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Beaty Heart

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 1er juin 2014

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Beaty Heart est un groupe dont l'identité, la musique et les percussions, plus précisément, prennent racines dans le tribal et l'exotisme. La profusion de couleurs acidulées, les masques africains, les rythmes caribéens syncopés... Cette juxtaposition de cultures populaires planétaires, aidée de samples et d'une bonne dose d'inventivité font de ce trio anglais une formation à part parvenant à transformer des sonorités incongrues en titres pop, détonnant.

Composé d'artistes touche-à-tout depuis leurs études d'art à Londres, Beaty Heart est d'abord un projet collectif destiné à mettre en exergue le talent graphique, photographique et musical de ses membres. Il aura fallu deux années pour que Josh, James et Charlie privilégient finalement la musique et décident de se focaliser sur leurs compositions et, courant 2013, sur leur premier album Mixed Blessings.

En surfant sur votre site officiel, on apprécie le graphisme recherché et le patchwork de couleurs qui le rendent très attractif et trendy. Il semble être le reflet de votre musique, trans-genres et exotique...

Josh : C'est l'idée ! Quand nous avons démarré le projet, nous avions à cœur de ne pas simplement être vus comme des musiciens, mais comme des artistes visuels, également. Nous voulions créer un concept entier autour de notre projet. Aujourd'hui, nous sommes plus connus en tant que groupe, mais à la base, nous étions vraiment un projet d'artistes collaboratifs, multi supports.

Je crois que le besoin de jouer est venu d'un terrible ennui ressenti à l'école.

Le projet Beaty Heart date de quand ?

Josh : De début 2011. Nous avions tous déménagé à Londres pour poursuivre nos études quand nous avons décidé de monter ce projet. Créer ce groupe était une manière de mettre en exergue ce que nous apprenions au collège. Nous nous étions rencontrés à l'école, huit ou neuf ans avant de rentrer au collège. Plus jeunes, nous avions déjà tenté de jouer de la musique dans de petits groupes d'adolescents, mais jamais sur des bases sérieuses. Je crois que le besoin de jouer est venu d'un terrible ennui ressenti à l'école...(rires)
Charlie : On se connaissait depuis déjà longtemps avec Josh et James quand nous avons ressenti le besoin de créer un groupe qui sorte des sentiers battus et qui aille plus loin que ce qu'on avait déjà pu tenter par le passé.

Vous serez donc d'accord si je dis que votre site officiel est le reflet de votre musique ; bariolée et exotique ?

Charlie : Oui, nous aimons beaucoup ce patchwork d'idées et de talents qui peuvent se dégager du graphisme, de la photo, la vidéo et la musique. Plein de couches et de couleurs superposées ; c'est notre idée de l'art, mais également de la vie !

Cette musique que vous jouez est emplie de rythmes exotiques, de calques inattendus et d'un brin de folie même. Sur un titre comme Kanute's Coming Round, on se remémore Animal Collective, Django Django et même un ancien groupe pop païen anglais des années 80, Bow Wow Wow. Quelles sont vos influences ? Vous sentez vous comme des enfants sauvages du rock évoluant dans une jungle des genres ?

James : Qui ça ? J'ai déjà entendu ce nom, mais je n'ai jamais écouté leur musique...
Josh : Tous les groupes que tu cites – excepté Bow Wow Wow, que je vais m'empresser d'écouter grâce à toi ! – sont des groupes majeurs pour nous et nos influences. Quant à être des enfants sauvages du rock... Je ne sais pas trop (rires). Notre musique nous vient assez naturellement et nous sommes, finalement sûrement plus sages que ce que notre image renvoie. Notre écriture est elle-même assez organique et nous vient très simplement. Il n'y a pas vraiment de théorie compliquée derrière notre projet. Souvent, nous partons sur un jam et les titres viennent collégialement, en expérimentant chacun sur nos instruments. Ce serait difficile pour nous de dire que nous sommes proches de la nature dans notre inspiration, car nous vivons à Londres qui n'est pas spécialement un lieu sauvage (rires) ! Mais, peut être qu'inconsciemment, nous composons des titres qui sont des sortes d'exécutoires qui nous rapprochent de cette nature que nous n'avons pas...


Plutôt une jungle urbaine donc ?

Josh : La jungle urbaine me semble une parfaite description de notre source d'inspiration !

Je crois que vous êtes encore très jeunes, puis-je vous demander vos ages respectifs ?

Charlie : Nous avons tous les trois vingt-cinq ans.

D'où vient votre nom de groupe, Beaty Heart, le cœur battant ?

Josh : Concrètement, cela vient d'une private joke qu'on ne livre pas, généralement... Cela date de nos années de collège. Pour faire court, nous aimions la prononciation de ce nom et sa vision, une fois écrit. Il y a une connotation rythmique à l'intérieur de ce nom et l'idée d'un cœur, en tempo avec la musique. Mais, à part cela, il n'y a pas vraiment de sens caché. Sur le point de vue marketing, quand on a fait des recherches sur Google, rien ne sortait avec Beaty Heart. C'était un nom assez unique, on a donc décidé que ce serait un très bon nom pour nous (rires).

