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Grammatics

Interview publiée par Fab le 26 mars 2009

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Après pas moins de cinq singles publiés depuis la fin d'année 2007, Grammatics étaient encore il y a quelques mois l'un des plus grands espoirs de la ville de Leeds. Avec leur premier album éponyme paru chez Dance To The Radio, le quatuor confirme enfin son incroyable potentiel...

Grammatics existe depus quelques années maintenant, pouvez-vous me dire comment tout a commencé ?

Owen : Le groupe est constitué de moi-même à la guitare, aux claviers et au chant, Dominic à la batterie, Emilia au violoncelle et Rory à la basse. J’ai connu Dominic il y a six ans lorsque j’étudiais dans une école de musique, nous sommes devenus amis et avons décidé de créer notre propre soirée à Leeds, Club Grammar. Rory était très impliqué dans le projet, il officiait régulièrement derrière les platines et venait boire quelques bières avec nous. Nous partagions les mêmes goûts musicaux et avons donc cherché à pousser l’expérience un peu plus loin.
Notre première violoncelliste, Rebecca Dumican, a quitté le groupe en fin d’année 2007 et nous avons alors réussi à assurer l’impossible mission qu’était de trouver une remplaçante capable de jouer de jouer des riffs à la Led Zeppelin sur cet instrument tout en étant capable d’assurer les backing vocals. C’est sur ces critères que nous avons recruté Emilia, une ancienne membre du Youth Symphony Orchestra de Stockholm via une annonce dans un journal local.

En plus de Rebecca Dumican, votre précédent clavieriste Michael Watts avait également décidé de stopper l’aventure de manière anticipée. Avez-vous craint que ces changements puisse affecter le fonctionnement du groupe ?

Owen : Malgré tout le respect que j’ai pour ces deux personnes, absolument pas. A cette époque je n’avais jamais eu l’impression que le groupe pourrait vivre durant des années, nous cherchions à mettre en place des arrangements beaucoup trop complexes et les chansons prenaient généralement une tournure très noisy. Lorsque Michael est parti, notre musique s’est trouvée épurée et nous en avons fait notre force. Notre musique est enfin devenue accessible pour le public. Le problème ne venait pas de lui mais de la manière dont le groupe fonctionnait avec lui. Il a depuis créé un nouveau groupe, Wonderswan, et je suis certain qu’il ira loin.
Le départ de Rebecca a été beaucoup plus difficile à vivre. C’est une personne adorable, talentueuse et très facile à vivre. Son absence nous a valu de nombreuses nuits blanches pour trouver sa remplaçante.

Etait-il déjà question de faire de la musique ensemble lors de la création du Club Grammar ?

Owen : Je suppose que oui, mais il nous a fallu un certain temps pour définir de quelle manière. La presse parlait énormément de la scène musicale de Leeds à cette époque et beaucoup de groupes comme This Et Al étaient en pleine ascension. Je crois que nous avions besoin d’être sûrs d’être à la hauteur… L’avantage dans le fait d’être DJ à cette époque était que nous recevions beaucoup de CD promotionnels, à la fois des groupes confirmés mais aussi d’autres moins connus. Sans vouloir être prétentieux, près de 99% de ces artistes nous semblaient vraiment mauvais ou sans intérêt. C’est là que nous avons compris que la scène musicale de Leeds était vraiment de grande qualité et que le reste du pays n’était pas vraiment au niveau. Tous les groupes et producteurs semblaient vouloir copier Arctic Monkeys ou The Libertines, mais cela ne nous correspondait pas. Nous avons donc décidé d’apporter une réponse à tout cela, notre réponse.

Le fait d’être originaire de Leeds est-il un avantage ou un inconvénient pour un groupe ?

Dominic : Il est beaucoup plus difficile de se démarquer des autres groupes avec une telle concurrence, mais d’un autre côté je pense que beaucoup de personnes et de maisons de disques suivent de très près l’apparition de nouveaux talents. Il y a donc des avantages et des inconvénients, mais je retiens surtout le fait que le public a un vrai respect pour la scène locale et que les groupes s’entraident énormément.

