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The Cribs

Interview publiée par Fab le 7 mai 2012

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Plus soudés que jamais, les frères Jarman et The Cribs effectuent un retour remarqué en ce mois de mai avec l'album In The Belly Of The Brazen Bull, le premier depuis le départ de Johnny Marr l'année passée. Respectivement bassiste et batteur du trio, Gary et Ross reviennent pour nous sur l'enregistrement de ce disque, de Chicago à Londres en passant par New-York.

Pour la première fois depuis vos débuts, trois années se sont écoulées entre deux de vos albums. Comment avez-vous vécu une si longue absence ?

Gary : Ça n’a pas été un problème. La question ne s’est même pas posée, nous avons fait ce que nous avions à faire et nous voilà avec un nouvel album...
Ross : Même si Ignore The Ignorant est sorti il y a trois ans, nous n’avons pas été inactifs aussi longtemps. A chaque disque, un nouveau cycle débute et tu es occupé pendant plus ou moins deux ans. Le fait d’avoir joué dans quelques festivals l’année dernière fait que nous n’avons pour ainsi dire jamais complètement stoppé nos activités.
Gary : Les tournées liées à Ignore The Ignorant se sont achevées en fin d’année 2010 puis nous avons consacré 2011 à l’écriture et l’enregistrement d’un nouveau disque tout en donnant quelques concerts. Nous n’avons pour ainsi dire pas eu de temps libre à consacrer à d’autres projets au final !

Cette période a été marquée par le départ de Johnny Marr...

Ross : Son départ s’est déroulé très naturellement. Gary et moi avons commencé à travailler sur de nouvelles chansons alors que Johnny était occupé par d’autres projets. Il n’a pas décidé de subitement de quitter le groupe, nous avons simplement réalisé à un moment donné que nous suivions des chemins différents et que cette aventure commune touchait à sa fin. Nous avons discuté de l’avenir du groupe tous les quatre et Johnny a évoqué son envie d’enregistrer un nouvel album en solo. Il n’y avait aucun problème particulier, juste des envies différentes.
Gary : Notre relation avec Johnny est spéciale depuis le commencement. Lorsque nous avons commencé à écrire des chansons avec lui, il n’était pas question d’enregistrer un album. Un single éventuellement mais rien de plus, tout le reste n’a été que du bonus. Après son départ, nous avons simplement repris nos habitudes tous les trois, ce n’était pas réellement un changement.

Avez-vous envisagé de recruter un musicien pour le remplacer ?

Gary : Nous n’avions pas envie de recruter un guitariste supplémentaire. Avec un peu de recul, l’album que nous avons enregistré avec Johnny est plus une collaboration qu’un véritable album des Cribs. Ainsi, nous avons transformé l’aspect négatif de son départ en quelque chose de positif, nous avons enregistré comme nous le faisions à nos débuts. Sur scène, nous avons un nouveau guitariste à nos côtés, mais en tant que groupe, nous apprécions la liberté que nous procure notre fonctionnement en trio.
Ross : Il n’avait même jamais été question qu’un musicien nous rejoigne avant de rencontrer Johnny. Ce n’était ni un besoin ni un choix, juste une envie de travailler avec une personne à un moment donné.

Depuis plusieurs mois la presse musicale souligne les faiblesses de la scène rock britannique actuelle, pensez-vous que votre retour se déroule au bon moment ?

Gary : Honnêtement, je ne fais pas attention à tout cela. La scène rock britannique a rencontré un véritable succès commercial à un moment donné mais ça ne pouvait pas durer. Nous avons toujours été considérés comme des séparatistes et je suis assez d’accord sur le fait que nous n’avons pas grand-chose en commun avec beaucoup des groupes contemporains. Nous nous sentons vraiment étrangers à toutes ces discussions. Nous avons enregistré un album et le moment venu nous avons décidé de le sortir. Pour nous, il n’y a ni bon ni mauvais moment. Nous sommes très excités par ce disque et nous sommes simplement heureux de le voir commercialisé.

Sur cet album, vous effectuez en quelque sorte un retour à vos origines avec un son plus punk que sur Ignore The Ignorant. Était-ce un choix conscient ?

