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Levellers

Interview publiée par Laurent le 2 novembre 2012

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Le 4 octobre dernier, après une petite séance de photos, Jeremy Cunningham, bassiste des légendaires Levellers de Brighton, a gentiment accepté de répondre à nos questions à l’occasion de leur concert donné au Divan du Monde.

Vous ne vous êtes jamais séparés en vingt-quatre ans de carrière et semblez toujours aussi bons amis, quel est votre secret pour ne pas finir comme les Who ?

Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, lorsque nous avons fondé le groupe, nous avons décidé de partager équitablement entre nous tout l’argent que le groupe pourrait gagner. Ensuite, nous avons toujours essayé de ne pas coucher avec la petite amie d’un autre membre du groupe, même si cela n’a pas toujours marché... (rires) Mais la raison principale est que le groupe, la musique, le son que produit ce groupe, est beaucoup plus important que chacun de nous. Nous sommes très complémentaires et faisons d’ailleurs tous plusieurs choses dans le groupe. J’écris les paroles et crée les artworks, Mark et Simon écrivent aussi des paroles et composent, Jon compose également...

Attaquons Levelling The Land, votre album le plus connu. Vous avez effectué l’an dernier une grande tournée britannique célébrant le vingtième anniversaire de sa sortie, était-ce pour pouvoir définitivement tourner la page et continuer à avancer sans éternellement se référencer à ce classique ?

En fait, ce n’était pas vraiment notre idée au départ de faire cette tournée mais celle de notre agent, qui est un très bon ami à nous. Il nous a suggérés de jouer cet album pour les vingt ans parce que c’est le préféré des fans. Juste avant, nous avions joué notre premier album, A Weapon Called The Word, dans des festivals et cela c’était très bien passé. Alors nous avons organisé quelques concerts Levelling The Land, tout s’est vendu très vite et nous avons finalement fait une grosse tournée. Beaucoup de gens venaient pour le côté nostalgique mais il y avait également pas mal de jeunes qui n’étaient pas là à l’époque et c’était ça le plus important, pouvoir toucher un nouveau public même avec un vieil album. Mais je note que malheureusement, la plupart des chansons, du moins les plus politisées, sont toujours autant d’actualité.

Les jeunes générations ne semblent pas associer la musique et la politique comme c’était le cas avant.

Vous êtes en effet un groupe engagé aux paroles très politiques. Comment expliquez-vous que cette tradition de groupes politiques héritée des années 70, avec des groupes comme les Clash ou les Specials, semble avoir disparu depuis la britpop ?

Les jeunes générations ne semblent pas associer la musique et la politique comme c’était le cas avant, on ne pense plus qu’on peut changer quelque chose aux mentalités et à la politique avec des chansons. Aujourd’hui il y a des programmes télévisés où tu chantes une chanson et deviens connu, on ne chante plus pour dire quelque chose mais pour être célèbre. A notre époque, Margaret Thatcher était au pouvoir et les chansons politiques nous permettaient d’avoir une voix, de se sentir représenté. C’était naturel pour nous de parler de ça parce que nous avions beaucoup écouté les Clash, les Specials, Bob Marley ou encore Neil Young qui est un grand héros pour nous.

Lorsque vous êtes devenus connus au début des années 90, spécialement au Royaume-Uni, cela a-t-il changé quelque chose pour vous par rapport à ces chansons engagées ? Il est difficile de continuer à défendre les opprimés et à dénoncer la misère sociale lorsqu’on est devenu une rockstar, non ?

Oui, tu dois changer un peu ta manière d’écrire. A une époque, nous étions en effet vraiment dans la politique, en mettant notamment pas mal d’argent dans des groupes d’actions politiques, ce que nous faisons toujours avec notre centre à Brighton réunissant activistes politiques, musiciens et artistes. Bref, à cette époque nous nous sommes retrouvés à jouer devant deux ou trois mille personnes tous les soirs à travers l’Europe et nous nous disions que les comportements pouvaient changer grâce à nos chansons, mais bien sûr il n’en était rien. Ça nous a fait un peu mal à l’époque, nous avons commencé à prendre beaucoup de drogues, jusqu’à nous en rendre malade. Nous avons changé notre façon de faire même si notre façon de penser est la même et que les messages sont similaires. Nous essayons de formuler les choses différemment pour ne pas nous répéter et puis il faut bien avouer qu’en vieillissant nos opinions changent sur certaines choses. Mais le groupe n’a jamais été un si grand succès financier, nous ne sommes pas devenus très riches, nous ne nous sommes jamais sentis déconnectés de la réalité de laquelle nous venions. Nous avons le même groupe d’amis qu’il y a vingt-cinq ans, je ne pense pas que les gens nous perçoivent différemment d’au début. Nous ne nous sommes pas écartés de nos valeurs.

Pas comme Bono...

(Rires) Non pas comme Bono ni Sting !

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Parlons un peu de votre retour en France. Vous étiez très connus il y a vingt ans, vous avez gardé une base de fans inconditionnels mais il n’y a pas eu de renouvellement, les jeunes générations françaises ne vous connaissent pas, il n’y a pas de promo... Payez-vous votre indépendance vis-à-vis de l’industrie musicale ou vous êtes-vous trop focalisés sur le Royaume-Uni ?

