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The Wave Pictures

Interview publiée par Xavier Turlot le 16 février 2015

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Nous avons rencontré The Wave Pictures à l’occasion de la sortie de leur huitième album Great Big Flamingo Burning Moon chez Moshi Moshi Records. Ce disque co-écrit par Billy Childish, un artiste anglais méconnu et très atypique, marque un détour dans la discographie du trio sans trahir son approche puriste.

Votre nouvel album Great Big Flamingo Burning Moon est sur le point de paraître. La première question qui me vient à l'esprit est l'origine de ce titre étrange ?

David Tattersall : Cette chanson parle de la lune, que j'ai vue à un moment où j'étais au Portugal. Elle était d'un rose brillant ce soir-là, et j'avais vu un flamant rose au zoo la veille, un flamant rose qui avait un œil brillant et qui me fixait du regard, ce qui m'a fait imaginer que la lune pouvait être cet œil dans le ciel, vous regardant d'en haut mener vos affaires sans importances à la surface de la Terre. C'est de ça dont parle la chanson.

Je trouve que ce nouvel album est bien plus positif et accessible que ne l'était son prédécesseur City Forgiveness. Cela est-il en rapport avec votre humeur actuelle ?

David Tattersall : Non je ne pense pas, cela a plus à voir avec la collaboration de Billy Childish, qui a écrit les instrumentations de cet album. Je me suis occupé des paroles avec Jonni. Je dirais au contraire que City Forgiveness est un disque heureux, le plus heureux qu'on ait écrit peut-être, et il y avait beaucoup de chansons d'amour positives, comme Whisky Bay. La différence de style a plus à voir avec la présence de Billy qu'autre chose.

Je ne pense pas qu'on soit un groupe rétro.

Vous semblez être fans de culture vintage. Vous possédez un son vintage, des instruments vintage, et vous posez même avec une voiture vintage sur votre pochette. Regrettez-vous le passé d'un point de vue musical ?

David Tattersall : Dans une certaine mesure je ne pense pas qu'on soit un groupe rétro, bien que la plupart de la musique qu'on aime vraiment date des années 1950 et 1960. On aime le son et l'esprit de cette période, et j'imagine que notre son s'en ressent automatiquement. Nous n'aimons effectivement pas trop la musique moderne en général. Des labels comme Chess Records ou Sun Records n'ont produit que des artistes exceptionnels pendant une dizaine d'années, et tous les groupes britanniques étaient excellents à l'époque, comme par exemple les Troggs, les Small Faces ou les Kinks. Les années 1950 et 1960 sont un puits sans fond dans lequel puiser de l'excellente musique. Et j'imagine que tous les musiciens essayent de sonner comme les artistes dont ils sont fans, mais je ne dirais pas qu'on est nostalgiques, c'est juste une question de son, pas d'époque.

Votre constance artistique est assez remarquable. Pouvez-vous imaginer qu'un jour vous essayerez d'autres instruments comme des synthétiseurs, des pads, voire d'introduire des structures plus progressives dans votre musique ?

David Tattersall : Non, on adore jouer ensemble de la guitare, de la basse et de la batterie depuis toujours. On essaye de voir jusqu'où on peut aller avec la configuration la plus simple. On n'a pas du tout envie d'essayer d'enrober les mêmes choses dans un habit différent. Personnellement j'adore jouer de la guitare... (A Jonni et Franic) : J'imagine que vous ressentez la même chose ?
Jonni Helm : Oui, absolument. Même sur certains disques qu'on adore, on n'aime pas les parties sur lesquelles arrive un synthétiseur ou un orgue. Particulièrement avec The Band (ndlr : le groupe qui a notamment accompagné Bob Dylan) qui est un groupe dont on est complètement fans, et pourtant quand Garth Hudson commence à jouer de l'orgue, on commence à se demander si le morceau n'aurait pas été meilleur sans. Bref il y a peu de chances qu'il y ait un clavier avec The Wave Pictures de sitôt. C'est peut-être trop extrême comme point de vue...
Franic Rozycki : On trouve intéressant de travailler avec cette configuration. Beaucoup de gens doivent penser que nos disques sonnent de manière identique, mais pour nous ils sont tous très différents.
Jonni Helm : Ce n'est même pas la question de faire des choses différentes, mais de faire des choses bonnes à chaque fois. Être le meilleur possible à chaque fois, plutôt que d'expérimenter de nouvelles structures ou de nouvelles sonorités.