Votre premier album se nomme Mixed Blessings. Dans quel sens faut-il prendre ce titre d'album ?

Josh : Il y a plusieurs pistes pour expliquer ce titre. Il existe une boulangerie près de là où nous vivons à Londres qui s'appelle Mixed Blessings Bakery et dans laquelle je m'arrêtais chaque jour sur la route du travail. Ce nom m'a tout de suite plu et je lui ai trouvé plusieurs résonances intéressantes en accord avec le groupe. Notamment celle qui consiste à sacrifier beaucoup de choses dans sa vie pour permettre à sa passion et à son groupe d'exister et de survivre. Et puis, il y a le rapport avec le contenu de notre album qui est un mix de beaucoup d'influences et de styles différents.

Sur scène comme en studio, vous expérimentez de nombreux sons et de nombreux instruments, parfois iconoclastes. Ce qui fait de vous un groupe sans poste prédéfini. Êtes-vous tous des musiciens multi-instrumentaux ?

Charlie : James est batteur à la base, c'est pour cela que c'est lui qui assume généralement ce rôle sur scène. Mais, il nous arrive de permuter. James est plutôt sur les rythmiques et les samples et Josh joue plutôt de la guitare et assure le chant principal. Et moi, je joue un peu de tout ! Ce qui donne des titres très rythmés et avec beaucoup de percussions.

C'est pourquoi on retrouve pas mal de percussions exotiques voire africaines dans votre musique ?

James : Nous avons beaucoup étudié les rythmes exotiques et notamment caribéens quand nous étions au collège. C'est pourquoi ces influences sont si présentes dans nos titres. Nous n'avons jamais été du genre, rock&roll à quatre temps...

Avez-vous grandi dans des univers baignés d'un certain genre musical ?

Charlie : Je crois qu'on a tous grandi dans des univers culturels et artistiques différents. D'ailleurs, nous avons tous écouté des styles de musique différents pendant notre adolescence. Du progressif, du rock, de la musique expérimentale... Moi, j'ai toujours aimé les trucs un peu fous avec des rythmes complexes. Plus tard, j'ai beaucoup écouté Radiohead, par exemple.
James : Mon père écoutait beaucoup de dub et de reggae quand il était jeune. Il y avait beaucoup de disques africains chez moi et je me souviens que je ne comprenais pas bien cette musique quand je vivais avec lui. C'est une fois que j'ai quitté la maison que je me suis replongé dans cette culture qu'il m'avait insufflé, d'une manière ou d'une autre. Et aujourd'hui, j'en suis fan !

Votre premier single est sorti il y a trois ans, maintenant. Pourquoi s'est-il passé autant de temps avant la sortie de votre premier album, fin mai ?

Josh : C'est vrai que cela nous a pris pas mal de temps, mais cela s'explique du fait que nous avons démarré ce projet comme un collectif artistique à la base ; nous n'étions pas uniquement concentrés sur la musique et le groupe. Nous étions autant intéressés par la vidéo ou la photo, par exemple, que par la musique. Au final, nous n'avons travaillé qu'un an et demi sur l'aspect vraiment musical de notre projet. Cela n'a donc rien à voir avec de la fainéantise (rires).

Cela vous a aidés à mûrir, musicalement ?

Charlie : Je le pense. Nous n'étions pas prêts à sortir un album juste après notre premier single. Ce single s'est fait assez vite après nos débuts et nous n'avions pas encore la clef de notre propre processus d'écriture ou d'enregistrement. Mais, ayant fait tellement de choses en dehors de la musique ces dernières années, ces trois ans ne m'ont pas paru être très longs.

Comment se déroule ce processus d'écriture chez vous ? Ce sont les paroles ou la musique qui s'écrivent en premier ?

James : De manière créative (rires) ! Il n'y a pas de règles. On vient tous avec nos idées et on part en jam pendant des heures sur les idées de chacun. Parfois, c'est Josh qui arrive avec une mélodie au piano. Cela se sent, je pense dans notre album et c'est pour cela qu'il y a autant de variations de genres et de rythmes, par exemple.


D'où viennent vos textes ? Histoires vécues ou fiction ?

Josh : J'aime bien mélanger la fiction dans des situations complètement absurdes et en faire des histoires qu'on pourrait penser être de la vie de tous les jours. C'est un vrai concept, non (rires) ?

Où s'est déroulé l'enregistrement de l'album ?

Josh : Dans l'Essex, à la campagne. Mais ce n'était pas du home studio, nous avions, pour la première fois l'aide d'un vrai producteur, Dave Eringa. Il a été la figure du père en quelque sorte, le mentor qui nous a permis de mettre toutes nos idées à plat et de les concentrer sur un disque. Son apport est primordial dans la construction et le son de notre premier album.

Votre musique est réputée puissante et expressive sur scène. Est-ce difficile de reproduire cela sur un disque, dans un studio ?

