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Tindersticks

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 23 mars 2022

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Trente ans de carrière, cela se fête ! Avec un Best Of et une tournée à suivre, les Tindersticks ont trouvé la formule la plus appropriée pour cette célébration. Stuart Staples nous a fait l'honneur de discuter avec nous, une fois encore. Humble, délicat et passionnant, il nous a expliqué comment Past Imperfect : The Best Of Tindersticks '92-'21 a été conçu. Il nous a aussi parlé de son amour pour le vinyle et de sa rencontre avec Robert Pattinson. Retour sur ce très bel échange lors d'une matinée ensoleillée.

Comment avez-vous procédé pour sélectionner les morceaux de Past Imperfect : The Best Of Tindersticks '92-'21 ?

Ce fut la chose la plus litigieuse pour nous. Tous les fans du groupe ont leur propre Best Of. Mais pour moi, c'est surtout un double album avec cinq chansons par face, vingt-cinq minutes de durée pour le vinyle. Nous réfléchissons toujours en termes de format vinyle pour nos albums et c'était important de fonctionner par ordre chronologique. Je voulais que chaque face soit représentative de chaque période du groupe. La première concerne donc les deux premiers albums, la seconde de Curtains à Waiting For The Moon. Cela nous amène avec le second vinyle à la nouvelle mouture du groupe. La troisième face est donc cette formation qui se cherche et se trouve. Le dernier quart représente nos quatre ou cinq dernières années, et est probablement plus éclectique. Voilà un peu comment a fonctionné le choix des titres de ce disque. Ils ont dû plaire à l'ensemble du groupe autant que possible. Il en a été de même pour le label, City Slang. Il est probable que, personnellement je n'aurai pas choisi certaines chansons de ce Best Of. Mais ce fut un choix démocratique et j'espère que ce disque sera plaisant à écouter car il représente un vrai patchwork de la progression musicale de notre groupe.

A-t-il été nécessaire de réécouter l'ensemble de vos compositions afin de sélectionner les titres présents sur le Best Of ?

Nous avons dû les écouter ensemble pour que le choix puisse être collectif. Il y a des chansons très importantes qui ne figurent pas sur le disque, mais cela ne relève que de choix que nous avons dû effectuer. Ce fut très difficile. Marbles n'est pas présent alors que c'est vraiment une chanson très importante pour nous, idem pour No More Affairs. She's Gone est la chanson préférée que j'ai composée, et elle n'est pas non plus dessus. Mais avec des morceaux tels que City Sickness, Tiny Tears, My Sister ou Travelling Light, il y a un vrai niveau d'égalité et c'est davantage la forme que cela a révélé lors de l'écoute, et qui nous a incité à faire ces choix. My Sister est une très longue chanson, mais lorsque nous avons essayé de ne pas l'inclure pour disposer de davantage d'espace, nous nous sommes rendus compte qu'il était impossible qu'elle n'y figure pas. C'est une pièce de musique iconique dans notre progression et elle ne pouvait qu'être présente sur la compilation.

Aucune chanson de The Hungry Saw ne figure sur le disque, alors que c'est l'album de votre reformation. Est-ce un disque mal-aimé ?

Pas du tout. C'est vraiment un disque que j'adore. Ce fut un moment vraiment très spécial pour nous. Avec Thomas Belhom, l'enregistrement des chansons en studio, je m'en souviens comme si c'était hier. La face trois du disque, c'est vraiment le nouveau line-up des Tindersticks et pendant Falling Down A Mountain, nous apprenions à nous connaître. Avec The Something Rain quelque chose de très fort nous est arrivés et à mon sens cinq chansons de ce disque méritaient de figurer sur le Best Of des Tindersticks (rires). Slippin' Shoes, A Night So Still pourraient y figurer à mon sens. C'est vraiment une question d'espace qui fait qu'il n'a pas été possible de faire exactement ce que nous voulions. Mais vraiment j'adore The Hungry Saw. The Other Side Of The World, The Organist Entertains ou The Flicker Of A Little Girl sont autant d'exemples de chansons qui sont très chères à mon cœur.

Vous ne vouliez pas faire un triple album avec trente morceaux pour célébrer vos trente années de carrière ?

Bien sûr, nous aurions adoré sortir un triple album, mais cela aurait été très stressant. Je tenais à ce que nous restions élégants. Je ne voulais pas que ce soit trop long, que cette invitation à un voyage musical pour nos trente ans de carrière ne paraisse pas interminable (rires). Ce disque peut peut-être servir d'introduction à ceux qui n'ont pas vraiment écouté notre musique depuis longtemps ou pour ceux qui n'ont découvert que récemment nos dernières productions. Délivrer trente morceaux aurait en effet pu être quelque chose de simple à assembler pour nous, mais cela ne nous paraissait pas très digeste.

Il n'y a pas non plus de morceaux de Distractions, votre dernier disque en date. Est-ce parce que ce disque est assez particulier dans votre discographie ?

