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Laura Marling

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 7 juillet 2013

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Laura Beatrice Marling n’a que vingt-trois ans, mais déjà quatre albums à son actif. Malgré son très jeune age, l'anglaise évoluait déjà en tant que choriste dans la formation Noah And The Whale avant se de lancer dans une carrière solo. Celle qui aurait aimé vivre au XIXe siècle déclare : « J’aurais aimé vivre au temps de Jane Eyre de Charlotte Brontë. Je suis fascinée par les femmes écrivaines. D’un autre côté, je sais que ça aurait été difficile d’être une artiste à cette époque. Je ne suis pas féministe, mais la question de la place des femmes dans la société me passionne ».
Avec une timidité imposant des réponses courtes mais précises lors de ses interviews, une solitude qu’elle cultive pour mieux s’offrir lors de ses prestations scéniques accompagnée de sa guitare qui la relie au monde et une voix de dame dans un corps de jeune adulte, Laura Marling revient tutoyer ses aînés qu’elle considère tant – Joni Mitchell et Neil Young en premier plan – avec son quatrième album intitulé Once I Was An Eagle. Seize titres qui s’enchaînent et s’emboîtent les uns dans les autres pour entraîner, inévitablement l’auditeur dans la rêverie et le songe d’une nuit d’été qui, tout à coup, s’illumine et se réchauffe de la présence fluette mais assurée de cette artiste qui reçut sa première guitare à l’age de quatre ans.

Ton nouvel album, Once I Was An Eagle, est une belle réussite ; un mélange de néo-folk mélancolique et de mélodies entêtantes tutoyant la musique progressive. D’ailleurs, les cordes en arrière-plan sur nous ramènent souvent aux notes hypnotiques d'un Atom Heart Mother des Pink Floyd. Avais-tu pour intention d’intégrer une sorte de fil conducteur tout au long de cet album ?

Absolument. Nous avons essayé, avec les instrumentations, d’imposer un axe, une empreinte sonore qui se retrouverait tout au long de l’album. Notamment pour accentuer le caractère et les thèmes du disque. Peu de journalistes m’ont encore fait cette remarque sur ce point, ça commençait à m’inquiéter (rires) !

Ce disque comporte une grande part de rêverie, des mélodies qui t’emportent et te font t’élever, une fois de plus, à l’instar de tes célèbres aînés, les Pink Floyd...

Je pense que cela vient des tonalités que nous avons utilisées sur les guitares ; quelque chose de vaporeux tout en étant précis, comme la musique indoue, par exemple. Les Pink Floyd employaient également beaucoup ces tonalités méditatives et répétitives dans leurs titres. Il y a donc du vrai dans ce que tu dis.

Tu as récemment quitté l’Angleterre pour emménager aux États-Unis, ce changement dans ta vie a t il influencé ton écriture et tes influences musicales ?

J’ai déménagé aux États-Unis après l’enregistrement de Once I Was An Eagle. Mais je suis certaine que cela entraînera une nouvelle vision de ma musique pour le prochain album !

Ton album précédent, A Creature I Don’t Know, renfermait plus de complexité et de richesses sonores au niveau de l’instrumentation. Once I Was An Eagle semble un retour à un certain dépouillement musical ; était-ce un choix ?

Oui. J’ai voulu que cet album soit à la fois simple et sans trop de couches mélodiques superposées. Une des raisons tient du fait que c’est un long disque avec plus de seize titres dont les textes sont souvent assez alambiqués. Pour ses arrangements, il était presque difficile de rajouter la couche instrumentale par-dessus tant je tenais à ce qu’il n’y ait que peu de voix et de chœurs impliqués dessus afin qu’elles s’en détachent clairement. Ce disque n’implique pratiquement qu’Ethan et moi et nous y avons pris beaucoup de plaisir.

Tu parles d’Ethan Jones, ton producteur, une fois de plus. Quel a été son apport, en particulier sur Once I Was An Eagle ?

