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Bill Ryder-Jones

Interview publiée par Anne-Line le 4 avril 2013

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Bill Ryder-Jones est un garçon intriguant. Alors qu’il aurait pu être facile de se reposer sur les lauriers du succès de son ancien groupe, The Coral, lui a choisi de les quitter et de retourner à Liverpool, pour relever de nouveaux défis, surtout contre lui-même. Peu rompu à l’exercice de l’interview, et souffrant d’une timidité presque maladive, c’est pourtant d’une manière très chaleureuse qu’il nous reçoit dans les bureaux de son label, Domino Records, pour parler de la sortie de son premier « véritable » album solo, A Bad Wind Blows In My Heart, dont la sortie est prévue le 8 avril prochain.

Tout d'abord, on peut dire une chose, c'est que tu n'es pas du genre à faire beaucoup d'interviews... Tu as sorti pas mal de disques dans ta carrière, mais on a du mal à trouver des interviews de toi !

Je ne suis qu'un tout petit artiste. Mon contrat est un tout petit contrat. Et puis je n'aime pas en faire trop. Si l'on en fait trop, ce qu'on veut dire se retrouve dilué. C'est plus intéressant d'en faire le moins possible. Combien en as-tu faites aujourd'hui ? Aujourd'hui, j'ai dû en faire... six. Avec cet album, c'est différent. J'ai l'impression que Domino Records veulent en faire une plus grosse promotion. Sur mon précédent, on ne pouvait pas dire grand-chose. Cette fois-ci, c'est un disque beaucoup plus personnel, donc ils doivent se dire qu'il y a plus de chances que les gens accrochent.


Lorsque tu étais dans The Coral, tu semblais toujours un petit peu à part, le nez dans tes amplis, tournant le dos au public. En tous cas c'est l'image que j'en ai gardé. Je me disais toujours que tu aurais dû te mettre plus en valeur, t'affirmer. Et puis tu as quitté le groupe...

Ce n'était pas du tout une démarche carriériste. J'avais juste besoin d'arrêter, pendant un moment. Je suis complètement sorti de la musique. Pendant une bonne année, je n'ai ni joué, ni écouté de musique. Je suis retourné à la fac. Economie et Sociologie. Mais ça n'a pas vraiment marché. Je me disais depuis tellement longtemps, c'est ça que j'aurais dû faire au lieu d'être dans un groupe. Donc c'est la raison. Il m'était déjà arrivé de quitter le groupe auparavant (ndlr : en 2005) mais c'est parce j'avais des soucis de santé. Alors voilà, j'ai arrêté les études, et puis Laurence le boss de Domino m'a rappelé. Il m'a demandé si je voulais faire un disque pour eux. On a fait If.... Et puis j'ai composé des bandes-sons pour des films. Et j'ai produit des disques. J'ai écrit des chansons pour d'autres artistes. Mais mis à part ça, je n'ai pas fait grand-chose depuis que j'ai quitté le groupe... Si, je suis allé voir des matches de foot.

Liverpool ou Everton ?

Everton, bien sûr. En fait c'est la raison pour laquelle j'ai quitté les Coral. Ils supportaient tous Liverpool ! (rires)

Quand on te demande quel est ton métier, que réponds-tu ?

Oh, je ne sais pas ! On me présente de beaucoup de manières différentes... Compositeur, auteur, musicien... Mais je ne sais pas ce que j'écrirais si j'avais des cartes de visite.... Baratineur, peut-être (rires). En tous cas je gagne de l'argent avec mes contrats de publishing et les droits d'auteur sur les chansons que j'écris.

Plus ou moins tout le monde dans The Coral pouvait écrire des chansons. Comment as-tu géré le fait de devoir commencer à écrire seul ?

Je n'étais pas vraiment un songwriter du temps des Coral. Je ne faisais que co-écrire avec les autres, sous leur supervision. Mais je n'ai pas trouvé le changement trop dur. Je n'écris pas tant que ça, sur une année. Je laisse faire la nature. J'écris quand ça me prend. Je n'ai aucune obligation de devoir produire à la chaîne. Ça, ce serait l'enfer. Par contre c'est beaucoup plus compliqué d'écrire une bande-son pour un film. Ce qui touche au classique. C'est tellement dense. La quantité de nuances qu'il faut écrire est tellement immense, c'est vraiment laborieux.
Mais ce qui est le plus dur, c'est de trouver sa « voix ». Trouver une façon personnelle de chanter. Je me suis toujours senti à l'aise avec la musique, j'en fais depuis toujours, mais chanter tout seul dans sa chambre, c'est très différent de se produire devant un public. C'est plutôt ça que j'ai trouvé difficile. J'ai beaucoup travaillé là-dessus, jusqu'au point où j'ai réalisé que je ne serais jamais «un bon chanteur», techniquement, alors ce n'était pas la peine d'essayer. Ce qui me va le mieux, c'est le style un peu indolent. Je ne fais qu'une prise en général, c'est tout.

