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Travis

Interview publiée par Amandine le 27 juillet 2016

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C'est lors de leur dernier concert parisien que nous avons eu la chance de rencontrer Dougie Payne, le bassiste de Travis. L'occasion pour nous de revenir sur leur nouvel album, Everything at Once, mais aussi sur leurs vingt années de carrière et tous les changements survenus durant cette période.

Le groupe est né dans les années 90 et le premier album de Travis a maintenant une vingtaine d'années...

Dix-neuf ans ! Attention, c'est important ! Nous ne sommes pas si vieux ! (rires) Le groupe s'est formé il y a vingt ans mais la première sortie date de 1997.

La recherche de nouvelles mélodies est constante chez nous.

Si tu devais faire un résumé, comment dirais-tu que le groupe a évolué durant ces dix-neuf années ?

Je crois qu'il y a un socle de plusieurs choses qui sont restées les mêmes. La partie la plus importante pour le groupe, c'est sans aucun doute l'amitié. Nous étions déjà amis avant de commencer Travis ; ça fait vingt-sept que l'on est amis et le groupe s'est formé autour de ça. Comme dans toute relation, il y a des hauts et des bas mais on évolue ensemble et on est là les uns pour les autres. Quand The Man Who est sorti et que toute cette histoire est devenue plus sérieuse, les polarités ont changé : la musique et le groupe sont devenus le centre de nos relations et cette façon de faire ne nous correspondait pas, on a vite rattrapé le coup. D'ailleurs, ça s'est imposé à nous. Même si la musique est très importante, la vie, l'amitié et le reste l'est encore plus. Nous sommes donc très attentifs depuis cette anecdote à toujours prioriser ce qui se passe dans nos vies respectives. Donc je résumerais en disant que notre amitié n'a pas changé et que nous faisons tout pour la préserver. La deuxième chose qui n'a pas changé depuis nos débuts, c'est la mélodie. La recherche de nouvelles mélodies est constante chez nous. Nous ne sommes pas de ces groupes « à la mode » qui recherchent des mélodies catchy qui sont dans l'air du temps et qui s'entendent à la radio. Tu vois ce que je veux dire... parfois, tu peux dire rien qu'à l'oreille « Tiens, c'est ce producteur ! » et ce sont souvent les mêmes noms qui tournent finalement. Nous sommes démodés, peut-être est-ce dû à notre âge, mais nous n'aimons pas tomber dans la facilité de ce qui se fait. Nous préférons chercher des mélodies qui nous correspondent vraiment. Nous sommes traditionnels, tout simplement. Nous privilégions le travail plutôt que la mode.

D'ailleurs on vous entend souvent dire que c'est l'amitié qui vous permet de continuer la musique et les compositions et non pas la mode ou vos égos qui entrent en jeu...

Tu sais, je crois que ce n'est pas un hasard si nous avons appelé l'un de nos albums The Invisible Band car c'est représentatif de notre façon de voir les choses. Nous étions devenus un groupe très connu et beaucoup de médias parlaient de nous mais personne ne savait qui on était et ça nous allait très bien ! C'est ce qui nous permet de mettre nos chansons au premier plan je crois. Quand on compose, on doit creuser, creuser très loin et dégager beaucoup de poussière, de saletés qui ne serviront jamais à rien mais parmi ces débris, on trouve quelques secondes, parfois juste un bout de mélodies ou quelques notes à la guitare et là, on sait qu'on tient quelque chose.

Et là vous pouvez vous accrocher à ces dix secondes et travailler autour...

Oui, exactement ! On modifie, on change de tonalité et d'un coup, on sait tous que l'on tient LE truc. Quand on tient ce nucléus, ce noyau de départ, aussi fragile soit-il, on sait qu'on peut le transformer en une chanson et avec un peu de chance, on réussit à garder la beauté des quelques secondes originelles. Quand on en arrive là, on peut espérer que la gravité opérera et que les gens, en entendant cette mélodie, seront attirés comme nous l'avions été lors de la composition autour de ce petit atome.

Donc c'est toujours le même processus d'écriture pour vous ?

Oui, plus ou moins. Être seul dans un pièce, sans rien, à ne rien faire, et chercher l'inspiration. Aller toujours plus loin pour trouver la bonne idée. Ce n'est pas toujours facile mais c'est ma façon de faire en tout cas.

On a pu lire, et aussi se rendre compte, que vous avez eu de l'influence sur de grands groupes tels que Coldplay ou Keane : que pensez-vous de tout ça ?

