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Goldfrapp

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 9 septembre 2013

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Alison Goldfrapp a aujourd’hui un certain âge qu’elle ne fait certainement pas. Éternelle adolescente nonchalante à l’épaisse chevelure bouclée blonde qui illumine des traits plus paisibles que jamais, Alison a su laisser passer l’orage et observer le monde pour revenir, après l’échec de Head First en 2010, avec un sixième album : Tales Of Us.

Membres à part entière du trip-hop expérimental de la fin des années 90, peu de groupes ont vu leurs compositions adulées par les agences de publicités comme le duo Goldfrapp. Entre rêveries éveillées et mélancolies somnambules, des titres comme Lovely Head ou Utopia sont rentrés au panthéon de la musique identitaire de cette époque au même titre qu’un Karma Coma des voisins et amis de Massive Attack. S’ensuivra une période plus pop et commerciale pendant laquelle, excepté le très respectueux Ooh La La, le duo Goldfrapp sera petit à petit renvoyé au rang des très bons souvenirs de jeunesse.

Avec Tales Of Us, Goldfrapp ont voulu épurer, simplifier et expérimenter à l’envers avec un strict mélange de piano et de cordes en travaillant une écriture qui lorgne du coté des plus talentueux chanteurs classiques comme Jacques Brel, que l'anglaise adule. Le résultat est à la hauteur de la réputation des Goldfrapp version fin des années 90 : profond, envoutant et terriblement romantique. Sans aucun doute, ce qui ne tue pas Alison Goldfrapp la rend bien plus forte.

Ce nouvel album, Tales Of Us recèle, au premier regard, une particularité intéressante : tous les titres choisis sont des prénoms de personnes. Qui sont-elles ?

Ce sont toutes des personnes de fiction, excepté Clay. Le titre Clay parle de deux gars qui se sont rencontrés pendant la dernière guerre mondiale et qui étaient amants. Dans cette chanson, Clay se remémore sa vie, maintenant qu’il a atteint un age respectable et décide d’écrire une lettre en l’honneur de l’anniversaire de la mort de son amant perdu. J’ai trouvé cette lettre sur le site Internet, Letters Of Note. Je l’ai trouvée si émouvante avec ce romantisme caché, cette époque lointaine et si mouvementée pendant laquelle les deux personnages se trouvaient sur des terrains d’opérations différents en Afrique. Et si tragique également au travers de cette histoire d’amour entre deux hommes qui a dû être si compliquée à cette époque ! Pour revenir aux titres de l’album, ce sont toutes des personnes différentes venant de différents pays que j’évoque. Majoritairement des femmes, d’ailleurs. Il n'y a que deux hommes : Clay et Alvar. Mais en dehors de Clay qui a existé et de deux autres qui sont directement sortis de mon imagination, ce sont tous des personnages de fiction qui m’ont été inspirés par les romans que j’ai lus.

Tu voulais raconter une histoire complète au travers des titres de Tales Of Us ?

Je vois plutôt cela comme des instantanés de petits moments de vie de tous ces caractères différents.

Je ne sais si c’était volontaire, mais dans le premier titre de l’album, Jo, on retrouve la ligne de piano d’une chanson de Jacques Brel : Ces Gens-là...

Enfin ! Enfin un journaliste qui reconnaît la ligne de piano du grand Brel... Je suis une grande fan de Jacques Brel et je m’en suis volontairement inspiré sur ce titre.

Pour ce sixième album, tu as déclaré : Quand on est relax et en confiance on peut explorer des endroits de son cerveau que l’on n’aurait jamais osé explorer avant. Quels sont ces endroits mystérieux que tu as découverts pendant l’écriture de Tales Of Us ?

Quand j’ai dit cela, je citais une généralité et pas seulement un fait lié à l’écriture de cet album. Ce que j’ai essayé de dire c’est que tu peux aller bien plus profondément dans tes sentiments et ton esprit quand tu ressens les choses positivement. Quand tu te sens triste ou quand tu as peur, tu ne veux pas affronter la vie ou voir les choses comme elles sont ou plutôt comme elles devraient être... Pour Tales Of Us, je voulais faire un album qui soit plus simple d’approche et peut être plus minimaliste. Dans mes albums précédents, il y avait beaucoup de couches superposées et beaucoup de richesses sonores ; ce qui m’excitait dans ce nouveau projet c’était de voir comment je pouvais, au contraire, retirer des couches et faire machines arrières, au sens propre et figuré !