Quelle éducation musicale as-tu eue ?

J'ai appris la théorie à l'école. J'ai passé une épreuve de musique au bac. Et puis moi, Paul, Ian et Nick, on est allés étudier la musique à la fac. Mais ça n'a duré que quelques mois. Personne n'a eu son diplôme, car le groupe s'est fait signer, et notre carrière a décollé. De toutes façons, on n'avait pas appris grand-chose là-bas. On est juste arrivé au point où en savait assez pour se débrouiller tous seuls. Je dois avouer que j'ai encore des progrès à faire en lecture de partitions. J'y arrive, mais je dois lutter un petit peu. Par contre, écrire ne me pose pas de problème. Quand je devais écrire des choses pour les Coral, il se pouvait que quelqu'un passe derrière moi et me dise là où ça n'allait pas. Alors quand j'ai composé If... (ndlr : avec l'orchestre Philharmonique de Liverpool), j'ai vraiment bossé pour que personne ne se dise que je n'étais qu'un gros nul. J'ai demandé à un ami qu'il me relise, pour être sûr de n'avoir fait aucune faute de débutant. Heureusement, il n'en a trouvé que trois ou quatre ! (rires)


Est-ce qu'il t'arrive de retourner au Royal Philharmonic Hall ?

Oh oui, maintenant que j'y connais des gens, je peux avoir des billets gratuits ! C'est une salle tellement magique. N'importe où dans la salle, on a l'impression d'avoir l'orchestre juste pour soi. En fait, ils m'avaient même proposé de jouer là-bas. Mais pour cela, il aurait fallu prolonger If... pour qu'il fasse une heure et demie, donc ça n'a pas été possible tout de suite. Peut-être en 2014.

Mis à part la guitare et le piano, de quels instruments peux-tu jouer ?

J'arrive à sortir des sons corrects du piano; mais je ne dirais pas que je suis un pianiste. Je peux toucher un peu au violon, à la trompette. Mon premier instrument était le violon. Sur ce disque, j'ai joué de la guitare, de la batterie, de la basse, tous les claviers... De la guimbarde aussi [il imite le bruit avec sa bouche]. Il n'y a pas tant que ça d'instruments, en fait. Un peu de guitare slide.

Et à part toi, qui joue sur cet album ?

J'ai fait beaucoup de choses moi-même. Et puis Liam et Andy du groupe By The Sea sont venus jouer de la guitare et de la batterie sur quatre ou cinq morceaux. Et puis une autre amie qui s'appelle Laura a fait du violon. Voilà, je crois que tout le reste, c'était moi. C'était un enregistrement très simple, en fait. Beaucoup plus détendu que pour If..., qui a été vraiment laborieux. Par moments, j'avais l'impression d'être un mathématicien en train de résoudre une équation sans fin... Cette fois-ci, on était plutôt en mode « on joue dix minutes et puis on va fumer une clope et boire un coup » !

Jusqu'à maintenant tu semblais te concentrer beaucoup sur la musique instrumentale. Mais sur cet album, les morceaux sont plutôt des chansons, au sens traditionnel du terme...

Oui. C'est vraiment un album de chansons, contrairement à ce que j'ai pu faire avant, avec des couches de cordes et des demi-mots par-dessus. Cela dit, je ne pense pas que mes nouvelles chansons suivent un schéma si traditionnel que ça. J'aime à penser qu'elles gardent toujours un côté un peu bizarre. Je ne sais pas si on peut appeler ça des « pop songs », mais ça y ressemble.

On remarque quand même que ta voix est assez en retrait sur ce disque...

