logo SOV

Fujiya & Miyagi

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 19 mars 2011

Bookmark and Share
Fujiya & Miyagi, c’est l’histoire de deux garçons plutôt réservés (aux styles vestimentaires que ne renierait aucun supporter de Manchester United) qui, un jour, décident de faire de la musique pour s’amuser et de prendre pour pseudonymes l’un le nom d’une marque de tourne-disque, l’autre le nom du personnage du Sensei dans le film Karate Kid. Cette blague potache entre potes de lycée a mal fini ! Ni David Best et Steve Lewis n’avaient envisagé que le succès puisse les porter si loin et que les journalistes, toujours bien intentionnés et porteurs de questions intelligentes, allaient passer leur temps à leur demander les raisons de ce choix.

Formés en 2000 par David et Steve, Fujiya & Miyagi pourraient être entendus comme un hommage au Krautrock des Can ou des Neu, groupes électro-minimalistes de la première heure dont même les noms à plus de trois lettres fatiguaient leurs protagonistes. Si ni l'un ni l'autre ne goûtent aux comparatifs toujours plus appuyés des journalistes avec la musique allemande minimaliste des années 70, il faut leur reconnaître une simplicité et une bonhomie toutes minimalistes elles aussi. Des triturateurs de sons électroniques pour qui le style Sushis minimaliste vient d’être inventé !

Comment s’est passé votre retour en France et votre concert à la Flèche d’Or au début du mois de décembre dernier ? Vous n'aviez plus joué en France depuis longtemps...

David : Oui, c’était agréable de revenir jouer à Paris, surtout pour présenter de nouveaux titres. C’est toujours délicat de se présenter devant un public qui nous connaît pour nos titres passés et lui proposer de nouvelles compositions.c Steve : Oui, nous avons vraiment eu de bonnes réactions. C’est toujours difficile de jouer de nouvelles mélodies, mais je crois que ça c’est très bien passé. Il y avait, comme toujours à la Flèche d’Or, une très bonne atmosphère. C’était un bon concert.

Deux années se sont écoulées depuis la sortie de votre précédent album, avez-vous ressenti une certaine pression au regard du succès engendré par ce dernier ?

David : C’est une question intéressante car, sans paraître négatifs, nous n’avons pas ressenti Lightbulbs comme un grand succès. Nous avons donc remis ça avec beaucoup de sérénité et la volonté d’inclure de nombreux éléments nouveaux donnant une texture différente et des sujets de chansons bien particuliers. Il n’y avait donc aucune pression, sauf celle consistant à vouloir faire mieux, pour nous-mêmes. Mais vouloir faire toujours mieux est humain après tout...

Comment avez-vous vécu cette transition entre ce nouvel album et le précédent ?

David : Comme je le disais, nous nous sommes efforcés de faire quelque chose de différent et, pour la première fois, nous avons travaillé avec un producteur, Tom Monahan (producteur des Au revoir Simone et Vetiver) en Californie. C’était la première fois qu’on collaborait avec quelqu’un d’extérieur au groupe et loin de chez nous dans un laps de temps plus important que pour Lightbulbs.
Steve : Transparent Things ayant eu un certain succès, nous tournions beaucoup pendant l’écriture du suivant et nous n’avons pas eu le temps que nous souhaitions pour Ventriloquizing.
David : Il y a plus de couches instrumentales sur cet album. Certains albums ne sont qu’un enchaînement de titres, d’autres vivent par eux-mêmes et sont cohérents dans leur totalité.

Vous avez déclaré que cet album est né de l’idée de personnes parlant à d’autres personnes, comme des adultes le font avec des enfants ou des journalistes avec des groupes ; pouvez-vous me dire si ce concept vient d’expériences personnelles ?

David : Tu as raison. Il y a cet élément journalistique qui fait qu’un papier sur nous n’est pas une conversation entre personnes mais un état de fait. On peut avoir de bonnes critiques ou de mauvaises, sans pour autant pouvoir agir dessus et revenir en arrière. C’est un peu frustrant, mais c’est peut-être pour créer une barrière protectrice entre le groupe et le monde extérieur. C’est mon expérience personnelle en tout cas.

J’ai lu que David avait qualifié Ventriloquizing de disque « accusateur ». D'où vous vient cela ?

David : Lorsque nous avons commencé cet album, c’était sans idée spécifique, mais au fur et à mesure, nos compositions et nos paroles sont devenues de plus en plus agressives et dénonciatrices. J’aime quand le public ne sait pas pourquoi le chanteur est en colère ni à propos de quoi, comme dans Sixteen Shades Of Black And Blue. Ça ne se traduit pas bien en Français mais c’est une expression qui qualifie quelqu’un qui est en colère. Dans la chanson, on ne sait pas bien qui, où ni pourquoi... mais j’ai l’impression d’avoir perdu le fil de ta question ! C’était sûrement un ressentiment général qu’on exprimait à ce moment-là.

