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Ghostpoet

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 13 mai 2020

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A vingt-quatre heures de la sortie de son cinquième album, Obaro Ejimiwe aka Ghostpoet est partagé entre la gravité du moment et l'excitation de pouvoir faire écouter au monde I Grow Tired But Dare Not Fall Asleep. Après un bavardage de rigueur sur nos confinements respectifs dont nous n'avons pas à nous plaindre et les avantages et inconvénients de Zoom que nous utilisons pour l'interview, j'aborde le vif du sujet assez directement.

Ton album est très sombre et tendu. D'où vient cette anxiété ?

C'est quelque chose que j'essaie de comprendre moi-même à travers les interviews que je fais en ce moment. Ce n'est pas délibéré. C'est plutôt quelque chose d'inconscient qui vient du monde qui m'entoure, de conversations, d'articles que je lis, des films que je regarde, de ce que j'observe... Tout cela va se retrouver dans ma musique ou mes textes. J'ai toujours essayé d'être au diapason du monde qui m'entoure. C'est dans ma nature artistique de faire des choses obscures, et de proposer une musique qui va toucher les gens. Ce n'est pas nécessairement qui je suis au quotidien, c'est une autre partie de ma personnalité qui documente les souffrances du monde.

J'imagine que c'est dans la nature d'un musicien “d'être au diapason”. Comment fais-tu pour être en harmonie avec le monde?

J'essaie d'être le plus immerger dans le monde et de m'investir dans les choses du quotidien. La musique représente 30% de mon temps et pour le reste j'essaie juste de vivre ma vie. J'aime l'idée d'être un artiste sombre, mais ce n'est qu'une partie de ma personnalité et de ce que je fais.

Justement, que fais-tu en dehors de la musique?

Je fais de la photo, j'ai une station de radio online que j'ai lancée il y a quelques années (ndlr : Radio Margate) et dans laquelle je me réinvestis en ce moment. Je fais aussi des doublages de voix. J'adore la musique mais je ne veux pas la prendre trop au sérieux, je veux continuer à l'apprécier et à la traiter comme un hobby, même si c'est mon boulot. En fait, je ne veux pas que ce soit juste un boulot si tu vois ce que je veux dire.

Je suis allé sur ton compte Instagram, il n'y a pas grand chose. Que fais tu de tes photos ?

(ndlr : Il le prend plutôt bien et rigole) Rien en fait. Je suis obsédé par la photographie depuis un bon moment, j'ai des appareils pas mal, des livres et tout ça. C'est pour beaucoup des sortes de reportages, souvent empreints d'humour noir. Ce que j'aimerais c'est sortir un livre de photographies avec des histoires qui leur seraient attachées. J'aimerais aussi pouvoir les exposer, mais j'ai besoin de trouver le temps et la motivation pour le faire correctement. Je ne les mets pas sur Instagram parce que je n'en éprouve pas le besoin. Je n'aime pas l'idée de devoir constamment nourrir le flux d'Instagram. Je les garde offline, pour le moment en tout cas.

Pour rester dans l'univers graphique, peux-tu nous parler de la pochette de I Grow Tired But Dare Not Fall Asleep ?

L'idée vient de mon manager. Je lui ai dit que je voulais être sur la pochette d'une manière ou une autre. Il a un diplôme en histoire de l'art et il m'a envoyé des images inspirées de la musique. Parmi elles, Le Cauchemar de Füssli. J'ai tout de suite su que c'était ce que je voulais pour la pochette. J'adore le nom, l'idée de cette femme dormant sans savoir ce qui se passe autour d'elle. Ce côté maléfique m'a interpellé et je l'ai trouvé proche de l'univers du disque. Je voulais le recréer et me mettre à la place de la femme et ajouter quelques éléments de ma vie dans le coin. Je suis très content du résultat.

Comment s'est passée l'écriture et l'enregistrement de l'album ? Comment travailles tu?

