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Goldfrapp

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 31 mars 2017

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Cette interview d'Alison Goldfrapp est un mini événement. Tout d'abord, parce que sort le septième album du groupe, Silver Eye, mais aussi parce que cette dernière n'est quelqu'un de facile à appréhender en interview. On l'a senti un peu fermée à certains moments de notre rencontre et littéralement passionnée à d'autres. L'anglaise reste un personnage hors du commun et rien que pour ça, ces vingt minutes passées en tête à tête valaient vraiment la peine d'être vécues.

C’est la première fois qu’il a fallu attendre aussi longtemps entre deux de vos albums. Pourquoi ces trois ans et demi entre Tales Of Us et Silver Eye?

C’est drôle, car ça ne m’a pas paru long. J’ai fait un petit break après la tournée. J’avais beaucoup tourné au moment de Tales Of Us; pendant près d’un an et demi. Et il m’est impossible d’écrire lorsque je suis en tournée. Nous avons ensuite joué de la musique à Londres, comme ça, avant d’entrer en studio. Au final, je n’ai quasiment pas arrêté, ni vraiment pris mon temps pour ce nouvel album.

Ce disque sonne un peu comme un retour à l’essence même de Goldfrapp. C’est un album plus électronique, plus dansant que ton précédent. Est-ce que tu considères Tales Of Us comme une parenthèse dans ta discographie ?

Non, pas vraiment. Chaque album a sa propre identité.

On a surtout cherché à faire un disque beaucoup plus électronique.

Avec tous ces portraits féminins dans ton disque précédent, peut-on considérer que c’était un album concept ?

Chaque disque est différent. De ce fait, je ne veux pas me répéter à l’infini. On a surtout cherché à faire un disque beaucoup plus électronique. Aussi je peux difficilement comparer Tales Of Us et Silver Eye. Ce sont des entités très différentes.

Silver Eye est plus lumineux, plus brillant que Tales Of Us. Peut-on parler d’une résurrection pour toi ?

(Rires) Oh, c’est une question intéressante! Une résurrection pour moi personnellement ou pour Goldfrapp ?

Pour Goldfrapp. A moins que ce ne soit pour toi ?

C’est peut-être une résurrection pour toi. Tu réponds à tes propres questions. (Rires) Mais j’aime beaucoup l’idée. C’est très intéressant. Ça correspond bien aux thèmes.

Tu as travaillé avec The Haxan Cloak et John Congleton sur Silver Eye. Est-ce que ces collaborations ont influencé le son de l’album ou savais tu déjà exactement ce que tu allais faire pour ce disque?

Nous avons choisi The Haxan Cloak dans un but très précis. J’aime beaucoup son son. Nous savions ce qu’il pouvait nous apporter. Mais rien n’est cependant garanti en termes de résultats. Nous avons connu cela par le passé avec des collaborations qui n’ont finalement pas fonctionné, pas abouti. On ne sait jamais vraiment ce qui va se passer. L’alchimie musicale, c’est exactement comme dans n’importe quelle autre relation. Il n’y a jamais rien de garanti. Mais The Haxan Cloak nous a vraiment inspiré pour cet album. C’était super d’être en studio avec lui. Il est si jeune. Il sait exactement où aller chercher un son sur son ordinateur en une fraction de seconde. Il nous aurait fallu deux jours pour trouver ce qu’il a fait pour nous en un temps record. Ce fut super rafraichissant de travailler avec lui. John Congleton est venu beaucoup plus tard. Tout était quasiment déjà prêt. Mais ce fut super de collaborer avec lui également car il nous a beaucoup aidés à peaufiner certains morceaux. Nous étions tellement dans certaines chansons qu’il nous était impossible de nous en déconnecter. John nous a ainsi permis de changer certains passages. Sans lui, cela aurait été impossible. C’est la première fois que nous collaborons autant sur un album avec d’autres musiciens. D’habitude c’est beaucoup plus succinct.

As-tu encore travaillé avec John Parish pour cet album ?

Non. Cela fait un bon moment que je n’ai pas vu John. C’est quelqu’un de très charmant. Le connais-tu?

Je l’ai rencontré il y a longtemps de cela, et je garde de lui un excellent souvenir. La lune est le sujet principal de Silver Eye. Aurais tu été influencée par The Killing Moon d’Echo And The Bunnymen ?

(Rires) Non, mais c’est une chanson magnifique.

