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Battant

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 27 septembre 2011

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Écriture intime et spontanée, parfois violente, influences musicales souvent puisées dans les mouvement artistiques tel que le Bauhaus ou le Dadaïsme : Battant ne prend de l’art que la pulpe et uniquement la pulpe ! Preuve de la qualité de cette source de vitamines trouvée dans le studio d’Andrew Weatherall, le label Kill The DJ, habitué aux découvertes électro-rock les a pris sous son aile. Récemment passé de trois à deux membres, Tim Fairplay ayant pris la décision d’entamer une carrière solo, Battant continue son parcours sans faute, en mode qualitatif.

Assis dans le fond du concept store Gals Rock, dédié au Rock au féminin, Chloé est au thé et Joël au vin. Plus détendus, plus natures et plus rieurs en interview, difficile à trouver ! Rires, ironie et pour finir, tragédie. Cette interview, l'une des plus gaies jamais réalisées pour le site, restera également comme la plus triste : dix jours plus tard, Joel Dever, complice de Chloé dans les paroles et les rires, quittera le monde des vivants à Londres, laissant le groupe Battant définitivement orphelin et pesant de tout son poids sur les épaules de sa chanteuse.

Impossible de trouver une définition anglo-française de votre nom, Battant. Pensiez-vous au mot français qui définit quelqu’un qui se bat contre l’adversité ?

Chloé : Non. C’est ce qu’on appelle un choix aléatoire ! C'est le garçon avec qui je travaillais au début qui l’a trouvé. Il l’a vu écrit et, graphiquement, ça nous a plu. Ça fait de belles affiches !

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail avec le label Kill The DJ ? Comment s’est faite la rencontre ?

Chloé : Nous travaillions avec Andrew Weatherall à Londres et il lui arrivait de mixer avec Ivan Smagghe (ndlr : un des créateurs de Kill The DJ). Nous avons joué pendant une de leur représentation. C’est par Andrew que nous avons rencontré Ivan, lorsque nous partagions son studio.

Habituellement, Kill The DJ est plutôt un label de musiques électroniques...

Chloé : C’est vrai, mais nous étions plus électronique à nos débuts et notamment sur No Head, notre premier album.
Joel : Je crois que nous sommes comme encapsulés dans le travail de ce label. Ce n’est pas nécessairement sur un point de vue sonore mais dans un esprit de continuité que Kill The DJ voulait trouver. La ligne directrice de ce label n’est pas basée que sur le son mais également sur des idées ; voire des idéaux musicaux.

C’était quoi votre vie avant de faire de la musique ?

Joël : J’étais étudiant en Art à l’Université.
Chloé : Qu’est ce que je pouvais bien faire avant de faire de la musique ? Je ne sais plus ; probablement beaucoup de sorties, de Rave party... (rires). En fait, j’ai toujours beaucoup écrit. J’ai même pris des cours de théâtre.
Joël : Elle ne veut pas le dire, mais elle a joué dans Babylon A.D !
Chloé : (rires) Je joue une fille qui attend le bus. C’est un scoop pour toi ; je ne peux pas croire que tu vas écrire cela (rires) !

Chloé, tu es moitié Canadienne, moitié Française, où vis-tu ?

Chloé : Je vis à Londres depuis douze ans. Et, avant cela, je vivais à Marseille. À partir de l’age de 14 ans, j’ai étudié le théâtre au lycée Marseilleveyre. En fait, c’est pour cela que j’ai atterri là-bas. Ils avaient un internat et un cours de théâtre que je voulais suivre. J’y ai passé deux ans, après m’être faite virer de Marseilleveyre ! Ce qui s’est passé c’est que je suis parti de l’internat pour aller habiter chez une amie qui avait une chambre de bonne au Panier (ndlr : quartier de Marseille). Elle m’a eu un job dans un café du quartier et, à quinze ans, quand tu as le choix entre le lycée et la mer...

