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I Am Kloot

Interview publiée par Amandine le 25 mars 2013

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Un hôtel cossu parisien, quelques pintes de bière vides au salon, voici le décor dans lequel nous a accueillis John Bramwell, chanteur charismatique d'I Am Kloot. Entre sérieux et fous rires, morceaux choisis d'une interview fleuve...
[John Bramwell sort d'une session acoustique et vient de casser une lampe du salon de l'hôtel.]

Tu détruis donc le matériel de l'hôtel, quelle rock star !

(Rires) Ce n'est plus de mon âge tout ça. Je suis dans une maison de disques à faibles moyens, ils n'ont même pas de lumière pour me filmer, les pauvres ! (rires) C'est un manque de professionnalisme. Pardon, je me reprends, soyons un peu plus sérieux... Et puis, ce n'était pas ma faute de toute façon.

Vous sortez aujourd'hui votre sixième album et vous avez parcouru beaucoup de chemin. Votre récente nomination pour le Mercury Music Prize a-t-elle changé quelque chose pour I Am Kloot comme ça a pu être le cas pour d'autres groupes dans le passé ?

Tous les jours, je chante et je joue de la guitare parce que j'adore ça. Je ne fais pas de séances d'écriture, assis devant un bureau, ça ne se passe jamais comme ça. Je n'ai jamais appris à jouer de la guitare, je joue juste comme je sais le faire, probablement pas de la façon la plus académique qui soit mais peu m'importe, je fais ça pour prendre du plaisir. Plus tard, quand je conduis ou que je marche, ou même pendant que je parle avec des amis, quelque chose se passe dans ma tête pendant que je continue à chanter un peu n'importe quoi. Pour je ne sais quelle raison, je rentre à la maison et j'ai une mélodie, des paroles, même si je ne sais pas vraiment à quoi ça va ressembler. Je sais que ça va me mener quelque part. Avant, j'avais l'impression que ce ne serait qu'un fait mineur mais maintenant, j'ai l'impression que ça va plus loin donc même si c'est inconscient, tout ce qui a pu se passer ces derniers temps, notamment la nomination au Mercury Prize, m'a affecté, dans le bon sens du terme et sans que je prenne la grosse tête mais ça a forcément eu un effet, même si je continue à mener la même vie et à travailler de la même manière.

Penses-tu que l'on puisse entendre ça sur Let It All In ?

C'est assez paradoxal car mes paroles traitent toujours de la distance et de l'aliénation et je ne suis même pas engagé dans une relation aujourd'hui, je ne me prends pas du tout au sérieux mais pour la musique, c'est différent et c'est sûrement la chose la plus sérieuse de ma vie. Du coup, même si beaucoup de beaux événements se passent, je crois qu'un certain naturel pessimiste ressort de mes compositions, même si je ne le cherche pas car je n'essaie jamais de trop penser, je laisse venir les choses et, parfois, ce n'est pas assez bon, mais je ne le garde pas, ce n'est pas grave. Si je sens que ça a un sens, je vais encore plus travailler dessus, toujours plus. Je ne pense pas que le public ait à savoir spécifiquement de quoi il en retourne dans les chansons, même pour moi ! Je n'ai pas besoin de savoir exactement ce qui s'est passé dans ma tête. C'est ce que c'est, c'est venu d'on ne sait où, très bien... Parfois, on répète avec les autres et c'est tragique, il ne se passe rien. A contrario, d'autres fois, la magie opère...

Justement, vous avez toujours eu l'habitude de travailler autour des paroles que tu apportais mais il me semble que ce nouvel album est plus collaboratif que les précédents...

Je crois que, récemment, comme nous sommes devenus un peu plus populaires, les médias ont essayé de me faire passer pour le songwriter en chef et les autres pour de simples musiciens exécuteurs. Ce n'est pas du tout le cas ! Dans de bons jours et dans le meilleur des cas, je parviens à écrire la mélodie et les paroles. Toutes les autres fois, la plupart du temps, j'arrive en salle de répétition avec un couplet et un refrain qui ne sont pas du tout définitifs. On répète pendant toute la soirée et jusqu'à tard dans la nuit et quand je termine de chanter, le reste du groupe va réussir à tirer la quintessence de tout ça et la traduire en musique, c'est comme une alchimie qui s'opère. C'est extrêmement important car nous sommes un groupe et ce ne sont pas mes musiciens. Si je voulais juste être un songwriter, je ne serais pas au sein d'I Am Kloot. Ce n'est pas ce que j'aime et ce que je veux faire de ma musique et de mes idées. Ça fait un bon moment que nous jouons tous ensemble maintenant et nous n'avons même jamais parlé de tout ça, du fait que chacun apporte à mes idées ce qui fait qu'elles peuvent devenir d'aussi belles chansons.

Je sais que tu aimes ne pas trop répéter et enregistrer très vite les versions définitives de tes chansons, pour garder la spontanéité et un son plus naturel...

Exactement, je crois d'ailleurs que c'est la clé de notre « réussite ». Je termine d'écrire un truc le soir et le lendemain, à midi, nous sommes déjà en train de le jouer, je n'ai pas le temps de revenir dessus, de trop y penser. J'appelle les autres : « Nouvelle chanson, on se rejoint tout à l'heure ? » et voilà, c'est parti, on passe quelques heures au studio, à répéter, sans jamais beaucoup parler, parfois même sans échanger un seul mot, on a tout le temps de parler de tout et de rien quand on sort du studio et qu'on va boire des bières au pub. Ça a pris six ou sept mois à enregistrer le nouvel album mais en réalité, on a dû passer douze ou treize jours à enregistrer au studio. Cette façon de travailler nous a parfaitement convenu et je pense que c'est notre album le plus collaboratif depuis les débuts d'I Am Kloot il y a treize ans. Je ne me suis jamais senti comme un écrivain de la musique et je crois que le jour où je penserai cette chose, je serai foutu.