Peut-on parler d’une auto-critique de vos personnalités ?

David : Oui, absolument. Nous n’avons aucun problème à être dans l’auto-critique. Certains titres expriment certainement l’idée d’être dans un groupe et d’être un peu isolés du monde extérieur. Mais j’espère aussi que c’est plus que ça car quand un groupe commence à parler de lui dans ses textes, c’est un terrain très glissant et schizophrène !

Cela peut sembler paradoxal par rapport à ce que nous venons de dire mais votre style général est plutôt relax et les voix presque étouffées ; est-ce qu’il vous arrive de vous laisser aller et de pousser des cris perçants ?

David : (rires) C’est amusant parce que je pense que c’est notre style, je suis un chanteur qui chuchote et pas un chanteur qui crie. Mais vous pouvez chuchoter en vous affirmant ou chuchoter en restant très cool et je n’ai pas l’impression que l’album, une fois que vous êtes rentrés dedans, soit si relax ou étouffé. Je ne ressens jamais le besoin de crier de toute façon, sauf peut être quand mon équipe de football perd (rires) !

Quelle équipe ?

David : Arsenal. Mais ils ne perdent jamais, donc je ne crie jamais ! Mais je crois que nous avons essayé des titres plus agressifs dans le passé…
Steve : Tu n’as jamais essayé de crier !
David : D'accord, pas crier mais j’ai essayé d’être plus agressif parfois et ça sonnait faux. Ça sonnait inadéquat, comme si nous poussions trop loin par rapport à notre style. Mes chanteurs préférés ne crient pas.
Steve : Je ne veux pas nous comparer à Serge Gainsbourg, mais lui aussi a fait de très grandes chansons mélodiques tout en chuchotant ses textes... Lou Reed également a cette façon d’attirer toute l’attention à lui en susurrant ses chansons.

C’est intéressant que vous parliez de Serge Gainsbourg car dans deux mois nous célébrerons les 20 ans de sa disparition et toutes les télévisions préparent des hommages. Une de mes questions, justement, portait sur le fait que vous avez déclaré aimer énormément Serge Gainsbourg ; si vous en aviez l’occasion, seriez-vous intéressés pour faire une reprise de lui ?

David :Oui. Il y a quelque temps, je voulais faire une version Anglaise de Boomerang, mais il est trop difficile à traduire en Anglais. Beaucoup se perdent dans ses textes très complexes. Je suis un très grand fan de Serge Gainsbourg. J’aimerais bien reprendre Mister Iceberg...

Pourriez-vous chanter en français ?

David : C'est intéressant car nous sommes justement en train de travailler un de nos titres en français. Mais je ne parle pas assez bien la langue. Notre manager, Emeric qui parle français, nous aide à traduire et je vais tenter de chanter en français. J’aime le son de la langue française mais il faut une bonne prononciation. Je crois que ma chanson préférée de Serge est Variations sur Marilou. Et j’aimerais également reprendre Jimi Hendrix ou les Rolling Stones, mais là ça devient épique !

Les paroles de Ventriloquizing sont pleines d’humour. Finalement, vous n’êtes pas de si vilains garçons ?!

David : Je ne cherche pas spécialement à être marrant ou à faire de l’humour mais l’humour revient toujours dans les interviews. Pourtant, ce n’était pas spécialement l’intention de base et je trouve qu’il n’y a rien de pire que de dire « Hé, regardez moi je suis marrant ! ». Dès que vous mettez du poil à gratter dans les textes et que vous sortez des sentiers battus, les gens perdent leurs repères car ce ne sont plus les sujets habituels qui sont traités. Nous ne sommes pas uniques avec nos textes et d’autres le font très bien aussi mais j’aime les mots et je prends la musique assez au sérieux pour ne pas passer pour un chanteur qui voudrait faire rire à tout prix.

Dans ces textes, vous parlez d’auto-médication, de pilules, d’hypocrisie et du mythe du Chanctonbury Ring (ndlr : ouvrage naturel circulaire du sud de l’Angleterre ou des phénomènes paranormaux seraient apparus, notamment des expériences de lévitation). Comment vous sont venus ces sujets très spéciaux ?