Il se dégage de toi, sur scène, un charme étrange et froid que possédait feu, Ian Curtis. Pour une fois, je suis d’accord avec ça !

Chloé : C'est flatteur, moi aussi je suis d’accord avec ça (rires) ! Juste, ne me laissez pas me pendre comme Ian ! J’ai 28 ans, j’ai donc passé l’age fatal des 27 ans, je pense que ça n’arrivera plus.

J’ai lu que Battant était un groupe, post Punk Euro Friendly ! J’aime bien la définition Euro Friendly. Vous vous sentez Européens ? Anglais ?

Chloé : Euro Friendly (rires) ? C’est bien ça. Je crois que je me sens plus Européenne que nationaliste, au sens appartenance à un seul pays.

Quelles sont vos inspirations pour l’écriture, parfois surréaliste ou hyper réaliste ?

Chloé : L’auteur des trucs un peu barges, c’est moi (rires) ! Je m’inspire de la musique que j’écoute, de l’humeur dans laquelle je me trouve... parfois, comme sur Scarlet, Joël me fait écouter la mélodie et les mots me viennent.

Et pour un titre assez fou comme Farmer’s Ode To Wife, quelle est ton inspiration ?

Chloé : J’ai écrit ce titre quand j’avais seize ans. Au départ, c’était une chanson sur mon petit ami du moment. Tu vas rire, mais il faisait un peu de slam et j’ai voulu faire comme lui. J’ai voulu rajouter un coté sexy et, petit à petit, ça a glissé du coté obscur et carrément obscène sur la fin (rires). Ce titre a ensuite échappé à cette histoire et à ce rapport à cet ex-copain que je voulais absolument impressionner. Mais, après ça, ça ne pouvait marcher entre lui et moi (rires) !

Kevin, votre premier titre sorti, a été inspiré par un journal intime que tu aurais trouvé. Quelle est l’histoire exacte ?

Chloé : J’étais en pleine dépression et un ami m’a donné ce journal qu’il avait trouvé dans la cave du pub où il travaillait, derrière une porte condamnée. Comme dans un film angoissant, ils ont trouvé une sorte de chambre avec des sacs de couchage et des vieilles affaires dans cette pièce et le journal intime était par terre. Il s’est dit que cette histoire et ce qu’il y avait d’écrit dans ce journal me redonneraient du courage. Depuis, je l’ai toujours quelque part avec moi.

Le 3 octobre, sort votre nouvel album, As I Ride With No Horse. Il est rempli de nouvelles influences et sonne plus intime que le premier. Vous en aviez marre d’être rangé dans la case Cold Wave ?

Chloé : (rires) C’était un processus plutôt naturel pour nous que de réaliser ce nouvel album. Nous ne nous sommes pas dits qu’il fallait se sortir du cliché Cold Wave. Pour le premier album, qui a démarré avant que nous ne signions sur Kill The DJ, j’ai écrit en collaboration avec notre guitariste, aujourd’hui parti, Tim Fairplay. Après cela, nous avons donc commencé à écrire en tandem avec Joël, ce qui nous a amenés à ces nouvelles influences pour As I Ride With No Horse.
Joël : Pendant l’écriture, nous étions en concert à droite à gauche et, pour être honnête, quand nous sommes en travail d’écriture, nous ne pensons pas à notre public ou à nos fans. Ce qu’ils aimeraient entendre ou pas. Ce n’est donc pas un album fait en contre-réaction au premier ou à un style défini.
Chloé : Même si cela ne nous a influencés en rien objectivement, de manière subjective, le départ de Tim a certainement remis en questions pas mal de nos inspirations. Musicalement, c’est là même chose. Nous sommes arrivés à un croisement de routes et avons envie d’en explorer de nouvelles. Tim a eu envie d’explorer de nouvelles voies lui aussi et, ni Joël, ni moi ne lui en tenons rigueur.