Je n’ai fait qu’écrire les chansons ; lui a apporté tout le reste (rires). C’est tellement facile pour moi de travailler dans ces conditions-là... Cette complicité, c’est le fruit de cinq années de collaboration. Il fait autant partie du projet Laura Marling, que moi-même !

Il y a eu quelques changements dans ton line-up en live ces derniers temps, également, qui sont les musiciens en scène avec toi dorénavant ?

Plus personne ! Je tourne seule maintenant.

Sur ta tournée précédente, après la sortie de A Creature I Don’t Know, tu avais tout un groupe avec toi sur scène. Pourquoi ce choix d’être solo en live aujourd’hui et particulièrement sur la tournée actuelle ?

Cela m’a pris du temps, mais j’ai réalisé que, malgré les sentiments que j’ai pour les musiciens avec qui je jouais, je suis définitivement une artiste solitaire qui aime la solitude... Je l’ai accepté et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas vraiment changer cette nature, même en tournée. Quand tu as un groupe, tu es plus enclin à accepter les gros concerts et les festivals ; et en fait, je déteste les gros concerts et les gros festivals ! Ce n’est pas un jugement, mais une constatation : J’aime jouer dans des petites salles devant peu de public et avoir cette intimité avec les gens qui sont venus et ont payé pour m’écouter jouer et chanter. Cela revient au fait que j’aime les choses simples et, par-dessus tout, j’aime comprendre ce qui se passe et être en osmose avec la salle. Quand je jouais en groupe, il y avait dix personnes en plus voyageant avec nous et je n’ai jamais vraiment compris ce qu’ils faisaient (rires). Ce sont des gens que j’aimais bien, mais je n’aimais pas toute cette agitation que je pensais non vitale pour moi et ma musique. Aujourd’hui, je tourne complètement seule et j’adore ça ! Je peux aller absolument où je veux. Je crois que je me sentais un peu trop comme une enfant que l’on menait par la main. Quand tu as un tour manager et quinze personnes qui doivent prendre le même avion, tu te sens comme une enfant à qui on dit quoi faire et où aller... Je sentais que mon âme n’était pas tout à fait libre et ça, je ne voulais plus le vivre.

Justement, tu as dit que tu avais écrit cet album seule, pour les raisons que tu viens d’évoquer, notamment. Qu’est ce qui a changé dans ton process d’écriture et d’enregistrement comparé au précèdent disque, A Creature I Don’t Know ?

Je voyage beaucoup ; ce qui peut être fatiguant, parfois. Mais je joue tous les jours de la guitare, quoi qu’il arrive. C’est un de mes plus grands plaisirs dans la vie. Quelquefois, il en sort de nouveaux titres, quelquefois, il n’en sort rien. Pour Once I Was An Eagle, je crois que le plus grand changement est venu du fait que j’ai écrit une majorité de titres en étant sur la route lors de ma tournée précédente, paradoxalement entourée de beaucoup de monde... Et, curieusement, comme un signe du destin, la plupart des titres écrits sur la route l’ont été pendant que nous tournions aux USA. Les hôtels m’inspirent beaucoup je crois (rires).

Le titre de l’album, Once I Was An Eagle est-il également lié à cette tournée en Amérique ? Y a-t-il un sens caché à ce titre ?

Je ne sais pas... I Was An Eagle est un des titres de l’album que j’ai écrits assez tôt. L’introduction du disque parle de l’idée d’une femme qui passe de l’état de dominée à dominatrice, dans le sens maître de son destin. Un autre titre se nomme, Once. Once I Was An Eagle était donc un titre assez logique pour cet album.

Où a eu lieu l’enregistrement de l’album ?

Nous avons travaillé dans un studio sur la côte Ouest de l’Angleterre. C’était un tout petit studio où nous avons vécu avec Ethan pendant les dix jours qu’a pris l’enregistrement ; ce qui est plutôt rapide.

Ce nouvel album reflète donc vraiment la personnalité de Laura Marling ; plus que les précédents, sans aucun doute ?

Oui, je le crois vraiment.

Once I Was An Eagle contient seize titres et dure plus d’une heure, ce qui est assez rare de nos jours ; le tout s’enchaînant comme une histoire, tout au long des titres...