Votre album a été enregistré en à peine cinq jours, ce qui me fait penser aux records des années 1960. Considérez-vous que l'urgence soit cruciale pour que vos morceaux soient authentiques ?

David Tattersall : Oui, je pense. Enfin je ne le dirai pas de cette manière. Il s'agit plutôt de spontanéité, on fait les meilleures choses de cette manière. Je pense qu'il est possible de faire un disque correct en passant un temps fou dessus, et il y a pleins de disques qui ont été réalisés de cette façon, mais les meilleurs disques de l'histoire ont tous été enregistrés sur des périodes très courtes. En plus, c'est plus drôle et moins cher, et il n'y a aucune raison de trimer pour enregistrer un disque. Avec les Wave Pictures il y a plein de choses qu'on enregistre et qu'on ne sort pas, on tente plein d'idées dont on ne se sert finalement pas, mais s'il y a une chose qu'on ne fait jamais c'est bien de passer des siècles à s'acharner sur un morceau. En tout cas je ne parlerais pas d'urgence, ce qui impliquerait un certain stress, mais plutôt de spontanéité.

Vous avez des noms d'albums mythiques réalisés en un temps record ?

David Tattersall : Eh bien Blonde On Blonde par exemple, je crois qu'il a été enregistré en moins de temps que notre album. Astral Weeks également, en trois sessions il me semble. Kind Of Blue aussi. C'était la norme à l'époque pour le blues, le jazz, le rock... Les disques de Chuck Berry étaient enregistrés en une heure. Wild Thing des Troggs, l'un des meilleurs singles de tous les temps, a été enregistré pendant qu'un autre groupe qui louait le studio était parti déjeuner. Cette façon de capter un bon moment est la meilleure méthode pour enregistrer de grandes chansons. Et de toutes façons on n'a rien à perdre à le faire, on n'est pas obligé de publier ce qu'on a fait. La spontanéité est toujours payante et aucun des disques que l'on vénère n'a été enregistré en luttant.
Jonni Helm : Oui, on filtre toujours les chansons qu'on garde pour nos disques, beaucoup sont laissées de côté car on les juge pas assez bonnes.
David Tattersall : On parle de musique tout le temps, on joue de la musique tout le temps, on est en tournée ensemble la moitié de l'année, donc en réalité aux cinq jours d'enregistrement il faut ajouter tout le temps qu'on a passé à faire mûrir les chansons ensemble.
Jonni Helm : Mais certaines chansons ont quand même été écrites et enregistrées en quelques jours, on n'a pas vraiment de règles, on tente surtout de prendre le plus de plaisir possible. Et c'est ce que Billy a dit quand on était au début de l'écriture. Au départ on lui avait juste demandé s'il était partant pour nous produire, nous enregistrer car on adore le son de ses disques. Il nous a dit qu'il serait plus motivé pour écrire les chansons, et d'en faire un projet dans lequel il serait plus impliqué. C'est vraiment une question d'attitude, d'approche. Prendre du plaisir.
David Tattersall : On ne savait pas ça pourrait devenir le prochain album des Wave Pictures, on l'a juste fait pour s'amuser et ensuite on a décidé de le publier car on l'a adoré. Au début on pensait juste faire des reprises avec Billy de classiques de rock and roll, puis Jonni a dit qu'il voulait écrire des morceaux avec moi. Le premier jour on avait écrit cinq ou six chansons, puis le deuxième jour on avait déjà un album. Ce n'est qu'à la moitié des sessions d'enregistrements qu'on a réalisé que ça pourrait devenir un prochain album des Wave Pictures

Dans le vidéo clip de Pea Green Coat on suit un homme se disputer avec sa femme pendant une soirée, puis s'enfuir ivre dans la rue, brûler sa veste, rentrer chez lui et surprendre sa femme en train de le tromper. Je ne suis pas sûr du symbole : la veste était un porte-bonheur ?

David Tattersall : Aucune idée, nous n'avons aucun rapport avec la réalisation des vidéo clips. On hait les vidéo clips. On essaye juste de trouver des gens qui ont des idées et on leur donne entière carte blanche. Nous n'apparaissons même pas dedans. On n'avait aucune idée de ce à quoi allait ressembler le clip, mais personnellement je l'ai trouvé assez intéressant. Mais qu'on l'aime ou pas cela n'a aucun rapport avec le groupe.

On ne consomme la musique qu'à travers les vinyles, les CDs et les conseils de nos amis.

