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Ride

Interview publiée par Cassandre Gouillaud le 13 juin 2017

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Deux décennies après son heure de gloire, le shoegaze, comme ses héros, ne semble pas avoir dit son dernier mot. Parmi les nombreux retours des derniers années, il y a eu celui de Ride, réunis en 2015 pour une série de concerts sans qu'une suite ne soit alors annoncée. C'est à présent chose faite, avec la sortie prochaine de Weather Diaries, cinquième album du groupe, à l'occasion de laquelle nous avons pu rencontrer Laurence Colbert et Andy Bell.

Après une série de concerts en 2015, vous êtes maintenant de retour avec un nouvel album. Est-ce un projet que vous aviez déjà en tête au moment de votre reformation, ou est-il venu par la suite ?

Laurence : L'idée d'un nouvel album a toujours été présente en arrière-plan, sans pour autant être définie. Il fallait que l'on joue ensemble en concert pour savoir si cela serait possible. Il nous en a fallu quelques uns pour prendre conscience que nous étions à nouveau Ride. Au début, on pensait que l'on pourrait peut-être enregistrer un album, puis au fur et à mesure, que nous devrions le faire. C'était la dernière étape.
Andy : On pourrait, mais... est-ce qu'on devrait ? (rires)
Laurence : Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?

Est-ce qu'il y a eu un moment, ou une personne en particulier, qui a été décisif dans la prise de décision ?

Laurence : Je ne crois pas que ça se soit passé comme cela. Le processus a été plus graduel. Dès que nous avons annoncé cette série de concerts ensemble, nous savions que c'était une possibilité. C'était potentiellement plus que quelques concerts. A partir du moment où on s'est retrouvés sur la route ensemble, nous savions que nous allions soit tout droit dans une impasse soit vers plus de musique. On espérait tous qu'on irait vers plus de musique.

Nous pouvons être plus directs entre nous, car chacun a existé en dehors du groupe et connu d'autres expériences.

Vous avez tous les deux eu d'autres expériences musicales depuis la séparation du groupe. Pensez-vous qu'elles influencent la façon dont vous travaillez ensemble maintenant ?

Andy : Oui, certainement. Nous pouvons être plus directs entre nous, car chacun a existé en dehors du groupe et connu d'autres expériences. Avant, on avait tendance à tout mélanger. Ça nous a aussi rendus plus concentrés et déterminés. Tout le monde connaît ses points forts, ce qui rend notre travail ensemble bien plus simple.

Votre dernier album, Tarentula, est sorti il y a vingt-et-un ans. Après avoir travaillé sur Weather Diaries, est-ce que vous diriez que votre processus de création a changé entre temps ?

Laurence : C'est la même chose, mais... le processus peut être assez différent, donc j'imagine que ce n'est pas la même chose (rires). Le résultat est similaire, mais pas les procédés par lesquels on y arrive. Maintenant, nous sommes beaucoup plus aidés. Par exemple, si dans les années 1990, j'avais voulu utiliser un passage d'une démo pour un titre, la qualité aurait été horrible. La démo aurait été enregistrée sur une cassette, un support qui était ensuite inutilisable. Maintenant, on a tous des ordinateurs portables qui nous permettent d'enregistrer individuellement. Utiliser une démo est devenu aussi facile que de mettre un fichier sur Dropbox. Je te parle de ça, mais globalement, c'est tout le processus qui a été simplifié. C'est beaucoup plus facile d'avoir une idée et de l'enregistrer. Avant, quand tu avais une mélodie en tête, il fallait l'enregistrer sur une cassette. Si tu voulais jouer un passage de guitare à l'envers, tu devais physiquement retourner la cassette pour pouvoir jouer le morceau dans l'autre sens. Ensuite, il fallait attendre la section qui t'intéressait, te demander si c'était la bonne, et enfin jouer quelque chose qui semblait pas mal... à l'envers. C'était presque un jeu de devinettes. Tu retournes ensuite la cassette à l'endroit et tu écoutes le résultat. C'est quelque chose qu'on faisait beaucoup sur les premiers albums de Ride. Maintenant, tu presses juste un bouton pour entendre ce que tu as enregistré à l'envers. C'est devenu aussi simple que cela. Après, tu peux le partitionner et l'éditer facilement. En fait, ton imagination reste la même, mais les outils que tu utilises sont bien meilleurs.

Si les outils sont plus développés, est-ce que cela ne vous permet pas aussi d'imaginer beaucoup plus de choses ?