David : Pour ce qui est des pilules, je venais de lire un article sur un groupe pharmaceutique qui payait des docteurs pour qu’ils appuient des articles sur des médicaments plus chers là où d’autres ont les mêmes effets et à meilleur prix. Tout le monde sait que ce sont des pratiques avérées. Et je me suis dit qu'il était intéressant d’en parler dans une chanson. Mais vous ne pouvez pas être trop explicatif ou profond dans un texte, il faut rester vague et ça m’a mené à la chanson sur l’hypocrisie. Je pensais au parti Vert en Angleterre que je supporte de tout mon cœur et aux personnes qui se disent écolo mais qui, aussi sincère soient-elles, ont une part d’hypocrisie en elles. Elles se disent prêtes à faire tel effort et elles font souvent le contraire... et dans Minestrone, je parle d’un mythe dont Steve m’a parlé voilà des années et qui concerne l’anneau de Chanctonbury, proche du lieu où nous vivons. A cette époque, il existait des groupes très mystiques parlant de sorcières ou habillés en mages. C’est vrai que nous avions envie de les parodier. Mais cette mise en scène musicale à l’époque était ridicule et j’espère que nous sommes loin de leur ressembler !

Quelles sont pour vous les nouveautés en terme d’instrumentations dans ce nouvel album ?

Steve : Sur cet album nous avons essayé d’utiliser de nouvelles instrumentations, notamment grâce à la collaboration de Thom Monahan. Dans le studio où nous avons enregistré à Sacramento, il y a un stock dément d’instruments vintage dont nous ne soupçonnions même pas l’existence ! Tout ça, en plus de tous les instruments modernes dont on peut rêver. Nous avons voulu essayer le Celena, un synthétiseur à cordes que David Bowie utilisait à l’époque de Low, tout comme Joy Division ou encore Iggy Pop sur The Idiot. Nous avons également utilisé plus de pianos et d’orgues. Sur le précédent album, les guitares dont jouait Dave étaient assez sèches et propres ; cette fois nous avons poussé les effets et la distorsion sur les cordes. Mais la plus grosse différence vient de la production en elle-même et du mixage. Sur les albums précédents, nous étions seuls et utilisions un logiciel de mixage, puissant mais qui a ses limites, comme tout logiciel. Cet album a donc plus de profondeur, plus d’espace, grâce à Thom.

A l'écoute de cet album, sur certains points, je peux vous rapprocher de The Phantom Band...

David : J’apprécie The Phantom Band et nous avons certaines choses en commun, mais je n’ai aucun disque d’eux. Nous en avions un peu marre du concept Fujiya & Myagi et nous voulions casser les comparatifs avec les anciens albums. Nous ne voulions pas faire un disque qui sonne comme ce groupe ou cet autre. Excepté The Idiot d’Iggy Pop qui m’a accompagné pendant cet enregistrement, étant mon disque fétiche, je ne pense pas que nous ayons été influencés.
Steve : Et surtout pas par Can ou Neu, comme nous l’avons déjà lu dans certaines critiques. Mais nous les apprécions quand même...

C’est la première fois que vous travaillez avec un producteur et notamment Thom Monahan. Comment l’avez-vous rencontré et comment s’est déroulée votre collaboration ?

Steve : Nous sommes partis en tournée avec le groupe Au revoir Simone avec qui nous sommes devenus bons amis et leur dernier album a été produit par Thom. Ils nous ont recommandés à Thom à qui ils ont fait écouter nos premiers albums. Il a aimé notre musique et nous nous sommes rencontrés. C’était aussi simple que ça ! Et comme il a également travaillé avec Vetiver et Devendra Banhart, en tant que grand fan de Vetiver, pour moi, c’était vendu !
David : Je pense que c’était une bonne rencontre pour lui également car, avant Au Revoir Simone, il avait l’habitude de travailler sur des albums plutôt acoustiques alors qu’il est aussi un grand amateur d’électronique ; ce fut donc une collaboration fructueuse pour Thom et nous.

Cet album, vous l’avez écrit à Brighton et enregistré à Sacramento...

David : Et à Los Angeles. Le studio de Thom est là-bas.

Sur quels points ces changements d’environnements ont influencé votre travail ?

David : Le fait d’être ailleurs et de ne pas être distraits par des occupations quotidiennes comme payer les factures, sortir les poubelles ou voir des amis passer nous a gardé concentrés sur notre travail et nous n’avons quasiment pas quitté le studio de Sacramento pendant l’enregistrement.
Steve : Je ne pense pas que la culture Américaine ait eu une influence sur nous ou cet album. J’apprécie leur culture mais l’écriture et même les démos ayant été faites à Brighton, nous n’avons fait qu’utiliser de nouvelles possibilités d’enregistrements dans un environnement agréable mais surtout studieux, avec des grands professionnels.
David : Cela sonnerait faux si un jour j’écrivais sur la Californie ou son mode de vie ! Nous sommes Européens dans nos sujets de chansons et dans notre approche et nous sommes fiers de ça (rires) !