C’est une partie du problème oui, je pense que nous étions un groupe peut-être trop britannique. Nous avons essayé de venir en Europe autant que nous le povions mais nous ne sommes pas allés en France autant qu’en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique... C’est vraiment dommage parce que nous adorons spécialement venir à Paris. Nous avons encore passé une excellente journée aujourd’hui. Nous adorons nous balader en Europe, nous sommes Britanniques mais nous adorons l’Europe, nous nous sentons même européens... Enfin, nous sommes européens ! Je pense que nous pouvons regretter de nous être trop concentrés sur le Royaume-Uni à une époque. Mais nous continuerons à venir en France ou ailleurs pour tenter de gagner de nouveaux fans, plus jeunes. C’est pour cela que nous voulons jouer plus de festivals.

Vous organisez d’ailleurs depuis 10 ans le Beautiful Days Festival, racontez-nous cette expérience...

A la fin des années 90, nous jouions dans de gros festivals au Royaume-Uni. Un jour, nous étions sur scène au V Festival, le concert se passait bien mais nous nous sommes vraiment dit « c’est dommage, quelle merde ce festival, il y a des dizaines de milliers de personnes et elles sont traitées comme du bétail. » A force de trouver ces festivals ridicules, nous avons décidé de faire le nôtre, un festival à taille humaine avec de vrais espaces dédiés aux festivaliers. La première année, nous avons trouvé un endroit, programmé des groupes, imprimé les billets et au dernier moment la police a déclaré que ce n’était pas possible. Tout était prêt mais la police n’aime pas beaucoup les Levellers, que ce soit pour Battle Of Beanfield ou d’autres raisons, et ils ont dit au propriétaire des terres que nous allions tout détruire pour nous stopper. L’année suivante, nous avons trouvé un nouvel endroit et nous sommes débrouillés pour avoir un mec de notre côté au sein de la commission policière qui gère les évènements comme cela. C’était un vieil homme, qui a dit que notre festival ferait du bien à la région, culturellement comme économiquement. Nous avons alors eu le feu vert mais avons du hypothéquer tout ce que nous avions en tant que groupe, notre studio, notre équipement, nos instruments... Si nous ne vendions pas tous les tickets pour le festival, le groupe faisait faillite. Mais nous avons eu de la chance et tout s’est vendu même si ça a mis un peu de temps. Ce qui nous a permis de continuer jusqu’à aujourd’hui. Mais nous ne gérons pas réellement le festival, les Levellers et Beautiful Days sont deux entités différentes. L’argent que nous faisons est pour nous et l’argent que rapporte le festival est réutilisé l’année suivante pour l’organisation du suivant. Nous faisons un peu plus de profits chaque année, ce qui nous permet de programmer de meilleurs artistes d’année en année.

Même comme cela, comment arrivez-vous à ramener de si grands groupes dans un si petit festival (PiL, Toots & The Maytals, Big Audio Dynamite, Supergrass ou encore The Pogues ont notamment joué ces dernières années) ?

Et l’an prochain si tout se passe bien nous aurons Edward Sharpe and The Magnetic Zeros, un groupe que j’adore ! C’est en négociations en ce moment… Pour en revenir à la programmation, disons que le festival a très bonne réputation. Les artistes sont payés en temps et en heure pour commencer ! Ensuite, l’atmosphère, le fait que ce soit toujours complet et que le festival ne soit sponsorisé par aucune entreprise, cela plaît beaucoup aux groupes. Ils aiment monter sur scène et ne pas voir Coca-Cola tout autour d’eux, surtout les groupes américains, étonnamment ! Nous avons chaque année une liste de groupes que nous aimerions voir jouer et le festival essaie de s’organiser pour les faire venir mais il y a aussi des personnes que nous ne connaissons pas ou n’aimons pas particulièrement, mais ce sont des groupes populaires au sein du public du festival ou de nouveaux artistes prometteurs. Parfois, certains demandent à jouer aussi.

Et combien de spectateurs le festival peut-il accueillir ?

20 000 personnes. Mais c’est la capacité maximale, cela n’augmentera pas. Nous ne voulons pas devenir un trop grand festival. Le site est grand mais nous ne voulons pas que les gens aient de l’espace donc 20 000 c’est parfait. Mais ce festival est une vrai réussite, cette année, les concerts étaient vraiment bons, spécialement Public Image Ltd, c’était excellent.

J’imagine, leur dernier EP était très bon cette année !

Je ne l’ai toujours pas écouté mais j’ai eu de très bons échos en effet.

Il y a également des thèmes plus personnels car ça a été une année difficile pour nous, même si nous ne sommes jamais loin de la politique avec les Levellers.

En parlant de dernier album, c’est le moment de faire un peu de promotion ! Votre album Static On The Airwaves est sorti cet été, quels sont les nouveaux thèmes abordés ?