Votre premier album sort chez Dance To The Radio, pourquoi avoir choisi ce label en dehors du fait qu’il est base à Leeds ?

Dominic : Dance To The Radio a publié certains de mes disques favoris des dernières années, comme This Et Al, Snowden ou ¡Forward, Russia!, je savais donc dès le départ que ce pourrait être un excellent choix pour nous. Nous leur avons souvent envoyé de nouvelles démos et ils ont suivi notre parcours très tôt, c’est ainsi que des titres comme The Manageress et The Shipping Forecast ont été choisis pour figurer sur leurs compilations, tout comme notre premier single en 2007.

Je suppose que le fait d’avoir une maison de disques a change beaucoup de choses dans vos vies ?

Dominic : Tout est devenu plus simple pour le groupe, d’autant plus que nous avions une confiance sans faille dans les personnes qui s’occupaient de nous. Nous avons toujours la possibilité de créer et choisir nos artworks, de décider qui va produire nos chansons et quels singles sortir. C’était déjà le cas au départ, mais désormais Dance To The Radio nous apporte les moyens pour réaliser ces choses.

Owen, penses-tu que ton expérience au sein de Colour Of Fire t’a servi au sein de Grammatics ?

Owen : Je suis le premier à avouer que je n’étais pas une personne très équilibrée il y a quelques années, mais mes expériences passées m’ont servi à devenir une meilleure personne. J’ai compris que je ne pouvais pas partir en tournée, hurler tous les soirs comme Kurt Cobain et boire sans cesse… tout en espérant être en forme le lendemain ! Je sais chanter mais j’ai appris à gérer mes efforts vocaux avec le temps.
Avec Colour Of Fire je n’avais pas les mêmes objectifs d’un point de vue artistique. Une fois en studio je cherchais à reproduire un son live et abrupt sans réfléchir à ce qui était réellement bénéfique à tout le groupe, je crois même n’avoir jamais réussi à exploiter notre potentiel durant des sessions d’enregistrements. Je n’avais aucune technique et je laissais au producteur les choix importants, d’autant plus que mon impatience et mon ego me jouaient parfois des tours.
Mon approche a radicalement changé avec Grammatics. Le studio est devenu un terrain d’expérimentation pour moi, c’est un lieu qui doit permettre de faire évoluer les chansons dans le bon sens jusqu’à pouvoir constituer un album de qualité. Je ne néglige plus l’alchimie avec le producteur pas plus que les possibilités qu’un studio d’enregistrement peut offrir. Ma rencontre avec James Kenosha a été une vraie bénédiction. Il a rapidement su comment travailler avec moi et le groupe. Ce que je vais dire est un cliché, mais Grammatics utilise le studio comme un instrument à part entière.

Les personnes qui suivaient Colour Of Fire de près il y a quelques années vont sans doute être surprises par l’orientation que tu as donnée à la musique de Grammatics, comment expliques-tu ce changement ? Etait-ce une envie de longue date ou le reste du groupe t’a-t-il influencé ?

Owen : Je pense que les deux explications sont possibles. Avant même la séparation de Colour Of Fire j’envisageais de faire évoluer le son du groupe vers quelque chose de différent, je n’ai donc fait que suivre cette envie. Je n’ai jamais aimé notre premier album et j’ai souvent pensé que Steve Osbourne ne nous avait pas laissé suffisamment d’espace pour nous exprimer librement. J’ai souffert de cela durant plusieurs années car je pensais être passé à côté de quelque chose par sa faute, mais notre label de l’époque avait refusé de nous laisser retourner en studio.
Avec du recul je pense que ma décision de prendre mes distances avec le rock de Colour Of Fire était une forme de rébellion et ma manière d’exprimer la souffrance que je ressentais sur le moment. Beaucoup de personnes nous percevaient comme un groupe de punk pour adolescents, ce que nous étions à l’évidence, mais je n’arrivais plus à vivre avec cette image. L’ironie de la situation est que désormais je suis reconnaissant envers ces mêmes personnes qui m’ont fait devenir ce que je suis.