James : C'est très difficile. On avait déjà eu l'expérience avec nos précédents EPs et aucun d'entre nous ne se savait vraiment comment reproduire cette énergie en dehors du live. C'est grâce à Dave que nous pouvons sonner en studio comme nous sonnons en live. Je ne sais pas ce qu'en penseront les auditeurs, mais je crois que cela a plutôt bien fonctionné. Je pense que si tu nous vois en live et si tu écoutes l'album après, tu n'entendras pas beaucoup de différences au niveau de l'expression musicale. Il faut dire que notre façon de jouer en live a beaucoup changé depuis deux ans environ.

Comment avez-vous rencontré votre label, Nusic Sounds ?

Charlie : Ils étaient des amis de notre manager. Nous étions dans la position où nous étions prêts à enregistrer notre premier album, sans savoir vraiment où poser nos valises. Quand ils ont écouté nos premiers titres, nous avons chacun fait une partie du chemin qui nous séparait...

Vos premiers clips sont remplis de créativité, vous vous impliquez toujours autant dans cet aspect créatif de votre groupe ?

Charlie : On essaie de tenir les premiers rôles dans toutes nos vidéos. La plupart viennent de notre imagination, avec l'aide de pas mal d'amis qui gravitent toujours autour de nous depuis le départ de ce projet artistique collectif. C'est un projet collectif une fois de plus, mais dans lequel nous imposons une esthétique unifiée – c'est de moi et j'aime bien cette définition (rires) !

Où que tu ailles, la musique dématérialisée s'est imposée et il faut lutter en tant que groupe aujourd'hui pour exister au milieu de tous les autres.

Vous êtes la preuve vivante que les artistes d'aujourd'hui ont envie et peut-être intérêt à être multi-taches dans un art qui se veut de plus en plus global. Êtes-vous convaincus qu'aujourd'hui, un groupe se doit de maîtriser les aspects visuels et même les réseaux sociaux afin de se faire connaître ?

Charlie : Absolument. Ça aide ! De toute façon, vu la manière dont on écoute la musique de nos jours – en ligne la plupart du temps – mieux vaut maîtriser tout cet univers.
James : Où que tu ailles, la musique dématérialisée s'est imposée et il faut lutter en tant que groupe aujourd'hui pour exister au milieu de tous les autres. Pareil pour les images ou les vidéo clips ; il y a tellement d'offre, sur Youtube par exemple, qu'il faut s'intéresser à toute cette partie graphique et même marketing à mon avis. Cela dit, ceci est peut-être une bonne chose et peut rendre un groupe plus créatif encore.

Justement, n'y a-t-il pas là un vrai danger d'être noyé dans la masse de la « home made music » et de ne plus être qu'un média consommable et jetable, gratuitement en plus via les téléchargements illégaux ?

Josh : C'est vrai qu'il est difficile pour les artistes de faire de l'argent sur les ventes de disques seules, de nos jours. L'Internet est un bon outil pour les musiciens et la plupart des groupes ne se feraient pas entendre sans les réseaux sociaux.
James : Je ne me sens pas le droit de prendre position sur ce sujet car j'ai grandi dans une époque où le téléchargement illégal était une habitude pour tous les jeunes. Je ne vais donc pas accuser d'autres personnes d'avoir téléchargé ma musique, même sans payer... Même nous, au sein de Beaty Heart, il nous est arrivé d'utiliser des sons samplés provenant d'Internet à nos débuts. Ce que nous ne faisons plus. Et une grande partie de nos influences vient de groupes découverts en ligne. Bien sûr, si toutes les personnes concernées pouvaient acheter la musique qu'ils écoutent sur Internet, ce serait mieux. Mais, peut-être qu'en élargissant notre public grâce à Internet, justement, cela élargit notre visibilité et donc les moyens de gagner notre vie.

Ce soir, vous serez sur la scène de la Flèche d'Or, en première partie de Melanie Pain, ex-chanteuse du groupe Nouvelle Vague. Vous connaissiez Mélanie Pain et Nouvelle Vague ?

Charlie : Pas vraiment en fait... Elle était une des chanteuses de Nouvelle Vague ? Je ne le savais pas. On les a vus sur scène il y a des années au Reading Festival. C'était intéressant d'entendre ces standards de la new wave et du punk, version bossa nova.

Et vous serez en tournée aux États-Unis d'ici le mois de juin. Ce sera votre première tournée dans ce pays ?

Charlie : On a fait quelques petites scènes à New York l'année dernière lors d'un séjour d'un petit mois pendant lequel nous avons travaillé sur nos titres. Mais, ce sera notre première vraie tournée américaine et en première partie de Jungle.
Josh : C'est le genre de tournée qui marque une étape importante dans la vie d'un groupe. Sur la liste des « choses à faire » dans la vie d'un groupe, tourner en Amérique est sûrement dans le top de la liste !

Et dans le reste de la liste, il y a quoi ?

Charlie : Continuer à faire des disques, le plus longtemps possible !