Ross : Peut-être est-ce vrai pour certaines chansons, mais pas toutes. Je pense que Chi-Town et Come On Be A No-One peuvent être trompeuses quant à la teneur du disque dans sa globalité. Il n’est pas seulement direct...
Gary : Les singles sont souvent les chansons les plus directes et efficaces d’un disque, c’est somme toute logique, et Chi-Town ou Come On Be A No-One n’échappent pas à la règle. Ce sont des pop songs très concises. D’autres titres que nous avons enregistré à Abbey Road, comme Back To The Bolthole, montrent une approche différente. Je pense que le fait d’avoir travaillé sur ces chansons plus longtemps les a rendues plus complexes. Certaines compositions sont plus cérébrales sur In The Belly Of The Brazen Bull, mais peut-être la production joue-t-elle un rôle dans cette appréciation. Quoiqu’il en soit, selon moi, notre son n’a certainement pas régressé mais plutôt progressé dans la façon dont ce nouvel album s’articule. Nous avons simplement apprécié le fait de brancher les instruments et jouer sans nous poser de questions, de manière très simple.

Vous avez tous les trois vécus dans des lieux différents pendant plusieurs mois, cela a-t-il affecté votre mode fonctionnement et l’orientation de cet album ?

Gary : Très certainement. D’un point de vue logistique, nous avons passé plus de temps séparés qu’auparavant et je pense que nous avons été contraints à composer sans le reste du groupe. Chacun d’entre nous a exploré ses propres idées dans un premier temps avant de les exposer aux deux autres. Même si l’écriture des chansons a été commune, les idées ayant servi de base de travail sont venues de trois directions différentes. En vivant à Portland, je me suis rapproché de musiciens que je fréquentais moins souvent auparavant, comme Stephen Malkmus ou Wild Flag. Mon cercle d’amis et la communauté de mes proches ont été amenés à évoluer. Je pense que les chansons écrites ont été influencées à un moment ou à un autre par l’entourage de chacun et les différents modes de vie, mais au final, la collaboration entre Ryan, Ross et moi est restée la même qu’auparavant lorsqu’il a été question d’enregistrer l’album.

Après avoir passé autant de temps aux Etats-Unis, ce disque est-il celui avec le son le plus américain de votre discographie ?

Gary : Probablement, et c’est un point très intéressant car depuis nos débuts beaucoup de gens considèrent que notre musique est très influencée par la scène américaine. A une époque nous avons été rangés dans la case « britpop » ou « britrock » mais cela m’a toujours semblé frustrant. Durant les années 90s, la scène britpop était à son apogée mais ce n’était pas le genre de musique que nous aimions écouter, nous étions beaucoup plus intéressés par les groupes de rock américains. Peut-être que désormais les gens reconnaissent mieux nos influences. Le fait d’avoir vécu là-bas un certain temps, avec des visites régulières de Ross et Ryan, a probablement joué un rôle dans notre musique.
Ross : Quand tu as écouté pendant des années des groupes américains plutôt que de la britpop, cela laisse obligatoirement une empreinte sur toi et ton groupe. Tu ne peux pas changer cela.
Gary : L’adolescence est une période importante dans la construction de la personnalité, tu es plus influencé à ce moment de ta vie.

Cet album a été enregistré dans plusieurs studios dans des lieux très différents, notamment à Chicago, Londres ou New York...

Gary : Nous avons fait trois sessions en studio à New York avec David Fridmann puis une de quelques jours à Chicago avec Steve Albini et une dernière très courte aux studios Abbey Road de Londres sans producteur. Lorsque nous avons enregistré Ignore The Ignorant, nous sommes restés plusieurs semaines à Los Angeles et je pense qu’à un moment donné nous sommes devenus trop complaisants avec nous-mêmes. En changeant de lieu plus régulièrement, tu es capable de trouver de la fraîcheur et de nouvelles conditions de travail qui te poussent à être meilleur. Tu es constamment sous pression, tu es obligé de rester actif. En changeant de producteur, de matériel ou d’ingénieur du son, tu repars de zéro dans des conditions différentes, ce qui est très intéressant.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec David Fridmann et Steve Albini ?

Gary : Nous avons vécu deux expériences très différentes. Nous envisagions depuis longtemps de travailler avec David Fridmann et nous avons en quelque sorte pu réaliser ce rêve, découvrir ses méthodes de travail et son fonctionnement. D’un point de vue humain, il est très intéressant, mais il nous a aussi poussés à expérimenter, à ne pas nous brider nous-mêmes, à ne pas être trop conventionnels. Très souvent, les producteurs cherchent à conserver les habitudes pour ne pas prendre de risques. Avec David, nous avons compris qu’il n’existait pas de bonne ou mauvaise façon d’enregistrer. Avec Steve Albini, nous n’avons pas eu de surprise, il était fidèle à sa réputation. Nous cherchions à enregistrer un son très live, c’est ce pour quoi il est si apprécié.

Avez-vous envisagé de travailler avec une seule personne plutôt que deux ?