Cet album sonne effectivement plus classique en un sens, en tout cas plus direct que les derniers du groupe. Toi qui a souvent utilisé d’étranges instruments et une multitude de sonorités, pour Tales Of Us, nous retrouvons majoritairement un piano, une guitare et des voix. Comment en es-tu arrivée à ce dépouillement ?

Je ressens une grande et agréable chaleur en écoutant ces instruments acoustiques que sont la guitare et le piano. La force d’un piano et d’une guitare c’est qu’ils déclenchent tellement de tempos et de rythmes à eux seuls qu’ils se passent très bien de tout autre instrument ou d'artifices. Ils créent une telle dynamique et une telle tension à partir de peu... J’ai adoré ce sentiment créé par ces seuls instruments. Et en cela, Will Gregory est un expert. Il est capable de faire de ces mélodies quelque chose d’épique. Sur le titre Annabel, notamment, le travail de Will fait éclore et s’épanouir les cordes qu’il maîtrise à merveille.

Est-ce l’album de la sagesse pour Alison Goldfrapp ?

Oh mon dieu ! Je n’en sais rien... Ce serait plutôt à toi à me dire ça. J’aimerais qu’il le soit...

Je pense que oui. C’est une nouvelle Alison Goldfrapp que nous découvrons... Où as-tu enregistré Tales Of Us et qui l’a produit ?

Nous nous sommes occupés de la production avec Will. Nous avons enregistré l’album à la campagne, là où tous nos albums ont été enregistrés, d’ailleurs. C’est notre petite maison, notre petit home studio à coté de Bristol. C’est un endroit génial pour travailler. J’adore travailler à la campagne de toute façon. Je vis pourtant dans une grande ville, à Londres, mais je trouve cela tellement plus facile et riche de travailler à la campagne. Je crois que je me charge de l’énergie de la ville quand j’y suis et je la retranscris avec plus de précisions et de clarté quand je retrouve ma campagne.

Est-ce que les avis, les critiques et les ventes de tes albums sont des choses qui occupent ton esprit ou est-ce qu’une fois que ton disque est fini et sorti, tu passes à quelque chose d’autre ?

Honnêtement, je dois dire que ça me travaille un peu... Pour Tales Of Us, je porte beaucoup d’espoirs parce que j’aime sincèrement ce que nous avons fait et j’espère vraiment que d’autres personnes l’aimeront autant. D’une façon naturelle, cela m’importe de savoir quel accueil sera réservé à mon disque. Mais, en même temps, je suis lucide et je sais que l’accueil sera limité car c’est le genre de musique que nous proposons qui veut cela. Cela me va.

L’aspect visuel de la musique est très important dans ton travail. Que ce soit sur scène, dans tes clips ou avec l’artwork de tes disques... C’est un aspect que tu travailles en amont avec le disque ou est-ce quelque chose qui vient plus tard ?

Je crois que c’est un peu des deux. Pour moi, la musique est quelque chose de très visuel, comme tu l’as dit. Même pour créer les personnages des titres de mon nouvel album j’avais besoin de les visualiser, de les voir vivre et de ressentir l’atmosphère autour d’eux... Le video clip de Jo, par exemple, a été tourné très tôt juste après la création de l’album. Je n’avais jamais fait cela si tôt pour un de mes titres. Donc oui, le visuel m’importe beaucoup dans mon processus de création. Bien sûr au final l’aspect le plus important, c’est la musique.

Qui est l’auteur de l’artwork et surtout des belles photos noir et blanc qui ornent le CD ?

La fille responsable de ces photos et des photos de mon dossier de presse s’appelle Annemarieke van Drimmelen et elle habite Amsterdam. Je ne la connaissais pas avant, mais quand j’ai vu son travail, j’ai su qu’elle avait cette qualité et cette simplicité que je recherchais pour Tales Of Us.

Que s’est-il passé dans ta vie depuis trois ans et ton dernier album, Head First ?

J’ai beaucoup passé de temps au cinéma, vu des films en tous genres. J’ai beaucoup écrit et, finalement, j’ai simplement vécu... (rires)

Tu n’étais pas très heureuse de l’album Head First... Ressentais-tu le besoin de prendre du temps avant de te relancer dans un nouveau disque ?

Il m’a fallu faire un peu le point, c’est vrai. La dernière chose que je voulais c’était me précipiter, car c’est par la précipitation qu’est venue la déception de l’avant-dernier album. Cette expérience a été si désagréable pour moi qu’il n’était pas question de recommencer les mêmes erreurs.