Mais c'est souvent la première image qu'auront de vous les gens qui vous découvrent...

David Tattersall : Je sais, et c'est paradoxal, voire dommage d'une certaine manière. La plupart de nos vidéos sont bonnes et les gens les aiment, mais pour nous c'est juste une contrainte, la dernière chose qu'on a en tête, je ne pourrais même pas nommer une vidéo d'un groupe que j'aime.
Jonni Helm : On ne consomme la musique qu'à travers les vinyles, les CDs et les conseils de nos amis. On peut aussi feuilleter des magazines mais regarder des clips et aller sur YouTube c'est impossible.
David Tattersall : Les labels veulent des vidéo clips car ils s'en servent pour faire la promotion des artistes, et on aime notre label donc... Ça ne va pas plus loin. Mais si vous achetez notre album, c'est exactement l'idée qu'on s'en fait, c'est notre album, l'ordre des chansons est pensé, etc... Même les vieux albums qu'on a auto-produits étaient pensés et conçus avec soin. C'est la partie à laquelle on attache de l'importance, et les concerts aussi bien sûr.

Mais vous attachez de l'importance aux pochettes ?

David Tattersall : Ah oui absolument ! C'est une partie intégrante du disque. La pochette a été désignée par Franic d'ailleurs. Et c'est une voiture de Billy Childish qu'on y voit.

Quelles sont vos sources principales d'inspiration pour écrire vos paroles ?

David Tattersall : Je dirais des gens comme Bob Dylan, David Berman.... D'autres comme Charle Bukowski, Dylan Thomas, John Updike... Les dialogues de films aussi peuvent m'influencer, récemment j'ai été marqué par Carlito's Way de Brian De Palma avec Al Pacino et Sean Penn. La photographie de ce film est somptueuse. D'ailleurs il y a beaucoup d'images et de dialogues dont je me suis inspiré par le passé pour écrire les paroles de nos chansons.


Le disque a été co-écrit pat Billy Childish, un artiste à la fois musicien, peintre, poète et réalisateur de films qui a une production gigantesque. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur lui ?

David Tattersall : Il est plus âgé que nous, il est actif depuis la fin des années 1970 et c'est quelqu'un de très drôle, de très étrange et de très brillant, comme ce à quoi on peut s'attendre d'un artiste aussi prolifique. On est fans depuis très longtemps de sa musique mais on ne connaît quasiment pas le reste de ses activités. On aime particulièrement ce qu'il a fait avec The Headcoats, c'était du grand rock and roll. On voulait le rencontrer et savoir d'où il tirait ce son. Il m'a proposé d'écrire avec lui, je n'avais jamais fait avant mais j'ai dit OK, et son influence a évidemment été énorme sur le disque.

Vous avez repris deux chansons de Creedence Clearwater Revival sur le nouvel album, j'imagine que vous êtes de grands fans. Mais pourquoi deux chansons du même groupe, du même album et deux à la suite ?

David Tattersall : Effectivement nous sommes de très grands fans de Creedence Clearwater Revival et on rêvait d'en caser sur un disque un jour ou l'autre. C'est Billy qui nous poussés à le faire, c'était assez cohérent avec la sonorité de l'album. Et il nous a dit que la meilleure façon de montrer à quel point nous étions fans du groupe était de reprendre non pas une mais deux chansons. Green River est l'une des meilleurs chansons de ce groupe, et l'une des meilleures de l'histoire du rock, notre choix s'est donc porté assez rapidement sur celle-là. Et pour contrebalancer la reprise d'un hit, on s'est dit que Sinister Purpose correspondait parfaitement, car elle est beaucoup moins connue et elle ne jure pas avec le reste du disque.

Excepté votre accent, que pensez-vous avoir gardé de l'Angleterre ?

David Tattersall : Ce goût de la musique américaine justement. Beaucoup de groupes anglais sont complètement américains, les Rolling Stones ou les Beatles pour ne prendre les plus connus étaient fascinés par la musique américaine. Effectivement, à part notre accent, je ne vois pas. D'ailleurs ce serait ridicule de chercher à l'effacer pour sonner américain.

Pensez-vous que le blues puisse devenir ringard un jour ?

David Tattersall : Non, c'est absolument impossible, le blues a une ressource infinie et ne cessera jamais de révéler sa puissance et sa profondeur. Qui peut dire que Muddy Waters ou John Lee Hooker deviendront ringards un jour ?