Au final, toutes vos idées de départ ont-elles été menées à bien ou avez-vous du en laisser de côté en route ?

David : C’est vraiment l’album le plus achevé pour nous. Parfois nous démarrons avec une idée d’album et aboutissons avec un album tout à fait différent. Et ce n’est pas péjoratif...
Steve : Nous avions parlé de ce que nous voulions entendre dans ce disque et, pour moi, tout est là. Bien sûr, nous aurions pu aller encore plus loin et passer des mois en studio mais il faut savoir achever une œuvre et je pense que celle ci l’est. Je n’ai aucun regret.

J'imagine qu’on vous a posé cette question cent fois, mais Miyagi est-il bien le nom du professeur dans Karate Kid ?

Steve : Oui... j’en ai bien peur.

Et Fujiya une marque de tourne-disque ?

David : Oui (rires gênés)...
Steve : On le regrette un peu maintenant. C’était douze ans en arrière, nous étions jeunes et à cette époque nous n’imaginions même pas avoir un jour du succès en tant Fujiya & Miyagi !
David : Nous n’imaginions même pas qu’un jour nous aurions ce groupe nommé ainsi car la musique n’était alors qu’un hobby. Peu importe notre nom alors... en fait, je n’ai aucune explication !
Steve : Honnêtement, nous pensions que nous allions devenir nos propres producteurs et, à l’époque, il y avait ce duo appelé Kruder et Dorfmeister (groupe formé de deux DJ Autrichiens) qui était très connu dans les années 90s dans le style Dance Music et éléctro ; nous nous sommes dit qu’un nom similaire, mais dans les tons Japonisant serait cool.
David : A l’époque, nous ne pensions ni jouer en live devant un public ni même avoir de photos de nous dans les magazines ou Internet. C’était une plaisanterie pour nous de donner à penser que nous pouvions être Japonais !

Quels sont vos projets à venir ?

Steve : Nous avons déjà commencé à penser à notre prochain album. Ventriloquizing a démarré en début d’année dernière et s’est achevé en fin d’année parce qu’entre temps j’ai eu un enfant et David aussi. Donc pour le prochain, nous nous y prenons tôt au cas où nous en referions un autre très vite !
David : La plus belle chose en tant que musicien est d’avoir des idées et de les voir se mettre en route et atterrir sur un album au final. Ce sont mes projets pour l’avenir !
Steve : Et ce nouveau disque sera à nouveau produit par nous-mêmes et sera plus électronique.

Ce sera ma dernière question : Ankle Injuries, qui est pour moi un titre intemporel et aussi prenant qu’intelligent, n’est pourtant pas une composition très complexe. Selon vous, comment certains titres assez simples peuvent-ils avoir autant d’effet sur leurs auditeurs ?

David : Souvent, quand les gens commencent à faire de la musique, ils pensent qu’il faut s’aventurer dans les titres compliqués pour être bons. Beaucoup de nos chansons, moins sur ce dernier album, sont très simples question composition. Si l’idée de base est bonne, cela importe peu.
Steve : Ankle Injuries ne comporte que peu de couches d’instruments mais possède un très bon timing qui rend le morceau assez hypnotique car il semble tourner en rond indéfiniment. Nous sommes des musiciens minimalistes à la base. La musique des années 50s était un peu comme ça et j’adore tous ces morceaux qui font rêver par leurs sonorités ou leurs boucles... Mais sans doute certains ne nous aiment pas parce que nous ne sonnons pas assez fort ou lourd avec de grosses orchestrations. Faire simple n’est pas si facile pour obtenir quelque chose de bon au final.

Vous attendiez-vous à un tel succès pour ce titre qui a été remixé un bon nombre de fois ?

David : A l’époque où nous enregistrions Transparent Things, personne ne nous connaissait et nous étions encore innocents !
Steve : C’est ce que j’aime avec Transparent Things; c’est ce coté naïf que nous n’aurons sûrement plus jamais. Dès que vous avez du succès, les choses changent légèrement... là, c’était presque comme un hobby pour nous.

Que faisiez-vous pour vivre à cette époque et avant d’avoir un certain succès ?

Steve : J’enseignais la musique aux gens qui avaient des difficultés.
David : Je travaillais dans le secteur bancaire, aux cartes de crédits ! Mais j’écoutais de la musique toute la journée et j’appuyais machinalement sur des boutons. C’est pour cela que nous avons un titre appelé Photocopier. Il parle d’un mec qui rêve de musique à la photocopieuse. C’était ma vie avant de vivre grâce à Fujiya & Miyagi !