Ce n’était pas vraiment voulu. Au départ, j’ai proposé dix-sept titres à Ethan. On en a discuté et exceptée un que nous avons éliminé, la construction s’est faite d’elle-même et les seize titres restant se sont agencés avec une certaine suite logique dans le déroulé du disque. Et, pour être tout à fait réalistes, nous nous sommes dits que, puisque de toute façon les gens n’achetaient plus vraiment de disques en tant que tels, nous avions toute liberté de proposer un disque un peu à part, avec cette durée particulière et avec autant de titres !

Seize titres sur ton disque et, fin juin, seize performances en scène au Grand Eagle Theatre de Londres... cela ne peut être un hasard ?

Si, c’est un pur hasard ! Ceci dit, maintenant que tu me le dis, j’aurais dû te répondre que nous avions tout organisé sciemment et en retirer un certain crédit (rires).

Aurons-nous la chance d’en savoir un peu plus sur cet événement pour lequel tu gardes une grande part de secret dans les médias ?

Il s’agira de seize représentations dans un seul lieu... mais j’avoue que nous essayons de garder un certain mystère, pour ne pas dire secret autour de cette série de concerts. Je ne peux pas vraiment t’en dire plus... Étant donné la beauté de ce lieu, ce sera sûrement quelque chose de très intéressant.

Once I Was An Eagle a déjà reçu un très bon accueil de la part des médias spécialisés, mais également de la part du public – il a intégré la troisième place des charts en Angleterre la semaine dernière. Est-ce qu’on s’attend à un tel accueil quand on sort un disque et comment le vis-tu ?

Honnêtement, je ne m’y attendais pas. J’ai vu Ethan dimanche dernier justement, quand les charts ont affiché cette troisième place pour Once I Was An Eagle. Cela nous a mis le sourire pour la journée et nous a même fait un peu rire je crois parce qu’encore une fois, nous ne pensions pas que le format et la durée du disque pouvaient attirer tant de fans ! Nous en sommes évidemment ravis.

Il y a un titre nommé When Where You Happy sur cet album. A quel point tes textes sont-ils autobiographiques ou personnels ?

Même si un album est souvent basé sur des expériences que l’on a vécues – il m’est difficile d’écrire sur ce que je ne connais pas – la plupart de mes textes sont des fictions ou des histoires romancées. Ce sont souvent des histoires qui partent d’une base réelle et que j’aime faire vivre en leur inventant une suite... Je fais tout pour que cela soit ressenti comme tel, sinon les gens pensent que j’étale mes sentiments et ma vie dans mes chansons et cela me met terriblement mal à l’aise !

Quelles ont été tes influences pour l’écriture de cet album ?

Elles viennent de partout... La vie, les voyages en particulier ; j’adore voyager. J’aime beaucoup partir en tournée, mais seule. Partir en tournée dans un bus, ce n’est pas voyager pour moi. Depuis l’année dernière, j’ai beaucoup conduit à travers les États-Unis, seule encore une fois. J’observe les gens et la vie qui se déroule sous mes yeux...

Tu viens d’une famille de musiciens. Comment as-tu choisi de faire cette carrière ? Quand as-tu commencé à chanter et à jouer de la musique ?

Mon père est musicien. C’est lui qui m’a appris à jouer de la guitare. À seize ans, j’ai déménagé à Londres et j’ai rejoint un groupe qui commençait à se produire dans des pubs. C’étaient mes premiers concerts et sûrement une des plus belles époques de ma vie. Pour résumer, je crois que j’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment !

Tous tes albums recèlent des photographies très travaillées sur leurs pochettes. Qui sont les artistes qui produisent tes artworks ?

À chaque fois, je fais appel à des artistes différents ; j’apporte beaucoup d’attention à cette partie du disque. Et je suis amatrice de belles photographies...

Tu t’es fait remarquer, notamment en ouvrant un concert de Neil Young en 2009 ! Comment est-ce arrivé et est-ce que tu joues encore des reprises de cet artiste que tu aimes tant, sur scène ?