Tu as de nouveau travaillé avec Guy Garvey et Craig Potter...

Oui, une fois encore...

Qu'apportent-ils de spécifique à ta musique ?

On se connaît tous depuis plus de dix-huit ans. Guy et moi jouions des concerts acoustiques le soir dans de petites salles à Manchester, comme tout le monde j'ai l'impression, ça jouait de partout, il y avait une émulsion incroyable. Nous travaillions dans une petite salle de concerts, où nous aidions les groupes à installer leur matériel. Guy et Craig sont des personnes très talentueuses, ça a toujours été le cas et ce n'est pas difficile de s'en apercevoir (rires). Nous en sommes à des centaines de concerts avec I Am Kloot et Guy et Craig sont ceux qui nous ont le plus vus jouer, bien plus de fois que quiconque (une trentaine ou une quarantaine de fois au bas mot je dirais). Guy est un de nos plus grands fans, c'est d'ailleurs très valorisant pour nous, ça fait plaisir venant d'un tel artiste. Je n'ai pas vraiment à me poser la question de qui produira nos albums, c'est comme ça ! Ce sont eux qui nous connaissent le mieux et qui connaissent le mieux notre musique.

Avoue tout, c'est aussi parce que Guy Garvey est un garçon adorable et qu'il vous amène des extras en studio !

(Rires) Comment sais-tu ça ? C'est la vérité ! Il nous texte le matin pour nous demander ce que nous aimerions comme sandwich. Je ne crois pas que ça se passe comme ça avec Phil Spector... (rires) On peut donc dire que ce que Guy apporte à nos séances d'enregistrement, ce sont les sandwichs (rires). Je résume à toutes ces bêtises mais nous sommes tous très sérieux lorsqu'il s'agit de musique, comme je te l'ai déjà dit, mais nous ne sommes jamais sérieux les uns avec les autres. Ça peut être très intense d'enregistrer et il vaut mieux bien se connaître parce que quand tout le monde est super concentré et que toi, tu trouves qu'il y a un truc qui ne va pas, tu le dis sans mettre de gants et sans bien y réfléchir, les autres peuvent mal le prendre. Entre nous, ce n'est jamais le cas, on se connaît trop pour ça. Nous sommes toujours très concentrés, pas toujours d'accord mais une fois passée la porte du studio, c'est terminé. Nous laissons tout ça là où ça doit rester et nous n'en parlons jamais en dehors, c'est la clé de notre amitié je pense.

Cet album est moins pop que le précédent et plus orchestral, penses-tu amener des musiciens en plus du groupe sur scène ?

Dans l'ensemble, je pense que le précédent était plus orchestral. Bien entendu, Hold Back The Night ou These Days Are Mine sont au-dessus du lot et nous n'avons jamais écrit de telles chansons auparavant. Le reste de l'album est un équilibre parfait entre les mélodies et les paroles il me semble, un peu comme pour notre tout premier album mais à la différence de celui-ci, que je trouve toujours, même avec les années, charmant et très beau, il y a ici plus de profondeur. Après plus de treize ans, je peux leur donner quelques paroles et ils peuvent les exprimer à la perfection tellement on se connaît. Tu peux le faire à la manière punk, à l'énergie, mais ne nous voilons pas la face, nous sommes tous à la quarantaine et ce serait un total anachronisme pour nous, on ne nous prendrait pas au sérieux. C'était un réel challenge pour nous ces deux titres (Hold Back The Night et These Days Are Mine) parce qu'on avait placé la barre très haut ; mais je crois qu'on a réussi, il me semble qu'on l'a fait en tout cas... Le reste, c'est un petit côté dramatique , tout petit à l'échelle d'un opéra mais notre manière d'exprimer ça.

Tu parles de lyrisme et de drame mais il y a aussi sur cet album des titres très calmes et surtout, très introspectifs, ce qui crée des atmosphères différentes tout au long de Let It All In...

Je pense qu'avoir une chanson intimiste après une chanson mélodramatique renforce l'aspect intimiste, c'est même indéniable, et nous avons beaucoup joué là-dessus. Si nous avions rassemblé tous les titres dramatiques d'un côté et tous les titres intimistes de l'autre, ça n'aurait fait qu'un crescendo sans réel feu d'artifice. Le tour de magie, ici, c'est de mélanger les deux univers pour les renforcer, tout en gardant leur propre personnalité pour chacun d'entre eux.

Au risque de tomber dans le cliché, cet album est réellement le plus abouti du groupe : comment le résumerais-tu ?

Je dirais qu'il est optimiste pour nous, malgré le fait qu'il traite de sujet comme l'aliénation et la distance, ce qui n'est pas franchement positif (rires). Mais quand on parle d'amour et de vie quotidienne, ce sont les thèmes qui me viennent à l'esprit et je ne peux pas m'en dégager et je suis persuadé que nous sommes tous dans ce cas, plus ou moins. Je ne parle pas de solitude, je parle du fait d'être seul et c'est très différent selon moi car même lorsqu'on est heureux, en couple, on peut être seul ! Je ne voulais pas réécrire des chansons telles que « Il est 3h du matin, je suis bourré et mon esprit divague, je me rends compte à quel point je suis seul et triste » (rires). C'est déjà fait, passons à autre chose !