Les deux morceaux de Distractions que j'aurai aimé inclure dans le Best Of durent chacun dix minutes (rires). Je pense que Both Sides Of The Blade, qui a été composé pour Claire Denis, est vraiment une chanson très particulière et c'était important de lui trouver un endroit où elle pouvait figurer, afin qu'on lui donne l'attention qu'elle mérite. De plus, les autres chansons qu'on trouve sur la dernière face du disque ne pouvaient qu'y figurer. Peut-être aurions-nous pu en ajouter une ou deux autres de No Pleasure But Hope. Pour The Waiting Room, le choix me parait plus compliqué. Donc cela est simplement dû à des choix en lien avec des périodes de notre discographie, mais absolument rien d'autre. Certains feront leur Best Of avec nos trois premiers albums. Pour nous ce fut complexe à réaliser.

Est-ce que Both Sides Of The Blade a été composée récemment ?

Oui, c'est probablement la seule chanson que nous avons écrite l'année dernière.

Tu ne penses pas qu'il y aura une bande originale de ce film, mais juste cette chanson ?

Je l'espère, mais il est possible que ça ne sorte pas en vinyle. Nous avons tous différentes raisons de devenir dingues à cause du vinyle. C'est devenu de plus en plus compliqué de presser des petites quantités de vinyles. C'est vraiment difficile pour moi car ce format a toujours occupé une très grande part de ma vie. Mais maintenant, c'est de plus en plus difficile de presser des vinyles. Il semblerait que le fait que cela soit devenu mainstream engorge toute la production. De plus, ce n'est pas le format qui est le plus écologique. Cela me met mal à l'aise avec mon amour du vinyle. Peut-être faudra-t-il que je revienne au CD pour sortir quelque chose en physique ? (rires) J'aime les supports physiques, mais le vinyle est devenu quelque chose de délicat.

L'époque où il y avait des CD singles et des 45 tours avec des inédits qui sortaient à foison te manque ?

Oui, ça me manque. Both Sides Of The Blade est en fait un 45 tours que tu pouvais obtenir en précommandant le coffret vinyle sur notre site. Ça me donne une raison d'encourager City Slang à encore presser des 45 tours. Je tenais à avoir Both Sides Of The Blade dans ma collection de quarante-cinq tours, tout comme ce fut le cas pour Willow. Il y a vraiment des chansons pour lesquelles je dois vraiment trouver un moyen de faire exister ces choses. J'aime beaucoup le format 45 tours. J'aime particulièrement ceux parus chez Lucky Dog. Ils sont importants pour moi.

Il y a un live enregistré à Glasgow en 2008 qui accompagne votre Best Of dans son édition limitée. Ce concert était déjà en vente en CD lors de certaines de vos tournées. Est-ce que c'est un concert qui a beaucoup d'importance pour vous ?

Oui, tout à fait. Tu disais qu'il n'y a pas d'extrait de The Hungry Saw sur le Best Of, mais le live a été enregistré lors de la tournée de cet album. En 2008, quand nous avons sorti The Hungry Saw, nous devions donner cinq concerts. Nous ne savions pas s'il y en aurait davantage. Le groupe avait un nouveau line-up et nous ne comptions pas jouer de vieux morceaux. C'était vraiment concentré sur ce nouveau disque. Lors de la dernière nuit de ces cinq concerts, nous étions aux Folies Bergères et ce fut une soirée très spéciale. Et finalement après celui-ci, nous avons donné soixante ou soixante-dix concerts supplémentaires au cours de l'année. Cet enregistrement de celui de Glasgow a une atmosphère spéciale. On sent un désir dans notre musique, une célébration également, un renouveau. C'est un moment où nous nous sommes découverts et avons recalibré les choses, nous les avons faites à nouveau d'une manière différente. The Hungry Saw est la raison pour laquelle nous sommes là aujourd'hui. Même si je sais que Mind Bodies n'est pas notre disque le plus accessible ou celui qui a eu le plus de succès, nous avons grâce à lui avancé dans la créativité et cela nous a permis de nous retrouver dans la phase suivante de notre carrière, avant la prochaine, etc... C'est important de ne pas être contraint de faire les choses juste pour faire les choses, et donc de sortir un coffret que les gens attendent.

Il y a des duos sur le Best Of, Travelling Light et Sometimes It Hurts. Y a-t-il des collaborations que tu aurais aimé faire mais qui ne se sont pas réalisées ?

J'aurai aimé faire davantage de duos avec Lhassa. Depuis qu'elle n'est plus là, l'idée de faire des duos est devenue compliquée pour moi. Il m'a fallu beaucoup de temps pour rencontrer Lhassa, mais ce fut beaucoup plus qu'un simple duo. J'ai pris plaisir à ce moment autant qu'une relation peut te donner du plaisir à un très haut niveau. C'est une grande source de regrets pour moi de ne pas savoir ce que nous aurions pu faire ensemble.