Plus maintenant... Mais c’est vrai que cette expérience était unique et bizarre, même si cela semble remonter à loin maintenant. En fait, je n’ai plus eu de nouvelles de lui depuis (rires) !

Tu es une artiste intègre et au style rétro assumé, à l’opposé des groupes qui se créent en surfant sur une mode ou une mouvance ; ton charme opère à l’aide de ta voix, de tes compositions et de ta présence sur scène et pourtant, tu es quelqu’un de très timide dans la vie de tous les jours. N’est-ce pas paradoxal d’être un personnage public et solitaire à la fois ?

Je suis solitaire, c’est vrai et je suis plutôt timide en dehors de la scène... mais justement, ma musique me permet de m’affranchir de cette timidité et, pour un moment, de livrer mon intimité, relativement parlant, à une audience qui aime mon travail. Ceci dit, je te rassure j’ai aussi beaucoup d’amis et une vie sociale développée que ce soit à Londres ou en Californie où je vis maintenant (rires). J’ai déménagé à Los Angeles depuis un an, c’est une ville où tu peux à la fois être très solitaire et très entourée !

Tu affirmes souvent, et tu l’as dit plus haut concernant ce nouveau disque, que l’industrie du disque est en pleine mutation, pour le pire et le meilleur et qu’il devient de plus en plus difficile de pour un artiste de vivre de la vente de ses disques. Penses-tu qu’Internet et le téléchargement illégal soient une menace pour les artistes ?

Non. Je pense en revanche que c’est une menace pour les labels. Même si les artistes peuvent en souffrir au final, je pense que s’ils ont un public assez fidèle, ils trouveront toujours une façon de vivre de leur musique, notamment au travers de leurs concerts. La possibilité pour le public de mettre la main sur leur musique préférée où qu’il se trouve via Internet est même libératrice, en quelque sorte. Quant aux labels, même si c’est parfois difficile pour eux, cela leur donne aussi l’obligation d’innover et d’être constamment en alerte pour que leurs artistes puissent vivre. Un facteur me plait dans cette nouvelle économie, c’est que les intermédiaires disparaissent un peu au profit d’un accès plus direct entre artiste et public.

Il n’est donc pas utile de renforcer les lois contre ceux qui téléchargent illégalement ?

C’est difficile... Il ne faut surtout pas oublier que la musique a une valeur et j’espère, je fais confiance aux gens pour qu’ils continuent à payer la musique qu’ils écoutent. Et en même temps, que pouvons-nous dire si la personne qui télécharge n’a pas l’argent nécessaire pour payer l’album et quand on voit la facilité déconcertante avec laquelle tu peux trouver un album à peine sorti, gratuit sur Internet ? Tout ceci n’est pas la faute des internautes, à mon sens...

Toi qui aimes voyager, si tu pouvais choisir la ville de ton prochain concert, quelle serait-elle ?

- Il faut que j’aille au Japon ! C’est un rêve que d’aller jouer là-bas... Mais, sincèrement, la plus belle ville dans laquelle je me suis produite jusqu’à maintenant c’est Paris, sans aucun doute.

Qu’est-ce que tu aimes à Paris ? Et de façon plus générale, qu'aimes-tu et que n'aimes-tu pas en France ?

(rires) Je suis végétarienne ; trouver de bons plats et de bons restaurants végétariens en France où il y a tellement de bonnes choses issues des animaux dans l’alimentation peut devenir un vrai challenge ! Ce que je trouve agréable, notamment à Paris, c’est cette sophistication – que ce soit dans la mode, le style de vie ou la fête – sans que cela ne devienne élitiste ou intimidant pour autant. Il existe un glamour et un chic assez abordables dans cette ville... Paris est casual à un haut degré !

Si tu devais vivre en solitaire sur une île, quels disques emporterais-tu avec toi ?

C’est une question trop difficile ! Je ne vais pas être très originale... Je pense que je prendrais les disques de Joni Mitchell qui me bercent depuis mon enfance avec moi ; spécialement Court And Spark.