Votre album précédent, No Head, a eu un certain succès en Angleterre et peut-être même plus en France. C’est une tendance depuis quelques années, les groupes Anglais ont parfois un succès plus appuyé, plus précoce en France. Pensez-vous que cela est dû à un trop grand nombre de groupes naissant pour un petit pays comme l’Angleterre ?

Chloé : Ce n’est pas faux. Je vois des concerts de groupes Anglais en France que je ne vois pas programmés outre-Manche ! Je pense que c’est lié, entre autres, à l’industrie du disque et aux institutions culturelles en France qui ne fonctionnent pas de la même façon en Angleterre. Il y a plus d’opportunités pour des groupes indépendants qui n’ont parfois pas encore été signés. Concernant les structures et les endroits où les groupes peuvent jouer, la France donne plus de possibilités à des petits groupes. En Angleterre, il faut souvent être la première partie d’un groupe connu pour pouvoir jouer sur scène.

En résumé, il vaut mieux être sur une Major pour exister en Angleterre ?

Chloé : C’est un raccourci rapide mais il est évident que ça rend les choses bien plus faciles ! Vous avez la chance d’avoir un nombre de salles impressionnant sur tout le territoire et, souvent, l’état pousse et aide à la création de ces salles, de concerts, de festivals... En Angleterre, il faut débuter dans les pubs, ce sont les seules salles qui vous acceptent au départ. Il faut ramener son public pour pouvoir être payé sur un pourcentage d’entrées. C’est une organisation que les groupes doivent eux-mêmes prendre en charge. Il n’y a pas un ministère de la culture qui nous aide comme c’est le cas ici. De plus, les Français vont plus facilement voir un groupe qu’ils ne connaissent pas et sortent plus souvent pour des petits concerts.

Ce sont pourtant une tendance et des pratiques qui existaient en Angleterre pendant les années 70/80 ? La France était alors à la traîne...

Chloé : Je ne sais pas, je n’étais même pas née ! Mais oui, je crois que l’époque a bien changé à ce niveau-là et que la culture, aidée ou encouragée par le gouvernement, n’est plus ce qu’elle était...
Joël : Ce n’est pas facile à appréhender ; comment survivre en Angleterre à côté des Majors quand on est une petite structure de production ou un tout récent groupe qui voudrait se faire connaître ? Mais tous les musiciens de par le monde diront, finalement, la même chose...

Il existe beaucoup de parallèles faits entre vous et des groupes comme Joy Division, The Organ et même Virgin Prunes ! Comparaisons saugrenues parfois. Pour ce nouvel album, spécialement sur des titres comme Clearcut ou Scarlet, votre son est plus théâtral, proche des groupes Brechtien comme The Dresden Dolls. Vous vous sentez proches du son cabaret Punk, souvent issu de Berlin ?

Chloé : C’est étrange, comment de telles influences arrivent au cerveau des gens ? Je ne saurais dire... En tout cas, ce n’était pas intentionnel ! Les journalistes aiment mettre les groupes dans de petites boîtes et faire des comparaisons.
Joel : On nous dit avoir un son très Européen. Moi je trouve que nous sonnons très Américain !

Pour revenir sur le titre Scarlet, il apparaît comme un contrepoint à vos précédentes sonorités ; il y a une flûte, un hautbois, un piano classique... y a-t-il un rapport à Scarlet Johansson ou Ohara ?

Chloé : (rires) En fait, le titre devait s’appeler Fever. Je sais qu’un autre groupe à écrit un titre sur Scarlet Johansson mais pas nous ! Il s’agit de la scarlatine dans cette chanson (Scarlet's Fever).

Que s’est-il passé, en dehors du départ de Tim, entre No Head en 2009 et As I Ride With No Horses en cette fin d’année ?

