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Kasabian

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 9 juin 2014

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Prétentieux à bon escient, caractériels et affichant un style vestimentaire qui passe du mauvais goût à l'éclair de génie, Kasabian ont longtemps été vus comme les dignes successeurs d'Oasis et de leurs frasques. Et si la filiation n'est pas remise en cause par les deux co-leaders du groupe au point de vue charisme et position dans les charts, elle n'est plus de mise quand on prend le temps de se pencher sur les compositions, les textes et l'attitude de Kasabian. Musicalement plus axés sur le Madchester des Stone Roses et le rock sixties des Who que sur le rock Lads de l'Angleterre profonde, le groupe qui fêtera bientôt ses quinze années d'existence est toujours leader en terme de rock festif, parfois surpuissant, fait pour affoler des stades en mélangeant des influences de hip-hop, électroniques et même house music. Pour Tom Meighan et Sergio Pizzorno, peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse !

Avec la sortie de leur cinquième album studio, 48:13, Kasabian renouent avec certaines recettes appliquées sur les très bons Empire ou Velociraptor! sortis en 2006 et 2011. Jouant sur une non-campagne marketing qui, en conséquence, fait parler d'elle, et sur une promo parfaitement organisée, le groupe a choisi la France lancer son nouveau disque. Dans les couloirs de l'hôtel Crown Plaza place de la République à Paris, Sergio Pizzorno se ballade naturellement dans les couloirs de l'hôtel, déguisé de son costume de scène « homme squelette » devant des clients médusés et interrogatifs. Affable et rieur, il est le Yin positif qui répond à nos questions pendant que Tom, le Yang du duo infernal, finit d'achever quelques uns de nos confrères dans la pièce d'à coté...

Après plus de dix années passées en haut de l'affiche anglaise, quelle est la motivation principale à la création d'un nouvel album ?

La création, justement. Le besoin de créativité inhérent à tout artiste. Comme tu l'insinues, nous avons fait pas mal de choses depuis dix ans et ce qu'il en subsiste, c'est la création et le constant besoin de faire. Que ce soit pour de l'image, des vidéos ou des chansons, ce que j'aime faire par-dessus tout dans la vie c'est créer et être en mouvement.

48:13 est le nom de votre nouvel album. Inattendu, même si on imagine facilement qu'il s'agit là de la longueur totale de l'album ?

Bien sûr, mais ne te méprends pas. Il ne s'agit pas d'un coup de marketing ou une paresse créative, nous avons voulu trouver la voie la plus directe pour nommer ce disque. Toute la philosophie de l'album, c'est être le plus direct possible, dans la musique comme dans nos textes. C'était comme renvoyer Kasabian à sa source, à ses débuts. Un mélange d'électronique, de hip-hop et de rock sixties pour en faire un nouveau langage musical. Actuellement, tu te rends compte qu'un seul ou deux titres maximum sont souvent tirés d'un album qui sort, pas plus. Avec 48:13, nous voulions donner à entendre une expérience de toute la durée de l'album. Une fois que tu l'as démarré, tu ne peux pas l'arrêter avant 48 minutes et 13 secondes !

Avoir peur d'effrayer ou de surprendre son public, c'est chiant ! Je n'ai pas besoin d'un blanc seing de la part du monde.

Tous vos albums ont eu du succès, est-ce que cela contribue à accentuer la pression sur vos épaules quand vous enregistrez un nouvel opus ?

Peut-être... Ce que je peux te dire c'est que nous n'avons jamais été un groupe qui angoisse ou se soucie exagérément de l'accueil que le public lui réservera. C'est l'aspect artistique qui nous motive et du moment que nous pouvons exprimer ce que nous avons à dire, cela nous convient. Avoir peur d'effrayer ou de surprendre son public, c'est chiant ! Je n'ai pas besoin d'un blanc seing de la part du monde. De toute façon, tout le monde aura son avis sur le disque, alors autant avoir son propre avis, non (rires) ?

Je ne sais pas si c'est toi ou Tom qui a déclaré « Cet album sera un fuck you envoyé aux journalistes » ?

-(rires) Il faut remettre ça dans son contexte. Cela s'adresse à une catégorie spécifique de journalistes ! Ceux qui continuent à nous sous-estimer et qui ne peuvent s'empêcher de nous cataloguer dans la catégorie, « Lad Rockers » ou « Football Fans ». Ces gens-là n'écoutent pas nos albums. Nous faisons un rock futuriste qui mérite bien mieux que ces journalistes-là. En aucun cas cela ne s'adresse aux journalistes qui nous écoutent et comprennent ce que nous essayons de faire.

J'imagine que tu ne lis pas les critiques de vos albums ?

En effet, j'ai arrêté de les lire il y a des années. Tout ce qui m'intéresse ce sont les gens qui écoutent et achètent nos albums. Eux, ils comprennent vraiment ce qui se passe.

Où s'est déroulé l'enregistrement de 48:13 ?

À Leicester, dans notre propre studio. Cela nous a pris quasiment une année en tout et j'ai voulu produire l'album moi-même. Et maintenant, c'est au monde décider que faire de cet album...