Le nom du groupe et la plupart des pochettes de vos singles semblent suggérer un certain intérêt pour le langage, le vocabulaire ou la poésie… je suppose que ce n’est pas un hasard ?

Owen : C’est bien entendu voulu, et pourquoi cela ne le serait-il pas ? Un récent single de Kaiser Chiefs mentionne avec une certaine ironie « it’s cool to know nothing », mais c’est pourtant bel et bien ainsi que les jeunes raisonnent à l’heure actuelle ! L’arrogance et l’apathie sont devenus une sorte de norme, j’ai l’impression que les gens ont peur de faire trop d’efforts sans résultat alors ils se laissent aller. Pour nous, ce n’est donc absolument pas cool de ne rien savoir, c’est au contraire le fait de montrer un intérêt pour la culture ou la littérature par exemple qui nous semble cool.
Quoiqu’il en soit nous ne cherchons pas à être élitistes ou à vouloir donner des leçons car aucun d’entre nous n’a suivi des études très poussées. Nous avons malgré tout conscience de ce en quoi nous croyons et de ce que nous souhaitons défendre à travers cet aspect visuel. Beaucoup de groupes jouent des stéréotypes de la classe moyenne pour se donner une fausse image… alors qu’eux-mêmes viennent de milieux favorisés ! Nous en sommes mêmes arrivés il y a quelques semaine à refuser qu’un photographe nous prenne en photo dans un quartier délabré de peur que notre image soit perçue de manière erronée. Nous venons pourtant de la classe moyenne, nous n’en avons pas honte mais nous ne cherchons pas à en jouer… pas plus qu’avec notre passion pour le langage.

Les instrumentations de vos chansons ont gagné en complexité au fil des mois, quelle est votre méthode pour les écrire ?

Owen : Nos périodes de travail sont généralement très longues, et les arrangements d’une chanson sont rarement au point lorsque nous entrons en studio pour l’enregistrer. Je ne saurais pas décrire notre fonctionnement, il nous semble simplement naturel et il n’y a donc aucune vraie formule. Il nous arrive de faire évoluer une simple démo vers quelque chose de plus complexe, simplement avec une boîte à rythmes ou lors de répétitions. La fois suivante le point de départ sera une simple ébauche acoustique composée à partir d’une idée sortie de mon esprit… tout peut arriver lorsque nous nous rendons en studio, même ce qui nous semblait inimaginable au départ.

Quelles sont vos influences principales ?

Owen : Sans ordre particulier, des groupes comme This Et Al, Bjork, Cursive, Saddle Creek, Low, Elliot Smith, Dischord, Blur, Snowden, My Bloody Valentine, Echo and The Bunnymen, Bowie, PJ Harvey, Refused, !!! ou Suede figurant parmi mes principaux modèles. Ce ne sont que des goûts, il suffit d’écouter nos chansons pour comprendre que nous ne ressemblons réellement à aucun d’eux. La mélodie d’une simple chanson ou un concert peuvent marquer une personne sans qu’elle s’en rende compte, je suppose que c’est le cas pour tout le monde. Même l’intonation dans une phrase ou quelques notes de guitare peuvent apporter un supplément d’âme, toutes les petites choses que l’on pense superficielles jouent un rôle.

Vos textes possèdent une dimension cryptique et obscure, quelle est votre manière d’appréhender ce point ?

