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Crippled Black Phoenix

Interview publiée par Fab le 10 juillet 2009

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Réunis autour de Justin Greaves, compositeur principal du groupe, les musiciens de Crippled Black Phoenix publiaient au printemps dernier un double album remarqué et brassant une fois encore de nombreux styles et influences. La clef de voute du collectif revient pour nous sur la genèse de son projet et se dernière sortie en date...

Crippled Black Phoenix est souvent perçu comme un collectif à géométrie variable, peux-tu m’en dire plus sur la manière dont le groupe est né ?

Tout a commencé en 2004 lorsque j’ai commencé à écrire des chansons avec une guitare acoustique. Je n’avais pas pour but de créer un quelconque groupe, je composais juste par plaisir pour développer mes idées. Dominic s’est ensuite joint à moi et c’est ainsi que nous avons enregistré des démos, jusqu’à ce que Kostas et Andy nous rejoignent. Les chansons qui étaient très basiques au départ ont donc été enrichies par du piano et des chœurs et notre style s’est mis en place. Geoff Barrow nous a proposé de sortir un disque et je pense que c’est grace à lui que Crippled Black Phoenix est devenu un projet sérieux. Ce n’est qu’une fois en studio que Joe nous a rencontré et récemment que j’ai commencé à percevoir notre projet comme un groupe à part entière, c’est pour cela que je cherche désormais à pousser le concept plus loin et à établir un line-up à temps complet.

Quels sont selon toi les raisons qui ont permis de transformer Crippled Black Phoenix d’un simple passe-temps à un véritable groupe ?

Je ne suis toujours pas certain que notre aventure pourra durer longtemps encore, mais c’est en tout cas ce que je souhaite. Lorsque j’ai commencé à enregistrer les premières démos pour notre nouvel album, je me suis promis de faire tout mon possible pour mener le groupe avec sérieux. Je suis parti de rien mais je sais maintenant qu’avec du travail il est possible de réaliser certaines choses et d’en être fier.

Quels sont les influences principales de Crippled Black Phoenix ?

D’un point de vue personnel j’ai été élevé avec le punk, le hardcore et toutes les musiques un peu heavy. Je me suis aussi intéressé au folk et au blues durant quelques temps… je suppose donc que mes goûts sont plutôt éclectique. Certains groupes m’accompagnent depuis que j’ai dix ans, notamment Adam & The Ants, Pink Floyd, NoMeansNo ou Swans. Je suis aussi influencé par les films que je vois, non pas par leurs bandes originales mais plutôt dans la manière dont les scènes sont montées et s’enchaînent. Une histoire exprime différentes émotions…

Existe-il une forme de cœur au sein du groupe ?

Simplement les cinq premiers membres du groupe, Dominic, Kostas, Andy, Joe et moi-même. Nous avons écrit, enregistré et joué toutes les chansons ensemble et les autres musiciens additionnels n’ont souvent fait que passer à nos cotés. Malgré cela la porte n’est jamais fermée et Karl Demata nous a beaucoup apporté à la guitare depuis son arrivée. Nous pensons aussi à recruter un batteur à temps plein pour l’avenir. Il nous faut aussi de la stabilité pour pouvoir nous épanouir, même si les sessions d’enregistrement nous permettent une plus grande flexibilité.

D’une certaine manière tu sembles malgré tout être l’âme du groupe...

Je pense que c’est vrai même si je ne revendique pas ce titre. Les choses sont ce qu’elles sont, il faut que je vive avec. Pendant longtemps je n’étais que le batteur des groupes auxquels j’appartenais, je découvre donc encore le métier de compositeur. Je ressens une certaine attente du public envers moi lorsque nous donnons des concerts, et cela me semble légitime, mais je ne cherche pas à en profiter ou à amplifier les choses. Je préfère me faire discret et laisser parler les instruments.

Tous les membres du groupe viennent d’univers musicaux différents, penses-tu que cela contribue à la diversité de votre musique ?