Qu'est ce qui a changé dans votre processus d'écriture et d'enregistrement ?

Pas grand-chose, en fait... C'est quasiment la même manière d'écrire ou d'enregistrer depuis le début du groupe. Le son de Kasabian a toujours été et continue d'être ce que j'espérais qu'il soit à nos débuts. Si j'ai apprécié d'avoir quelques amis pour m'aider dans la réalisation des albums précédents, pour celui-là, je n'ai eu besoin de personne.

Tu as dit que pour cet album tu t'étais efforcé de soustraire des couches plutôt que d'en rajouter. Tu as l'impression que le rock d'aujourd'hui est trop brillant ou trop épais ?

Il peut l'être. Si tu écoutes d'anciens enregistrements, ils sont très puissants. Mais si tu analyses ce qu'il se passe, tu verras que c'est assez léger. Avec trois ou quatre éléments musicaux, l'impact était maximum à l'époque ! Pour le hip-hop aujourd'hui, c'est un peu la même chose. La simple répétition des boucles, par exemple apporte beaucoup de puissance.

Après avoir écouté quatre ou cinq titres de 48:13 et notamment Bumblebee, il s'en dégage une sacrée puissance...

C'est un titre très puissant ! C'est un titre totalement dédié à notre public pour lui dire que quand nous sommes réunis avec lui, il peut se dégager une telle énergie et une telle communion que ce titre leur revient, de droit. C'est un peu comme partager de l'ecstasy, c'est énorme !

C'est un titre parfait pour un groupe de scène comme Kasabian...

Absolument. Sans aucun doute, c'est un titre pour ces concerts géants où le public entre en communion quand l'énergie est bien présente sur scène et dans nos titres.

Je voulais éveiller les consciences qui ne le seraient pas et faire ouvrir les yeux sur une société qui avance dangereusement et à l'aveuglette.

Il y un autre titre remarquable dans l'album, c'est Eez-eh, qui traite du scandale de la viande de cheval vendue comme du bœuf. Vous ressentiez le besoin d'avoir un titre engagé comme cela s'est déjà produit par le passé ?

Pour nous, Eez-eh est une sorte d'étendard de la classe ouvrière actuelle. Que ce soit pour les scandales alimentaires ou Big Brother – il faut savoir que nous sommes tous observés par Google, constamment ! Et par ce titre, je voulais éveiller les consciences qui ne le seraient pas et faire ouvrir les yeux sur une société qui avance dangereusement et à l'aveuglette.

Tu penses que c'est le rôle du rock, comme par le passé de s'engager, notamment quand on voit l'état du monde aujourd'hui ?

Il serait dangereux d'attendre des réponses de la part des groupes de rock étant donné que nous sommes tous des dégénérés et des junkies à l'alcool ou aux drogues ! Ceci étant dit, il ne fait aucun doute que nous sommes à la bonne place pour poser et se faire poser des questions sur notre société et fédérer beaucoup de personnes à la fois, derrière une idée. C'est même une partie du job que d'éveiller les consciences dans l'esprit des gens qui écoutent de la musique. Et si nous contribuons à faire en sorte qu'une partie de ces gens-là se mettent ou se remettent à échanger, à dialoguer et à apporter des idées nouvelles, alors c'est déjà un contre-pouvoir qui se crée, quelque part. Tout ce que nous nous pouvons faire, c'est leur écrire un hymne dans ce sens. Et toi ton rôle, c'est de le faire connaître au monde (rires) !

Au sujet de l'artwork de l'album, il y a une histoire impliquant Tom et toi. Vous avez personnellement participé à ce travail graphique. Peux-tu nous expliquer comment ?

Comme tu le sais, de nos jours pour sortir un album tu as besoin d'une grosse campagne marketing derrière toi. Et nous nous sommes dits : Non, pas besoin de tout ça. J'ai juste besoin de mon ami et tous les deux on va peindre en rose la façade de cet immeuble et écrire en grosses lettres 48:13. Cela a donné l'idée de la pochette de l'album. C'était une manière de revenir en arrière, sans fanfare et sans marketing imposant. Cela nous a semblé plus vrai et plus sincère.

Quel est le secret de ta relation amicale avec Tom ? Après toutes ces années et tous ces succès, vous avez survécu aux guerres d'ego et vous semblez aussi proches l'un de l'autre qu'au premier jour...

Je ne sais pas... Je crois que nous occupons tous les deux des places bien différentes dans notre univers commun. Donc les risques de collision sont très minimes entre nous. Le rire a été un de nos moteurs ; prendre le côté ironique de la vie et en faire de bons moments. C'est ce que nous faisons depuis le départ et ça a l'air de bien fonctionner.

Il y a un gros-rendez vous de programmé pour vous en juin, une date particulière où vous vous produirez chez vous, à Leicester pour la première fois depuis longtemps...

Cinquante mille personnes sont attendues dans notre ville ! C'est quelque chose que nous préparons depuis longtemps et nous avons enfin obtenu l'autorisation et le lieu pour jouer. La dernière fois que nous avons joué là-bas, c'était il y a quatre ans, mais dans des lieux si petits qu'ils ne contenaient que trois mille personnes, au mieux.