Owen : Je cherche depuis toujours à intégrer des éléments mystiques et complexes aux textes de mes chansons. J’aime le fait de paraître abstrait et la base de nos paroles sont souvent dérivées de rêves. Je mêle donc la réalité et les fantasmes.
L’inspiration me vient pourtant de la réalité. A titre d’exemple, j’ai écrit la chanson Murderer quelques jours après le tsunami survenu en fin d’année 2004. Dominic était en voyage en Asie à cette époque et durant plusieurs jours il était impossible de le joindre, personne ne pouvait dire s’il avait survécu ou non à cette catastrophe. En regardant les images du désastre à la télévision, avec toutes ces familles brisées et les milliers de morts, j’ai assisté à la diffusion d’un reportage sur une femme qui avait tout perdu et tournait le dos à son Dieu. Elle ne pouvait pas croire qu’il aurait laissé se produire une telle chose. Elle criait « he’s a murderer, he’s a murderer ! » (ndlr : « c’est un meurtrier, c’est un meurtrier ! ») dans un anglais approximatif et ses mots m’ont marqué à vie. C’est ainsi qu’est née la chanson.

Votre album a été produit par James Kenosha de Duels, comment s’est déroulée votre collaboration ?

Dominic : Nous avions déjà travaillé avec lui pour nos premières démos mais le résultat était mitigé car nous étions un jeune groupe et lui débutait dans le métier. Dans nos têtes, l’enregistrement de notre premier album devait impliquer un producteur de renom et c’est ainsi que nous avons donc choisi de travailler au départ. Le résultat a été catastrophique, certaines de ces personnes étaient insupportables et nous avons compris pourquoi James était la personne qu’il nous fallait. Au fil des mois nous avons progressé et je pense que chacune des deux parties a participé au développement de l’autre. Lorsque les sessions d’enregistrement ont réellement démarré au mois de juin 2008 tout nous semblait naturel, le timing était parfait.

La plupart de vos premier singles ont été rassemblés sur ce disque, comment êtes-vous parvenus à trouver un équilibre entre le nouveau et l’ancien ?

Dominic : L’album ne contient au final que quatre anciennes chansons, Shadow Committee, Broken Wing, D.I.L.E.M.M.A et Polar Swelling, toutes dans des versions réarrangées. Nous avons choisi de laisser de côté New Franchise, The Shipping Forecast, The Manageress et Kicking Crutches pour pouvoir proposer sept titres inédits, c’était le meilleur choix pour conserver une certaine homogénéité et non rassembler une liste de chansons sans relations entre elles.

Que manquait-il aux chansons que vous avez transformées ?

Dominic : Ce n’était pas une question de manque pour ces chansons. Le groupe et le producteur avaient beaucoup progressé et les premiers enregistrements ne leur rendaient pas justice, le fait d’aller en studio était donc une bonne excuse pour les rendre meilleures.
Nous avons dépensé beaucoup d’énergie en essayant d’exploiter nos capacités pour faire de cet album un véritable objet d’art et non juste une suite de chansons. Pour pouvoir réaliser cette vision de l’album, il était nécessaire que toutes les chansons soient enregistrées dans les mêmes conditions, avec le même matériel et des personnes dans un état d’esprit similaire.

J’ai cru comprendre qu’il existe une version française de Murderer…

Owen : C’est une idée de Dominic. Nous recevons régulièrement des messages de français nous disant à quel point ils aiment notre musique alors nous avons voulu essayer de leur rendre hommage. La traduction actuelle de la chanson et ma prononciation sont sans doute très approximatif par ailleurs. J’aimerais dédier cette chanson à tous les français qui m’ont suivi depuis mes débuts avec Colour Of Fire ainsi qu’à ceux qui nous ont vu jouer à la Flèche d’Or. Le style de vie parisien me plait vraiment beaucoup.

L’année 2009 s’annonce très chargée pour vous, c’est une bonne chose, non ?

Owen : Nous avons prévu de donner de nombreux concerts avec Red Light Company, Rolo Tomassi et bien entendu nos amis de Pulled Apart By Horses. J’espère profiter des prochains mois avant d’éventuellement penser à l’écriture d’un second album, et peut-être aussi jouer plus souvent en Europe. Quoiqu’il en soit, si le public parvient à ressentir les mêmes choses que nous à l’écoute de notre album, je serais satisfait.