Laurence : Oui, sûrement.
Andy : On peut se permettre plus de folies !
Laurence : En théorie ! On a utilisé pas mal d'effets, dont un qui ralentit considérablement la mélodie. Tu peux prendre un simple mot et l'étendre au point qu'il dure trois jours. Quand tu l'entends, tu as l'impression que quelqu'un a passé six mois dans un studio pour enregistrer une sorte de gros vrombissement. À la fin tu te dis « putain, c'est quel album de Brian Eno celui-là ? » (rires). Tout ça pour dire qu'aujourd'hui, si on pouvait sortir un album qui durerait trois jours, on n'aurait qu'à utiliser TimeStrech pour faire durer les accords. C'est tellement simple qu'on en vient presque à se dire qu'on devrait plus utiliser ces effets. Mais en même temps, si on les utilisait plus, on finirait avec quelque chose d'assez bizarre... (rires)
Andy : Lorsqu'on enregistrait l'album, on entendait constamment différentes versions finales. On avait plusieurs plans alternatifs.
Laurence : C'est vrai. Il y a beaucoup de parties qui sont sur l'album, mais qui sont cachées. Quand on les sépare et qu'on les écoute individuellement, j'ai presque l'impression qu'on pourrait en faire un album entier.

En ce qui concerne l'après, il semble que l'arrivée des réseaux sociaux a aussi totalement changé la façon dont est gérée la promotion des albums et concerts...

Laurence : Totalement ! Il n'y a qu'à voir la façon dont notre retour a été annoncé. Lorsqu'on est tous tombés d'accord là-dessus, on a gardé la nouvelle pour nous quelques semaines. On nous avait communiqué une date pour l'annonce, qui devait plus ou moins coïncider avec celle du Primavera Sound Festival, qui était alors notre date principale. Ce sont donc eux qui ont obtenu le droit de la révéler, en déroulant une énorme banderole « Ride » sur un immeuble à Barcelone. On ne savait pas du tout que cela allait arriver, personne ne nous avait prévenus ! Mais ils ont juste eu à faire ça et les réseaux sociaux ont fait tout le boulot derrière. J'imagine qu'il y a juste eu besoin de quelqu'un pour confirmer ce que cela voulait dire. C'est devenu tellement fou tellement rapidement.

Est-ce que toute cette attente du public vous a apporté un supplément de pression ?

Andy : Quand tu y penses, je crois que ce n'est pas si éloigné des fanzines de l'époque et de tout le réseau qu'il y avait derrière. Ce qu'il se passe avec les réseaux sociaux, c'est que les fans peuvent interagir beaucoup plus avec le groupe. C'est sans doute plus excitant car ils peuvent faire partie de quelque chose.
Laurence : C'est assez comparable. Le mec qui était à la tête de l'un de nos fanzines a maintenant un compte Twitter non-officiel sur le groupe. C'est la même chose, c'est le même mec qui est toujours un grand fan du groupe. Il a d'abord intégré la culture du fanzine pour ensuite l'améliorer. Il suffit qu'il commente un concert à travers un hashtag pour que d'autres personnes fassent de même et rejoignent la conversation. Les gens qui s'y intéressent sont capables de vivre presque chaque concert en temps réel, car il repartage immédiatement les setlists, des photos et des vidéos que ceux qui y assistent lui envoient.
Andy : Il est toujours à la tête d'un magazine papier d'ailleurs, ce qui est plutôt drôle maintenant. (rires)

Il semblerait, avec les nombreux retours et reformations de groupes qui ont eu lieu au cours des dernières années, que le shoegaze semble toujours susciter beaucoup d'attente. Comment est-ce que vous expliqueriez cela ?

Laurence : Je crois qu'il faut d'abord remercier pour le Primavera Sound Festival pour ce qu'il s'est passé. Ce sont eux qui ont appelé My Bloody Valentine en premier. Ensuite ils ont eu Slowdive, puis Ride. Je crois que les Jesus & Mary Chain ont fait leur propre truc avec Psychocandy en revanche.
Andy : Ils se sont reformés avant Slowdive non ? En tout cas c'est vrai, il y a eu au moins un gros retour par an dans les quatre ou cinq dernières années.
Laurence : En ce qui nous concerne, c'est grâce au Primavera Sound Festival que tout cela a pu arriver. Au sein du groupe, c'est Mark qui a été l'architecte de notre retour. Celui qui a donné le signal quand le moment est venu. Ça faisait un moment qu'on laissait traîner les choses, qu'on se disait qu'on le ferait peut-être si une occasion se présentait. Un jour, on s'est rendus compte que l'on avait plusieurs offres très sérieuses qui pourraient faire une belle série de concerts. Le plus incroyable, c'est que c'est arrivé à un moment où nous avions du temps libre alors qu'il se passe pas mal de choses de chacun de notre côté. On a été plutôt chanceux.
Andy : C'est assez drôle car le shoegaze était depuis toujours un truc d'outsiders, qui n'avait jamais vraiment eu vocation à devenir mainstream. Mais il semblerait que le genre devienne de plus en plus populaire.
Laurence : S'il doit y avoir une quelconque raison derrière le succès de ces groupes, c'est que les concerts sont presque une expérience physique. Ce n'est pas aller à un concert et entendre de la musique. Imagine que les Stones, ou Queen... non, pas Queen, U2 ou n'importe quel grand groupe donne un concert. C'est un spectacle, une série de chansons. Ils jouent les morceaux les plus connus à la fin, et avec les années la scénographie est devenue meilleure. Mais au final, c'est un concert. My Bloody Valentine, nous, peut-être les autres, on essaie d'agresser... enfin, pas agresser ! (rires) On essaie de transmettre quelque chose au public par le biais du volume. C'est un peu différent. Certaines chansons deviennent presque des tests d'endurance. My Bloody Valentine peuvent parfois prolonger ça pendant vingt minutes. C'est une expérience en elle-même que tu ne peux ni vivre ailleurs, ni télécharger. C'est sans doute ce qui fait que notre public se déplace toujours en concert aujourd'hui.
Andy : C'est encore mieux avec la technologie, qui nous permet de faire encore plus fort qu'auparavant. On peut incorporer de nouveaux effets sonores en 3D dans notre live, qui contribuent à créer toute une expérience sensorielle. Le shoegaze a aujourd'hui trouvé un moyen de s'exprimer un peu mieux qu'il ne le faisait avant.