Après ce concert, vous serez en tête d'affiche à Glastonbury avec des groupes comme Arcade Fire ou Massive Attack...

C'est un rendez-vous très important pour nous également.

Tu penses que 2014 sera à nouveau une année marquante dans la carrière de Kasabian ?

Oui. Je crois que toutes nos routes passées ont convergé vers l'année 2014 et ces gros rendez-vous. Je crois qu'avec 48:13, ceux qui n'avaient pas vraiment saisi notre message se diront : « »Ah, ok. Je comprends où ils voulaient en venir, maintenant.

Si tu te contentes d'occuper un petit espace et que tu te cantonnes à celui-ci, créativement parlant tu es mort.

Après presque quinze ans de carrière, quelles sont les erreurs que tu as appris à éviter dans le monde de la musique ?

Ce que j'ai appris en tout cas, c'est que l'inspiration en musique vient de tous les cotés. Si tu te contentes d'occuper un petit espace et que tu te cantonnes à celui-ci, créativement parlant tu es mort. Pour aller si loin, il te faut être ouvert au maximum à tout ce qui t'entoure.

Quels sont les principaux changements que tu as notés dans l'industrie du disque, durant ces quinze années passées ?

Entre notre premier disque et aujourd'hui, je crois que le changement a été plus rapide qu'à n'importe quel autre moment de l'histoire du rock. La musique est devenue un média bien différent. Les gens ne paient plus pour écouter de la musique de nos jours. Et il est plus difficile pour les jeunes formations d'être soutenues et de pouvoir partir en tournée. Et pourtant, c'est là que tu apprends tout ! Jouer et jouer encore, tous les soirs s'il le faut ; se déplacer avec un van pourri et tout le matos dedans... Aujourd'hui, cela devient plus rare et je pense que cela a un effet sur la qualité de la musique proposée. Surtout quand il s'agit de rock & roll !

Est-ce que les réseaux et Internet n'ont pas également rendu la visibilité des groupes plus faciles de nos jours ?

C'est sûrement plus aisé de se faire connaître ou d'être écouté, mais en aucun cas cela n'implique que la qualité de la musique proposée est meilleure. Et c'est quand même ce qu'il y a de plus important. La majorité des titres que tu trouves sur Internet aujourd'hui, c'est de la merde ! Mais une merde plus facile à atteindre...

À quoi penses-tu quand tu es sur scène et que tu joues de ton instrument ?

Je ne suis plus moi-même ! C'est comme si j'étais dans un autre monde ; une expérience unique ! C'est comme si j'étais en méditation intense et que le monde autour de moi n'était plus le même. C'est très addictif...


Nous avons eu la chance de vous voir à Lyon, à Fourvière, en 2012. Il s'est mis à pleuvoir, mais la relation avec votre public était intense ! J'ai l'impression que vous avez besoin de cette relation intime avec votre public ?

C'est très important pour nous. Il ne faut pas oublier que les concerts ce sont avant tout des shows. Nous nous devons d'en faire des moments inoubliables dans nos vies et celles du public. Certains te diront qu'il suffit de monter sur scène et de jouer tes titres, mais ce n'est pas notre conception de la scène. Soit tu es en communion avec ton public, soit tu ne l'es pas !

Comment recommandes-tu l'écoute de votre nouvel album ? Seul, avec un casque sur les oreilles ? En faisant l'amour ? En conduisant sur une route déserte ?

-(rires) Hier, j'ai donné une interview et quelqu'un a dit : le meilleur endroit pour écouter cet album ce serait en conduisant à travers Paris. Je sais que tu penses que je dirais Rome ou Tokyo si j'étais en face d'un journaliste italien ou japonais, mais je trouve cette remarque très juste et je vois très bien quelqu'un déambuler en voiture, la nuit à Paris avec notre album à fort volume dans le lecteur de CD. Peut-être dans une De Lorean d'ailleurs. La voiture de Retour Vers le Futur...

Pourquoi avoir choisit la France pour démarrer la promo de 48:13 ?

Depuis le premier jour, le public Français semble avoir compris notre démarche en éliminant, de fait, tous les commentaires débiles qu'une certaine presse rapportait sur nous. Il a vu en nous une expérience électro-psychédélique et cela me plait. Paris a toujours été la ville qui nous comprenait le mieux et il y a là un public assez intense et fou à la fois. C'est parfait pour nous !

C'est également le cas au Japon où vous avez de très nombreux fans et un public assez fou ?

Exact. Là-bas aussi les gens semblent entendre nos chansons avec une approche différente.

Tu parles beaucoup de la France et vous entretenez une relation assez proche avec son public. Qu'est ce qui t'énerve chez nous et qu'est ce que tu trouves ici que tu ne trouves pas ailleurs ?

J'adore l'énergie, le style et l'attitude des Français ; c'est quelque chose que tu ne retrouves nulle part ailleurs. Mais je déteste les chauffeurs de taxi parisiens, il sont complètement tarés !