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Death In Vegas

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 23 octobre 2011

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Longtemps, Death In Vegas aura été le pendant trivial, pour ne pas dire damné, de l’électro-rock des origines et le petit frère des pontes du noisy rock, de Primal Scream en passant par les Jesus And Mary Chain. Textes vicieux, musique volontairement crasseuse, Richard Fearless et Tim Holmes avait créé là une sorte de Frankestein musical, à la frontière entre le Krautrock et l’expérimentation.

Avant-gardistes dés le tout début du 21ème siècle, Death In Vegas, qui ne sont jamais là où on les attend, reviennent sept ans après leur dernier disque pour remettre au goût du jour une techno minimaliste agrémentée de guitares vaporeuses sur très énigmatique Trans Love Energies. À quarante ans, Richard sans peur revient conquérir les terres de France et dévoile tout ce que son exile New-Yorkais lui a artistiquement légué. Affranchi de sa moitié, Tim Holmes, et de ses invités prestigieux, Richard Fearless ressuscite un Death In Vegas recomposé de nouveaux membres pour l’occasion.

Une des marque de fabrique de Death In Vegas, c’est le mouvement perpétuel : que ce soit pour les membres du groupe, le style ou les textes, tout bouge vite. Alors que tous vos fans pensaient Death In Vegas disparu, tu reviens sept ans après Satan's Circus avec un nouvel album. Que s’est-il passé pendant toutes ces années ?

J’ai déménagé aux Etats-Unis et me suis un peu éloigné de Death In Vegas. J’ai pris une année sabbatique puis j’ai repris le collège à New York où j’ai vécu quelques années pour me remettre dans la photographie que je pratique depuis toujours. Au bout de quelques temps, j’avais besoin de refaire de la musique en groupe et j’ai crée une nouvelle formation, Black Acid. Repartir sur Death In Vegas ne me semblait pas une bonne idée lorsque j’habitais aux Etats-Unis. Entre la photo, les vidéos que j’aime tourner et monter et la composition de nouveaux morceaux, le temps est passé si vite...

Quand as-tu décidé de reformer Death In Vegas ?

Il y a deux ans, à mon retour en Angleterre. J’avais tellement écrit de chansons pendant cette retraite que j’ai senti le besoin de les ressortir et de les jouer. Pendant ces sept années, j’ai probablement travaillé plus que je ne l’avais jamais fait auparavant, mais, mentalement, je n’étais pas prêt à reformer Death In Vegas. Je savais tout ce que ce groupe me prendrait en terme d’investissement personnel et c’est mon retour à Londres qui m’a convaincu de repartir dans cette aventure.

À vos débuts, vous étiez signés sur le label Concrete Records puis, vous vous en êtes éloignés pour créer votre propre label, Drone Records. Depuis 2009, vous avez créé Portobello Records. C’est une nécessité un label indépendant pour obtenir une telle liberté de mouvement artistique ?

Drone Records est toujours mon label mais Portobello Records est le label de mon manager. Même quand nous étions signés sur une major, nous avons toujours ressenti une grande liberté de mouvements. Nous avons vraiment fait la musique que nous voulions et comme nous le voulions. Concrete Records ne nous a jamais mis la pression mais il a fallu que nous écrivions Satan's Circus, que ne voulait pas sortir notre maison de disque d’alors, pour que nous prenions conscience que cette liberté artistique pouvait atteindre une certaine limite et qu’il nous faudrait peut être avoir notre propre label.

Alladin Story, le dernier titre de l’album The Contino Sessions est un titre inédit des Rolling Stones. Comment êtes-vous tombés dessus ? Tu penses que son édition, finalement, par les Rolling Stones en 2010 est due au succès de votre version ?

Quand nous avons repris ce titre, nous avons dû en avertir les Rolling Stones. C’est une longue histoire, mais je pense, qu’effectivement, nous avons attiré leur attention sur ce titre qu’ils n’avaient pas encore publié et qu’ils ne considéraient sûrement pas assez bon.

