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Diagrams

Interview publiée par Pierre-Arnaud Jonard le 11 mai 2017

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Sam Genders (ex-Tuung, ex-The Accidental) sort avec Dorothy un disque hors-norme, fruit de sa collaboration avec la poétesse américaine Dorothy Trogdon. Un disque de folk intemporel et une belle rencontre entre ce musicien anglais et cette américaine âgée de 90 ans. Sam Genders est un musicien extrêmement talentueux et une personne charmante : deux bonne raisons d'aller à sa rencontre pour qu'il nous parle de cet album.

Comment as-tu connu Dorothy Trogdon ?

A travers une amie commune, Marianne, qui a étudié l'architecture et avait été chez le mari de Dorothy pour un programme d'échange. Dorothy était elle-même une grande architecte. Elle a étudié à Harvard, la poésie n'était qu'un hobby pour elle. Elle n'a pas pu exercer comme architecte du fait d'être une femme. A son époque, elle s'entendait dire que si on la faisait travailler avec des hommes, ceux-ci seraient perturbés. Elle a alors arrêté, est devenue architecte d'intérieur puis s'est occupée de sa famille. Ce n'est qu'à 87 ans qu'elle a été publiée pour la première fois. Mon amie m'a offert son livre de poésie. Dorothy et moi écrivons sur des choses communes comme la nature ou les sciences.

C'est ce qui t'a donné envie de collaborer avec elle ?

Sans doute. A travers des sujets comme les sciences ou la nature, j'apprends à mieux me connaitre.

Les paroles de cet album sont-ils les poèmes de Dorothy ?

Trois ou quatres morceaux sont uniquement ses poèmes : Under The Graphite Sky, I Tell Myself et Everything. Crimsom Leaves contient pour moitié mes mots et moitié les siens. Les autres morceaux sont des titres sur lesquels j'avais une idée et pour lesquels elle m'envoyait des mots. Mots autour desquels je construisais une structure.

C'est peut-être la première fois de l'histoire du rock que quelqu'un fait un disque avec une femme de 90 ans...

Cela m'a inspiré de travailler avec elle. Il n'est jamais trop tard dans la vie pour faire quelque chose. On se dit toujours « je suis trop vieux pour faire ça » ou « je ne vais pas commencer le piano à quarante ans, c'est ridicule ». On peut faire ce dont on a envie à l'âge que l'on veut.

A-t-elle été heureuse du résultat ?

J'en ai l'impression. Je lui ai fait écouter le disque et elle semblait contente.

Le disque a été produit aux États-Unis ou en Angleterre ?

En majeure partie dans le Kent. Cela a été un enregistrement difficile car nous n'avions pas beaucoup d'argent.

J'espérais créer un disque intemporel.

C'est la première fois que tu produis un disque authentiquement folk même si on trouvait déjà des éléments de cet univers chez Tuung...

Oui. C'est ce que je voulais. J'espérais créer un disque intemporel. Notre producteur ne travaille qu'en analogique. J'aime la musique folk mais si j'en écoute, je suis loin de n'écouter que cela.

Il est rare d'entendre un son folk en provenance de Sheffield qui a en général un son post-punk ou industriel...

C'est intéressant. Je dois avouer que je ne connais pas trop la scène de Sheffield. Je n'y ai pas de connexions musicales. Lorsque j'y vais, c'est seulement pour voir la famille...

En quoi ce projet est différent de ce que tu faisais avec Tuung ou fais avec Throws ?

Ce disque est plus expérimental que ce que je propose d'ordinaire. Diagrams est sans doute plus basée sur la mélodie. Il y a quelques éléments électroniques sur cet album mais très peu et il est difficile de les capter.

Tu arrives à mener de front Diagrams et Throws ?

Je suis très occupé car en dehors de mes projets musicaux, je suis professeur de guitare au collège. C'est un boulot passionnant. J'ai appris beaucoup à travailler avec Dorothy qui a 90 ans comme j'apprends beaucoup au contact de mes jeunes élèves. Les voir progresser musicalement est source de joie pour moi.

Les morceaux de cet album sont très courts. Est-ce une volonté de coller à la forme poetique ?

Un peu. Ces dernières années, j'ai fait du songwriting pour des gens, ce qui est un gros challenge et m'a appris dans la façon de construire des titres. Certains morceaux du disque sont comme de petites compositions. J'aime cette idée. Il y a quelque chose de contemplatif dans ce disque de par la forme qu'il revêt.

On y décèle une grande pureté comme dans les albums de Nick Drake. Te sens-tu proche de son écriture ?

Oui, absolument. Il fait partie de mes héros.

Avec Dorothy, nous passons beaucoup de temps à méditer, à essayer de comprendre comment être heureux sur terre.

Tu es un intellectuel, tu aimes penser le monde, réfléchir sur ce qui t'entoure mais ce disque n'est pas un disque intellectuel mais émotionnel...

Merci. Avec Dorothy, nous passons beaucoup de temps à méditer, à essayer de comprendre comment être heureux sur terre. J'ai tendance parfois à sur-intellectualiser les choses. Ce disque est émotionnel mais n'est pas triste, plutôt mélancolique.

Tu lis tu beaucoup de poésie à part celle de Dorothy ?

Pas tant que cela. J'ai des livres de poésie, en lis à l'occasion mais pas tous les jours. J'apprécie une poète de Sheffield, Helen Mort, qui mériterait d'être plus connue.

Vas-tu jouer ce disque live ?

C'est possible. Je suis ouvert par rapport à ça. Si quelqu'un est intéressé pour que je le joue live, je suis prêt à le faire.

Tu as choisi pour le financement de ce disque le crowdfunding. Tu penses qu'il est devenu impossible de faire de la musique sans financement participatif ?

Je ne dirai pas impossible mais c'est de plus en plus difficile de sortir de la musique. Je n'ai pas beaucoup démarché les labels pour ce disque, pensant rapidement à l'idée du crowdfunding. J'étais pressé par le temps avec mes autres projets et je voulais absolument que ce disque sorte cette année, pour Doroyhy aussi. Le crowdfunding était la solution la plus adaptée pour ce projet. En plus, cela a très bien marché. On continue maintenant la campagne pour la distribution.

Le disque est une auto-production ?

Oui. On a tout payé nous-mêmes. Tu aimerais ne pas avoir à penser à l'aspect financier lorsque tu sors un disque mais tu y es obligé. Aujourd'hui, les labels ont moins d'argent pour les artistes. L'auto-production est une bonne solution.