Je pense que cela fait principalement une différence lorsque certaines personnes jouent une chanson avant d’être remplacées par d’autres. Les chansons restent les mêmes mais chaque personne apporte des nuances qui lui sont personnelles… je peux même dire que j’apprécie plus particulièrement les différentes possibilités que nous offrent ces changements ponctuels.
Pour revenir à la question, chacun des membres du groupe évolue dans un univers qui lui est propre avec des influences diverses, et cela se ressent dans notre musique. C’est un de nos points forts car nos chansons sont ainsi au croisement de ces chemins, chacun apporte ses propres forces et je crois que j’aimerais voir les choses ainsi si j’écoutais les disques d’un groupe comme Crippled Black Phoenix. Après tout, nous ne serions pas là si nous étions incapables de prendre du plaisir ensemble et de composer des chansons que nous estimons intéressantes.

A quel point est-il compliqué de parvenir à impliquer simultanément tous les membres du groupe ?

Cela ne dépend pas de moi mais des autres musiciens ! S’ils veulent jouer de la musique avec d’autres groupes ce n’est pas un problème, mais j’espère avant tout qu’ils prennent du plaisir dans ce qu’ils font au sein de Crippled Black Phoenix. Je respecte toutes leurs activités mais comme je le disais plus tôt mon objectif actuel est d’atteindre une certaine stabilité pour pouvoir partir plus souvent en tournée. Ce handicap nous a vraiment coûté du temps ces deux ou trois dernières années et il n’est plus question que cela se reproduise.

Peux-tu m’en dire plus sur votre fonctionnement en terme d’écriture ?

Nous fonctionnons toujours de la même manière depuis nos débuts. Je compose la musique seul en enregistrant quelques démos et je les présente ensuite au groupe lorsque tout le monde est rassemblé dans le studio. Les textes sont l’œuvre de Joe et je pense pouvoir dire que notre collaboration se passe à merveille.
Chacun est malgré tout libre de présenter ses idées, comme Kostas qui a par exemple composé Please Do Not Stay Here. Le plus frustrant est parfois de travailler sur une idée qui me plaît sans réellement parvenir à l’exploiter. Faut-il changer le ton du disque pour l’intégrer ? Ou jouer au dictateur et changer ce qui me pose problème pour obtenir l’effet escompté ? Je pense que je suis difficile à vivre par fois, peut-être que dans le futur l’écriture des chansons sera plus ouverte qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Vos albums mélangent les styles (folk, post-rock, prog-rock…) sans retenue, quelle est ta perception globale de votre musique ?

Honnêtement, je n’en sais rien et je préfère laisser d’autres personnes la décrire. Je trouve quand même frustrant que l’on nous cantonne souvent au post-rock car ce n’est pas représentatif. En réalité je ne ressens d’appartenance à aucune scène et je compte bien continuer ainsi. J’aimerais assez qu’une personne parvienne à inventer une nouvelle expression pour parler de Crippled Black Phoenix mais ce serait sans doute trop prétentieux. Pour moi, l’expression « Endtime Ballads » est celle caractérisant le mieux notre musique, j’aime ces mots et leur symbolique. Je pense qu’au final nous jouons de la musique sincère.

Votre nouveau disque, 200 Tons Of Bad Luck, n'est pas un album à proprement parler mais plutôt une compilation de titres tirés de Night Raider et The Resurrectionists qui ont été enregistrés séparément. Peux-tu m'en dire plus sur ce point ?

Il y a eu beaucoup de confusion autour de la sortie de 200 Tons Of Bad Luck. Ce disque est un compromis entre notre maison de disque et son distributeur car les deux structures étaient convaincues que la presse n'accueillerait pas deux albums en simultané comme il le faudrait. Je ne leur donne pas nécessairement tort car nous vivons à une époque où le public télécharge des chansons séparément sans forcément chercher de lien logique ni demander d'artwork ou même d'objet.
D'un autre côté je n'accepte pas cette manière de penser. En tant que musicien je souhaite plus que tout continuer à proposer de vrais albums avec des artworks et des formats physiques. Pour faire prendre conscience aux gens de la valeur des choses, il faut leur offrir quelque chose de concret. Ces deux albums ont été enregistrés séparément pour de bonnes raisons et j'aimerais que ceux qui apprécient le groupe les écoute ainsi, pas sous la forme d'une compilation. Je suis conscient que le format du double album n'est pas très populaire mais je m'en moque.
Au final deux solutions ont été proposées au public : acheter 200 Tons Of Bad Luck seul ou commander un coffret rassemblant Night Raider et The Resurrectionists. Quand nous sommes allés en tournée aux Etats-Unis il y a quelques semaines, tous les coffrets en stock ont été vendus lors des concerts. Je pense que le public sait apprécier lorsqu'un groupe fait des efforts pour le satisfaire. Je suis content du résultat donc, mais si j'avais été le seul décideur, jamais 200 Tons Of Bad Luck n'aurait été commercialisé.

