toujours été fascinée par ce genre de sons, j'aime en enregistrer. On peut tirer des beats d'à peu près n'importe quoi.

Avec Fujiya&Miyagi, tu représentes, au sein de l'électro, un retour au monde physique, à la matérialité. Tu ne fais pas de la "laptop music", même si tu travailles avec un ordinateur.

On a fait un concert avec Fujiya&Miyagi, ils sont très bons en live. Oui, quand nous jouons, nous essayons d'imiter l'électronique avec des sons acoustiques. Et j'ai encore envie d'écrire de bonnes chansons, pas juste des pistes qui sonnent bien.

Que penses-tu de cette évolution dans la manière de faire de la musique, de cette possibilité de composer seul avec son ordinateur? Tu as écrit une chanson, "Calculator", où tu parles de l'ordinateur comme objet concret, et presque comme instrument, pas comme un simple calculateur justement.

C'est si facile de se reposer sur un ordinateur, on a l'impression d'un tel éventail de possibilités, tellement il offre de sons et de fonctions. Mais je crois que moins on a de fonctions, plus on utilise des enregistrements qu'on a faits soi-même, plus on fait des compositions intéressantes. "Calculator" est d'ailleurs une de ces chansons qu'on a enregistrée de manière live. C'est vrai que Marc et moi avons longtemps travaillé seuls dans nos chambres avec un ordinateur, en évitant autant que possible de faire des concerts. C'est une bonne chose de se confronter à la scène, cela met les compositions dans un contexte différent, on voit si elles tiennent vraiment la route.

Tu n'aimes pas la scène?

Au début je détestais. Ça a un côté prétentieux, même si ça ne l'est pas vraiment. C'est très angoissant, on se sent idiot. Si tout à coup on ne croit plus en ce qu'on est en train de faire, si on se sent mal à l'aise, c'est difficile de convaincre un public. Mais je suis fière de notre groupe, on ne prétend pas être les meilleurs, on essaye juste d'y prendre du plaisir.

Quelles sont tes influences?

Harry Partch surtout. Egalement d'autres musiciens, comme Captain Beefheart; des gens qui ne font pas une musique nécessairement facile, mais qui font les choses avec honnêteté. Partch était un hobo, quelqu'un de vraiment intéressant. Il a pris la décision de prendre complètement à contre-pied la façon dont on faisait de la musique, et a pris la route. C'est une musique qui n'existe vraiment que par les enregistrements qu'on en a, exactement comme pour un groupe de rock: on peut jouer leurs morceaux, mais ce n'est pas la même chose, la musique de ces groupes n'existe que par les enregistrements originaux. Partch est parvenu à cela de la façon la plus surprenante qui soit.

Partch composait pendant la grande crise des années trente; toi aussi tu travailles dans un contexte de grande dépression.

Les temps ont changé. Je crois qu'on vit dans une époque très rétrospective, tout le monde parle des sixties, des eighties, des seventies, et de ce que notre époque à nous est merdique. On n'a plus vraiment d'identité, et je crois que l'on se sent un peu prisonniers à cause de ça. Nous devons être réalistes. Je pense que ce qui nous réunit Partch et moi, c'est qu'avec cet album je ne vais pas gagner beaucoup d'argent. C'est comme ça, et ça ne veut pas dire que personne ne va écouter le disque, mais on va surtout l'écouter et le télécharger gratuitement sur internet. Il n'y a pas d'argent à gagner, du coup, autant être soi-même, prendre des risques, il n'y a rien à perdre. Il ne s'agit pas pour nous de devenir riches, mais juste d'avoir de quoi survivre; et si tout va bien on aura de quoi. Aujourd'hui on obtient la musique gratuitement, c'est ainsi qu'elle est consommée.

Tu penses que cette nouvelle manière de consommer la musique est négative?

De nos jours on n'a plus le même attachement aux disques; la plupart des gens mettent la fonction shuffle sur itunes, n'écoutent plus des disques entiers. Ils finissent pas écouter un petit lot de chansons généralement assez vieilles, qu'ils savent qu'ils aiment. On n'écoute plus les choses de la même façon qu'à l'époque du CD. C'est étonnant de voir aussi que les gens ont des goûts musicaux très larges; c'est une bonne chose, je suppose. C'est très bien qu'on puisse écouter de la musique gratuitement.

Tu as produit une mixtape avec notamment des artistes hip-hop, et il semble que ce genre ait influencé le rythme de tes textes. Où situerais-tu la différence entre discours et chanson, si il y en a une?

En général dans le rap il y a moins de paroles, des mélodies moins évidentes. Mais il y a beaucoup de corrélations: un bon rappeur va avoir plein de mélodies dans ses chansons. J'adore le rap, sa bravoure, sa méchanceté, son humour, sa virtuosité. Ce que le hip-hop m'a appris, c'est une autre façon d'être soi-même; socialement parlant, le hip-hop marche sur la frime, il faut être le meilleur, être le plus drôle. Alors que la musique à guitare, le rock, tournent autour de l'art et de l'introspection. Ça peut être bien, mais il faut savoir dépasser ça. C'est presque plus prétentieux de faire celui qui est impliqué dans son art, dans ses paroles profondes, que d'être dans la frime.

Quand je t'ai vue en concert à Londres il y a à peu près un an, Björk était dans le public. Tu la connais?

Non, pas du tout. Elle a travaillé avec Matthew, il l'a invitée à ce concert parce qu'elle était à Londres à ce moment-là. On me l'a dit juste avant qu'on entre en scène, j'ai paniqué, mais je me suis dit qu'on ne pouvait pas faire autrement que jouer comme d'habitude. Je l'ai vue dans le public, j'étais terrifiée, mais elle a été très gentille, je l'ai eue au téléphone après. J'aime beaucoup ses disques, elle est formidable.

Quels sont tes prochains projets? Tu me parlais d'un deuxième album?

Oui, je pense qu'il sera un peu plus âpre. J'aimerais qu'on le fasse assez vite, pour rester dans le rythme. J'ai déjà quelques chansons. Il se pourrait bien qu'il soit très pop, aussi. Il y a aussi ce quatuor à cordes que j'ai écrit, une pièce d'une dizaine de minutes, sur l'ennui. On va le mettre sur un seven-inch, j'espère.

Tu joueras dans le quatuor?

Non, il n'y a rien de pire que de jouer faux ses propres compositions. Je vais aussi faire une autre mixtape, avec sans doute les mêmes artistes que sur la précédente, mais ce sera très différents. Et bien sûr, beaucoup de concerts, beaucoup de remixes.