Pour Keane, c'est évident. Ils ont fait nos premières parties et nous sommes même devenus amis et Tim nous a écrit un titre. Je crois que plus qu'une influence, Keane ont la même façon de travailler que nous. Pour Coldplay, c'est probablement très différent et il apparaît difficile de trouver deux groupes qui soient plus opposés qu'eux et nous finalement. Ce que je veux dire, c'est que nous faisons tous les deux le mieux que l'on puisse faire mais d'une façon différente. Nous, nous préférons trouver des mélodies, travailler à l'ancienne et Coldplay préfèrent trouver un bon producteur pour sortir des sons plus à la mode. Ce n'est pas un reproche bien entendu mais juste une constatation. Peut-être qu'à une époque, à la sortie de leur premier album, ils ont été comparés à nous mais probablement parce qu'ils s'inspiraient un peu de ce que nous faisions car c'était ce qui marchait en radio à ce moment-là ; ensuite, il y a eu Radiohead, puis Arcade Fire. Chris Martin est une personne très intelligente qui sait repérer ce qui marche. Il est bien plus intelligent que nous qui serions incapables de faire une chose pareille ! (rires)

La musique vit une époque étrange.

Quand on y pense, la scène britannique d'il y a vingt ans, à vos débuts, était particulièrement excitante avec la sortie de groupes tels que Stereophonics ou Kula Shaker : que penses-tu de la scène et de l'industrie musicale britanniques actuelles ?

Je crois que l'époque actuelle est un peu étrange pour nous (tu vas comprendre ce que je voulais dire quand j'évoquais le fait que nous étions démodés, tout à l'heure). Nous étions en Norvège la semaine dernière pour un festival. Nous avons donné notre concert, qui était génial, rien à dire là-dessus ; après ça, il y avait un set d'un DJ norvégien. Le gars était seul sur scène et nous l'avons vite comparé à Deadmau5 d'ailleurs. Il est derrière ses platines et personne ne comprend vraiment ce qu'il fait, il pourrait même prétendre être en train de mixer alors que ce ne serait pas le cas que personne ne ferait la différence. Bref, ce mec, tout à fait ordinaire, fait son set et là, on s'aperçoit en regardant la foule que c'est la folie de partout. Les spectateurs étaient très jeunes, ça joue peut-être, mais en tout cas, ils étaient en transe en écoutant le set de ce DJ. Fran et moi nous sommes regardés et Fran me dit alors « Punaise, j'ai l'impression d'être un jazzman qui vit, incrédule, l'arrivée du rock ; je me sens comme un alien. On est trop vieux pour comprendre ces conneries ! » (rires) Le mec appuie sur un bouton, démarre son show et là, c'est une véritable tempête dans le public, c'est assez incroyable ! On s'est demandé si ce n'était pas la fin du rock et de la pop tels que nous les connaissons. J'espère que ce n'est pas le cas mais on est en droit de se poser la question... C'est un peu la même chose quand tu écoutes la radio, ils passent de la merde ! Ça sonne comme de la musique, notamment grâce à l'utilisation d'une technologie de pointe, mais il n'y a rien derrière ! Pour moi, et je pense pouvoir parler au nom du groupe sur ce point, la musique, ma musique, est totalement dépendante de ce que je suis. Ça doit te parler, résonner en toi d'une manière presque animale et beaucoup de conneries qu'on entend à la radio n'ont rien de tout ça. Tout sonne très professionnel mais c'est du vent ! Tout cela est dû, d'une part, à la technologie, et, d'autre part, à l'importance accordée aux producteurs. Aujourd'hui, vingt gars s'enferment dans un studio pour écrire une seule chanson, ça paraît tellement dingue ! Du coup, ça ne vient pas d'une seule source mais d'un conglomérat de plein de personnes et on ne retrouve pas une entité derrière un titre mais un groupe de producteurs. Généralement, une chanson est écrite pour communiquer le sentiment d'une personne et dans cette manière de travailler, on ne trouve pas ça du tout et ça me dérange énormément. Tout ça pour dire que la musique vit une époque étrange.

C'est l'une des raisons pour lesquelles vous vouliez monter votre propre label ?

C'est le troisième album que nous sortons aujourd'hui sur notre propre label et c'est vrai que ça nous procure un peu d'autonomie. Nous avons sorti cinq albums sur un autre label. Nous avions déménagé sur Londres pour réussir à avoir un contrat, ce que nous sommes parvenus à faire et c'était génial. Nous étions prêts à mettre tout notre enthousiasme dans notre musique et nos chansons. Mais l'industrie musicale veut que tu aies un manager, des gens qui travaillent pour le label et finalement, ça leur donne pas mal de contrôle sur tes créations. Au début de notre carrière, nous étions très heureux car finalement, nous n'aurions pas su gérer ça. Mais au bout de quelques années, ça nous est apparu comme superflu. Au bout des cinq albums que constituait notre contrat, on s'est dit « Et si on essayait de notre côté ?! ». Ça demande beaucoup de travail mais c'est aussi amusant car on découvre une nouvelle facette du métier. L'industrie musicale a tellement changé que désormais, on peut avoir ce que l'on appelle des « labels services » et là, c'est rempli de personnes passionnées de musique sur qui l'on peut compter. Combiné au fait que nous ayons notre propre label, tout ça nous permet de faire exactement ce que l'on souhaite. Et surtout, cette façon de faire est très différente du contrat avec une maison de disques car nous ne leur devons pas des disques et c'est ce qui fait toute la différence. Le fait d'être libres nous a par exemple permis de réaliser un film avec Everything At Once, notre nouvel album et ça, nous n'aurions jamais pu le faire si nous avions été en contrat avec une maison de disques.

