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Gaz Coombes

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 2 février 2015

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Parfois léger et aérien, parfois sombre et lourd, le Matador de Gaz Coombes est un disque qui reflète la vie et ses péripéties, deux ans après un premier album solo, Here Come The Bombs. De l’artwork léché et qui ne laissera personne indifférent (la photo de la pochette du disque semble tout droit sortie d’un film de Charlie Chaplin) à l’emploi, plus affirmé de sonorités électroniques dans de nombreux titres jusqu’aux expériences rock plus acides, Gaz Coombes donne de la profondeur à son œuvre en proposant des textes plus personnels et abordant des sujets qui touchent parfois à son intimité. Une introspection qui lui semblait nécessaire jusque dans ses compositions ; la musique de Matador a été écrite et enregistrée dans la foulée, en mode démo, à la maison. Le premier jet, lyrique ou musical, importait à son auteur.

Assis dans l’agréable salon d’écoute que propose son nouveau label, Caroline International, Gaz Coombes a un train à prendre et nous, des tas de questions à lui poser...

Deux années viennent de s'écouler depuis ton précédent et premier album solo, Here Come The Bombs. Tu reviens aujourd'hui avec Matador, j'imagine que ces deux années ont été chargées pour toi ?

J'ai effectivement assuré beaucoup de tournées après la sortie de Here Come The Bombs. Cela m'a permis de visiter de nombreux pays différents et, à mon retour en Angleterre, j'ai immédiatement et sans répit replongé dans l'écriture du nouvel album. Le show doit continuer !

Où s'est déroulée l'écriture de Matador ?

J'ai principalement écrit chez moi, dans mon propre studio. J'écrivais et enregistrais mes idées, quasiment dans la foulée. J'ai su, dès le départ, que je voulais faire un disque instinctif en écrivant rapidement et en enregistrant tout de suite après. J'ai travaillé sur cet album comme je travaille pour faire des démos, généralement. Je voulais des sons et des voix bruts pour ce disque. Quand tu fais des démos, tu ressens beaucoup moins cette pression que génère l'obligation d'aller vers un produit fini. J'ai fait ce disque avec un esprit apaisé, très tranquille...

Pourquoi Matador ? Quel sens apportes-tu à ce titre d'album ?

Cela m'est venu pendant l'enregistrement. Je travaillais sur des textes qui parlaient de comment combattre la « bête » en toi, comme un matador dans l'arène, et j'ai trouvé ce nom très percutant et à la mesure de mes titres. Il y a une dimension métaphorique, également : comme la dualité qui est en toi et qui t'oblige à combattre la bête qui émerge de tes sentiments, parfois. C'est une métaphore qui convient pour décrire la vie en général, finalement.

Certains ont déjà décrit cette « bête » dont tu parles et qu'ils voyaient représentée par l'industrie de la musique ou le public, de temps en temps. C'était ton cas ?

Non (rires). Pas nécessairement, en tout cas ! Il y a des hauts et des bas dans la vie et tu dois te battre pour vaincre ces moments plus difficiles. Je me suis dit qu'il fallait que je fasse passer ce message.

Je ne voulais pas faire un nouvel album avec les guitares en avant.

Dans Here Come The Bombs, tu flirtais parfois avec les sons électroniques. Ceux-ci sont bien plus présents dans Matador qui, de fait, sonne un peu moins rock & roll au sens premier du terme. Est-ce un virage musical pour toi ?

Ce qui est certain, c'est que je ne voulais pas faire un nouvel album avec les guitares en avant, c'est ce que je fais depuis vingt ans, maintenant et je voulais expérimenter autre chose. La musique recoupe tellement de styles et de courants ; elle n'est pas forcément composée de guitares imposantes, elle peut être pensée à partir de thèmes classiques, de dance music, d'ambiant music... J'ai donc voulu explorer plus de sons et des bases différentes pour construire ces nouveaux titres. C'est mon état d'esprit du moment. J'ai eu envie d'explorer les loops ou les boîtes à rythmes, beaucoup plus que par le passé. Cela a ouvert mon horizon en terme de compositions.