Je commence toujours par un tas de démos et de mémos. Quand il est temps pour moi de faire un disque, je regroupe toutes les idées qui évoquent le monde qui m'entoure. J'avais déjà environ vingt-cinq chansons. J'ai voulu produire produire l'album moi-même, et je suis entré en studio assez rapidement avec des amis, anciens et nouveaux. J'ai voulu reproduire une méthode que Phil Brown a utilisée avec Talk Talk sur leur deux derniers albums. Il raconte dans son livre Are We Still Rolling que pendant les sessions les musiciens apportent les bases d'un morceau et ajoutent ce qui les inspire. Je sais à l'avance ce que j'attends pour les différentes parties et je peux diriger les musiciens en leur demandant un peu plus de ci ou de cela. Et puis pendant la post-production, je trie les différents éléments et peaufine les arrangements. On est restés trois mois en studio, j'étais très pointilleux et j'ai fait beaucoup d'expérimentations sur la technique pour être sûr d'obtenir le son que je voulais.

Quand as tu su que l'album était terminé ?

J'avais une deadline pour pouvoir le sortir demain (ndlr : l'interview s'est tenu la veille de la sortie). Je sais que c'était fini quand j'ai enlevé tout le gras autour des morceaux et qu'il ne reste que les éléments vitaux. Qu'il ne reste rien qui ne soit absolument nécessaire.

Que sont devenues les chansons que tu n'as pas utilisées ?

Je savais que je voulais dix chansons pour cet album. Certaines seront développées plus tard, d'autres n'allaient pas avec le monde que je voulais créer sur cet album.

Les deux premiers singles sont très différents. Concrete Poney a une ambiance très oppressante alors que Nowhere To Hide est plus énergique. Comment s'est fait le choix des singles ?

C'est le choix du label, je les laisse choisir et ils me tiennent au courant (rire). Je comprends pourquoi il faut des singles, mais le choix m'importe peu. Je ne pense pas en terme de singles, je me suis concentré sur l'album. Ce choix m'a amusé parce que l'album est si varié que je savais que personne n'aurait une idée de ce à quoi il ressemblerait vraiment en écoutant Concrete Poney.

Peux tu nous parler de la vidéo ?

Malheureusement on devait aussi tourner une vidéo pour Nowhere Tto Hide quand le confinement a commencé. Celle de Concrete Poney a été dirigée par Thomas James. J'avais reçu plusieurs propositions pour ce clip, et la sienne s'est vraiment démarquée. Pour toutes les vidéos je veux rencontrer le réalisateur et discuter les idées. C'était vraiment agréable d'échanger avec lui. Il m'a poussé hors de ma zone de confort. Ca faisait un moment que je n'avais pas été dans un clip et j'avais vraiment envie de le faire. Je suis un artiste solo, je pense que c'est important d'être présent et que les gens puissent me voir. Le tournage a été très intéressant et je me suis bien amusé.

This Train Wreck Of A Life commence en français. Qui a écrit le texte ?

Je l'ai écrit en anglais et Sarasara qui le récite l'a traduit en français. Quand je travaillais sur l'arrangement je voulais quelque chose de différent de la structure habituelle couplet/refrain. J'avais envie d'une ambiance et d'arrangements à la Serge Gainsbourg avec des cordes et j'ai eu envie de commencer avec un poème, qui du coup devait être en français. Je voulais que Sarasara soit sur cette chanson et ça s'est fait assez naturellement. Elle fait de la traduction et je savais qu'elle pourrait traduire mon texte. C'est une chanson d'amour sur l'autre facette de l'amour, une relation toxique sur la possibilité d'aimer quelqu'un tout en ressentant de la haine. J'adore les chansons d'amour mais elles sont souvent un peu écoeurantes. Je voulais faire une anti chanson d'amour. Je voulais questionner la part de l'amour dans une relation.

Ta tournée a été annulée, est-ce que ça te manque ?

Oui, bien sûr. J'adore jouer live, j'ai un groupe super et j'avais vraiment hâte de jouer les nouvelles chansons en live parce que je suis sur qu'elles auraient été super. Je me suis fait à cette idée, mais les premières semaines ça a été difficile pour moi de me dire qu'il n'y aurait pas de tournée. Je ne peux rien y faire donc je ne préfère pas me rendre malade avec ça. Maintenant je dois faire ce que je peux depuis mon appartement pour promouvoir l'album en attendant la tournée en octobre (ndlr : le 16 à Paris et le 19 à Bruxelles).

Merci pour cette interview. As tu un mot de la fin ?

L'album sort demain, j'en suis très fier et j'ai hâte que les gens puisse l'écouter, et je l'espère l'apprécier.