Chloé : Après No Head, le groupe a bien failli disparaître. Tim est parti. Puis nous avons observé un break pour les vacances de Noël et après ça, Joël et moi avons commencé à écrire ce nouvel album. Nous sommes entrés en studio en novembre, je crois. Le master s’est fait en mars et, depuis, nous vivons notre nouvelle vie, personnelle mais aussi de groupe qui est passé de trois à deux membres. Nous avons fait quelques dates à Paris après avoir trouvé un batteur et un nouveau guitariste. Tout cela fait qu’entre le premier disque et celui-ci, nous avons complètement changé notre façon de faire. No Head était travaillé avec beaucoup d’électronique et de sonorités faites par des ordinateurs. Aujourd’hui, presque toute notre musique est jouée live et avec des vraies instruments, sur scène comme en studio. Bien sûr, avoir un batteur est plus compliqué que programmer une boîte à rythme, mais cela apporte tellement plus de liberté de création. Pour résumer, cela nous a pris pas mal de temps pour passer de No Head à As I Ride With No Horse.
Joël : C’est une vie de groupe différente que Chloé et moi avons dû réinventer. Et je ne regrette rien du passé, mais nous ne voulions pas revenir avec les mêmes recettes que pour notre premier album ; un nouveau guitariste à l’image de Tim et des ordinateurs portables sur scène. Nous essayons de rendre notre vie d’artiste aussi agréable que possible en allant, peut-être, vers de nouveaux horizons.
Chloé : Le défaut de la configuration qui était la nôtre auparavant, c’est le coté statique du groupe, sur scène d’abord. Avant, je pouvais me mettre en pilotage automatique et ne pas faire grand chose en live (elle claque des doigts sans bouger). Aujourd’hui, nous nous exposons plus avec le risque que cela comprend, mais nous avons compris ce que le vrai live voulait dire et c’est ce que nous voulons faire. En conséquence, nous répétons un peu plus qu’avant.
Joël : D’ailleurs, les derniers concerts ont montré que nous étions sûrement meilleurs et, en tout cas, plus en phase avec le public dans cette nouvelle configuration. Nous avons beaucoup plus confiance en nous.

Andrew Weatherall travaillait des remixes pour vous, comme pour d’autres – inoubliable Halleluia des Happy Mondays – continuerez-vous à lui confier des titres pour cet album ?

Chloé : Andrew était proche de Tim dans le travail, bien avant que nous le rencontrions. Ils avaient leurs propres projets donc, par respect pour Tim, nous ne collaborons plus avec Andrew... pour le moment. Mais si Tim avait accès au studio d’Andrew, moi j’avais d’autres accès (éclats de rire) !

Vous avez dit que vous n’écoutiez pas beaucoup de musique sur Internet. Vous pensez que le streaming ou le téléchargement, illégaux, peuvent tuer les groupes qui n’ont pas le soutien de labels ?

Chloé : Non. Je pense que c’est difficile de faire marche arrière maintenant.
Joël : Ce que tu peux avoir gratuitement, c’est difficile de se prononcer pour une quelconque répression qui le rendrait payant ! Reporte cela à la vie et tu verras que tout ce que tu peux obtenir gratuitement, tu le prendras. Si j’ai le choix entre un album gratuit et un CD à acheter, j’irais vers le gratuit !

Et s’il s’agit de votre musique ?

Chloé : Nous avons décidé de ne pas faire d’argent avec notre musique. C’est quelque chose que nous acceptons. Nous devons faire autre chose pour gagner notre vie. Je sais que c’est difficile pour les petits labels mais je ne vois pas les choses changer maintenant, spécialement pour les générations les plus jeunes qui ont grandi avec Internet et dont le téléchargement est presque dans leur culture. C’est vrai que les petits labels ont la vie plus dure mais, en même temps, la musique est de plus en plus accessible grâce à Internet.
Joël : Il faut savoir que même au niveau des labels, s’ils peuvent avoir quelque chose de gratuit, ils le font ! Et je serais un hypocrite de leur reprocher parce que je fais la même chose, y compris sur Internet.

Si je vous suis, dans un futur proche, les petits groupes devront tous travailler a coté de leur passion musicale ?

Chloé : Oui, je le crois vraiment. Et puis nous sommes des anti-capitalistes convaincus donc, tout cela ne m’attriste pas vraiment !