Je crois que tu joues pratiquement tous les instruments présents sur cet album ? C'était un choix délibéré ?

C'est vrai, même si j'ai eu la collaboration d'un batteur, Loz Colbert (Ride) ou celle de mon frère aux claviers sur trois ou quatre titres, mais je suis principalement seul à la baguette sur les instruments de tous les autres titres. Ce n'était pas vraiment un choix planifié, mais cela faisait sens dans l'optique où je voulais écrire et enregistrer des titres rapidement et faire confiance à mes premières idées. J'avais peur que coucher cela sur papier et attendre des semaines avant une session puissent effacer mes premières intentions de ma mémoire. Pendant toutes ces années passées, j'ai pu m'exercer à différents instruments comme la batterie et en comprendre leurs modalités. Je ne dis pas que je suis un bon batteur, mais assez pour jouer sur mes propres titres, à l'occasion. J'ai conscience que, techniquement, je ne suis pas au niveau, mais je dois dire que j'aime bien le rendu de certaines de mes interventions sur ce disque.

Qui a produit Matador ?

Je l'ai produit moi-même. Comme je te le disais, j'ai tenu à en faire le maximum par moi-même sur ce disque, et quand j'ai senti que je risquais de devenir un peu claustrophobe et que l'atmosphère devenait un peu écrasante, enfermé chez moi, je me suis réfugié chez mon ami ingénieur du son à Oxford, Ian Davenport (Courtyard Recording Studio). Et je dois avouer que cela m'a fait du bien de sortir un peu de chez moi pour aller partager tout cela avec d'autres personnes. C'est un bon ami et un très bon ingénieur du son sur lequel j'ai pu me reposer pour finaliser le disque.


L'artwork de Matador est très bien travaillé, notamment la photo de la pochette où tu poses en portrait sur un cliché en noir et blanc, très expressif. Qui est à l'origine de cette photo ?

John Rankin Waddell. Je ne sais pas s'il est connu internationalement, mais au Royaume-Uni il est assez célèbre dans le monde de la mode (et co-fondateur du magazine Dazed & Confused). J'avais travaillé avec lui lors d'un shoot photo de charité il y a quelques années et nous avions sympathisé. Je l'ai appelé pour lui demander s'il serait intéressé pour faire ma photo du disque et il a accepté. Tout ce que j'ai eu à faire c'est de suivre ses indications et cette photo est sortie du lot...

On te voit regarder en l'air, une main sur le visage, dans une expression de surprise et d'étonnement, presque effrayante. Que regardes-tu ?

C'est LA question (rires) ! Ce sera au public de définir ce que je suis en train de regarder avec tant d'étonnement. J'aime beaucoup ce cliché car il a quelque chose de Charlie Chaplin dans l'expression appuyée et en noir et blanc. On dirait une photo tirée d'un film muet des années vingt.

Tu t'es toujours impliqué dans les créations liées aux artworks ou vidéo clips de tes albums...

C'est vrai. C'est un domaine que je veux maîtriser ou, tout du moins sur lequel je veux apporter mon concours. En ce qui concerne mes disques, j'avoue aimer vouloir être impliqué à tous les niveaux. Mais cela ne serait pas possible sans de véritables et différents talents à mes cotés à qui je peux confier une partie de ma charge de travail.

Je sais que je peux compter sur de super musiciens pour retranscrire ce que j'ai fait par moi-même au départ.

Même si tu as pratiquement assumé seul toute la création et les parties musicales de Matador, celui-ci sonne comme si un groupe entier avait pris part au disque. Ce statut « DIY » rajoutera-t-il une difficulté quand la tournée Matador débutera et qu'il faudra interpréter ces titres en live ?

Cela dépend de la qualité des musiciens et des techniciens avec qui tu pars en tournée. Ce qui est mon cas. Je sais que je peux compter sur de super musiciens pour retranscrire ce que j'ai fait par moi-même au départ. C'est vrai que cela ne sera pas facile, car il va me falloir me souvenir de l'état d'esprit et des intentions que j'ai eus pendant la création de Matador. Notamment parce que j'ai beaucoup travaillé en « premières prises » sur ce disque. Mais, avec l'aide de mes musiciens, techniciens et en travaillant dur, nous sommes prêts à jouer ces titres en live, dans l'esprit du disque.