Ça me fait plaisir que tu le remarques, car ça a été une pomme de discorde pendant le mixage. Ce qui s’est passé, c’est que James Ford, qui a fait le mixage, n’avait que trois jours de libre. Donc je suis allé dans un studio un peu avant et j’ai fait des pré-mixes, assez proches du résultat que je désirais obtenir. Mais il m’a dit que la voix était trop basse, alors il l’a remontée, et ça ne me plaisait pas vraiment. Et puis aussi, il m’expliquait que la première chose qu’on doit faire sur les voix, c’est de mettre un peu de reverb, pour donner du corps, surtout si elles ont été enregistrées dans un petit home studio. Et moi je ne voulais pas ! Je voulais les laisser telles quelles. Au final, je l’ai laissé mettre un tout petit peu de reverb sur une seule chanson, mais pour le reste, c’est du brut. Il ne doit pas y en avoir beaucoup des disques sans reverb, je suis assez fier de moi !

Pour ce qui est des paroles, comment procèdes-tu ?

Pour ça, je n’ai pas de problèmes. C’est un disque assez personnel, alors je peux parler de choses qui me touchent, depuis une dizaine d’années, avec tout ce qui m’est arrivé c’est assez riche. D’avoir eu du succès aussi jeune, etc... Cela fait tellement longtemps, parfois j’ai l’impression de parler de quelqu’un d’autre. J’ai presque une sorte de trouble dissociatif par moments. Comme si ce n’était pas de moi qu’il s’agissait. Donc j’ai un regard à la fois émotionnel mais finalement assez détaché. Certaines paroles peuvent remonter jusqu’à l’enfance, c’est très intéressant...

Mais pour ce qui est de l’écriture elle-même, toutes les chansons sont récentes ? Ou bien il y en a que tu avais en réserve depuis longtemps ?

Il y a une chanson, By Morning, I qui date un peu. Mais pour le reste, tout a été écrit exprès pour cet album. J’ai pratiquement tout écrit dans l’ordre du disque. La première chanson, Hanging song, est venue en premier, puis There's A World Between Us, puis A Bad Wind... Je pense que ça fonctionne assez bien comme ça. Du coup, au début de l'album on trouve des choses que j’ai pu écrire quand j’avais vingt-quatre ou vingt-cinq ans (ndlr : il en a aujourd’hui trente).


Tu parlais tout-à-l’heure de Laurence Bell de Domino Records, comment t’a-t-il encouragé pour cet album ?

C’est le premier qui a cru que je pouvais faire un album comme celui-ci. C’est vraiment lui qui m’a convaincu. Je ne le réalise que maintenant, mais il a m’a énormément aidé pour ce qui est de la confiance en moi. Non seulement pour mes chansons, mais aussi pour ma voix, qui est quelque chose que j’avais toujours cru être un problème. Je lui dois beaucoup. C’est le seul qui s’intéressait à moi quand j’ai quitté le groupe. Même le management qui nous suivait depuis des années dans le groupe m’avait lâché. Laurence est le seul qui soit venu vers moi. C’est le seul qui me disait « Je crois en toi », et ça m’a énormément aidé, dans la musique mais aussi en dehors. C’est vraiment un mec génial, on peut parler de tout avec lui. Et si j’ai besoin d’aide, il répond toujours présent. Même si ce n’est pas professionnel. Il ne signe que des groupes dont il aime sincèrement la musique, alors pour lui c’est aussi enthousiasmant que pour les groupes. Je l’adore.

Est-il prévu que tu joues cet album sur scène ?

Oui. Pour l’instant, je n’ai que deux concerts de prévus, un à Manchester et l’autre à Liverpool. Pour le reste, je n’ai pas encore de confirmation. L’agence qui booke mes concerts doit vouloir me préserver. Ils doivent se dire, « si on lui montre toutes les dates d’un coup, il va paniquer ! » (rires) Ils savent que c’est quelque chose de très stressant pour moi, de jouer en live. Et ce depuis les premières fois où j’ai joué sur scène. On tournait beaucoup avec les Coral, mais c’était dur pour moi. Il y a du avoir une période, d’environ deux ans, où je me suis senti plus à l’aise, vers la fin. Mais sinon, avant ça, rien que l’idée de monter sur scène me tordait le ventre. Je détestais l’idée que les gens allaient me regarder. Ce n’est pas quelque chose de naturel, quand on y pense, de monter sur une scène et de laisser les gens vous scruter en train de jouer. Certaines personnes ont ainsi pu me reprocher d’être trop peu démonstratif. Je pense juste que si on va voir un groupe en live, c’est pour la musique, pas pour regarder un singe faire des grimaces. Un concert, c’est juste regarder quelqu’un qui a écrit des chansons les jouer devant toi. Les gens devraient se contenter de ça.