Une rumeur dit que le dernier Batman, The Dark Knight Rises, aurait dû comporter un titre de Goldfrapp dans sa bande son. Si tu en avais l’occasion, tu aimerais travailler pour le cinéma toi qui écris des chansons ci cinématiques ?

J’ai entendu parler de cette rumeur concernant le dernier Batman, mais je ne sais pas d’où elle vient... Par contre, nous avons composé la musique du film sur les débuts de la vie de Lennon, Nowhere Boys (de Sam Taylor-Wood ; 2009). Je crois que pour cette question tu devrais interroger Will. Personnellement, je ne suis pas obsédée par l’idée de composer pour le cinéma. Mais si je devais le faire, j’aimerais faire une musique de film d’horreur, d’un drame psychologique ou paranormal ! Ça me collerait mieux à la peau (rires).

Qu’est ce qui t’a fait embrasser cette carrière artistique et musicale en particulier au départ ?

Je pense l’avoir ressenti très tôt, sans trop savoir comment m’y prendre. Même si j’ai longtemps fréquenté les bancs d'une école d'art, je savais que je ne serais pas une artiste graphique. Je savais que j’exprimerais mon art à travers la musique.

Tout a commencé quand tu as rencontré Tricky ?

J’avais déjà commencé à faire de la musique avant mon entrée dans cette école où j’ai rencontré Tricky. Ça se passait à Anvers où j’habitais alors. C’est vrai qu’avec Tricky, j’ai pu progresser et être plus régulière dans mon travail musical.

Tu joueras à nouveau sur scène en Angleterre au Manchester Festival dans deux semaines...

Deux semaines ? Déjà ? Mon dieu... merde ! Je suis assez stressée à cette idée... Dans quels autres festivals pourra-t-on te voir jouer cet été ? A part le Manchester Festival, je jouerais au festival Lovebox et au Somerset House à Londres. Peu de festival donc mais nous entamerons une petite tournée à l’automne avec une date à Paris au magnifique Trianon. Un endroit étonnamment beau...

Quel est le disque que tu as acheté ou que tu as vraiment apprécié ces derniers temps ?

Tu sais quoi ? C’est une question piège parce que je n’ai pas trop écouté de musique ces derniers temps. J’ai été tellement absorbé par ce nouveau disque que je n’en ai pas eu le temps, ni l’envie, je crois. Mais l’autre soir, je suis tombée sur ce jeune groupe très prometteur à la radio avec une fille à la voix envoûtante... Je crois qu’ils s’appellent les London Grammar. Je n’ai entendu qu’un titre, mais il m’a vraiment plu et notamment grâce à la voix de sa chanteuse. Ils ont l’air très jeunes !

Récemment, tu as sorti un nouveau site Internet personnel, très léché et très arty avec des photos d’Annemarieke van Drimmelen, des sons et vidéos. Toi qui est maintenant reconnue, si tu étais à la place des London Grammar qui débutent à une autre époque, penses-tu qu’Internet serait une chance ou une menace pour toi ?

Une chose que j’aimerais dire en priorité : les artistes doivent être payés ! Quand tu penses au prix d’un café dans un Starbuck par exemple et le travail et l’engagement que demande un disque, il n’y a pas photo. Un disque ou un titre du disque valent bien un café, non ? Néanmoins, cette technologie ouvre un tel monde aux artistes qu’il est difficile de juger ce média. Comment ? Combien ? Par quel biais ? Je ne comprends pas grand-chose à cette économie, mais quelque part, sans Internet je n’aurais jamais pu écrire Tales Of Us. Donc oui, Internet est une chance qu’il faut surveiller pour ne pas qu’elle ne devienne le grand supermarché des musiques sans marques, sans saveurs et sans valeurs...

D’où vient cette mélancolie douce-amère que tu entretiens ?

Je crois sincèrement que je suis née comme ça... mais je dirais surtout que je suis très, peut être trop romantique plus que mélancolique. Rêveuse, sensible et romantique : cela explique sûrement la mélancolie (rires) ! Je crois que chez les moines, la mélancolie représente la plus sincère manière d’être et d’exister. Et être mélancolique me fait sentir bien…

En un sens, sans mélancolie pas de Goldfrapp et sans Goldfrapp, pas de mélancolie peut-être ?

C’est possible... (rires)