Nous commençons nos morceaux la plupart du temps en improvisant.

Parfois le son du disque est un peu extrême. Sale, bruyant, comme sur le morceau final de l’album, Ocean. C’est quelque chose dont vous aviez vraiment besoin pour ce disque ?

Non. En fait, ça s’est fait comme ça. Je n’étais pas certaine que ça plaise. C’est quelque chose qui s’est fait très spontanément. Dans notre manière de fonctionner, nous commençons nos morceaux la plupart du temps en improvisant. Je me souviens que pour cette chanson, c’était un moment très difficile dans ma vie personnelle. J’en avais vraiment plus qu’assez. Lorsque je me suis rendue au studio ce jour-là, il pleuvait, il faisait froid. J’étais vraiment de mauvaise humeur. Will m’a demandé assez joyeusement de chanter. Je lui ai répondu en grognant, même si je m’y suis résolue. J’ai claqué la porte et m’y suis mise. Ce son est finalement sorti tout seul dans cette atmosphère un peu particulière. J’ai essayé plus tard de réenregistrer les parties vocales, à quatre ou cinq occasions, mais je n’ai jamais retrouvé la même atmosphère que ce jour où j’en avais par-dessus la tête. Au final, j’ai juste réenregistré une ligne des paroles car elle était absolument inaudible (rires). Nous essayons souvent de conserver ce qui constitue l’essence originelle de la chanson afin de préserver son côté vivant. Parfois ce sont simplement des petits détails. Il est souvent difficile de recréer ces moments. Cette chanson était à l’origine encore plus extrême et davantage minimaliste.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur la pochette de Silver Eye ?

Je ne sais pas comment se dénomme ce type de buisson, mais il y en avait partout dans ces rochers noirs volcaniques. La lumière était absolument incroyable ce jour-là. Cette pochette reflète bien l’album, comme les autres par le passé d’ailleurs. Elle suit le côté narratif de la musique et des paroles des chansons. C’est simplement une autre expression de la musique, une expression visuelle.

Serait-il envisageable que tu sortes un album avec une pochette entièrement noire ou blanche ?

J’y ai pensé pendant un moment (Rires). Mais ce ne serait pas vraiment-moi si j’agissais de la sorte. Peut-être un jour, qui sait ? Je trouve qu’il y a un côté très méditatif dans les pochettes minimales. J’ai récemment découvert Hiroshi Sugimoto (ndlr : photographe japonais) à travers une exposition à Amsterdam. Il a réalisé des photos absolument incroyables du ciel ou de l’eau, très abstraites et qui poussent à la méditation. La texture de celles-ci et l’espace qu’il leur donne est juste fantastique. C’est important pour moi de faire ressentir mes émotions et d’aller le plus loin possible dans ces sensations. J’aime également beaucoup le côté mystique des choses. La lumière et le noir, la mort, la naissance et la renaissance, la transformation... La connexion doit se faire entre la musique et l’image. C’est très important. Surtout quand il y a cette répétition musicale et ces mouvements musicaux. C’était déjà le cas il y a des années avec la dance music et le krautrock. Les rythmes répétitifs. La notion d'espace a une très grande importance pour moi.

Il y a un côté Twin Peaks derrière cela, non ? Comme un passage entre deux mondes ?

Oui. Exactement! C’est comme un miroir.

Est-ce qu’on peut décrire ton album comme un rituel païen ? Est-ce contre les religions ?

Je ne sais pas. Le côté païen, je trouve cela intéressant, mais je ne sais pas si c’est très pertinent. L’idée de la nature et de célébrer la nature, je peux le comprendre. Cela a beaucoup à voir avec le christianisme, ce qui est d’ailleurs très étrange. J’aime les rituels (Rires). Je pense que c’est quelque chose de très important dans notre existence. Je pense que lorsque tu fais de la musique, il y a des éléments qui correspondent inévitablement à des rituels qui ont à voir avec d’autres consciences. Il y a des moments en studio où rien ne va, on n’a aucune idée et où on se demande ce qu’on fait là en définitive. Et soudain, tout se transforme, l’excitation survient. On se perd dans un monde en entrant dans un état profondément différent de celui dans lequel on se trouvait auparavant. On se perd littéralement dans la musique. Ces moments-là sont vraiment précieux et très spéciaux. J’aimerais vraiment qu’ils arrivent plus souvent (Rires).