Il y a une sorte de thème principal qui est la mondialisation, la mondialisation des conflits. Comme ce que l’on a vu avec cette nouvelle lutte des classes aux Etats-Unis où 1% de la population détient 99% des richesses. Nous regardions évoluer le mouvement des 1% à la télévision lorsque nous écrivions l’album. Mais il y a également des thèmes plus personnels car ça a été une année difficile pour nous, même si nous ne sommes jamais loin de la politique avec les Levellers. La dernière chanson par exemple, Recruiting Sergeant, parle de la guerre en Afghanistan. Mais, comme son nom l’indique, la chanson Alone In The Darkness est une chanson triste très personnelle. L’album a un très bon son, je le considère comme sûrement notre meilleur album depuis Levelling The Land.

Votre premier single, England My Home, n’était pas tendre avec votre pays et se finissait sur ces paroles : « Whatever happened to my green and pleasant land ? ». Pensez-vous qu’il y a eu une amélioration depuis le départ de Thatcher ou est-ce toujours la même situation ?

C’est une question difficile. Je pense que la situation s’est un peu arrangée après son départ. Nous avons ensuite eu un gouvernement du Labour pour lequel nous avons tous voté, mais cela n’a pas vraiment marché. Nous nous en doutions parce que le concept de gouvernement est quelque chose qui ne nous convient pas de toute façon mais il fallait juste que les Tories s’en aillent. Mais finalement si l’on y pense bien, ce n’est pas réellement mieux qu’à l’époque de Thatcher, c’est juste différent. A cette époque, les choses étaient claires pour nous, tout était noir et blanc, les mauvais d’un côté et les bons de l’autre. Aujourd’hui, tout est gris. On ne sait plus qui croire, l’ambiance est mauvaise, comme dans toute l’Europe mais encore plus ici où nous sommes si liés aux Etats-Unis. On nous fait peur avec le terrorisme pour que chacun abandonne ses libertés consciemment au profit d’une soi-disant protection du gouvernement contre un soi-disant danger terroriste.

Oui, le 11 septembre a été une belle opportunité pour les gouvernements occidentaux de contrôler leurs populations...

C’est ça, mais le pire c’est que les gens le font d’eux-mêmes. Ils offrent volontiers leur liberté aujourd’hui...

SOV

Votre chanson Battle Of Beanfield sur Levelling The Land, racontant les affrontements entre manifestants et policiers en 1985 à Beanfield, m’a fait penser aux émeutes de l’été dernier, successives au meurtre d’un adolescent de Tottenham par des policiers. Quel est votre point de vue sur ces évènements ?

C’était ridicule ce qui s’est passé. Nous avons des amis qui travaillent avec la police et apparemment certains policiers auraient laissé ces émeutes arriver pour créer le chaos et montrer leur importance au gouvernement. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit.

Les émeutiers s’en étaient donnés à cœur joie dans certains quartiers mais on n’avait l’impression qu’il n’y avait aucune revendication, juste l’envie de se battre et de détruire par ennui. C’est un peu triste non ?

Oui, c’est dommage. Nous sortions du Printemps Arabe et nous avions vu tous ces gens se battre pour leur liberté, c’était beau. Parmi les Levellers nous sommes plusieurs à avoir fait des émeutes lorsque nous étions jeunes mais toujours par conviction politique. Mais les émeutes de l’été 2011 étaient assez déprimantes, voir tous ces gamins saccager des magasins sans raison, brûler des maisons... C’est dommage parce que si toute cette colère, cette rage, étaient dirigés dans le bon sens, cela pourrait devenir intéressant.

Aujourd’hui, y a-t-il encore une différence entre Labour et Tories ?

Non, notre gouvernement travailleur d’aujourd’hui aurait été conservateur il y a vingt ans. Tout se déplace à droite donc le Labour est devenu les Tories d’il y a vingt ans alors que les Tories sont encore plus à droite.

Vous vous définissez comme des anarchistes écolos, pouvez-vous m’expliquer le concept ?

C’est juste du bon sens. Nous avons toujours fait attention à ne pas gâcher, à recycler... pour préserver la planète. C’est à la mode aujourd’hui mais à l’époque tout le monde se foutait de notre gueule si nous disions qu’il fallait combattre la déforestation. Mais nous n’avons jamais décidé cela, c’est venu naturellement parce que nous venions de la même scène alternative et avions les mêmes préoccupations. Et puis l’anarchie, c’est parce que nous n'avons jamais pu faire confiance à un politicien !

Quelle était cette scène dont vous parlez ? Il y avait beaucoup de groupes à Brighton ?

C’était surtout un squat dans lequel beaucoup de monde vivait en fait. Il y avait quelques groupes qui jouaient différents types de musique. Mais cette connexion existait à travers tout le pays. Nous avons joué avec beaucoup d’autres groupes dans des petites salles qui partageaient notre vision des choses mais jouaient différents styles : punk hardcore, reggae, folk, house... La musique était toujours différente mais le message était essentiellement le même.

Une dernière question, tu as un tatouage Libertine qui ressemble beaucoup à ceux de Pete Doherty et Carl Barât, est-ce un hommage ?

Oui je suis fan des Libertines, c’est un de mes groupes préférés, et je me suis toujours considéré comme un libertin, alors c’était parfait !