Aisha et Dirge ont marqué de leurs empreintes psychotiques, le début des années 2000 et nombre de fans. Malgré le faible nombre d’albums à votre actif, vous restez comme un des groupes les plus influents des années 2000. Ne sont-ce justement pas cette rareté et cette distance qui ont fait la légende de votre groupe ?

Si cela est vrai, ce n’était pas intentionnel ! Mais tu n’es pas le premier à me poser ce genre de question donc j’imagine qu’il y a une part de vérité dans cet éloge. M’éloigner si longtemps de mon pays et de Death In Vegas a été une action positive pour moi mais, forcément, en rentrant et en remettant en route le groupe, j’ai eu peur que plus personne ne sache qui était Death In Vegas. Or, je m’aperçois du nombre de fans que nous avons encore aujourd’hui et ça fait vraiment chaud au cœur après tout ce temps ! Le fait que nous ayons beaucoup de titres instrumentaux et que les membres du groupe ne soient quasiment jamais identifiés sur nos albums – les titres les plus populaires ne sont pas chantés par des membres du groupe à proprement parler – a peut-être contribué au mystère et à une certaine légende autour de cette formation.

Vous avez été parmi les précurseurs des duos noise, aujourd'hui, il y a The Kills dont vous avez fait un remix ou Moon Duo... pensez-vous avoir suscité des vocations ?

C’est dur à dire... nous étions là avant The Kills, donc, peut être. Quand j’entends des groupes actuels comme The Horrors et les autres, je pense qu’un disque comme Satan's Circus, qui est mon préféré et qui était un peu en avance sur son temps, les aura sûrement influencés. En toute modestie et comme d’autres groupes plus anciens nous ont aussi influencés...

Vous aviez eu des problèmes après la sortie du titre Hands Around My Throat et son sujet très sulfureux en 2002 ?

Non. Enfin je ne crois pas. Je vais te raconter l’histoire. Emmanuelle Seigner, l’actrice française qui est aussi mon amie, jouait dans le clip que j’ai dirigé. À cette époque, en France mais aussi en Angleterre ou en Belgique où a eu lieu le drame, des adolescents jouaient à un jeu dangereux qui consistait à se serrer la gorge pour atteindre une sorte d’état catharsistique ou orgasmique et un jeune en est mort. Ce n’était qu’une coïncidence bien sur mais nous nous sommes fait allumer par la presse, surtout en Belgique. Bien sûr, la mort de ce gamin était un drame mais le lien de cause à effet entre notre titre et ce décès a été un peu trop vite défendu par certains magazines et journaux.

Liam Gallagher, Iggy Pop, Paul Weller... autant d’invités prestigieux présents sur vos premiers albums. Est-ce la preuve qu’un groupe peut-être un collectif à membres variables ?

Je ne sais pas si je suis très fier du titre fait avec Paul Weller... En ce qui concerne Iggy Pop, j’ai toujours été très influencé par The Stooges et je voulais absolument avoir cette voix inimitable et si talentueuse pour Aisha. Le titre que chante Paul Weller est une reprise de Jim Clarke, So You Say You Lost Your Baby, que j’aimais vraiment beaucoup. Je cherchais une voix pour cette chanson et j’avais déjà travaillé avec Paul mais, c’est un titre qui ne fonctionne pas très bien je trouve...

Sur le titre Your Loft My Acid tiré du dernier album, Katie Stilman, AKA Austra, vous rejoint pour sept minutes de transe presque minimaliste, comme si Death In Vegas prenait un virage techno quinze ans après. Est-ce l’influence de Katie qui t’a ramené dans ces contrées musicales déjà approchées par le passé avec un titre comme Natja ?

Non. J’ai été un DJ Techno pendant longtemps et il m’arrive encore de mixer pour des fêtes. J’ai toujours écouté la musique électro de Detroit ou Chicago. Ce titre était déjà écrit quand on a décidé de travailler ensemble avec Katie. J’avais écouté ses chansons avant même qu’elle ne soit signée chez Domino. J’ai aimé son timbre et le caractère de sa voix.

Trans-Love Energies est très différent des précédents albums, beaucoup plus rock noisy. A l’époque de la techno minimaliste vous jouiez donc du rock noisy et à l'époque de l'électro-rock vous replongez dans la techno berlinoise : Death In Vegas, toujours à contre courant des attentes ?