Tu interprètes la version de Willow sur le Best Of. Sur la bande originale du film, c'est Robert Pattinson qui chante. Pourrais-tu nous raconter comment cela a pu se produire ?

Alors que je travaillais sur la bande originale de High Life, j'ai écrit cette chanson, mais c'était moi qui chantais. J'ai écrit la plupart des compositions avant que le film ne soit tourné. Claire Denis a donc utilisé la musique en studio pour apporter une ambiance au film. Robert voulait intégrer ma musique afin d'entrer davantage dans le rôle du personnage. Ce sont donc des émotions qui sont apparues pendant le film en utilisant cette musique et cela a mieux fonctionné plutôt qu'en devant créer de la musique en fonction des différentes scènes. Cette musique était vraiment en lien avec ce que le script m'avait fait ressentir. Dans le film, Robert chante cette berceuse, Willow, a capela. J'ai dit à Claire que cela pourrait être la chanson de Robert et qu'il devrait peut-être la chanter. Robert s'est montré très disponible pour l'enregistrement. Nous nous sommes rencontrés à Londres. Nous avons passé une après-midi ensemble. J'avais amené ma version enregistrée. Nous avons travaillé ensemble pour créer sa version de la chanson. Dès qu'il a ouvert sa bouche et commencé à chanter la première ligne des paroles, je savais que ce serait fantastique, que cela fonctionnerait vraiment très bien. Peut-être qu'en fait c'est la version finale de la chanson. Mais, depuis, je l'ai chantée tous les soirs pendant la tournée. C'est une de mes chansons préférées. C'était devenu une évidence pour ce disque, que ma version chantée devait y figurer.

Vous ne vouliez pas ajouter un disque supplémentaire avec des raretés, comme We Have All The Time In The World ou A Marriage Made In Heaven. Était-ce trop compliqué à compiler ?

Nous nous sommes intéressés aux raretés que nous pouvions sortir au titre d'un compagnon de ce Best Of. Pour certains, ça aurait été quelque chose d'idéal. Mais pour nous, sortir le live de Glasgow en vinyle était vraiment plus important. Je pense que nous ne sommes pas les bonnes personnes pour nous engager dans ces moments d'indiscrétion. Nous ne sommes vraiment pas les meilleurs pour dire "Cette chanson est vraiment top, nous devons l'inclure dans notre best-of". Quelqu'un d'autre le ferait, mais pas nous. Figurer dans notre Best Of parce que c'est quelque chose de rare n'est pas un critère de sélection pour nous.

Tu as donné des concerts assez intimes avec Dan à la fin de l'année dernière. Est-ce que c'était déjà une façon de célébrer vos trente ans de carrière ?

C'était surtout une manière de célébrer la chance d'être avec des gens et de chanter pour eux (rires). Ce n'était pas possible pour nous d'être plus nombreux pour jouer. Nous avons donc organisé ces concerts en duo, sans pression. Cela nous a permis d'apprendre beaucoup de choses, notamment de réaliser combien c'est magnifique de chanter pour les gens, avec le contexte sanitaire que nous avons connu. Pendant cette période, j'ai passé beaucoup de temps dans mon studio, et de temps en temps, je me mettais à chanter. Et là, je chantais tous les soirs, et c'était tellement différent que de chanter et de faire la musique juste pour moi. J'ai réalisé combien cette part de moi-même avait besoin d'avoir cette connexion et de chanter pour les gens. J'ai beaucoup appris et c'est très important pour moi car avant le confinement, je tenais ces moments pour acquis.

Vous allez bientôt tourner avec un orchestre à cordes. Est-il possible d'en savoir un peu plus ?

Une des choses que nous voulions, et cela même avant la pandémie, c'était d'emmener avec nous des personnes, comme une famille au sens large. Il y a des gens qui ont marqué notre musique depuis très longtemps. Le chef de notre section à cordes à Abbey Road en 1995 pour notre second album sortait d'une école de musique. A l'époque, nous ne voulions pas avoir affaire à des musiciens professionnels avec une réputation dans le monde de la musique. Nous voulions des jeunes musiciens. Depuis, ils ont eu leur carrière et quatre d'entre eux seront avec nous pour la tournée. Pour Paris, nous aurons des musiciens supplémentaires. Terry Edwards sera avec nous, Gina Foster qui chante avec nous depuis Simple Pleasure également. Ces gens ont eu beaucoup d'influence sur notre musique. Notre interrogation a été de savoir combien nous pouvions emmener de personnes avec nous dans le bus (rires).

On peut donc s'attendre à des soirées magiques pendant cette tournée ?

Cette tournée ne sera pas comme les autres. Ces concerts dans cette configuration ne se reproduiront pas souvent. J'espère que les gens viendront sereinement aux concerts. Cela reprend tout doucement. Pour moi, sortir à nouveau, c'est un peu bizarre. C'est à nous de reprendre confiance et de soutenir les artistes et pas juste notre tournée mais l'ensemble des artistes.