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Spiritualized

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 20 avril 2022

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Certaines rencontres sont vraiment différentes d'autres. J'appréhendais de me retrouver face au leader de Spiritualized. Je l'imaginais particulièrement difficile, fermé. J'avais déjà eu ce même sentiment vis-à-vis de Bobby Gillespie, et je m'étais trompé. Cette fois encore, mes craintes n'étaient pas fondées, même avec ces quarante-cinq minutes de retard qui ont failli faire capoter l'interview. L'anglais s'est ainsi montré d'une incroyable gentillesse, calme et bavard. Retour sur ce moment heureux qui s'était déroulé par une belle journée ensoleillée en décembre dernier.

Ce nouveau disque arrive assez rapidement après la sortie de And Nothing Hurt, alors qu'il avait fallu six ans entre ton précédent album et Sweet Heart Sweet Light. La pandémie n'a donc pas retardé l'écriture, l'enregistrement et la sortie de ton album ?

Non, en fait, cela m'a aidé, d'une certaine manière. Soudainement, je me suis retrouvé avec de l'espace pour travailler. On peut penser que j'ai un sentiment positif vis à vis de la pandémie, alors que bon nombre de personnes ont perdu des proches pendant celles-ci, et que d'autres tentaient de sauver des vies. Je ne me réjouis pas de tout de cela. Mais, j'ai pu vraiment travailler dans le calme, je ne sortais pas, je n'étais plus invité dans des soirées. Je suis retourné vers cet album que je voulais initialement sortir en même temps que And Nothing Hurt. Je tenais à ce que ce soit un double album mais la maison de disques n'était pas d'accord. Ils me disaient que personne n'achèterait un double album et que ce serait un échec. Je n'étais pas de cet avis, mais c'est ainsi que l'industrie musicale fonctionne et j'ai dû me résoudre à sortir une première moitié de ce disque en tant que And Nothing Hurt. La suite de ce disque est en fait une progression. On peut croire que c'est un album qui fait suite au précédent avec des pistes de son enregistrement non utilisées ou bien des morceaux qui ne pouvaient pas figurer pas sur le premier disque et qui se retrouvent ici compilées. Mais non, ce sont bien deux disques distincts comme l'était ma première intention. Tu sais, ma manière de travailler est lente (rires).

Est-ce que tu as essayé de brouiller les pistes en sortant d'abord And Nothing Hurt, et Everything Was Beautiful ensuite ? La nouvelle de Kurt Vonnegut s'intitulant :"Everything was beautiful and nothing hurt"...

J'aime bien cette idée. En fait, quand j'ai sorti And Nothing Hurt, il n'y avait aucune indication que quelque chose d'autre allait suivre. Mais c'est important de comprendre que Everything Was Beautiful n'est pas la seconde partie de And Nothing Hurt. Ma manière de travailler a changé. J'étais dans ma chambre devant mon ordinateur et cette manière de travailler dans cet endroit a donné un vrai effet live à cet album, alors que pour And Nothing Hurt j'ai utilisé un tout autre processus. Ce n'est donc pas un second chapitre. Il me semble que ce disque a une bien meilleure humeur. Ce qui d'ailleurs me perturbe car sur And Nothing Hurt, il y a Perfect Miracle, ce qui sonne un peu comme une parfaite chanson pop. Sur Everything Was Beautiful il n'y a rien qui ressemble à un morceau de trois minutes assez conventionnel. Matt Colton a masterisé le disque. Il a travaillé sur celui-ci et m'a dit qu'il ne voulait pas changer grand-chose car il s'apparentait à une belle journée pour la personne qui s'exprime dans le disque. Et c'est je pense le plus beau compliment qu'il pouvait me faire. Je ne m'attendais à rien de sa part, je ne l'ai même jamais rencontré. Et c'est vraiment incroyable de l'entendre me dire que ce disque est très bon. Je ne peux qu'être d'accord avec lui (rires).

Sur la pochette de And Nothing Hurt, il y a ces signes en morse et sur Always Together With You, on entend ces bips de code morse. A chaque question et réponse posée dans cette chanson il y a un bip qui suit. Est-ce envoyé à une personne que tu aimes ?

La clé d'un album, ce n'est pas de refaire ce que tu avais fait auparavant. Le mixage de l'album a été fait d'une manière très différente du précédent, précisément pour qu'on ne s'attende pas à la même chose sur celui-ci. La plupart des gens disent : j'ai beaucoup aimé le dernier mixage que tu as réalisé, voudrais-tu faire la même chose pour le mien ? Et c'est la dernière chose que je souhaite. Mon intention est totalement différente. Pour And Nothing Hurt, rien ne fonctionnait, je me demande bien comment l'album a pu être terminé. On m'a rassuré sur le sujet en me disant de ne pas m'inquiéter et que tout allait bien se passer, mais je ne voulais surtout pas revivre ce genre de situation. Et je ne voulais pas non plus réutiliser les mêmes méthodes que par le passé. Le bip de transmission était déjà présent sur Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space. Ma fille s'est chargée de l'introduction de la chanson, ce qui est bien entendu réminiscent de cet album. L'album est une sorte de perdition pour ce personnage et cela a simplifié tout le reste. Il y a ce désespoir, cette sortie de solitude et de nombreux détails qui donnent ce sentiment. C'est au final ce qui le rend différent des autres.