J'ai personnellement beaucoup aimé des titres comme The English Ruse ou Matador... Il y a une piste de trente-trois secondes juste avant le titre Matador, pourquoi ? Pour introduire le titre d'après ?

C'est un peu ça... C'est ce qu'on appelle un « studio outtake » et il m'a été inspiré par le White Album des Beatles. Album que j'adore. J'aime ces petits moments d'interlude musical. Parfois, je me promène avec mon petit enregistreur numérique et je capte une conversation par-ci, un bruit par-là et j'en fais des petites pistes pour imposer une respiration à l'album. Je voulais effectivement intégrer une sorte d'introduction au titre Matador et c'est pour moi une pièce importante de tout le puzzle du disque.

Par quoi as-tu été influencé dans ton écriture de textes sur Matador ?

Je crois que j'écris, majoritairement, sur le comportement humain. Et les interactions entre humains, comme les sentiments que partagent deux personnes amoureuses ou en conflit. La perte d'un être cher est également un sujet qui me touche souvent. Ma fille qui est autiste est également un fort sujet d'inspiration chez moi. C'est un challenge de tous les jours que d'élever et de comprendre une enfant autiste, mais c'est également une aventure très belle et très enrichissante. Je me suis inspiré de mes enfants, qui ont six et onze ans et de la vie en général, de ses cotés sombres et lumineux et de toutes ses contradictions.

On dit souvent qu'un deuxième album est le plus difficile à faire, car le public attend l'artiste au tournant après le succès d'un premier disque. As-tu ressenti une certaine pression sur tes épaules après le succès de Here Come The Bombs ?

Pas du tout, bizarrement… Je me sens encore comme un débutant concernant ma carrière solo et je me dis qu'il est trop tôt pour moi pour ressentir de la pression (rires). Je me sentais, au contraire, comme un artiste qui n'avait pas grand-chose à perdre et cela m'a apporté une certaine tranquillité d'esprit. Au bout de deux ou trois titres écrits et enregistrés, j'ai eu le sentiment que ce disque serait réussi. C'est peut-être présomptueux, mais cela m'a permis également de ne pas ressentir de pression. La seule pression que j'ai pu ressentir, c'était au moment de finaliser et terminer ce disque. Je me refuse à laisser un ou deux titres de côté et de ne pas leur accorder la même attention et la même qualité d'implication que les autres. Ce qui fait de moi un perfectionniste, et cela peut faire naître un peu de pression quand tu finalises un disque.


Nous sommes dans les locaux du label Caroline International à Paris. Comment as-tu rencontré ce label et pourquoi ce choix ?

J'ai sorti mon premier disque avec EMI Services, un département distribution d'EMI. Et un des membres d'EMI Services avec qui j'avais collaboré est parti pour créer Caroline avec une autre personne pour qui j'avais également beaucoup de respect. J'ai suivi Caroline dans sa création parce que j'aimais les gens qui partaient travailler dans ce label. Je me sens assez chanceux quand je vois beaucoup d'autres artistes combattre leur maison de disque à cause de conditions ou de contrats qu'ils rejettent, mais se doivent d'accepter. L'expérience avec Caroline me rappelle l'époque où nous avons rejoint Parlophone, au tout début en 1994. Caroline est un label enthousiaste qui aime la musique et les artistes. Chez eux, tout ne tourne pas autour de l'argent ou ta place dans les charts...

Cette année, ce sera l'anniversaire des vingt ans de la création de Supergrass. As-tu pensé à un événement particulier pour fêter cela ?

Il y aura peut-être une réédition de I Should Coco vers l'été 2015 ou d'autres petites actions nostalgiques, mais pas plus. Cela ne fait que cinq ans que nous nous sommes séparés et il convient de laisser couler un peu plus d'eau sous le pont avant de penser à fêter quoi que ce soit concernant Supergrass...

Est-ce que ton passé, notamment porté par le titre Alright qui est devenu quasiment immortel au fil des années, peut être un poids quand on démarre une carrière solo ?