Absolument ! J’ai toujours nagé à contre courant. C’est l’histoire de ma vie !

Je crois que Trans-Love Energies est un nom en hommage aux Black et White Panthers et au MC5 ?

Comment as-tu trouvé ça ? C’est vrai. Pour faire court, les MC5 avaient sorti un album sous le label Trans-Love Energies, le label de John Sinclair, un poète activiste qui était très porté sur les drogues ! Il a intéressé les MC5 au mouvement des Black Panthers, suite aux émeutes raciales des États-Unis qui, en 1967, avaient fait des centaines de morts et ont été à l’origine de la création des White Panthers, leurs frères d’armes.

La pochette du disque est aussi très différente des précédentes, comme si vous vous étiez aventurés dans un foret mystique. T'occupes-tu toujours de l’artwork de tes disques ?

Oui. Je fais toutes les photos du disque. Sur la pochette de Trans-Love Energies, il y a ma femme et ma belle sœur sur deux chevaux. Nous avons pris ces photos par un matin brumeux et très froid dans les Blue Ridge Mountains aux États-Unis, à la lisière d’une forêt très dense. Je tiens à maîtriser l’artwork de tous mes disques.

Comment vois-tu l’avenir pour Death In Vegas, ex-nouveau venu pour les plus jeunes générations ?

En ce moment je travaille sur une comédie musicale de l’époque Victorienne. C’est un pilote en préparation pour la BBC. Je pense que je vais m’aventurer de plus en plus vers la musique de film. Plusieurs de nos titres ont déjà été utilisés dans des Bandes Originales, comme celles de Lost In Translation ou Le Dalhia Noir, et je suis de plus en plus demandé dans ce domaine. J’aimerais beaucoup créer toute la bande son d’un film et, pourquoi pas, en réaliser un, un jour... L’autre soir, je regardais le film Drive avec Ryan Gosling et j’aurais tellement aimé faire la musique d’un film pareil ! Il y a une sorte de synth-pop narcotique dans la Bande Originale, vraiment intéressante. Je crois que de plus en plus de groupes se tournent vers ce genre d'exercice, comme The Chemicals Brothers ou Daft Punk. J’aimerais avoir mon studio à la maison et pouvoir composer pour des films.

Problèmes économiques, changements climatiques, émeutes à Londres que tu as vécues, je crois... Le monde est-il le même que lorsque tu as commencé la musique ?

Je suis arrivé à un age où je commence à avoir envie d’enfants et, parfois, ça me fait vraiment peur. Je vis à Londres dans le quartier de Hackney où les émeutes ont été très violentes. La ville n’est pas un endroit où je voudrais élever mes enfants mais, en même temps, si tu vas dans la province Anglaise, c’est parfois encore plus violent ! Là où vit ma mère, en province, il y a un Pub devant lequel un van de la police est constamment garé à cause de la violence potentielle. Quand j’étais ado, il y avait des Punks, des Skinheads et encore quelques Mods dans les rues. Maintenant, la culture jetable a tout envahi dans un monde d’ultra-consommation et c’est sûrement très violent pour la jeunesse que de grandir dans cette société à la culture quasi unique. L’autre jour, je parlais avec une adolescente qui écoutait un remix de Beyoncé. Je lui demande ce que c’est et elle me répond : « Je ne sais pas, c’est un mix que m’a téléchargé ma sœur ». Ces gamins-là n’écoutent de la musique que sur leurs téléphones et n’ont comme possibilité d’identification que ce que la TV ou les magazines leur montrent. Il n’y a plus ces bandes et ces modes qui revêtaient des significations revendicatrices, souvent liées à un style musical. L’indifférenciation culturelle est très dangereuse car elle empêche les nouvelles générations de sa bâtir une identité propre. Quand j’étais au collège, j’ai tout de suite senti des affinités avec ceux qui écoutaient la même musique que moi, c’est comme ça qu’on intégrait une bande ou un groupe. Aujourd’hui, tout devient mondial et tout s’uniformise...