Est-ce important pour toi de passer d'un morceau qui bouge comme Best Thing You Never Had à des moments beaucoup plus mélancoliques tels que Let It Bleed ou Crazy ?

Oui, et ça l'a toujours été. C'est important que le chapitre soit étalé dans son intégralité. Tout est question de choix et c'est le mien. Au départ Mainland était une chanson entièrement instrumentale. J'y ai ajouté des paroles seulement quelques semaines avant qu'on ne la mixe. Ça ne fonctionnait pas, une fois encore. C'était comme si la chanson n'était pas terminée et ça me dérangeait énormément. Quand tu fais un album, un certain tempo doit y figurer. Et c'est important de savoir gérer les hauts et les bas qu'on rencontre à ce moment-là. Donc pour moi, oui c'est essentiel qu'on retrouve ces différentes ambiances tout au long du disque.

The A Song est la chanson la plus psychédélique de l'album, surtout avec ce passage cacophonique dans sa dernière partie. Est-ce que ça exprime réellement ce qui est à l'intérieur de toi ? Je veux parler de cette progression qui devient incontrôlable et qui va même jusqu'au chaos...

Je pense que c'est surtout dans la dernière chanson qu'il y a un véritable chaos. C'est quelque chose de parfaitement abstrait. Ce n'est pas toujours simple de créer un tel chaos dans la musique et surtout de la rendre incontrôlable. C'est vraiment une chose à laquelle je tenais et je ne veux surtout pas qu'on passe à côté de cette émotion. Cette tension présente dans I'm Coming Home Again, c'est le fait de jouer live et d'être constamment en évolution alors qu'on pense que cela va se terminer. Et le truc, c'est qu'une fois que c'est fini, tu as juste envie de la rejouer car il y a quelque chose de littéralement addictif dans ce mouvement sonore et tu ressens ça comme une boucle infinie. Il y a quelque chose de fascinant dans tout ça. Ma musique ne contient pas toujours les mélodies auxquelles on peut s'attendre, mais ce n'est pas pour autant qu'elle ne peut pas être vraiment magnifique pour certains (rires). Le premier album de Suicide, c'est un mélange de boogie woogie à la Elvis, de krautrock et de blues, mais il n'empêche que c'est une œuvre musicale magnifique. Il ne contient pas vraiment de mélodies mais il n'en demeure pas moins que c'est un disque incroyable. C'est spécial, unique et quelque chose qu'on n'avait jamais entendu auparavant.

Justement, la dernière chanson du disque me parait très cinématographique, tu n'as jamais voulu composer la bande originale d'un film ?

J'adorerai mais on ne m'a jamais proposé cela. J'ai rencontré Lilly Wachowski il y a longtemps de cela. J'aurai pu réaliser la bande originale d'un de ses films mais je suis tombé très malade à ce moment-là. J'ai dû me soigner pendant un an et demi. De ce fait, ils ont ajouté une de mes chansons au crédit du film, juste pour que je touche un peu d'argent. Mais sinon, je n'ai jamais eu cette chance réelle de composer une bande originale. Je ne travaille probablement pas assez vite (rires). Je suis sérieux, le processus pour les films nécessite généralement d'être rapidement productif. Donc ce ne doit pas être pour moi.

Pour la campagne de ré-édition de ta discographie, je pensais que tu ressortirais les disques à l'identique, surtout pour Pure Phase. Sur le vinyle d'époque, on trouve deux versions du morceau du même nom. Mais finalement non, le tracklisting de la réédition diffère. Sais-tu pourquoi ?

Non, je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi on a modifié le tracklisting d'origine. Quand on m'a demandé si je voulais que cette nouvelle édition soit comme le CD original ou le vinyle original, je n'ai aucune idée pourquoi ils ont changé par rapport au vinyle d'origine. Je sais juste qu'il y avait vingt-quatre ou ving-cinq minutes maximum de disponibles par face, c'est ce qu'on m'a dit. Mais après, franchement, je n'en sais pas plus. Je ne comprends pas que les tracklistings des deux formats aient été différents. Je n'en ai pas le souvenir.

Plain Records a réédité Pure Phase en vinyle à l'identique en 2011, mais la qualité du pressage est mauvaise. Il y a eu notamment pas mal de problèmes d'électricité statique...

Je ne suis pas fan de vinyles de couleur, mais pour ces réédition, ils sont vraiment superbement pressés. Il y a beaucoup de vinyles qui sont beaucoup trop gros, qui nécessitent énormément de pétrole et c'est quelque chose qui me dérange, mais qui ne dérange pas du tout l'industrie musicale qui presse et re-presse tout, n'importe quoi et n'importe comment. Franchement ça me dégoute. Mais je t'assure que Glow In The dark qui ont pressé les rééditions des albums de Spiritualized ne fonctionne pas de la sorte. Ils sont extrêmement précautionneux et le rendu sonore de ces nouvelles éditions est vraiment excellent.