Je ne vois pas nécessairement les choses de la sorte. Je suis très fier de Supergrass et de ce titre en particulier... Le pire, c'est que quand nous avons écrit ce titre, nous n'étions qu'une bande de jeunes musiciens amateurs, faisant les cons à droite à gauche et jamais nous n'aurions pu imaginer que Alright allait devenir un titre aussi acclamé et joué vingt ans plus tard. Ce qui peut être difficile à accepter pour mon public d'aujourd'hui, c'est le fait qu'ils découvrent que celui qui chantait des trucs gais et fun il y a vingt ans est aussi capable de produire des titres beaucoup plus sombres et beaucoup moins funs, en solo. Mais, c'est justement cela qui m'excite et que j'aime, surprendre et même choquer mon public. Et dans un sens, je n'ai pas tellement changé en vingt ans. Je me sens toujours le même artiste immature au sens de l'humour douteux qui aime faire des choses stupides (rires). Les artistes que je vénère, comme Neil Young ou John Lennon, se comportaient un peu de la même façon. Ils pouvaient écrire les plus belles chansons du monde, mais restaient quand même des mecs à l'humour corrosif et très légers dans la vie. Il serait d'ailleurs négatif d'être si « mono phase » dans son caractère. En tant qu'humain, nous avons tous des faces cachées.

Pour la tournée ayant suivi Here Come The Bombs, on t'a notamment vu jouer dans une église (désacralisée). As-tu prévu de jouer dans des endroits aussi inattendus pour la tournée Matador ? Surprendre ton public en jouant là où on ne t'attend pas c'est quelque chose que tu aimes faire ?

Ça dépend... Pour ce concert de Here Come The Bombs, je voulais tester une autre acoustique pour nos titres ; et celle, naturelle d'une église me semblait très intéressante. Dans une église, tu as une reverb naturelle sur ta voix. Tu n'as pas besoin d'employer de machines électroniques pour cela. C'est surtout de là qu'est partie l'idée de l'église. Nous verrons cela dans les mois qui viennent. Si nous trouvons un lieu intéressant pour jouer Matador, pourquoi ne pas refaire un concert surprise. En février prochain, il y aura quelques concerts joués dans des endroits très particuliers... Je te laisse la surprise !

Es-tu toujours actif dans tes side-projects, comme The Hot Rats ?

-Pas vraiment, en ce moment. J'ai été très pris par ma carrière solo et quelques compositions pour la TV ou le cinéma... mais j'aimerais pouvoir travailler à nouveau avec Danny (Goffey) et les autres « rats », à nouveau. Même si la vie nous a un peu séparés ces derniers temps, ils restent des amis avec qui j'espère pouvoir refaire de la musique, un jour prochain.

Tu as déclaré avoir terriblement envie de composer une bande originale de film, un jour. C'est quelque chose qui te motive toujours ? Tu as des plans en cours ?

-J'ai vu passer certaines propositions, mais qui ne m'ont pas paru convenir à mes envies. Je suis assez pointilleux sur mes choix ! Depuis quelques temps, je me suis mis à réfléchir à quelques compositions pour le cinéma... J'ai joué un peu de guitare avec Jonny Greenwood sur la musique du dernier film de Paul Thomas Anderson, Inherent Vice. C'était une petite collaboration, mais j'adore faire ça.

Il y a une question « marotte » dans beaucoup d'interviews : Beatles ou Rolling Stones ? Mais pour toi qui a fait partie du mouvement britpop, ce sera : Oasis ou Blur ?

Oh, le piège… ! J'adore le premier album d'Oasis. C'est un énorme disque qui a changé notre vision du rock. Mais, en fait, je n'étais vraiment fan ni d'Oasis ni de Blur, même si Blur a pour moi plus qualités qu'Oasis de par leur diversité musicale. A l'époque, Blur étaient plus proches de Supergrass en termes d'influences. Ce que je reproche à Oasis, c'est d'être restés obsédés par les Beatles et John Lennon et de n'avoir pas su évoluer, alors que Blur ont su le faire et avec talent.