Quels ont été les critères de choix pour le tracklisting de 200 Tons Of Bad Luck ?

Il m'était impossible de faire un choix parmi les chansons, le résultat me semblait systématiquement inécoutable au final. J'ai donc simplement sélectionné une portion des chansons dans un premier temps puis j'ai soumis ma liste aux autres membres du groupe qui ont pris le relais. Je ne renie pas le disque mais je n'ai jamais souhaité qu'il soit créé... Bien entendu il est toujours préférable que le public entende certaines chansons par ce biais plutôt que rien du tout, mais j'espère que dans cette optique les gens sauront s'intéresser aux deux albums après cela. Mais là encore, je ne m'attends pas à ce que ces personnes payent deux fois pour la même chose, je suis réaliste et je ne souhaite pas passer pour un voleur !

Selon toi, en quoi Night Raider et The Resurrectionists sont-ils si différents ?

Je dirais que The Resurrectionists fait une plus grande place aux chansons, les structures sont plus développées et certains messages sont cachés et moins évidents. Night Raider est quant lui articulé autour des rêves, des cauchemars et d'éléments irréels. Je le comparerais volontiers à une sombre comédie si c'était un film.

Plus d'une année a été nécessaire pour mener à bien l'enregistrement des deux albums, t'attendais-tu dès le départ à une si longue période ?

Ce n'était pas prévu, tout cela était hors de contrôle. Au départ j'espérais pouvoir enregistrer toute les chansons lors d'une session unique mais le processus était beaucoup trop complexe pour que nous y arrivions. Lorsque tout le monde était disponible au même moment, nous nous rendions donc en studio, mais il était donc difficile de rester concentré... Au final tout le processus s'est étalé sur une année mais nous n'avons pas travaillé plus d'un mois eau total.
Je n'aime pas gaspiller trop de temps pour un album, je n'ai pas non plus les moyens de groupes comme Metallica. Je préfère aller droit au but et capturer l'essence des chansons. Un point positif malgré tout : certaines ont pu être développées sur la durée en prenant du recul, ce qui n'est pas possible en une seule traite. Le but a donc été de trouver un équilibre entre la qualité des albums et le temps nécessaire pour obtenir ce résultat.

J'ai lu que tu avais été très affecté par la perte de ton meilleur ami durant l'enregistrement des deux disques, doit-on en conclure que les chansons sont plutôt sombres ?

En réalité, c'est notre premier album qui avait été influencé par cet événement tragique. Il n'aurait pas été aussi mélancolique et réfléchi sans cela. Ces deux nouveaux albums sont plus optimistes, j'ai voulu montrer de quelle manière il est possible de se relever et combattre toutes les mauvaises choses qui peuvent se produire dans la vie, avec beaucoup d'espoir et un certain sens de la justice.
Bien entendu certaines chansons sont plus sombres, tout comme la vie peut l'être, mais c'est en vivant cela qu'une personne peut construire sa personnalité et son caractère. Je ne donne pas de leçons, je parle juste d'expérience : après avoir été confronté à des temps durs et vécus des choses terribles, je ne souhaite plus me remémorer tout cela, je préfère rester positif pour ne pas perdre les pédales !

Après avoir consacré tant de temps à ces deux albums, comment vois-tu le futur proche du groupe ?

Après avoir quitté mon groupe précédent, je pensais ne plus jamais avoir envie de partir en tournée durant de longues périodes... et pourtant c'est ce que je souhaite maintenant avec Crippled Black Phoenix ! Je veux jouer ne plus possible ! A côté de cela j'ai aussi commencé récemment à travailler sur quelques démos pour mettre à plat mes idées et ne rien oublier.

Peux-tu on espérer vous voir en France prochainement ?

Je l'espère, nous avons prévu une tournée en Europe à partir du mois de septembre et nous souhaitons notamment jouer en France, Allemagne et Italie. Je suis impatient de revenir à Paris, notre dernière venue à la Maroquinerie reste un excellent souvenir.