Je crois que nous avions déjà les idées il y a vingt ans, mais que nous n'avions pas les moyens de les réaliser aussi bien que maintenant.

En parlant de nouveaux sons, il m'a semblé que Weather Diaries comportait des sonorités électroniques qui n'étaient pas si présentes chez vous auparavant...

Laurence : Elles sont arrivées assez naturellement dans le processus d'écriture et d'enregistrement. Les claviers étaient présents sur plusieurs des démos que nous avions enregistrées. En fait, il y avait déjà quelques moments assez similaires sur nos albums précédents. Les gens pourraient être surpris de savoir à quel point Steve est fan de New Order par exemple. Je crois que nous avions déjà les idées il y a vingt ans, mais que nous n'avions pas les moyens de les réaliser aussi bien que maintenant.

Quand vous êtes rentrés en studio, est-ce que vous aviez déjà une idée de ce que vous vouliez pour cet album ?

Laurence : Lorsque nous sommes arrivés en studio, on avait déjà une structure générale de quinze chansons. Tout était presque prêt - ou du moins dix sur les quinze, plus cinq autres qui étaient presque là. On savait ce que l'on voulait mettre dans l'album, et il n'y avait plus qu'à le finir.

Est-ce que vous pensiez à ce moment à la réaction que pourrait avoir le public ? Ce qu'il pouvait attendre vingt ans après ?

Andy : En fait, tout cet aspect était plutôt excitant pour nous. Dès les premiers jets, tout cela nous est apparu comme un grand secret que nous avions super hâte de pouvoir dévoiler. Pour moi c'est une version améliorée de Ride qui est derrière cet album et j'ai hâte que le public puisse l'entendre.

D'où vient le titre de cet album, Weather Diaries ?

Laurence : Toutes les chansons étaient déjà là, et une d'entre elles s'appelait déjà Weather Diaries. Lorsqu'il a fallu commencer à connecter tous ces points, on s'est retrouvés avec beaucoup de choses qui rappelaient des phénomènes météorologiques. Weather Diaries est la chanson qui ouvre la seconde moitié de l'album, qui est la préférée de tout le monde je crois. On l'a tellement jouée (rires). On a ensuite eu cette idée de faire de cette seconde partie un orage. On l'a créé en jouant des sections abstraites par-dessus l'album pour créer un son assez unique, qui ressemble à un orage qui éclate avant que le soleil ne revienne. Comme ce passage était épique, on a pensé que le morceau ferait un bon titre éponyme.
Andy : Il y a aussi beaucoup d'allusions dans les paroles, qui parlent de levers de soleil ou de choses comme ça. Mais cela ne venait pas d'un projet bien défini. On a intégré des choses, et une fois qu'elles étaient là, on a réalisé qu'il y avait un élément qui venait après un autre et d'un seul coup tout a fait sens, comme une sorte de conspiration (rires). Bizarrement, il y a une sorte d'idée de résistance dans l'album. Le fait de survivre à l'orage comme une expérience de vie. Donc ce n'est pas que le temps comme un phénomène géologique, mais aussi affronter la vie, l'orage, pour nous retrouver plus tard à un point donné de nos vies.
Laurence : C'est vrai, c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles ça marche. Le temps représente ce que tu ne peux pas contrôler autour de toi, un peu comme le contexte politique ou mondial. À part si tu vises explicitement à en prendre le contrôle, ce sont juste des choses qui t'arrivent. C'est encore un thème qui domine les paroles.

Est-ce que c'est un album que vous auriez pu écrire vingt ans auparavant ?

Laurence : Les thèmes abordés dans les paroles ont changé, quoique le thème majeur reste toujours l'échappement. Au début, c'était m'échapper d'Oxford, de la ville dans laquelle j'étais né. Maintenant, c'est juste m'échapper de la planète. (rires)

Pensez-vous que la musique, et les artistes, ont justement un rôle à jouer dans ce nouveau contexte ?

Laurence : Oui ! La musique inspire et conforte les gens. Elle te fait te sentir moins seul et plus puissant. C'est une expérience géniale, c'est aussi simple que ça. Je ne pense pas que ça puisse changer le monde, mais le fait d'écouter de la musique peut te changer toi, en tant que personne.