Ross : Nous avons fait le choix de travailler avec deux personnes différentes dans l’optique d’enregistrer l’album d’une certaine manière. Les caractéristiques des chansons choisies pour figurer sur l’album nécessitaient selon nous différents mode de fonctionnement, et donc différents producteurs pour obtenir le résultat recherché. Nous ne voulions pas que le son de l’album semble trop homogène, et la meilleure manière d’éviter ce problème était de changer de producteur en fonction des chansons.
Gary : L’idée était que ces deux producteurs ne soient pas en contact afin que le travail de l’un n’influence en rien celui de l’autre. Nous étions les seuls à avoir une vision globale de la chose.
Ross : D’un point de vue économique, c’était aussi un choix judicieux. Avec des sessions plutôt courtes, nous étions sous pression pour enregistrer les chansons dans les temps, il n’était pas question de nous éparpiller.
Gary : De plus, je pense que nous avons gagné en qualité. Chaque personne impliquée dans l’enregistrement du disque a donné son maximum.

Chi-Town et Come On Be A No-One sont les deux premiers singles extraits de l’album. Estimez-vous qu’ils sont représentatifs du disque dans sa globalité ?

Gary : Le choix a été très facile à faire. Chi-Town n’est pas un single à proprement parler, juste une chanson que nous avons proposée en téléchargement pour présenter le disque. Nous l’avons enregistrée avec Steve Albini et nous savions que nous plus anciens fans apprécieraient ce titre. Son tempo est rapide, l’ambiance plutôt punk, c’est un titre traditionnel des Cribs. Pour Come On Be A No-One, nous avons choisi la meilleure pop song à nos yeux, le titre le plus évident pour nous. Nous avions quelques doutes par rapport au fait que ces deux chansons sont très proches, je pensais par exemple que sortir Glitters Like Gold dans un premier temps aurait été une meilleure idée. En général, les groupes cherchent à sortir dans un premier temps les chansons les plus accessibles et addictives, celles avec lesquelles le public va établir une connexion rapidement. C’était aussi notre raisonnement mais pour le prochain single, lequel devrait être Glitters Like Gold, nous voulons montrer que l’album ne se résume pas à Chi-Town et Come On Be A No-One.

Que signifie le titre de l’album, In The Belly Of The Brazen Bull ?

Gary : Il y a environ deux ans, j’ai lu un livre plutôt sinistre sur les exécutions. L’une des plus marquantes d’entre elles, à l’époque biblique, portait ce nom et consistait à faire bruler une personne vivante dans un taureau en bronze. Cette image a stimulé notre imagination. Nous avons beaucoup pensé à cette phrase très sombre et l’avons retenue comme titre de l’album. Nous procédons souvent ainsi, en choisissant une phrase qui nous semble marquante.

Avec ce cinquième album, vous avez dépassé vos dix années de carrière. C’est une étape importante ?

Ross : Lorsque nous étions encore des enfants, nous jouions déjà de la musique ensemble, notamment des reprises de Queen, mais sans nous projeter plus loin. J’ai le sentiment que nous n’avons jamais suivi la même voie que la plupart des autres groupes. Nous n’avons pas rencontré un important succès commercial à nos débuts, tout est venu progressivement album après album. Nous avons réellement construit quelques chose au fil du temps.
Gary : Aucun label n’a jamais voulu investir une fortune pour faire de nous des stars ou vendre des milliers de disques, nous ne devons notre réussite actuelle qu’à nous-mêmes. Au Royaume-Uni nous avons eu la chance de jouer dans des festivals majeurs et de grandes salles, mais en Europe nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. A l’image de ce soir, nous jouons encore souvent dans des clubs devant un public réduit, et nous apprécions toujours ça ! Je pense que nous aurions pu profiter des modes à un moment donné mais nous nous y sommes refusés. Sur le moment cela peut te permettre de devenir très populaire, mais une fois que la mode es terminée, que reste-il ? Nous avons toujours fait les choses à notre manière et nous sommes fiers de cela.

Quels sont vos plans pour la suite ?

Gary : Je n’en n’ai pas la moindre idée... Nous n’avons jamais prévu quoique ce soit. Le fait que Johnny Marr souhaite jouer avec nous était une surprise à l’époque, tout comme son départ en a été une autre par la suite. Même maintenant, je suis incapable d’imaginer ce que le futur nous réserve, ce qui est pour moi une bonne chose. Si ta vie devient trop prévisible, tu deviens complaisant avec toi-même et ta musique, ce qui n’est jamais bon signe. Nous avons vécu des hauts et des bas et nous en vivrons sûrement d’autres. Moins j’en sais sur notre avenir, mieux que je me porte !