C'est bien que tu parles de ça parce que je voulais justement savoir d'où vous est venue cette idée de faire un film ?

Nous avons produit ce film avec un très petit budget, à notre façon. Ça nous a coûté quelque chose comme £20 000, ce qui devait être le budget café pour le vidéo clip de Sing ! (rires) Nous en revenons finalement à cette contradiction entre Art School et Design School, cette contradiction entre Travis et Coldplay dont on parlait tout à l'heure : nous avons la possibilité de faire ce qui nous plaît, nous en prenons la liberté sans demander la permission et sans nous soucier des conséquences. Au début de notre carrière, il y a vingt ans, on réfléchissait à ce que l'on pourrait faire quand on serait des adultes et là, vingt ans après, bam ! Nous sommes des adultes et ça y est, nous pouvons commencer de nouvelles aventures et faire de nouveaux paris.

Et dans ces nouvelles aventures vous est venue l'idée de ce court-métrage pour accompagner votre album ?

Nous venions de terminer l'album et nous nous sommes penchés sur tout ce qui était promo car nous voulions être impliqués dans le processus et un mec qui bosse à la radio nous a dit que l'on avait huit titres qui pouvaient être des singles sur les dix de l'album. Là, Fran nous a dit « Oh, c'est une chose agréable à entendre mais ça sous-entend aussi que l'on va devoir réaliser huit clips ! Pourquoi ne pas tout faire en une fois par le biais d'un film ? Non seulement ça nous coûtera moins cher mais ça peut être drôle de tenter une nouvelle façon de faire, de raconter une histoire dans une seule unité visuelle ». Nous ne voulions pas faire quelque chose qui fasse documentaire par rapport à l'album et nous avons donc laissé Fran sur sa lancée car il avait eu de bonnes idées. C'est marrant parce que je pense que ce court-métrage traduit ce que nous sommes, on y retrouve l'essence du groupe.

J'ai vu il y a quelques semaines sur Facebook que vous utilisiez les vidéos en direct pour communiquer avec vos fans ; on vous voyait par exemple signer des copies d'Everything At Once : c'est important pour vous d'utiliser les nouveaux médias et les réseaux sociaux ?

C'est une nouvelle manière de communiquer, c'est vrai. Personnellement, je n'utilise rien de tout ça : Facebook, Twitter, ce n'est pas ma tasse de thé. Pour le groupe, c'est différent, j'y vois un certain intérêt mais ce n'est pas pour moi. Je crois que les réseaux sociaux créent des interactions humaines d'une manière assez étrange. Les gens présentent une certaine version d'eux-mêmes sur les réseaux sociaux qui n'est pas réelle. Pour moi, c'est une fiction ce que l'on voit des gens sur Instagram, Twitter ou Facebook ; ils présentent une version idéalisée d'eux-mêmes. Avec tout ça, on pourrait se dire que l'on n'a jamais été aussi connectés les uns aux autres, on en a en tout cas la possibilité un peu partout et par de nombreuses manières différentes et pourtant, on n'a jamais été autant déconnectés. Certaines chansons de l'album parlent d'ailleurs de tout ça. Je ne vais pas parler de thérapie parce que ce n'est pas du tout le cas mais on écrit des chansons et au bout d'un moment, on réalise qu'il y a des connexions entre elles et qu'elles ont des points communs, notamment dans les thématiques et là, clairement, la dislocation entre notre personnalité et celle que l'on présente au monde et dans les médias en fait partie (avec Paralized ou Animals par exemple). C'est quand on aborde ces sujets lors d'interviews comme aujourd'hui qu'on fait notre thérapie car on a une vision rétrospectivement de notre travail.

J'ai lu que pour ce dernier album, vous vouliez écrire des chansons pop qui ne dépassaient pas les trois ou quatre minutes, notamment parce que vous ne vouliez pas abuser de l'hospitalité de votre hôte. Vous êtes-vous pliés à l'exercice du titre autour des trois minutes ou est-ce que naturellement vous en êtes arrivés là ?

Tout est venu après la sortie de notre avant-dernier album, Where You Stand : deux de mes titres ont été portés à la radio et les radios étaient d'ailleurs enthousiastes mais elles nous ont dit que nous devions au préalable couper une minute ou une minute trente car c'était trop long pour la diffusion. Là, ça a été un cauchemar et finalement, ça a été la partie la plus difficile du processus pour nous car comment juger de quelle partie nous pouvions couper ? Une chanson est une entité à part entière, on y a mis tout notre être et devoir la couper, c'est comme amputer un membre. C'était affreux ! Du coup, on s'est dit pour Everything At Once que l'on ne referait pas la même erreur et que l'on se cantonnerait à des titres autour des trois minutes et finalement, ça a réduit la palette de ce que l'on faisait et ça a créé naturellement une unité dans l'album. Le Revolver des Beatles ne fait que trente-cinq minutes et pourtant... Je crois que ça donne un côté punchy à notre album. Une chanson peut ne durer que deux minutes trente et durer cinquante ans pour quelqu'un...